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Full text of "Histoire parlementaire de la Seconde République: suivie d'une petite histoire du Second Empire"

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o 






HISTOIRE PARLEMENTAIRE 



DK LA 



SECONDE RÉPUBLIQUE 



A LA MÊME LIBRAIRIE 



E. SPULLER 



Figures disparues. Portraits contemporains littéraires et 
politiques. 1 vol. in-18, de la Bibliothèque d*histoire con- 
temporaine , 2« édition 3 fr. 50 



éVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY 



HISTOIRE PARLEMENTAIRE 



DE LA 



SECONDE RÉPUBLIQUE 



SUIVIE DUNE 



PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 



PAR 



EUGÈNE SPULLER 

Député. 



PARIS 

ANCIENNE UBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET C* 

FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR 

108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 108 

1891 

Toni droits réservés. 



AVANT-PHOPOS m 

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AVANT-PROPOS 



Vers 1868, dans les dernières années du second 
Empire et quand, par les progrès accélérés de l'opinion 
|)ublique, il devint possible d'en entrevoir la chute 
inévitable, un certain nombre d'esprits indépendants 
se trouvèrent associés pour la publication d'une 
Encyclopédie gémrale destinée, dans la pensée de ses 
fondateurs, à présenter au public français tout l'en- 
semble du savoir humain, étudié et exposé d'après les 
règles de la méthode expérimentale et de la critique 
moderne. 

Un autre dessein groupait les fondateurs de YEn- 
cyclopédie générale. 

Ils voulaient que la France, à la veille de reprendre 
possession d'elle-même, trouvât, dans un répertoire 
à la fois scientifique et populaire, une sorte d'inven- 
taire de son patrimoine intellectuel et moral, qui 
aurait été comme le point de départ du nouvel ordre 
politique et social que la démocratie républicaine se 
préparait à fonder. 

Survinrent les événements de l'année terrible. La 



a 



II AVANT-PHOPOS 

publication de VEncyclopédie générale fut arrêtée en 
plein succès. Trois volumes seulement ont été mis en 
vente ou livrés aux souscripteurs. 

L'idée était juste et féconde. Elle mériterait d*ôtre 
reprise. 

C'était revenir à la grande tradition du xviii^ siècle, 
car les premiers encyclopédistes, en leur temps, 
n'avaient pas rempli d'autre office ; et tout ce qui sub- 
siste de leur œuvre, c'est l'honneur d'avoir servi d'in- 
troduction scientifique aux immortels travaux pra- 
tiques de la Révolution française. On pensait, vers la 
fin de l'Empire, qu'une Encyclopédie nouvelle, c'est- 
à-dire une récapitulation des découvertes et des résul- 
tats de la science, des travaux et des efforts de l'esprit 
humain, dans tous les champs d'activité de la pensée, 
s'imposait à la fin du xix*" siècle, au moment de Tavè- 
nement définitif de la démocratie à la direction des 
sociétés. 

A la tête de la publication, il y avait un comité 
composé de savants et d'hommes de lettres, médecins, 
jurisconsultes, professeurs, journalistes, ingénieurs, 
économistes, philosophes, artistes, banquiers, arti- 
sans, commerçants et industriels. Ce comité était 
chargé de dresser la liste alphabétique des sujets à 
traiter et de distribuer les matières entre les rédac- 
teurs, suivant leur spécialité, leur compétence et leurs 
talents. 

J'ai eu l'honneur, en ce temps-là, d'être appelé, dès 
la première heure, avec mes amis Castagnary et Ranc, 
dans le comité de publication de VEncyclopédie géné- 
rale, et j'y ai pris rang, à] la fois dans la direction 
de l'entreprise et dans la rédaction de ceux des arti- 
cles, dont le sujet se rapportait à mes travaux habi- 
tuels. 

Parmi les articles qui me furent attribués dans 



AVANT-PROPOS m 

VEncyclopédte générale, se trouvait l'histoire des deux 
Assemblées constituaute et législative de la seconde 
République. C'était un tout complet, mais un travail 
très vaste. Aussi, bien que notre ami, le tant regretté 
Louis Combes, eût rédigé à lui seul les articles rela- 
tifs aux deux Assemblées constituante et législative, 
de notre première révolution et qu'il y eût là tout 
ensemble un précédent et un exemple, le comité de 
publication pensa que c'était trop pour un seul rédac- 
teur que de lui imposer lin aussi long travail, et il me 
reprit l'Assemblée constituante de 18i8, pour la don- 
ner H M. A. Ranc, qui en écrivit l'histoire à grands 
traits, et de ce style sobre et nerveux si justement ap- 
précié de tous ses lecteurs. 

On ne me laissa que l'article à faire sur l'Assemblée 
législative : c'était encore une belle tâche. Je m'y 
appliquai avec un surcroit de zèle, et j'apportai au 
comité un manuscrit assez volumineux, dont l'impres- 
sion fut décidée, vu l'importance du sujet. Toutefois, 
à la révision, l'article apparut tel qu'il était, c'est-à- 
dire comme un travail complet et consciencieux, mais 
trop développé, excédant les limites de la place qui 
pouvait m'être accordée dans le cadre général du re- 
cueil. On me demanda l'autorisation que j'accordai 
sans peine de pratiquer des coupures dans mon article, 
et l'on en fit d'assez nombreuses, pour que je fusse 
encore en droit, même après vingt-deux ans écoulés, 
(le considérer comme à peu près inédite l'histoire de 
l'Assemblée législative de 1849-1851, telle que je l'avais 
conçue et rédigée, poilr le dictionnaire auquel je la 
destinais. 

J'avais conservé soigneusement les placards impri- 
més et corrigés de mon travail original. L'idée m'est 
venue récemment de proposer à M. Félix Alcan, le 
bienveillant éditeur de mon volume des Figures dis- 



IV AVANT-PROPOS 

parues, la réimpression et la publication de cette his- 
toire de la Législative. M. Alcan accepta tout de suite 
cette proposition, avec une obligeance dont je lui suis 
très reconnaissant, mais en v mettant une condition 
à laquelle je devais tout naturellement accéder : c'est 
que j'écrirais, pour le volume à publier, une histoire 
de la Constituante, de manière à former ce tout com- 
plet, que j'avais été chargé dès l'abord de présenter 
aux lecteurs de VEncycbpédie générale. 

De mes études de 1869, il m'était resté beaucoup 
de notes, que je n'ai eu qu'à reprendre, pour me re- 
trouver pour ainsi dire dans le courant d'idées où j'é- 
tais alors. J'ai à peine besoin d'ajouter que ces notes, 
je les ai augmentées et complétées par des études 
nouvelles, et en tenant compte des documents qui 
ont paru depuis vingt ans sur l'histoire de la seconde 
République. De plus, comme j'avais maintenant à 
raconter l'histoire des deux Assemblées, j'ai pensé 
qu'il convenait de retracer en même temps l'histoire 
de l'établissement du suffrage universel, d'où ces 
deux Assemblées sont sorties. Et c'est ainsi que je 
puis présenter aujourd'hui au public un livre intitulé 
Histoire parlementaire de la seconde République, et qui 
touche aux points principaux de la politique inté- 
rieure de la France, du 24 février 1848 au 2 dé- 
cembre 4851. 
Ce livre se compose donc de trois parties : 
1^ L'histoire de l'établissement du suffrage univer- 
sel, c'est-à-dire l'histoire de l'acte le plus important 
de la dictature temporaire dif gouvernement provi- 
soire de Février 1848, en prenant cet acte dans ses 
origines, dans ses premières manifestations et ses con- 
séquences immédiates, enfin, dans sa portée lointaine, 
qui aboutit à consommer en France la plus profonde 
et la plus radicale des révolutions ; 



AVANT-PROPOS v 

2** L'histoire de TAssemblée nationale constituante 
de 1848-49. 

Ces deux premières parties de mon livre sont en- 
tièrement inédites. Je viens de les terminer. On y 
trouvera l'expression précise et sincère de mes pen- 
sées d'aujourd'hui. Je me plais à croire cependant 
que Ton ne remarquera pas, entre ces pensées d'au- 
jourd'hui et les opinions que j'exprimais il y a plus 
de vingt ans, de trop grandes difiérences ; j'espère 
même que l'on reconnaîtra sans trop de difficultés 
que c'est bien le même homme qui écrit, à un si long 
intervalle d'années, avec la même conscience, le même 
désir de respecter la justice et la vérité, tout en ser- 
vant sa cause, tout en visant à éclairer son parti des 
leçons de l'expérience ; 

3° Enfin, l'histoire de l'Assemblée nationale légis- 
lative de 1848-1 851. 

Cette troisième partie a déjà paru, mais à l'état de 
fragments, dans le troisième volume de VEncyclopédie 
générale, v° Assemblée législative, pages 133 à 157. 
Je reprends ces fragments, et je les restitue dans le 
texte complet de l'article, tel que je l'avais préparé à 
cette époque. Je me suis même fait scrupule de rien 
changer au texte de cet article, rédigé à un moment 
où presque tous les hommes politiques dont je retrace 
les actes et rapporte les discours vivaient encore, et 
où j'étais tenu, par les circonstances comme par la 
législation d'alors, à une plus grande réserve dans 
mes jugements et mes opinions. 

Ici encore, je me flatte qu'il ne sera ni difficile ni 
déplaisant à ceux qui voudront bien lire avec atten- 
tion ce travail qui date de plus de vingt ans, de re- 
trouver sous ma plume les mêmes idées générales, 
les mêmes principes de conduite qui m'ont dirigé 
dans toute ma carrière publique. Il n'y a là rien 



VI AVANT-PROPOS 

d'étonnant. Certes, je ne voudrais pas dire que Texpé- 
rience de ces vingt dernières années ne m'a point 
instruit. Mais enfin, quand j'écrivais, à la fin de TEm- 
pire, riiistoire de la réaction à jamais déplorable des 
années 1840 à 4851, mes opinions étaient déjà faites 
et arrêtées, sans quoi, j'ose l'assurer, je ne me serais 
pas permis de porter un jugement sur les hommes 
et les choses de cette triste époque. C'est même, est-il 
besoin de l'ajouter ? pour bien faire voir que, dès ce 
temps-là, ma manière de voir et de comprendre les 
intérêts politiques du parti républicain était fixée 
dans mon esprit, que l'idée m'est venue de publier 
de nouveau, après plus de vingt ans, un travail en- 
trepris dans des temps de lutte, et mis au jour à cette 
époque, à la satisfaction de mes amis. 

On verra donc ici que ce n'est pas seulement depuis 
la fatale guerre de 1870, mais bien avant la chute 
de l'Empire que, d'accord avec mon cher et glorieux 
Gambetta, dont les conseils m'ont si souvent éclairé, 
nous avons considéré la politique d'action par le suf- 
frage universel comme la politique nécessaire du 
parti républicain ; que nous avons commencé à parler 
et à écrire sur l'union indispensable de tous les ré- 
publicains pour tenir tête à nos adversaires et faire 
triompher notre cause; enfin, que nous avons adopté 
pour méthode, dans ce domaine essentiel du relatif 
qui s'appelle la politique, l'expérience et le bon sens : 
l'expérience qui tient compte des faits du passé, des 
circonstances du présent, des passions des hommes et 
même de leurs préjugés; le bon sens qui se refuse à 
poursuivre l'éternelle chimère des conceptions à 
priori, des utopies, même généreuses, et surtout de 
cette fameuse logique à outrance, qui étoufïe la raison 
sous les artifices captieux du raisonnement, et qui 
trop souvent mène ceux qui s'en laissent enivrer à 



AVANT-PROPOS vu 

se casser la tète contre le mur des obstacles qu'il 
s'agit de renverser. 

Au reste, ce n'est pas là le seul ni même le princi- 
pal objet que je me suis proposé en écrivant ce petit 
livre. 

Mieux que personne je sais que le titre qu'il porte 
est trop ambitieux. Ce n'est pas une histoire parle- 
mentaire vraiment complète des deux Assemblées de 
la République de 1848, qui peut tenir en trois cents 
pages : il y faudrait des volumes, que je n'ai ni le 
temps ni les moyens d'écrire. Que Ton veuille bien 
remarquer d'ailleurs que, si je donne à ce trop court 
abrégé le nom d'Histoire parlementaire, c'est pour in- 
diquer, dès le premier regard, que, dans ce livre, on 
ne trouvera rien ou presque rien qui se Jrappôrte 
aux événements si graves dont cette période de l'his- 
toire de notre siècle est remplie, tant en France 
qu'au dehors. Il n'y a ici queï de la politique inté- 
rieure, et de la politique faite dans l'enceinte ou au- 
tour des assemblées républicaines : c'est en ce sens 
que ce résumé d'histoire est appelé parlementaire, 
et véritablement il n'y avait pas d'autre nom à lui 
donner. 

Mais ce petit ouvrage est comme tous ceux que j'ai 
publiés; avant d'être un livre d'histoire, c'est un livre 
d'enseignement. Il a été composé et rédigé en vue, 
sinon d'apprendre quelque chose à ceux qui le liront, 
au moins de remettre devant leur esprit des événe- 
ments, des questions et des idées sur lesquelles on 
ne saurait trop revenir et réfléchir, quand on ap- 
partient à la démocratie républicaine. Ce n'est pas 
pour faire œuvre de littérature historique, mais pour 
contribuer à l'éducation de mon parti que ce livre a 
été écrit. On n'y trouvera pas la plus légère trace de 
ce que l'on appelle la vanité littéraire ou l'amour- 



VIII AVANT-PROPOS 

propre d'auteur, mais je crois impossible de n'y pas 
sentir à chaque ligne le désir de montrer à mes core- 
ligionnaires politiques les fautes commises, involon- 
tairement cela va sans dire, par ceux qui nous ont 
précédés dans la carrière , et dont nous ne sau- 
rions mieux honorer la mémoire qu'en nous ins- 
pirant de leurs sentiments, sans partager leurs 
erreurs. 

Nous sommes à quarante ans de distance des faits 
historiques rapportés et appréciés dans ces quelques 
pages. Les républicains de la génération de 1848 dis- 
paraissent tous les jours, et leur œuvre, depuis long- 
temps anéantie, aura duré aussi peu que la courte 
période d'années qui l'a vu s'accomplir. Ces hommes 
n'ont fait qu'apparaître un moment sur la grande scène 
de l'histoire, et peut-être même ne parlerait-on plus 
d'eux ni de ce qu'ils ont fait, si, par une fatalité sin- 
gulière, avec les meilleures intentions du cœur et de 
l'esprit, avec une parfaite droiture, une noble géné- 
rosité, un sincère dévouement à cette République 
qu'ils ont eu pour ambition et pour tâche de fonder, 
ils n'avaient pas laissé après eux tout un lourd far- 
deau de fautes et d'erreurs, que leur parti a dû 
traîner péniblement et qui embarrasse encore la 
marche de la démocratie républicaine. Tout* semble 
avoir péri des hommes de 1848 avec leurs personnes : 
leur impatiente et naïve ardeur, leur espérance che- 
valeresque dans le succès de leur cause, et cette foi 
indéfectible dans leur idéal politique, qui a pu les 
tromper, mais qui les soutenait dans toutes leurs 
entreprises. Et que d'autres qualités, que d'autres 
vertus n'avaient-ils pas? Un sévère sentiment de 
l'honneur, un mépris souverain de l'argent, une 
haute fierté civique, avec de la simplicité et de la 
modestie, et, par-dessus tout, un tendre et profond 



AVANT-PROPOS ix 

amour de la France, qu'ils considéraient comme 
le soldat de la liberté et du droit dans le monde. 
Jamais on ne saura dire assez haut, pour ledifica- 
tion morale des générations à venir, ce que furent 
les purs républicains français de Tancien parti, 
ces magnifiques exemplaires de l'humanité libérale 
et civilisée, toujours prêts à se donner à toutes 
les nobles causes, avec le plus entier désintéresse- 
ment. 

Ce n'est donc pas pour rabaisser l'estime ni dimi- 
nuer le respect que nous portons à nos devanciers qu'à 
presque toutes les pages de cet opuscule, on a signalé 
leurs aberrations d'esprit et leurs défaillances de 
cœur, dans cette terrible crise de près de quatre 
années qu'ils ont traversée, sans y contracter la plus 
légère souillure et sans y laisser le moindre lambeau 
de leur honneur. 

C'est qu'à bien prendre les choses et pour dire toute 
la vérité, les erreurs et les fautes des hommes de 1848 
sont pour nous, qui avons eu à reprendre leur œuvre, 
la meilleure part de leur héritage, et qu'il y a un 
devoir pour nous à déclarer qu'ils n'ont pas à craindre 
notre ingratitude. Notre parti a porté la peine de ces 
fautes et de ces erreurs; mais nous, après avoir subi 
pendant vingt ans le joug de l'Empire, nous avons pu 
éviter les pièges et détourner les périls où nous nous 
serions perdus, comme nos aînés de 1848 qui n'avaient 
eu avant eux, hélas! l'expérience de personne pour les 
former et les instruire. 

Pourquoi. faut-il ajouter que leur histoire si doulou- 
reuse et si instructive est encore nécessaire à relire 
aujourd'hui? Il semble que le parti républicain se lais- 
serait aller volontiers aux mêmes fautes, si l'on ne 
prenait soin de l'avertir, car il en est des partis comme 
des hommes : ils tombent toujours du cAté où ils 



X AVANT-PROPOS 

penchent. La démocratie de notre temps, comme celle 
d'il y a quarante ans, prompte à se laisser séduire 
par un faux radicalisme, incline toujours vers les 
solutions absolues : il faut lui dire et lui redire sans 
cesse que la politique ne comporte pas de solutions de 
ce genre, et qu'à vouloir les poursuivre, au nom des 
préceptes de la logique abstraite et pour satisfaire à la 
pureté de prétendus principes, elle risquerait d*abou- 
tir aux précipices où la seconde République devait 
nécessairement sombrer. 

Il y a, dans la génération de 1848, à distinguer, 
comme en toutes choses, ce qui est*bon de ce qui est 
mauvais. Ce qui est bon, c'est l'inspiration si profon- 
dément honnête et si noblement élevée des républi- 
cains de cette époque. Ce qui est mauvais, c'est leur 
défaut de sens politique. Non pas certes que la poli- 
tique, surtout celle de la démocratie, puisse se passer 
des ardentes et généreuses inspirations du cœur : sans 
ces inspirations, on ne fera jamais rien avec des 
chances sérieuses d'attirer et de retenir la France. 
Mais la démocratie peut encore moins se passer de 
sage raison dans la direction de nos affaires. La dé- 
mocratie est maintenant souveraine dans notre pays. 
Elle y règne et gouverne. Elle a, ne nous lassons pas 
de le répéter, la responsabilité des destinées de la 
France, ayant la direction de son action dans le 
monde. Elle aura des comptes redoutables à rendre 
un jour devant Thistoire. Elle ne peut plus, elle ne 
doit plus se conduire comme autrefois, d'après les 
seules inspirations de son cœur ou d'après les règles 
d'une méthode abstraite, absolue, exclusivement lo- 
gique, toute hérissée de ces fameux principes trop 
souvent forgés pour les circonstances et qui ne servent 
qu'à masquer des passions d'un moment. Il faut à la 
démocratie de Tesprit politique, de Tesprit de gou- 



AVANT-PROPOS \i 

veraement. C'est là ce qui a manqué à la R(*piil)lir|U(* 
de 1848, et c'est par où elle a péri. 

Qu'est-ce donc que l'esprit politi([U(î? 

C'est cet esprit de lumière, qui nous porter à voir Itîs 
choses non pas comme nous les désirons, mais conimtî 
elles sont; c'est en outre cet esprit de fortci H pru- 
dente conduite, qui nous porte à ))nMi(inî dans i*^ 
gouvernement de la société la part d'action rfui nous 
nous revient à nous et aux nôtres, sans jamais nous 
emporter, sans jamais nous décourafi:(îr, sous |)rét(»xt(î 
que les alïaires ne vont pas au jçié de nos passions ou 
de notre volonté, mais en travaillant toujours au suc- 
cès de notre cause par la discussion puhlicfuts par 
l'instruction générale et en dehors do tout recours à 
la violence. 

Ainsi, avec l'esprit politique, un homme public, un 
grand parti voient ce qui est, et no voien t quo co q ui est : 
c'est le premier pas, et non pas le moins difficilo- pour 
n'entreprendre que ce qui est possible. LVsprit |)oli- 
tique, c'est le contraire d(î Tospril do chimènî. Avec 
l'esprit de chimère, on se trompe soi-même avant (h^ 
tromper les autres ; on oonmioncc^ l)ar se forgor un 
idéal, et plus cet idéal est inaccessible, incom- 
préhensible, plus on le juge digne dVtrci proposé 
à l'admiration des simples, à (|ui tout semble fa- 
cile. L'esprit politique, au contraire, enstîigne que 
tout est difficile, dans uncî société aussi e()ni|)liquée 
([ue la nôtre; que la moindn^ mesure, pour nt^ pas 
dire la plus petite réforme, impose ch» grands ména- 
gements, comporte de longs relards; ([u'il convient 
d'y ai)porter beaucoup de circonspection (ît de pa 
tience, et que le temps est, en politiciue, un facteur 
d'une importances au moins égale à la bonne volonté 
des hommes. L'esprit politique est sobre de pro- 
messes. Il ne remmce pas à se donner un haut et 



XII AVANT-PROPOS 

noble idéal, mais il se sait, se voit en lutte incessante 
avec les faits pris dans leur réalité; il ne se déploie 
pas en plein vol, dans le ciel azuré de la rêverie ; il 
marche terre à terre, se heurtant aux cailloux, se 
déchirant aux ronces du chemin, mais avançant tou- 
jours, d'un pas lent mais sûr, et de manière à n'être 
jamais obligé de revenir sur ses pas et de subir 
cette inévitable réaction qui est la suite forcée des 
faux progrès. 

Quant à Tesprit de conduite si nécessaire à un parti 
qui vient de prendre possession du pouvoir après 
tout un siècle de combats, comme la démocratie, on 
n'en saurait trop souhaiter à ceux des républicains 
que les suffrages de leurs concitoyens appellent à 
mettre la main aux affaires. Ce sont ceux-là qui doivent 
donner l'exemple de la persévérance et de l'abnéga- 
tion. Quand même les choses n'iraient pas au gré de 
leurs désirs, ils doivent se garder de tout scepticisme 
comme de tout emportement. La violence est trom- 
peuse : il est rare que l'on garde ce qu'elle a pro- 
curé. Une douce et fière prudence, une fermeté à la 
fois inflexible et modérée valent infiniment mieux 
pour garder ce qui a été péniblement conquis. Mais 
ce qui est à redouter plus que le reste, c'est le pessi- 
misme, à la fois orgueilleux et imbécile, qui consiste 
à croire tout en péril, parce qu'il se fait quelque 
chose en dehors de nous, de nos plans, de nos moyens 
et par d'autres mains que les nôtres, et à prendre sys- 
tématiquement le contre-pied de ce qui se pense, se 
dit ou s'accomplit sur nos confins, parce que telle 
n'est pas notre manière de voir et d'agir. Ce mal dan- 
gereux et qui a si douloureusement affecté les répu- 
blicains de 1848 n'est pas encore guéri, tant s'en 
faut. 11 ne cédera que parles progrès et sous l'effort du 
véritable esprit de gouvernement. 



AVANT-PROPOS xiii 

\ On juge par là de quelle sérieuse utilité doit être pour 
les générations nouvel les de la démocratie républicaine 
rétude attentive deThistoire de 4848. Les hommes et 
les faits de cette histoire sont dans notre parti même, 
moins connus que Ton ne serait tenté de le croire, 
maiscen*est pascequi importe le plus. Il est d'un inté- 
rêt singulièrement plus relevé, à mes yeux du moins, 
de remettre en pleine lumière les questions de premier 
ordre, à Toccasion desquelles, Tesprit et l'expérience 
politiques leur faisant défauts, nos devanciers ont com- 
promis leurs affaires et les nôtres par des fautes que 
nous ne commettrions plus, mais qu'ils n'ont pas su 
éviter, à raison de leur éducation toute métaphy- 
sique. Nous, hommes de la troisième République, 
nous avons eu, sur ceux de la seconde, l'avantage 
de profiter de leurs erreurs, et cela suffirait à nous 
attacher à leur mémoire par les liens d'une pieuse 
gratitude; mais il faut bien nous dire que nous n'au- 
rions pas pu mettre ces erreurs à profit, même après 
les avoir reconnues, si nous n'avions pas échangé 
leur méthode contre une autre d'un caractère tout 
différent. Ils étaient imbus de principes absolus et 
de conceptions logiques, et nous, sous la pression 
des événements autant que par les progrès du savoir 
positif, nous avons dû nous tenir au plus près des 
faits et des idées relatives. Toute la différence qui 
existe entre leur œuvre et la nôtre est dans cette diffé- 
rence d'éducation et de méthode. 

Le changement de méthode politique, la substitution 
(le l'idéeduprogrès relatif et certain à l'idée du progrès 
absolu et chimérique, la constitution nécessaire mais 
encore incomplète d'un parti républicain gouverne- 
mental : tels sont les caractères qui commencent à dis- 
tinguer la démocratie républicaine d'aujourd'hui de la 
démocratie d'il y a quarante ans. Ce sont autant de 



XIV AVANT-PROPOS 

progrés, et il faut persévérer dans cette voie , sous 
peine de retomber dans la rétrogradation et l'impuis- 
sance. 

Avec toute leur magnanime confiance dans la vertu 
des principes absolus, nos devanciers de 1848 n'ont 
réussi à rien fonder. Nous, au contraire, en nous pliant 
au jour le jour aux nécessités d'une situation sou- 
vent écrasante, nous sommes parvenus à faire de la 
République de fait une République de droit, adon- 
ner à cette République une Constitution et un gou- 
vernement, à faire que ce gouvernement, malgré bien 
des crises et des causes accumulées d'instabilité et de 
faiblesse, donne à son tour à la France, qui en est pro- 
fondément reconnaissante, laliberté au sein de Tordre, 
depuis vingt années d'un travail vraiment réparateur 
qui ont permis à notre patrie de refaire sa force mili- 
taire, de s'assurer une puissance financière sans ri- 
vale, de commencer, grâce à tout un nouveau système 
d'enseignement public, la transformation nécessaire 
de son ancien état mental, d'initier enfin la démo- 
cratie à la gestion des intérêts publics et au gouver- 
nement d'elle-même, en lui rappelant ce qu'elle doit 
à la France, à sa sécurité, à son intégrité, à sa mission 
historique, au maintien de son influence, au rayonne- 
ment de son prestige et de son exemple au dehors. 

Encore une fois, ce n'est point pour accabler nos 
précurseurs de récriminations et de reproches; ce 
n'est même pas — ce qui serait encore plus mal séant 
— pour établir entre la seconde et la troisième Répu- 
blique une comparaison qui serait tout à l'avantage 
de la nôtre, que paraît ce petit livre, offert aux jeunes 
générations de la démocratie française. Nous avons 
mieux à faire qu'à récriminer sans justice, et surtout 
mieux à faire qu'à nous exalter avec immodestie : 
nous avons à nous instruire. 



AVANT-PROPOS xv 

A cet égard, on n'étudiera jamais assez Thistoire de 
la seconde République. 11 faut bien le dire, cette his- 
toire n'est pas faite. Si Ton met à part le livre si élevé, 
si sincère et parfois si profond de Daniel Stern, qui 
demeure comme un chef-d'œuvre de nette et juste péné- 
tration politique et de généreuse et vivante éloquence, 
jusqu'à présent Thistoire de 1848 n'a guère été écrite 
que par des écrivains prévenus, les uns, serviteurs 
ardents mais peu éclairés de la cause républicaine, les 
autres, adversaires passionnés de la démocratie qu'ils 
maltraitent sans la connaître. Cette période histo- 
rique est et demeurera toujours l'une des plus émou- 
vantes et des plus attachantes du xix*" siècle, non seu- 
lement en France, mais dans le monde entier. De cette 
commotion soudaine mais non fortuite, car elle a eu 
des causes à la fois anciennes, générales et profondes, 
datent les deux grands faits sur lesquels roulera tout 
le vingtième siècle où nous allons entrer, la transfor- 
mation territoriale et militaire de J'Europe et la pré- 
dominance des questions sociales sur les questions 
purement politiques. Une telle histoire mériterait donc 
d'attirer l'attention, de retenir les efforts, d'inspirer 
le talent de quelque écrivain des temps nouveaux. 
Ne se lèvera-t-il donc personne, dans notre parti, pour 
embrasser ce grand et heureux mouvement de 1848 
dans ses causes et dans ses conséquences, pour cé- 
lébrer les vertus, tout en déplorant leurs erreurs, de 
tant d'hommes convaincus et dévoués, pour glorifier 
la France dans un des entraînements sublimes de cet 
apostolat magnifique qu'elle exerce, à travers les 
siècles, pour la liberté des intelligences, la justice 
parmi les hommes et la paix entre les nations? 

Serait-il vrai que toutes ces idées si populaires 
en 4848 et qui semblent avoir succombé avec notre 
seconde République, ne se soient pas relevées avec la 



XVI AVANT-PROPOS 

troisième? Qui peut le savoir? Qui oserait le dire? 
Les idées ne sont-elles pas immortelles ? Et n'est-ce 
pas des idées, encore plus que des mots, que Ton peut 
dire avec le poète : 

Multa renascentur quœ jam cecidere 

E. Spuller, 



PariS) le 2 Décembre 1890. 



HISTOIRE PARLEMENTAIRE 

DE 

LA SECONDE RÉPUBLIQUE 



PREMIÈRE PARTIE 



ETABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 

24 février— 4 mai J8i8 



I 

4^aractères généraux de la Révolution de Février. — Le pays 
légal. — La monarchie parlementaire en Angleterre et en 
France. — L^aristocratie anglaise et les classes dirigeantes en 
France. — Politique de la bourgeoisie française. — M. Guizot 
et la réforme électorale. 



La Révolution du 24 février 1848, qui eut pour con- 
clusion la proclamation de la République par le 
peuple de Paris maître de THôtel de Ville, avait com- 
mencé aux cris de : Vice la Réforme ! 

La République proclamée, c'était la nation fran- 
çaise remise en possession de sa propre souveraineté. 

Après la dictature militaire du général Bonaparte 
et de l'empereur Napoléon sous le Consulat et l'Em- 
pire, au temps de la monarchie des Bourbons de la 
branche aînée sous la Restauration, et pendant la pé- 
riode écoulée depuis la révolution de Juillet 1830, 
c'est-à-dire pendant les dix-sept années et huit mois 
qu'avait duré le règne de Louis-Philippe P', roi de» 

E. SPULLER. — SEC. RÉP, 1 



2 LA SECO>^DE RÉPUBLIQUE 

Français, on avait assisté en France à un phénomène 
politique qui prouve toute Timportance des formes 
dans le gouvernement des sociétés : une petite nation 
s'était formée dans la grande. 

C^était relïet des lois relatives au cens électoral» 
Ces lois n'admettaient à la vie politique que ceux des 
Français qui, jouissant du privilège de la fortune, 
composaient le corps électoral, où la haute bourgeoisie 
avait la prépondérance. 

Cette nation restreinte s'appelait elle-même le pays 
légaL 

Le < pays légal > était censé gouverner la France au 
moyen du système représentatif, qui comprenait le 
roi, les deux Chambres, celle des pairs et celle des 
députés, un conseil de ministres solidaires et respon- 
sables, le jury, la garde nationale, une presse soumise 
au cautionnement et contenue par des lois sévères : 
tout cela formait un ensemble d'institutions établies 
suivant les principes de TÉcole libérale et doctrinaire^ 
et offrait, au moins en apparence, d'assez frappantes 
analogies avec la monarchie anglaise. 

Seulement, des deux côtés du détroit, l'esprit des 
gouvernants n'était pas le môme. 

D'une part, en Angleterre, toutes les entreprises et 
tentatives du pouvoir personnel des monarques ayant 
été depuis longtemps réprimées par les Parlements, 
on peut dire, suivant la maxime célèbre de M. Thiers, 
que le roi anglais règne et ne gouverne pas. 

En France, au contraire, cette maxime et la politique 
qu'elle résume n'ont triomphé sous aucune dynastie ; 
et toutes les fois qu'un monarque s'est trouvé placé ,. 
depuis la Révolution française, à la tète du pays, ce 
monarque a prétendu et visé à mettre son pouvoir 
personnel au-dessus des volontés de la nation consti-^ 
tulionnellement exprimées par ses représentants. 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 3 

Sans parler de romuipotence que se sont attribuée 
les deux empereurs de la famille Bonaparte, il suf- 
fira de rappeler que Louis XVIII, en rentrant en 
France, au bout de vingt-cinq ans d'émigration et 
après les plus extraordinaires changements que jamais 
peuple ait éprouvés dans sa constitution sociale et 
politique, avait octroyé la charte à ses amés et féaux 
sujets par un acte de sa grâce royale, c'est-à-dire de 
son pouvoir personnel, et que Charles X, ayant signé 
les ordonnances, paya de sa couronne et d'un dernier 
exil cet acte de mainmise sur les libertés publiques 
qu'il considérait de bonne foi comme un acte de sa 
prérogative souveraine. Le roi Louis-Philippe lui- 
même, pendant tout son règne, ne cessa point d'em- 
ployer toutes les ressources de son esprit et de son 
expérience à s'affranchir de la domination des cabi- 
nets responsables qu'il appelait aux affaires et qui re- 
présentaient son gouvernement devant les Chambres. 
Seul, le grand ministre Casimir Perler, de tous les 
présidents du conseil de la monarchie de Juillet, a 
exercé le pouvoir dans la plénitude de ses attribu- 
tions. Les autres ont quelquefois résisté, comme le 
duc de Broglie et M. Thiers, mais en finissant par se 
soumettre; et le plus souvent ils ont cédé, comme 
M. Guizot. C'était avec un plein assentiment d'esprit 
et de cœur que M. Guizot ne se regardait plus, vers les 
derniers temps du règne, à l'époque même où la France 
et l'Europe le tenaient pour un ministre tout-puissant, 
que comme le serviteur docile et dévoué de la volonté 
du roi dont il célébrait la sagesse. Il se bornait à 
n'être que l'organe du pouvoir personnel du prince 
auprès de majorités parlementaires qui en étaient 
venues à montrer une complaisance plus grande en- 
core que leur fidélité. 

D'autre part, l'aristocratie anglaise, qui détient et 



4 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

exerce le gouvernement avec une intelligence poli- 
tique si justement admirée, a toujours tenu ses rangs 
ouverts à tous ceux des fils de l'Angleterre qui l'ont 
illustrée par leur mérite personnel, leurs talents et 
leurs services, et qu'il est de l'intérêt national de ratta- 
cher à la politique britannique; sans cesse, cette aristo- 
cratie, large d'esprit et d'une prévoyance supérieure, 
s'est rajeunie et retrempée dans le sein delà nation, qui 
se sent ainsi régie et conduite, non pas au profit des 
intérêts égoïstes d'une caste, mais dans le sens même 
du développement de sa prospérité et de l'accroisse- 
ment de sa force et de sa grandeur ; enfin, cette aristo- 
cratie, bien que, dans son ensemble, elle résume et 
personnifie les principes et les intérêts conservateurs 
et que par conséquent elle ait une tendance naturelle 
à résister aux changements politi([ues, aux transfor- 
mations sociales, ne s'oppose jamais longtemps aux 
progrès réclamés par l'opinion, quand la raison 
publique les admet, et si elle n'a pas l'initiative des 
réformes, elle n'hésite pas à les décréter, à les appli- 
quer môme, lorsqu'elles sont mûres, afin d'en récla- 
mer le bénéfice devant la nation anglaise. 

En France, au contraire, la haute bourgeoisie, après 
s'être, à la faveur de la grande commotion de la fin du 
xvai'- siècle, emparée à prix d'argent, mais à vil prix par 
l'acquisition des biens nationaux, de la propriété du 
sol qui avait si longtemps appartenu au clergé et à l'an- 
cienne noblesse, se sentant nantie désormais et pour 
longtemps de l'infiuence politique et sociale, a pris 
possession du gouvernement, et sa préoccupation 
dominante a été de l'exercer et de s'en servir à son 
profit exclusif. Aussi longtemps qu'elle s'est vue mena- 
cée dans ses conquêtes, elle n'a pas trop ouvertement 
séparé sa cause de celle du peuple. C'est ainsi que, 
pour les sauvegarder, elle a poussé le peuple à la révolte 



ETABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL r> 

contre les Bourbons de la branche aînée, et qu'elle 
a confisqué la révolution consommée en juillet 1830. 

Sous un prince de son choix, elle se crut définiti- 
vement maltresse de ses destinées, et libre dès lors 
de présider à sa guise à la direction des affaires de la 
France. Sans être une aristocratie fermée, elle multi- 
plia autour d'elle les retranchements et les barrières, 
afin de ne point se laisser envahir. Peu à peu, avec la 
vaine ambition de se rapprocher de l'ancienne noblesse 
et de se confondre dans les rangs de ceux qu'elle avait 
dépouillés, elle devait être amenée à se tenir en dehors 
et au-dessus de ceux qui avaient fait sa fortune, et à 
les renier comme elle se reniait elle-même. 

Dès que son égoïsme et son orgueil lui eurent per- 
suadé que ses intérêts nouveaux étaient en opposition 
avec ses anciennes' idées, elle abandonna ses tradi- 
tions libérales, pour se constituer à l'état de classe 
dirigeante. Ses premiers chefs, les auteurs princi- 
paux de la Révolution française, avaient été élevés 
à Técoledes philosophes, de Voltaire et de Rousseau ; 
ses nouveaux chefs, ceux qu'elle se donna quand elle 
fut parvenue, crurent habile de lui conseiller de se 
remettre sous la direction de l'Eglise. De voltairienne 
qu'elle était, la haute bourgeoisie devint cagote, et sa 
dévotion trop souvent ne lui servit qu'à dissimuler ses 
vices sous des dehors hypocrites. Conservatrice par 
situation, elle ne tarda pas à devenir rétrograde par 
doctrine. Toutes les nouveautés lui parurent dange- 
reuses ; tous les progrès lui semblèrent suspects. 
Bientôt, elle ne considéra plus le peuple que d'un œil 
défiant et jaloux ; elle en prit aversion et même peur, 
et ce fut comme un véritable divorce entre les hautes 
classes et cette partie laborieuse de la nation, qui tra- 
vaille moins pour s'enrichir que pour vivre, en gagnant 
son pain à la sueur de son front. 



6 LA SECONDE REPUBLIQUE 

Au sein même de ces foules, un élément pour ainsi 
dire tout moderne se faisait une place à part : c'est le 
prolétariat industriel des grandes villes, né des prodi- 
gieux développements de l'industrie et du commerce 
(|ue les découvertes et les applications de la science 
ont suscités, dans une nation régie par les prin- 
cipes de la liberté et vivant en paix depuis la fin des 
guerres de l'Empire. La haute bourgeoisie a profité du 
travail des classes ouvrières, sans rien faire pour elles. 
Elle a commis surtout l'impardonnable faute, obéis- 
sant sur ce point à des suggestions perfides et qui ne 
lui semblaient que trop conformes à ses intérêts, de 
laisser ces ouvriers, ces paysans dans un état voisin de 
l'ignorance complète. Il n'y a pas à méconnaître les 
grands services rendus par la loi de 1833 sur l'ensei- 
gnement primaire, préparée, discutée et votée sous le 
ministère de M. Guizot, mais on peut bien dire que 
l'instruction publique en France n'avait pas pris le 
même essor qu'en bien d'autres pays qui passaient 
alors pour moins avancés. Plus de la moitié des Fran- 
çais, à la fin du règne de Louis-Philippe, ne savaient 
ni lire ni écrire. Notre nation ressentait très vive- 
ment cette infériorité à laquelle on la condamnait, 
sous le prétexte que l'instruction donnée au peuple 
n'est bonne qu'à faire des déclassés. Atteinte dans 
sa dignité à l'intérieur, elle ne souffrait pas moins 
dans sa fierté au dehors, étant incapable de com- 
prendre les bienfaits d'une paix qui lui semblait 
achetée à tout prix, même au prix de l'honneur de la 
France et d'une déchéance de l'antique grandeur 
nationale. 

La haute bourgeoisie allait ainsi au-devant d'une 
catastrophe politique et sociale, sans même s'en dou- 
ter, pensant au contraire qu'elle établissait sa prépon- 
dérance sur des bases indestructibles. 



ETABLISSEMENT DU SUFFRAGE U^'IVEftSEL 7 

Oublieuse des principes de la Révolution, elle affec- 
tait de ne plus reconnaître la souveraineté du peuple, 
qui ne lui sepablait que la tyrannie du nombre, c'est- 
à-dire des foules aveugles et ignorantes. Croyant dis- 
simuler sa propre domination, elle l'exerçait, au nom 
de la philosophie politique qui lui était enseignée 
par ses docteurs, sous le nom magnifique de souve- 
raineté de la raison. Dans ce système, Télectorat poli- 
tique n'était pas considéré comme un droit, mais 
comme une fonction. Pour exercer cette fonction, il 
fallait des lumières, et la garantie de ces lumières ne 
pouvait se trouver que dans la possession d'une cer- 
taine fortune. Quand on faisait observer que de 
grandes lumières se rencontraient souvent en des 
hommes qui n'étaient pas assez riches pour payer le 
cens, on répondait que l'on ne pouvait faire brèche 
au système général du gouvernement pour y intro- 
duire des exceptions, et que d'ailleurs,par cette brèche, 
si l'on avait l'imprudence de la laisser faire, passe- 
raient bientôt tous ceux qui rêvent de monter à l'as- 
saut des sociétés pour les désorganiser et les dé- 
truire. C'est ainsi que furent écartées les « capacités » 
que Ton voulait faire entrer dans le corps électoral. 
Pour ce qui est du suffrage universel, dont le prin- 
cipe avait été proclamé par la Révolution française, 
les conservateurs n'en parlaient qu'en haussant les 
épaules. < 11 n'y a pas de jour pour le suffrage uni- 
versel, avait dit M. Guizot, pour ce système absurde 
qui appellerait toutes les créatures vivantes à l'exer- 
cice des droits politiques. » Et là-dessus les hommes 
du pays légal s'étaient rendormis dans la plus trom- 
peuse sécurité. 

On demandait un jour à M. Guizot, accoudé au 
marbre de la cheminée d'un salon conservateur, long- 
temps après la révolution de Février, pourquoi il 



« LA SECONDE RÉPTBUUUE 

avait si obstinément combatta les projets de réforme 
électorale et parlementaire, écarté les capacités» e 
refusé d'abaisser le cens. 

— Eh! monsieur, dit l'illustre doctrinaire, si j'avais 
fait une telle concession, j'aurais perdu la monar- 
chie î — Ah ! et la monarchie a-t-elle été moins per- 
due par vos refus ? — Non, je Tavoue, elle a péri ; 
mais du moins elle est tombée tout entière, et les 
principes sont saufs. > 11 n'y avait rien à répondre ; 
on ne répondit rien : les événements avaient assez. 
parlé. 



Il 



La République est proclamée en France. — Fin du pouvoir per- 
sonnel. — Le suffra^re universel, conséquence du principe de 
la souveraineté nationale. 



La République ayant été proclamée par le peuple 
de Paris, le gouvernemeut provisoire, sorti des accla- 
mations de la foule qui avait envahi la Chambre de 
députés, dut songer à Tanuoncer à la France. Ce ne 
fut pas sans quelque hésitation. Non pas que tous les 
membres du gouvernement provisoire ne fussent très 
convaincus que la République s'imposât à un pays qui, 
depuis la Révolution, avait successivemeut essayé et 
renversé toutes les formes de la monarchie, dictature 
militaire, royauté traditionnelle, royauté parlemen- 
taire ; mais, dans le gouvernement provisoire, il y 
avait des hommes scrupuleux et timorés, qui ne se 
reconnaissaient pas le droit de préjuger des volontés 
et des résolutions souveraines de la France. 

Dans un premier essai de proclamation au pays, 
Lamartine disait, au nom de ses collègues : 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 9 

< Bien que le gouvernement provisoire agisse uni- 
quement au nom du peuple français et qu'il « pré- 
fère > la forme républicaine, ni le peuple de Paris, ni 
le gouvernement provisoire ne prétendent substituer 
leur opinion à Topinion des citoyens, qui seront con- 
sultés sur la forme définitive du gouvernement que 
proclame la souveraineté du peuple. » 

Ce mot inconsistant et vague de « préférence » parut 
tout d'abord impossible à accepter. Louis Blanc y subs- 
titua toute une phrase : « Bien que le gouvernement 
provisoire soit de cœur et de conviction pour le gouver- 
nement républicain. » Mais cette formule plus longue 
ne sembla guère meilleure à son auteur lui-même, qui 
craignait que cette rédaction équivoque ne traduisit 
pas la volonté si formellement exprimée par le peuple 
de Paris d'établir la République : aussi Louis Blanc, 
effaçant sa phrase, en fit adopter une autre, d'un 
accent plus ferme : 

« Le gouvernement provisoire veut la République, 
sauf ratification par le peuple, qui sera immédia- 
tement consulté. » 

La proclamation du gouvernement provisoire se 
terminait par ces mots : 

< L'unité de la nation, formée désormais de toutes 
les classes de citoyens qui la composent ; le gouver- 
nement de la nation par elle-même ; la liberté, l'éga- 
lité et la fraternité pour principes, le peuple pour de- 
vise et mot d'ordre : voilà le gouvernement démocra- 
tique que la France se doit à elle-même et que nos 
efforts sauront lui assurer. » 

C'était annoncer la fin du pouvoir personnel des 
rois et de la prépotence des classes dirigeantes. La 
nation était appelée à se gouverner elle-même. Le 
suffrage universel était implicitement contenu dans 
ces déclarations. Au suffrage universel, ovi ^iXSal>X. 



10 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

demander d'élire une Assemblée nationale, qui serait 
investie du pouvoir constituant qui réside dans la 
nation, et cette Assemblée constituante apporterait la 
ratification de la République. 



III 

Origines du suffrage universeL — Programme de la Société des 
Droits de Vhomme rédigé par Godefroy Cavaignac. — Le parti 
légitimiste et le suffrage universel. — M. de Lamartine et la 
Politique rationnelle de 1831. — Le journal la Réforme et le 
programme rédigé par Louis Blanc. — Les pamphlets de 
Timon (M. de Cormenin). 

Le droit de suffrage, reconnu à tous et à chacun des 
citoyens qui composent le peuple français, n'était 
pas une nouveauté dans ce pays. Sous la Révolution, 
tous les Français étaient électeurs en principe. On 
avait bien admis quelques distinctions restrictives du 
droit de suffrage, telles que la distinction imaginée 
par Sieyès entre les citoyens actifs et les citoyens 
passifs et l'inaptitude à voter spéciale aux domes- 
tiques attachés à la personne d'un maître, qui fut re- 
connue môme sous la Convention. De plus, on avait de 
tout temps admis l'élection à deux degrés, sauf sous 
la Constitution de 1793 qui établissait l'élection di- 
recte, mais on sait que cette constitution n'a jamais 
reçu d'application pratique. 

La mise en œuvre du suffrage universel, tel qu'il 
fonctionne aujourd'hui, ne s'était donc faite nulle 
part, pas même en Amérique où règne la démocratie. 
On ne la croyait pas possible. La tradition môme de 
ce principe de gouvernement s'était pour ainsi dire 
oblitérée pendant longtemps. 11 faut traverser les 
temps depuis la Révolution jusqu'à l'année 1831 pour 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 11 

la retrouver dans le programme de la Société des Droits 
de r homme qui fut tracé par Godefroy Gavaignac, et 
qui contenait ces mots : < La souveraineté du peuple 
mise en œuvre par le suffrage universel. » 

Presque en môme temps, un écrivain légitimiste, 
Tabbé de Genoude, rédacteur en chef de la Gazette de 
France, donnait à son parti pour tout programme 
politique, cette double devise : < Appel au peuple — 
Liberté de l'Enseignement. » C'était pour M. de Genoude 
le moyen assuré de manifester aux yeux de tous l'esprit 
catholique et légitimiste de la nation. Le publiciste de 
la royauté visait à la restaurer par les suffrages popu- 
laires : il se trompait, mais pas complètement. Sans 
doute, la France consultée librement n*a jamais laissé 
voir qu'elle fût disposée à se remettre sous le joug de 
l'Eglise et de la Royauté, du trône et de l'autel, comme 
on disait sous la Restauration ; il n'en est pas moins 
certain que c'est le suffrage universel qui, à diverses 
reprises, a rendu quelque apparence de force et de vie 
au parti légitimiste, et il a fallu l'étrange abus qui a 
été fait de cette puissante institution sous le second 
Empire, pour décider la Gazette de France à supprimer 
le sous-titre qu'elle a porté si longtemps : Journal de 
i Appel au peuple. 

Le principe du suffrage universel avait rencontré 
un adhérent convaincu dans M. de Lamartine, à ses 
débuts, quand, à peine dégagé de ses opinions légiti- 
mistes, il écrivit sa première brochure, si extraordi- 
naire pour le temps où elle parut et qui, à soixante ans 
de distance, dépasse encore la moyenne de l'éducation 
politique des Français. La Politique rationnelle, publiée 
en 1831, demandait le suffrage universel, la liberté de 
la presse, l'instruction gratuite et répandue partout, 
la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'assistance pu- 
l)lique et la paix européenne. 



12 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

< La politique, disait-il, dont les anciens ont fait 
un mystère, et dont les modernes ont fait un art, 
n'est ni Tun ni l'autre ; il n'y a là ni habileté, ni force, 
ni ruse; dans Tampleur vraie et divine du mot, la 
politique, c'est de la morale, de la raison et de la 
vertu. 

€ L'époque moderne ne peut être que Tépoque de 
la liberté ; sa mission est d'organiser le droit et l'action 
de tous, ou la liberté d'une manière véritable et du- 
rable. 

< La forme des gouvernements modernes... c'est le 
gouvernement critique de la discussion^ du consente- 
ment commun, c'est la République ; mais la Répu- 
blique mixte, à plusieurs corps, à une seule tête ; ré- 
publique à sa base, monarchie à son sommet. 

« La presse est la parole même de la société mo-. 
derne : son silence est la mort de la liberté. L'ensei- 
gnement! Il sera libre, gratuit et répandu partout. 
Celui qui donne une vérité à l'esprit du peuple fait 
une aumône éternelle aux générations à venir. » 

Quand M. de Lamartine, en 1831, demandait que 
l'Eglise fût séparée de l'Etat, il entendait par là que le 
catholicisme ne fût plus un culte exclusif et privilégié, 
et s'il réclamait l'établissement du suffrage universel, 
c'est qu'il voulait que l'élection fût vraie dans son 
principe ; mais il la voulait en même temps propor- 
tionnelle, pour qu'elle fût juste : aussi réclamait-il 
l'élection à deux degrés. 

Ainsi le suffrage universel était adopté comme prin- 
cipe de gouvernement par les républicains de tradition, 
comme Godefroy Cavaignac et ses amis, et par les pro- 
gressistes, qui penchaient vers la République, comme- 
Lamartine. 

Cette importante question était d'ailleurs peu agitée 
dans les discussions de la presse. Lés journaux libé- 



ETABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL la 

raux, comme le Siècle, ou même républicains, comme 
le National, se consacraient surtout à la polémique 
parlementaire et à la critique des actes du pouvoir. 

En 1843, quand le journal la Réforme fut fondé, sous 
les auspices de Ledru-Rollin, qui, seul de son opinion 
franchement avouée, représentait alors le parti répu- 
blicain dans la Chambre, les rédacteurs de la nouvelle 
feuille acceptèrent de Louis Blanc, leur collaborateur, 
un programme où la République traditionnelle avec 
des tendances socialistes était mise en opposition avec 
la République purement formaliste et accommodante 
des hommes du National, 

Ce programme visait à fonder le pouvoir démocra- 
tique, c'est-à-dire la République. On y lisait la décla- 
ration suivante : 

« Un pouvoir démocratique est celui qui a la sou- 
veraineté du peuple pour principe, le suffrage univer- 
sel pour origine, et pour but la réalisation de cette 
formule : Liberté, Egalité, Fraternité. 

« Tous les citoyens ayant un droit égal de concou- 
rir à la nomination des mandataires du peuple et à 
la formation de la loi, il faut, pour que cette égalité 
de droit ne soit pas illusoire, que toute fonction pu- 
blique soit rétribuée. » 

Seul, un irrégulier de la politique, polémiste dont 
la verve caustique avait fait la popularité, M. de Cor- 
menin, parlait à chaque instant dans ses pamphlets 
de la souveraineté du peuple et du suffrage universel, 
qui en est la nécessaire expression. Sous ses apparences 
d'écrivain démocrate, on croyait toujours découvrir 
en M. de Cormeniu l'ancien légitimiste, et il n'était 
pas jusqu'à ce principe de la souveraineté du peuple, 
invoqué à tout propos par lui, qui ne donnât à penser 
que la portion du parti légitimiste, ralliée comme 
M. de Cormenin à la théorie de la souveraineté çoiju.- 



14 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

laire, avait quelque droit de le compter parmi ses 
adiiértuits. Après 1830, revenu à la Chambre, il avait 
-deiuaudé la convocation des assemblées primaires, 
pour soumettre à leur ratification Télection de la 
l)rauclie cadette de la maison de Bourbon : une telle 
lidée, en un tel moment, sentait au moins autant le 
li'îfçitimiste que le républicain. 



IV 



Le gouvernement provisoire adopte le suffrage universel et l'or- 
ganise. — Attitude des anciens républicains de combat. — 
La Uèpublique mise au-dessus du suffrage universel. — Cri- 
tique de cette théorie. 



Mais M. de Cormenin s'était rendu si populaire par 
ses pamphlets publiés sous le pseudonyme bien connu 
<\ii Timon que le gouvernement provisoire de 1848 
ii'liésita pas à lui demander ses conseils pour la rédac- 
tion du décret organique du suffrage universel. M. de 
0)rmeuin s'adjoignit M. Isambert, député de Toppo- 
sition dynastique et légiste distingué. Dès le 4 mars 
1848 un projet dtî décret était tout préparé. Armand 
iMarrast, membre du gouvernement provisoire, se 
4:hargea de la rédaction définitive. 

Le gouvernement adopta pour base du nouveau 
régime électoral les principes suivants : 1® que TAs- 
i^embléo nationale décréterait la constitution ; 2*" que 
Télection aurait pour base la population ; 3^ que les 
représentants du peuple seraient au nombre de neuf 
cents ; 4" que le suffrage universel serait direct, univer- 
sel, sans aucune condition de cens ; 5"^ que tous les Fran- 
çais Agés de vingt et un ans seraient électeurs, et que 



ETABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 15 

tous les Français seraient éligibles ; G"" que le scrutin 
«erait secret. 

De plus, il était arrêté que les élections auraient 
lieu au scrutin de liste par département, que le scrutin 
serait ouvert au chef-lieu de chaque canton pendant 
deux jours, que les domestiques et les militaires, sol- 
dats, sous-officiers etofficiers de tous grades, y seraient 
admis ; enfin, que chaque représentant recevrait une 
indemnité fixée à vingt-cinq francs par jour. 

Jamais si vaste consultation d'un peuple n'avait 
-encore été annoncée. Ce n'était plus une réforme élec- 
torale, plus ou moins étendue ; c'était une révolution 
profonde et complète, radicale au premier chef. Le 
législateur allait à la racine même des choses. 
D^un seul bond, il s'élançait à l'extrême limite du 
droit. 

Le décret parut le 8 mars 1848. 

Il n'y a point à cacher que ce décret, qui faisait pas- 
ser dans le domaine de la légalité, en attendant qu'il 
s'établit dans les mœurs, le fait révolutionnaire du 
24 février, causa tout d'abord un sentiment de stupeur 
à peu près universel. Ils n'étaient pas nombreux 
alors, les républicains assez maîtres de leurs passions 
politiques pour comprendre que le gouvernement 
provisoire venait d'accomplir l'acte le plus important 
comme le plus honnête de sa mission, en remettant à 
la France la libre disposition d'elle-même, et que 
c'était vraiment la République qui était constituée 
par l'établissement du droit universel de suffrage. 

Les républicains les plus anciens et les plus dévoués, 
ceux qui avaient passé leur jeunesse à conspirer la 
chute de la royauté, à risquer leur liberté et leur vie 
dans les complots incessamment ourdis par les sociétés 
secrètes, à lutter les armes à la main, dans la guerre 
des rues et sur les barricades pour s'emparer du 



16 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

pouvoir, ceux-là ne pouvaient que redouter une 
manifestation solennelle de la volonté de la France. Ils 
savaient que leur parti était à Tétat d'infime mino- 
rité dans la nation, bien qu'ils eussent le droit pour 
eux, et ils craignaient que le droit ne fût encore une 
fois sacrifié à ce vieil instinct monarchique, si naturel 
dans une nation qui avait pris naissance, grandi, pros- 
péré, conquis son unité et sa gloire sous une royauté 
de quatorze siècles. Ainsi, tout était remis en question, 
avant que la révolution de Février eût produit pour 
le peuple qui Tavait faite aucun résultat appréciable. 
C'était, après la victoire républicaine, la plus amère 
de toutes les déceptions que Ton ménageait à ceux qui 
l'avaient remportée. Encore une fois, la révolution allait 
être escamotée comme on avait dit après juillet 1830, 
au profit d'une royauté quelconque. Le rêve de la 
République allait s'évanouir. Il n'aurait duré que dix 
jours à peine, et tout était à recommencer. Ne valait-il 
pas mieux profiter de la conquête inespérée du pou- 
voir, pour décréter, « dictatorialement » quelques- 
unes au moins de ces grandes réformes si souvent pro- 
mises par le parti républicain et que nulle monarchie 
n'était en situation d'accomplir ? La convocation d'une 
Assemblée constituante à bref délai, c'était la fin du 
provisoire ; et le provisoire, surtout en l'absence d'une 
Assemblée qui allait être inévitablement eu proie aux 
discussions et aux divisions, n'était-ce pas l'état le 
plus commode pour se livrer à une réorganisation de 
la société plus conforme aux principe de justice et 
d'égalité qui sont la force et l'honneur de la Répu- 
blique ? 

Les appréhensions de ces républicains, à la veille • 
de la consultation du pays tout entier par la voie du 
suffrage universel, ont été nettement exprimées par un 
des membres du gouvernement provisoire, Louis Blanc, 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 17 

qui a écrit dans ses Pages pour servir à l'Histoire de la 
HéroluHon de Février : 

€ A peine sorti de Tacclamation populaire, le gou- 
vernement provisoire avait eu à se demander comment 
il se définirait lui-môme. Se considérerait-il comme 
une autorité dictatoriale, consacrée par une révolution 
devenue nécessaire et n'ayant à rendre ses comptes 
au suffrage universel qu'après avoir fait tout le bien 
qui était à faire? Bornerait-il au contraire sa mission 
à convoquer immédiatement l'Assemblée nationale, 
en se renfermant dans des mesures d'urgence, dans, 
des actes d'administration d'une portée secondaire ? 

€ Le conseil se rangea de ce dernier avis. Pour moi,, 
j'avais une opinion entièrement opposée à celle qui 
prévalut, et je regardais l'adoption de l'autre parti 
comme devant exercer la plus heureuse influence sur 
les destinées de la République nouvelle. Considérant 
donc l'état d'ignorauce profonde et d'asservissement 
moral où les campagnes de France vivent plongées,, 
l'immensité des ressources que ménage aux ennemis^ 
du progrès la possession exclusive de tous les moyens- 
d'influence et de toutes les avances de la richesse, 
tant de germes impurs déposés au fond de la société 
par un demi-siècle de corruption impériale ou mo- 
narchique, enfin la supériorité numérique du peuple 
ignorant des campagnes sur le peuple éclairé des 
villes, je pensais que nous aurions dû reculer le plus 
loin possible le moment des élections; qu'il nous était 
commandé de prendre dans l'intervalle, et cela hau- 
tement, hardiment, sauf à en répondre sur nos têtes,, 
l'initiative des vastes réformes à accomplir, réserve 
faite pour l'Assemblée nationale du droit de raffermir 
ensuite ou de renverser notre œuvre d'une main sou- 
veraine. » 

Et cependant, Louis Blanc, rédacteur du programme 



18 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

politique et social du journal la Réforme^ organe de 
la fraction du parti républicain qui se donnait pour 
la plus avancée, était partisan du suffrage universel ! 
Il Tavait demandé toute sa vie, dans ses écrits et dans 
ses discours, et tout récemment encore, au mois de 
novembre 1847, au banquet de Ghâlon-sur-Saône, où 
Ton vit apparaître tant de signes avant-coureurs de 
la révolution prochaine. Mais que de préventions, 
que de défiances ! 

Hélas î Louis Blanc n'était pas le seul à trembler 
pour le sort de la République lancée sur cet océan 
inconnu, sur cette mer sans rivages du suffrage uni- 
versel. P.-J. Proudbon en était aussi fort effrayé que 
personne, et lui qui ne reculait pas devant les mesures 
hardies, il trouvait rétablissement du vote universel 
tellement révolutionnaire qu'il appelait le décret du 
gouvernement provisoire < la loi agraire de rauto- 
rité ». Tous les hommes du parti de l'action, Auguste 
Blanqui, Armand Barbés pour ne citer que ces deux 
noms qui étaient alors les plus en vue, leurs amis et 
compagnons d'armes, partageaient les mêmes craintes. 
Ces chefs révolutionnaires, habitués à n'agir que sur 
un petit nombre d'hommes connus d'eux et choisis 
pour leur dévouement et leur courage, hésitaient à se 
•confier à l'instinct inconscient et aveugle des foules ; 
ils pouvaient encore moins se résigner à déposer leurs 
moyens ordinaires d'action. Que peuvent de petits 
groupes, une société secrète, quand c'est désormais 
la multitude, toute la nation qui, par le bulletin de 
vote, a le dernier mot dans ses affaires ? 

Il ne fut pas nécessaire d'attendre que le suffrage 
universel eût paru se prononcer pour les hommes 
des anciens partis contre les républicains, pour la 
monarchie et la dictature même contre la République 
parlementaire et libérale, pour que les hommes dé- 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 19 

voués aux principes voulussent placer le droit eu 
dehors et au-dessus des accidents de fait, en procla- 
mant la formule : la République est au-dessus du suf- 
frage universel. 

Cette formule, le parti républicain tout entier a dû 
l'adopter, sous peine de souscrire à sa propre dé- 
chéance. Le droit reste le droit, et rien ne saurait pré- 
valoir contre lui. Il a fallu les dix-huit ans d'Empire 
inauguré par le coup d'État du Deux-Décembre et le jeu 
renouvelé des plébiscites napoléoniens, pour qu'une 
autre formule plus précise et plus conforme aux faits 
comme au droit, fût substituée à l'ancienne : la Répu- 
blique n'est ni au-dessus ni au-dessous du suffrage 
universel; elle est le suffrage universel lui-niôme, 
laissé à la liberté pleine et entière de ses mouvements 
•et de son action. Le suffrage universel est l'organe de 
la nation dans l'exercice de sa souveraineté. Or, 
l'exercice de la souveraineté nationale ne peut se pro- 
duire, se manifester que dans la République. Donc, la 
République se confond avec le suffrage universel. 

Un semblable raisonnement ne pouvait être fait en 
1848. A cette époque, l'établissement du suffrage uni- 
versel parut un saut dans les ténèbres, une injusti- 
fiable et incompréhensible aventure. Le fait est que 
c'était de la part du gouvernement provisoire un acte 
singulièrement téméraire que d'appeler tous les Fran- 
-çais à l'exercice d'un droit dont leur état d'ignorance 
ne leur permettait^as de mesurer la portée, et ce fait 
•est d'autant plus surprenant que les républicains de 
cette génération connaissaient bien le vœu de Jean- 
Jacques Rousseau, leur maître, qui demandait, dans 
le Contrat social, « que l'esprit social, qui doit être 
l'ouvrage de l'institution, présidât à l'institution 
mèuïe, et que les hommes fussent avant les lois ce 
tcju'ils devaient être par elles ». 



20 LA SECOND/: RÉPUBLIQUE 

Avant de décréter le suffrage universel, il semble 
donc que Ton aurait dû commencer par décréter 
l'instruction universelle. Mais cette idée eût paru 
encore plus chimérique, peut-être même plus insen- 
sée que la première, et ce n'est pas moins de quarante 
ans après rétablissement du suffrage universel que 
l'instruction obligatoire et gratuite donnée à tous a 
été reconnue et proclamée dans nos lois comme le 
corolh ire n^2e3saire du droi , universel de suffrage. Le 
suffrage universel avait sa base toute trouvée : c'était 
la souveraineté du peuple, dont il est Torgane.. A 
son tour, Tinstruction universelle a trouvé sa base 
dans le droit de suffrage qui la rend nécessaire. On 
ne s'est donc pas trompé,. on n'a pas mis la charrue 
avant les bœufs, comme on Ta si souvent reproché 
aux républicains de 1848 ; on a procédé suivant un 
ordre à la fois juridique et logique. Le droit de suf- 
frage, conséquence incontestable du principe de l'éga- 
lité politique, est passé à l'état de fait, et ce fait à 
son tour a produit la nécessité, de l'instruction uni- 
verselle des citoyens qui, par leurs bulletins de vote, 
sont appelés à exercer leur part de souveraineté. 

F.-V. Raspail, qui avait de tout temps soutenu le 
principe du suffrage universel, aurait souhaité que le 
gouvernement provisoire de 1848 soumît un acte 
aussi important que sou décret du 5 mars à la ratifi- 
cation du peuple. Il aurait désiré un plébiscite par 
lequel le peuple se serait prononcé sur sa propre sou- 
veraineté, en déclarant qu'il se jugeait apte ou inapte 
à l'exercer. Un pareil plébiscite eût été une singulière 
entrée de jeu pour le suffrage universel. Les plébiscites 
impériaux ont assez prouvé que le suffrage universel, 
consulté sous cette forme césarienne, signe volontiers 
sa propre déchéance. Il valait mieux s'en tenir au fait, 
même dans ce qu'il pouvait avoir d'aventureux et de 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 21 

révolutionnaire, et puisque le principe était admis, il 
fallait en subir les conséquences. < Un échec n'est 
qu'un retard, > disait F.-V. Raspail lui-même dans 
son journal i*Ami du peuple, et, comme Ta remarqué 
plus tard Louis Blanc, dans ses Pages d'histoire : t Ce 
n'est point à l'intérêt du moment que se doit mesurer 
l'importance des principes qui régissent les sociétés; 
le suffrage universel repose sur la notion du droit, et 
rien que dans la reconnaissance solennelle du droit, 
il y a un fait d'une portée immense. » 



Les Élections sont annoncées. — Circulaires de Ledru-Rollin 
adressées aux comnjissaires de la République. — La Répu- 
blique fermée. — Politique dilTérente de Lamartine. 



Le gouvernement provisoire de la République avait 
îiu plus haut degré le sentiment très net de la gravité 
du parti auquel il s'était arrêté. Ce qui l'avait décidé à 
marquer si tôt lui-même la fm du mandat qu'il avait 
accepté de la confiance populaire et des pouvoirs qu'il 
avait puisés, selon sa propre expression, dans le salut 
public, c'était la scrupuleuse loyauté, l'irréprochable 
probité politique de chacun de ses membres. Certes, 
des hommes qui n'avaient pas craint, dans une telle 
crise, de décréter, par l'établissement du suffrage uni- 
versel, une révolution aussi profonde, aussi radicale 
dans les mœurs politiques et sociales de leur pays, ne 
pouvaient être accusés de pusillanimité; ils avaient 
assez montré par là ([u'ils ne fuyaient point les plus 
redoutables responsabilités; ils avaient hâte cepen- 
dant de déposer un fardeau qu'ils sentaient trop lourd 



22 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

pour leurs faibles épaules, et du moment que la France 
avait accueilli sans résistance la proposition qu'ils lui 
avaient faite de se constituer en République, ils regar- 
daient comme le plus impérieux des devoirs pour eux 
qui n'étaient que des gouvernants provisoires, d'ap- 
peler le pays à se gouverner désormais lui-même par 
ses représentants librement élus et réunis en Assem- 
blée nationale. 

Cette résolution était sincèrement honnête ; elle 
était aussi profondément politique. Le gouvernement 
provisoire montrait qu'il ne voulait pas usurper sur 
les droits de la France. Du même coup, il offrait à 
tous les partis le seul terrain où ils pussent se ren- 
contrer, non pour se combattre, mais pour travailler 
à Tenvi, sous le drapeau de la République, au bien 
général de la nation. Que la France se prononçât pour 
la République , en envoyant à l'Assemblée nationale, 
une imposante majorité républicaine, et tout était dit 
pour les bons citoyens, pour les patriotes, pour les 
hommes de bonne foi, quels que fussent leurs antécé- 
dents ; leurs origines, leurs attaches, leurs préférences 
personnelles, leurs souvenirs mêmes, tout venait s'efr- 
facer devant la volonté souveraine de la patrie com^ 
mune. Les élections étaient ainsi la seule base possible 
du nouveau régime. Dès lors, il convenait d'y faire 
procéder dans le plus bref délai. 

Toutefois, le gouvernement provisoire ne croyait ni 
juste ni possible de se désintéresser d'élections aussi 
vastes, aussi compliquées et d'une aussi grande impor- 
tance que des élections faites pour la première fois 
avec le suffrage universel, et dont dépendait aussi 
manifestement l'avenir de la République. Il regarda 
comme de son devoir déparier au pays, afin de l'éclai- 
rer dans la réponse qu'il allait faire à la question 
posée par les événements. 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 2a 

Ce fut l'objet des circulaires adressées par Ledru- 
Rollin, ministre de l'intérieur, aux commissaires de 
la République envoyés par lui dans les départements. 

Ces circulaires fameuses ont été vivement attaquées, 
non seulement par les hommes des anciens partis qui, 
peu à peu remis de leur première stupeur et rassurés 
contre leurs premières craintes, cherchaient et pre- 
naient tous les prétextes de faire échec à la Répu- 
blique, mais par ceux du parti républicain qui ne se 
jugeaient pas représentés par Ledru-Rollin, dont les 
tendances jacobines, les réminiscences du langage 
des partis de notre première révolution, les allures 
tranchantes et les prétentions autoritaires ne lais- 
saient pas d'inquiéter certaines âmes craintives. Dans 
les conseils mêmes du gouvernement provisoire, Le- 
dru-Rollin rencontra des censeurs sévères qui ne 
se bornaient pas à le contredire, mais visaient à le 
censurer. Ces tiraillements étaient connus. Ils n'ont 
pas peu contribué, dans ces temps agités où Tefferves- 
cence des esprits était si grande, à jeter le trouble dans 
la démocratie, à engendrer des divisions à jamais re- 
grettables. Quand on relit aujourd'hui les circulaires 
de Ledru-Rollin, et en particulier ce célèbre bulletin 
n® 16 rédigé par la plume éloquente et sincère du grand 
écrivain George Sand, on reste confondu de l'injustice 
amère autant que de la puérilité des reproches adres- 
sés à un homme qui rachetait certaines faiblesses de 
caractère par de hautes qualités d'esprit et de cœur, 
vrai tribun du peuple et passionnément dévoué à sa 
cause, homme public d'une sincère générosité d'àme, 
incapable d'ailleurs d'une mauvaise action aussi bien 
que d'une pensée basse. Les adversaires républicains 
de Ledru-Rollin ont gravement péché contre leur 
parti, en se séparant de lui à l'occasion d'actes dont 
l'inspiration évidente était le bien de la République. 



-24 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Qu'y avait- il de mieux à dire, aux commissaires 
<îhargés de représenter le gouvernement de la Répu- 
blique auprès des populations, que les paroles sui- 
vantes, et n'auraient-elles pas dû réjouir le cœur des 
plus modérés? 

< L'union des vues dans une même pensée est le gage 
le plus certain de la République. Elle doit aussi être la 
source de la modération après la victoire. Votre pre- 
mier soin aura donc été de faire comprendre que la 
République est exempte de toute idée de vengeance et 
de réaction. 

« Toutefois, que cette générosité ne dégénère pas 
en faiblesse. En vous abstenant de toutes recherches 
contre les opinions et les actes politiques antérieurs, 
prenez comme règle que les fonctions politiques, à 
<[uelque degré de la hiérarchie que ce soit, ne peuvent 
être confiées qu'à des républicains éprouvés. 

« Autour de vous s'élèveront des réclamations nom- 
l)reuses et de toute nature; recueillez-les avec soin. 
11 est temps que le peuple fasse librement entendre sa 
voix ; le gouvernement ne peut demeurer indifférent 
à aucun vœu. Si quelquefois l'expression en est ar- 
dente, ne vousefïrayez pas. 11 serait dangereux d'exciter 
les passions môme légitimes; il le serait encore plus 
de s'alarmer de quelques exagérations inévitables et 
(le quelques doctrines erronées. C'est la compression 
qui altère et corrompt la pensée publique ; la liberté 
J'épure et l'agrandit • 

Ces conseils sont, en vérité, d'une sagesse admi- 
rable. Comment l'esprit de parti a-t-il pu les détourner 
de leur sens naturel, pour en faire un grief à Ledru- 
RoUin, à ses amis et collaborateurs Jules Favre, 
Carteret, Landrin, George Sand, et comment surtout 
y voir la preuve de ces aspirations à la dictature, à 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 25 

la tyrannie dont, sans justice mais au contraire avec 
la plus noire perfidie, Ledru-Rollin fut accusé? 

C'est que Ledru-Rollin avait eu Timprudence de 
signer une circulaire où il disait à ses commissaires, 
en leur parlant de leurs pouvoirs : 

« Vos pouvoirs, ils sont illimités. Agent d'une au- 
torité révolutionnaire, vous êtes révolutionnaire aussi. 
La victoire du peuple vous a imposé le mandat de 
faire proclamer, de consolider son œuvre. Pour 
Taccomplissement de cette tâche , vous êtes investi 
de sa souveraineté ; vous ne relevez que de votre cons- 
cience, vous devez faire ce que les circonstances 
exigent pour le salut public. » 

Ce qu'il y a de plus coupable dans cette circulaire, 
ce n'est pas le fond, c'est la forme. Être révolutionnaire, 
comme Tétait le gouvernement provisoire, et Ledru- 
Rollin ne demandait pas davantage, ce n'était pas être 
bien inquiétant, et cette « terrible » mission ne devait 
troubler la conscience de personne, ni celle des com- 
missaires, ni celle des populations. Mais cette phra- 
séologie ambitieuse et menaçante, ces « pouvoirs 
illimités > attribués à des hommes qui ne relevaient 
que d'eux-mêmes, cette redoutable idée du « salut 
public » réveillée tout à coup, avec les grandioses et 
sanglants souvenirs qu'elle devait évoquer dans les 
esprits, tout cela était inutile, et finalement se trouva 
dangereux et nuisible. 

La République a beaucoup souffert de ces décla- 
mations, inoUensives en soi, mais fort intempestives. 

Ledru-Rollin, tout rempli de l'histoire de la Révolu- 
tion française, et de la Convention nationale en parti- 
culier, se proposait sans doute, à l'exemple de Danton, 
qu'il se donnait volontiers pour modèle, de faire peur 
aux hommes des anciens partis. Par ces belles phrases, 
il ne leur fit point peur, mais il les inquiéta fort sérieu- 

2 



26 LA SECONDE HÉPUBLIQUE 

ment, par la recommandation adressée aux commis- 
saires de ne s'entourer que des républicains de la 
veille et non pas de ceux du lendemain. 

A ce sujet, ce qu'il disait dans sa circulaire dii 8 
avril mérite d'être rapporté, car c'était toute une 
politique, la politique de la République fermée, que 
Ledru-Rollin exposait en ces termes : 

« Quelle confiance peuvent-ils mériter, ceux dont le 
cœur ne s'est point ouvert aux souffrances du peuple 
et dont l'esprit a si longtemps méconnu ses droits et 
ses besoins? Ne regarderaient-ils pas eux-mêmes 
comme un défi à la Révolution que des hommes qui 
out attaqué, calomnié la Révolution, devinssent au- 
jourd'hui les organisateurs de la Constitution répu- 
blicaine? 

« Eh bien ! puisque le choc impétueux des évé- 
nements leur a subitement dessillé les yeux, soit! 
qu'ils entrent dans nos rangs, mais qu'ils n'aspirent 
ni à nous commander, ni à nous conduire ; qu'ils 
marchent à l'ombre du drapeau du peuple, mais 
qu'ils ne songent pas à le porter. A la moindre 
secousse, leur àme se troublerait, et, revenant mal- 
gré eux aux engagements de leur vie entière, ils affai- 
bliraient la représentation nationale de toutes les 
incertitudes, de toutes les transactions familières aux 
opinions chancelantes et aux dévouements d'apparat. 
Que le peuple s'en défie donc et les repousse I Âfieux 
vaudrait des adversaires déclarés que ces amis 
douteux I » 

Ce langage était peut-être impolitique, en ce sens 
qu'il n'y avait alors comme aujourd'hui nul espoir de 
fonder la République, si l'on n'admet dans la Répu- 
l)lique devenue le gouvernement de la France que 
ceux qui l'ont toujours appelée de leurs vœux ou même 
servie de leur personne, de leur bourse ou de leur dé- 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 27 

vouement. On ne comprenait pas assez à cette époque 
que la République ne doit pas rester l'affaire d'un 
parti, mais devenir l'affaire de tout le monde. De 
nos jours encore, à quarante-deux ans de date et 
après vingt années de régime républicain, cette idée 
si simple, si juste, si nécessaire et si politique ne 
pénètre qu'avec une extrême difficulté dans certains 
cerveaux. Mais on conviendra qu'à cette époque éloi- 
gnée, elle s'explique mieux que dans notre temps. Si 
impolitique que fût le langage du ministre de l'inté- 
rieur du gouvernement provisoire, la défiance qu'il ac- 
cusait n'a été que trop justifiée par les trahisons de ces 
faux républicains, qui n'ont semblé s'empresser à 
prêter serment de fidélité à la République que pour la 
mieux trahir; et quanta la recommandation de mettre 
à la suite ceux qui n'entraient dans les rangs du parti 
que pour y commander, qui oserait dire qu'elle fût ex- 
cessive? Quoi de plus naturel que de demander des 
gages de sincérité à ceux que leur adhésion récente 
condamne à en donner? Aujourd'hui encore, les con- 
seils de Ledru-RoUin ne sont pas à mépriser, ce qui 
prouve que le progrès est lent, et qu'à un demi-siècle 
de distance, les partis peuvent se retrouver les uns 
en face des autres, avec les mêmes visées et les mêmes 
exigences. 

Mais ce qui fut plus fâcheux que toutes ces défiances 
à regard des hommes ralliés à la République, ce sont 
d'autres défiances à l'égard du suffrage universel lui- 
môme, que Ledru-Rollin commit la faute de laisser 
percer. Dans le trop fameux bulletin n" 16, qui lui a 
été tant reproché, il s'exprimait ainsi : 

« Les élections, si elles ne font pas triompher la vé- 
rité sociale, si elles sont l'expression des intérêts d'une 
caste arrachée à la confiante loyauté du peuple, les 
élections, qui devaient être le salut de la Républio^uft^ 



28 LA SECONDE RîÔPUBLIQUE 

seront sa perte ; il n'en faut pas douter. Il n'y aurait 
alors qu*une voie de salut pour le peuple qui a fait les 
barricades, ce serait de manifester une seconde fois sa 
volonté et d'ajourner la décision d'une fausse souve- 
raineté nationale. » 

Un tel langage ne peut être approuvé, car c'est la 
négation même de la souveraineté nationale que cette 
prétendue volonté du peuple à laquelle Ledru-RoUin 
en appelle des décisions du suffrage universel. Où 
Ledru-Rollin prend-il ce peuple ? C'est, dit-il, le peuple 
([ui a fait les barricades : erreur dangereuse, qui ra- 
menait dans la politique la force révolutionnaire à 
l'heure même où la République remettait à chaque 
citoyen l'arme toute pacifique dn bulletin de vote ; 
erreur fatale, ({ui ruinait par avance tous les avan- 
tages de la révolution bienfaisante qui venait d'être 
consommée. Ainsi Ledru-Rollin eut aussi son mou- 
vement de doute, sa minute de défaillance. Il avait 
cru généreusement en la puissance de ses principes, 
et il s'y était généreusement confié. Mais il vint une 
heure où il sembla, lui aussi, prendre peur de son 
œuvre et craindre qu'elle ne tournât au détriment 
de la cause qu'il avait la noble ambition de servir. 
Ou ne peut s'expliquer ce moment de décourage- 
ment et d'abandon que par cette disposition trop 
fréquente des chefs du parti républicain à tout con- 
céder aux exigences d'une vaine popularité. Ledru- 
Rollin craignait sans doute d'abaisser en sa personne 
le tribunat populaire dont il se croyait investi. Il sen- 
tait gronder autour de lui des passions qu'il avait 
grande peine à maîtriser; il aimait mieux leur céder, 
sauf à. compromettre, en même temps que son œuvre, 
sa renommée devant l'histoire : triste et déplorable 
exemple des fautes qu'un homme public peut com- 
mettre par inconsistance et faiblesse de caractère. 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFMGE UNIVERSEL 29 



i • 



Ce qu'il y eut de plus grave, c'est que cette faute fut 
irréparable, car ce fut en vain que Lamartine, appelé 
à dire la pensée de la majorité des membres du gou- 
vernement provisoire, fit entendre le langage le plus 
modéré et le plus conciliant : 

c Le gouvernement provisoire veut que la conscience 
politique règne. Il ne s'inquiète pas des vieux partis ; 
les vieux partis ont vieilli d'un siècle en trois jours!... 
La République les convaincra, si elle est juste et sûre 
pour eux. La nécessité est un grand maître. La Répu- 
blique, sachez-le bien, a le bonheur d'être un gouver- 
nement de nécessité. La réflexion est pour nous. On 
ne peut pas remonter aux royautés impossibles ; on ne 
veut pas descendre aux monarchies inconnues. On 
sera républicain par raison. » 

La République, gouvernement nécessaire! la Répu- 
blique acceptée par raison et sous la dure loi de l'im- 
possibilité de trouver un autre gouvernement capable 
de la remplacer I Ces formules étaient tout à fait neuves 
en 4848, dans un parti pénétré, comme l'était le 
parti républicain, de la pureté de son principe et de 
l'imprescriptibilité de son droit. Le génie de Lamar- 
tine lui faisait trouver des expressions tout autres, 
et qui, singulièrement plus vraies et plus justes que 
toute la phraséologie révolutionnaire, se sont retrou- 
vées vraies et justes plus de vingt ans après: tant la 
force des situations domine les hommes, et tant il est 
vrai que c'est dans les faits et non pas dans les théories 
qu'il convient de chercher pour les nations les rai- 
sons de se décider, aux heures de crise les plus péril- 
leuses I 

Mais il était trop tard. Les passions déchaînées sp 
refusèrent à entendre le langage si politique et si sage • 
de Lamartine; elles s'étaient jetées sur les impru- 
dences de Ledru-RoUin, comme sur une çâLlWt^. VI^^v 






30 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

nioii publique était égarée. Elle ne revint pas de son 
erreur. 



VI 



Fixation difinitivc de la date des Élections au 23 avril 1848. — 
Attitude du clergé. — Situation des partis. — Un double cou- 
rant se dessine parmi les Républicains. — Les candidatures 
ouvrières du Luxembourg. — MM. Berryer et Thiers, candi- 
dats à Marseille. — Profession de foi électorale de M. Thiers. 



Dès que les élections générales furent annoneëes, 
la question électorale prima toutes les autres. 

Une première date avait été fixée pour la consulta- 
tion du pays : c'était le 9 avril. Le suffrage universel 
était une si grande et si imposante nouveauté que les 
adversaires de la République le déclaraient dangereux 
et impraticable. La guerre civile allait inévitablement 
en sortir, disaient-ils. Gomment mettre en présence 
les uns des autres tant d'hommes animés de passions 
si contraires? Comment recueillir tant de suffrages? 
Comment les compter? D'un seul bond, la République 
paraissait tombée en pleine utopie. 

Toutes ces considérations ne laissaient pas d'inquié- 
ter les esprits. On songea dès lors à retarder les élec- 
tions générales : elles furent reportées au 23 avril par 
un décret du gouvernement provisoire. Ce décret fut la 
plus grande faute des hommes de Février. D'une part, 
ils parurent donner raison à ceux qui les accusaient 
de vouloir retenir plus longtemps entre leurs mains 
le pouvoir dictatorial dont ils s'étaient eux-mêmes 
investis, et cette apparence d'usurpation fut perfide- 
ment exploitée contre eux par leurs ennemis; d'autre 
part, ils semblèrent avoir agi, en retardant les élec- 
tions, sous la pression des révolutionnaires qui redou- 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL Ti 

talent que les départements, par le choix des représen- 
tants du peuple, ne prissent sur Paris une sorte de 
revanche du 24 février et ne rendissent impossible la 
fondation définitive de la République, et cette faiblesse 
du gouvernement provisoire précipita son discrédit. 

Bien mieux inspirés s'étaient montrés les commis- 
saires de Ledru-RoUin, quand ils avaient répondu à la 
question posée par le gouvernement que plus tôt les 
élections seraient faites, plus tôt et plus sûrement la 
représentation nationale serait républicaine et la Répu- 
blique assurée de sortir des urnes électorales. Les com- 
missaires vivaient au sein des populations, et non pas 
dans l'atmosphère enflammée de la place de Tllôtel-de- 
Ville; ils se rendaient compte des impressions mobiles 
et diverses par où passait cette France que Ton venait 
de rendre à elle-même et d'éveiller à la vie politiciue, 
et qui était toute prête à se laisser entraîner à toutes 
les promesses comme à toutes les déceptions. 

On a souvent dit que la proclamation de la Hé|)ij- 
bllque en Février 1848 avait été une surprise. Si cMUt 
allégation était vraie, comment expliquer que toute lu 
France ait été républicaine, au moins daim les décla- 
rations faites par les organes les plus Huinrm*H iU*H 
différents partis, et dans les professions de foi ^tUtcUh 
raie des hommes les plus considérables? 

Le clergé, en première ligne, W5 montra le pliih em 
pressé à apporter à la République non MMibfnKrnf httn 
adhésion, mais ses bénédictions. On ne redini lutiiai*) 
assez que VUnivers, journal ultraniontajn, m tU^Mut^tm 
par un zèle excessif, dans len \ir^.fuU'.ri*/*> b<'iji'f>, qui 
suivirent le triomphe des n'f|Miblî^^jn*t, 

« La République, c'était une uuiWïràUon d'- U l'io 
vidence. » 

< Qui donc, disait la pi^ub^ f^uill^, v;iiî(<? Htn*m9 
d'hui, en France, à déleudre hi ua<';j*^i«A»\*'/î ^in\ v^'^^*^ 



32 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

y songer ? La France croyait être monarchique, et elle 
était républicaine. Elle s'en étonnait hier, elle n'en 
est plus surprise aujourd'hui. Revenue d'un premier 
étonnement, elle s'appliquera sagement, courageuse- 
ment, invinciblement à se donner des institutions en 
rapi)ort avec les doctrines qu'elle a depuis définitive- 
ment adoptées. » 

C'était fort bien parler pour des hommes qui se 
prétendaient catholiques avant tout. 

Mais veut-on entendre ce que disait un évoque, 
connu entre tous par sa modération et qui devait sa 
mître et sa crosse à la faveur bienveillante de la 
femme de Louis-Philippe, à la reine Marie-Amélie? 
Ecoutons l'évêque de Dijon, M. Rivet : 

« Vous le savez déjà, monsieur le curé, le gouver- 
nement fondé en 1830 vient d'être emporté par un 
orage semblable à celui du sein duquel il était sorti. 
Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous 
les empires vient encore de donner aux peuples et 
aux rois cette grande et terrible leçon. Tout pouvoir 
qui méconnaîtra les intérêts généraux du pays ne 
pourra jamais y prendre racine. Tout gouvernement 
qui voudra arrêter les développements progressifs 
des libertés publiques sera tôt ou tard englouti par 
le flot des idées et des besoins légitimes, qui monte 
sans cesse et qu'on ne peut dominer qu'à la condition 
de lui tracer un libre et paisible cours. » 

Ce langage habile et prudent ne faisait que traduire 
les sentiments généraux du clergé français. Ce n'est 
rien exagérer que de parler de l'extrême popularité 
dont jouissait alors le clergé : il semblait que l'on he 
pût rien faire sans son assistance. On a souvent rap- 
pelé les fêtes si cordiales de la plantation des arbres 
de la Liberté. Ce n'est pas seulement dans les cam- 
pagnes, c'est à Paris môme, au Champ-de-Mars, sur ' 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 33 

la place du Carrousel, sur la place de la Concorde, 
aux Batignolles, à la place du Trône, devant TOpéra, 
dans les quartiers les plus riches comme les plus 
populeux et les plus pauvres, que les curés sont 
venus bénir ces arbres que la réaction monarchique 
et cléricale devait si tôt abattre. On a parlé de la 
boniie foi du clergé : que dire de la naïveté des répu- 
blicains? 

Aux approches des élections, il n'y avait plus ni 
légitimistes, ni orléanistes, ni partisans du relève- 
ment de l'Empire; il n'y avait que des républicains, 
les uns de la veille, les autres du lendemain, ceux-ci 
plus timides et plus modérés, ceux-là plus ardents et 
plus nets dans raffîrmation de leur foi politique, 
mais tous d'un dévouement égal aux institutions nou- 
velles que la France allait se donner. Le recueil des 
professions de foi de ce temps a été publié par le jour- 
nal la Presse, à une époque ultérieure, quand la réac- 
tion contre la République était dans son plein déve- 
loppement, en février 1851, et quand les républicains 
sentirent le besoin de remettre sous les yeux de la 
France les déclarations passionnément républicaines 
des hommes qui attaquaient le plus violemment la 
République. C'est un triste recueil, et qui est vrai- 
ment à la honte des anciens partis. On y a souvent 
puisé pour accabler sous le poids de leur passé po- 
litique tels ou tels personnages qui ne rougissaient 
point de chanter les plus indignes palinodies. Ce 
n'est pas aux hommes publics que les plus durs 
et les plus mérités reproches doivent être adressés, 
c'est aux partis eux-mêmes qui n'eurent ni la 
clairvoyance ni la probité politique nécessaires pour 
réduire au silence et chasser de la vie publique les 
auteurs de tant de scandales. 

Les candidats furent pris un peu partout, dvvvv«. V^sw^ 



34 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

les rangs de la société. Les anciens députés minislé- 
riels de la dernière Chambre de la monarchie de Juil- 
let, ceux qui avaient soutenu le cabinet de M. Guizot 
sans jamais broncher, hésitèrent, dans presque tous 
leurs anciens collèges, à se représenter devant les élec- 
teurs nouveaux qui les connaissaient trop pour avoir 
été les favoris des électeurs censitaires. Au contraire, 
les députés de l'opposition dynastique, ceux qui avaient 
demandé sous Louis-Philippe la réforme électorale et 
parlementaire, ceux qui personnifiaient soit eu eux- 
mêmes, soit dans leurs alliances ou parentés, les tra- 
ditions libérales ou lyiôme révolutionnaires, ceux-là 
formèrent, dans la plupart des départements, avec 
les commissaires de la République, la tête des listes 
qui furent proposées au sulïrage universel. 

Ceux des républicains, qui se donnaient à eux- 
mêmes le nom de républicains de la veille, étaient de 
beaucoup les moins nombreux, mais non pas les moins 
jaloux ni les moins exclusifs. Ils étaient d'ailleursi. 
divisés, les uns suivant la politique du National^ les 
autres celle de la Hé forme, qui tenait plus grand 
compte des aspirations révolutionnaires et socia- 
listes. Ces divisions se retrouvaient dans le gouver- 
nement, et il y avait des listes placées sous Tin- 
vocation de Ledru-RoUin et d'autres placées sous Tin- 
vocation de Lamartine. On devine que ces dernières 
étaient celles qui avaient la préférence des modérés. 
Les circulaires de Ledru-Rollin, perfidement exploi- 
tées contre lui, causèrent le plus grand tort à ses 
amis des départements, tandis que la popularité de 
Lamartine, astucieusement célébrée par les adver- 
saires de la République, aida à faire passer un certain 
nombre de réactionnaires qui ne devaient pas tarder 
à jeter le masque. 

Beaucoup de gens pensaient que le véritable inté- 



ÉTABLISSEMOT DU SUfTSAGE OITTISEL 35 

rèt de la République réclamait Féleetk» âa pd» 
grand nombre possible dlioniiii€s moaweatJMx. ^ns 
aucun engagement avec les anciens partis: et. de ùkiL 
les listes formées et pn^msées an snflrase^ oniTt^r^L 
portèrent des noms qui étaient încoanns. sarteot di^ 
Français de cet ancien « pays lésai > qn ftVxf^^ir 
plus depuis la révolation de Férrkr. >«r pfai:Hi»4ir^ 
points, il y eut des surprises: nonrinre dlMMUBe» ^^ir- 
girent qui n'ayaient aacan titre à înw:rj^ci ée kk itvij^. 
Les circulaires de Ledm-BoUin rttomwÊaiaàaïu^t t«*r 
faire une place à des carriers, à des prrfétar^- T. ^ 
en eut bien quelques^ns, mais ces ïmàiwîdmstlis^ b^fV- 
lées ne firent point nombre dans VAss0tmUit0tr ^ j^ 
prolétariat resta sans représentât^!» rérilaUe. «^j^a 
({u*il fût possible de rencontrer sur k;^ hï»*j^ u^ 
rassemblée un typcçrapbe, on serrarKr. ta ih^îh^vj 
un horloger, et quelques aotn» de diflér^sfU '*>yn'«^ 
de métier, ce n'était pis là ce qaie Vom j^nc. ^r/^.*^* 
uue représentation ourriére. 

Au Luxembourg, où Loais Bbnc ythéiAkii > 'V,m- 
mission des travailleurs, on nef»l ffie^ ^-^^ >5%^7-^ t*^ 
constituer cette représentati^w. r^ir Cr*3iiîiÇ:-<"u<rr* * i^- 
ges électoraux que le décret fmpsîiww: ^î« *ii*îtr ivav 
attribuait au département de b ?^»riïie ^:w ^ r^nr--- 
sentation du pays tout entier, L/>»1^ SpII^aj* *îi -t. ,aji:^ 
vingt à des ouvriers, et les f\nklf0n/^ ^Titg^ ^Jij?^" •* 
serves à des défenseurs ancien.^ et ^^wrn^ ^j^ ,i .r-r-- * 
généraux du peuple. Foor dé?%Krï«T fc?^ ^isu^^-tr* < v » 
vingt sièges, on airait im;%^Boédede«wau>^ 'îi*?* ;i'<^i, 
tations aux différentes^ c/>r(i<i<*ti^vrifc^ vvir>»r?i^ *r •>^r 
présentations étaient ex;^miAi^e?^ pit* va*^ v.m.;u *^^ i'/i« 
composée de six âfrlf^qnéik ffm ^feîvav/*^', v/i ;rt.>:ii. 
Luxembourg, ce qoî ;>»r:»^i;fî f.iiïr)tti>* '^;.^ ^^wy»/^!**-» ♦?* 
d'accuser Louis Bï;*»c defrirr^t^^io. >t-*i^y^^4>r jusi^/ < ,<, 
Sorbonne, dansKafif arten^ettif p«^(r*u^ )..>^ V. 4 Uv»^ *. 



36 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Il est curieux de relire aujourd'hui Tétrange ques- 
tionnaire sur lequel les candidats de rorganisation du 
travail furent interrogés : 

« Que pensez-vous des institutions actuelles ? 

« Quelles sont vos idées en matière de religion? 
Êtes-vous pour la liberté des cultes? Les cultes doi- 
vent-ils être salariés par l'Etat ? 

« Quelles sont vos vues sur Torganisation du travail? 

< Quelles réformes croyez-vous qu'on doive intro- 
duire dans la magistrature ? 

« Comment entendez-vous l'organisation de l'arinée? 
Quel rôle doit être le sien, maintenant et plus tard? 

€ Sur quelle base doit reposer, suivant vous, le 
système des impôts ? 

« Quelle est votre opinion relativement au divorce? 

« Que pensez-vous des relations à établir entre la 
France et les divers peuples de rp]urope, notamment 
l'Allemagne et l'Kalie ? » 

On peut juger par là du peu d'importance relative 
qu'avaient aux yeux des hommes à qui était échu la 
haute direction morale et politique des travailleurs du 
Luxembourglesquestionsouvrièresproprement dites: 
on ne parle dans ce programme ni des salaires, ni des 
grèves, ni de l'association, ni de la participation aux 
bénéfices, en un mot d'aucune des solutions proposées 
depuis cette époque pour une amélioration du sort 
des classes ouvrières ou pour l'établissement de rap- 
ports nouveaux et différents entre le capital et le tra- 
vail. Rien ne prouve mieux que ce questionnaire à 
quel point le socialisme proprement dit était encore 
étranger aux préoccupations de la classe ouvrière, et 
combien il faut rabattre des terreurs feintes par les 
classes dirigeantes à la seule idée des prétendus ra- 
vages causés dans les rangs du peuple par les fausses 
doctrines du communisme et de l'anarchie. La poli* 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UMVERSEL 37 

tique dite ouvrière n'était pas née à cette époque, et le 
socialisme n'a été qu'un épouvantail agité perfidement 
pour aliéner à la République les esprits timorés et les 
courages prompts à défaillir. Les ouvriers de Paris 
avaient prononcé une parole admirable d'abnégation 
patriotique, le jour où ils avaient dit au gouvernement 
provisoire, qu'ils avaient « trois mois de misère à 
mettre au service de la République >. Leurs préoccu- 
pations étaient, comme celles du pays entier, toutes 
politiques ; les élections les tenaient en éveil, et comme 
tous les Français, la réunion de l'Assemblée natio- 
nale, à la différence des meneurs révolutionnaires, ne 
leur inspirait que des pensées pleines de confiance et 
d'espoir. Cela se vit bien aux élections du 23 avril où 
les candidats ouvriers du Luxembourg, ceux mômes 
qui tenaient de plus près à Louis Blanc et qui étaient 
ses véritables lieutenants, n'obtinrent qu'un chiffre de 
voix relativement médiocre, alors qu'on s'était évertué 
à persuader aux classes ouvrières que le sort des 
élections était entre leurs mains. Heureux du moins 
si leur éducation politique eût permis aux ouvriers 
parisiens de faire choix, pour les introduire dans 
l'Assemblée nationale avec le mandat de les y repré- 
senter, des hommes les plus autorisés du parti de la 
Révolution ! Mais ils n'en étaient pas là. Résolus à ne 
pas voter pour les candidats qui, la veille encore, étaient 
leurs camarades, ils auraient pu voter pour les nota- 
bilités intellectuelles qui leur étaient présentées. Ainsi 
Auguste Blanqui, le plus intelligent des révolution- 
naires, proposa lui-même à son club la candidature 
d'Auguste Comte, fondateur de la philosophie positive, 
et l'un des organisateurs après juillet 1830 des cours 
de l'association polytechnique qui rendait de si 
grands services à l'instruction des ouvriers parisiens. 
Les habitués du club présidé par Auguste Blanqui^ 

E. SrULLER. — SEC. RÉP, ^ 



38 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

ignorant qui était M. Auguste Comte, affectèrent de 
le prendre i)Our son liomonyme M. Comte, directeur 
du théâtre de pliysique amusante du passage Choiseul, 
et se mirent à rire. Auguste Blanqui ne put retenir 
sa colère, et, entrant en colloque avec son auditoire, 
il lui fit honte de sa profonde ignorance. L'illustre 
Lamennais, l'auteur des Paroles d'un Croyant et du 
Livre du Peuple, n'arriva qu'à grand'peine et le der- 
nier sur la liste des trente-quatre élus de la grande 
cité révolutionnaire. Le grand poète Béranger, candi- 
dat malgré lui, fut élu des premiers, après les membres 
du gouvernement provisoire. 

Parmi les personnages parlementaires qui se pré- 
sentèrent aux élections, il faut mettre à part M. Thiers, 
à cause des mesures toutes spéciales dont sa candi- 
dature fut l'objet de la part du gouvernement provi- 
soire et de son commissaire dans les Bouches-du- 
Rhône, M. Emile Ollivier. 

Le gouvernement provisoire a été vivement repris 
au sujet du caractère officiel qu'il aurait imprimé à 
certaines candidatures. Ces reproches sont injustes. 
La candidature officielle n'était pas inventée à cette 
époque, et tout ce que l'on peut reprocher aux gouver- 
nants d'alors, c'est d'avoir indiqué, avec trop de loyauté 
peut-être que les commissaires de la République 
avaient d'autres devoirs à remplir que de recueillir et 
de compter les voix des populations et qu'ils avaient 
pour mission de les éclairer avant tout sur l'impor- 
tance capitale du droit éminent qu'elles allaient exercer 
pour la première fois. Le gouvernement provisoire 
alla jusqu'à interdire aux commissaires de la Répu- 
blique de se présenter aux suffrages de leurs conci- 
toyens dans les départements qu'ils administraient. 
Défense vaine, car les électeurs n'admettaient ni res- 
trictions ni entraves à la souveraineté dont ils se sen- 



ÉTADLISSEMKNT DU SUFFRAfxE UNIVERSEL 39 

talent investis; ils prenaient les candidats qu'ils ju- 
geaient les meilleurs, et ainsi s'explique le nombre 
•considérable de fonctionnaires de tous rangs, de tous 
grades, dans Tordre civil comme dans Tordre mili- 
taire, qui se présentèrent dans Tarène électorale. 
Pour la première fois, les soldats eux-mêmes votaient. 
Personne ne songeait alors à trouver que la pratique 
<lu premier devoir du citoyen peut, en de certains cas, 
se trouver en conflit avec la discipline nécessaire des 
armées. 

Mais ce qui arriva à M. Thiers dans les Bouches- 
du-Rhône est tout différent. A Marseille, M. Berryer 
et M. Thiers étaient tous les deux candidats. Jules 
Favre, ami personnel de Ledru-Rollin et choisi par 
1 u i comme secrétaire général du ministère de Tintérieur 
écrivait, le 14 mars, à M. Emile Ollivier, commissaire 
général de la République : 

« Je partage votre opinion que vous ne devez ap- 
porter aucun obstacle à la réélection du citoyen Ber- 
ryer qui, légitimiste seulement dans la forme, est au 
fond un patriote sincère, et dont Téloquence, comme 
vous le dites avec raison, est une des gloires du pays. » 

La nature élevée et généreuse de Berryer, son génie 
oratoire, sa longue lutte contre la royauté de Juillet, 
tout le recommandait aux sympathies des républi- 
cains. C'était cependant se faire gratuitement illusion 
à soi-même que de le prendre pour un légitimiste « seu- 
lement dans la forme ». Berryer élu représentant du 
peuple en 1848 et en 1849, travailla avec la plus grande 
activité au service de la cause royaliste dont il était le 
très résolu serviteur. Non seulement il fut royaliste, 
mais il se montra réactionnaire. Il fut un des chefs du 
grand parti de Tordre, et pour tout dire un des me- 
neurs du trop fameux comité de la rue de Poitiers. 
Jules Favre aurait donc pu mieux placer saLCO\AaAiR,^, 



40 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

mais il ne faut pas oublier que Jules Favre, tout comme 
M. Emile Ollivier, était avocat avant d'être homme 
politique, et que Berryer faisait depuis longtemps 
déjà Tornement et la gloire du barreau de Paris. 

La môme lettre qui autorisait M. Emile Ollivier à 
laisser passer sans obstacle la réélection de Berryer lui 
recommandait de se mettre en travers de la candida- 
ture de M. Thiers et de tout faire pour qu'elle aboutit 
à un échec. M. Ollivier ne s'y épargna point. Il alla, 
dit-on, jusqu'à porter la parole en personne contre 
M. Thiers dans les clubs de Marseille, tant le gouver- 
nement redoutait de voir rentrer dans les Assemblées 
de la République un tacticien adroit et subtil, orateur 
disert et plein d'expérience, rompu aux affaires, habile 
aux intrigues et aux menées parlementaires, qui avait 
été pendant seize ans l'un des chefs les plus écoutés 
et les plus suivis dans les Chambres de la monar- 
chie de Juillet. M. Thiers échoua aux élections du 
23 avril. 

Ce fut une faute que de traiter un tel homme avec 
cette rigueur. M. Thiers ne se montra pas flatté de cette 
exception; il fut au fond et demeura très irrité de 
cette sorte de proscription. Une sage et prévoyante 
politique conseillaitdc tenir les portesde laRépublîque 
toutes grandes ouvertes à un personnage de cette va- 
leur et de cette ambition. Qui peut répondre que 
M. Thiers ne serait pas entré d'emblée dans la Répu- 
blique et ne l'eût pas soutenue de toute la force de 
ses talents, s'il eût aperçu pour lui, dans ce système 
de gouvernement, la place éminente qu'il aurait con- 
quis le droit d'y occuper, le rùle supérieur qu'il se 
sentait capable d'y jouer pour la satisfaction de son 
orgueil autant que pour le bien du pays ? 

Cette faute était d'ailleurs facile à éviter. Avec la 
modération habile de son esprit, M. Thiers avait com- 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 41 

pris tout ce qu'il y avait de compromettant, de vulgaire 
et même de ridicule dans les exagérations de langage 
de certains adhérents de fraîche date à la République. 
Celui qui avait dit autrefois dans le National, à la 
veille de la Révolution de 1830 : c Nous nous conten- 
terons d'aller chercher nos exemples de politique et 
nos modèles de gouvernement en Angleterre, au delà 
du détroit ; mais si Ton nous y force, nous passerons 
l'océan et nous irons jusqu'en Amérique, » était plus 
préparé que personne à se rallier à la République : il 
ne s'agissait que de lui donner du temps et de lui en 
fournir l'occasion ! Sa circulaire était loin d'ailleurs 
<renlever aux républicains sages tout espoir de l'atti- 
rer à eux : 

€ Il est bien vrai, disait-il, que je n'ai ni désiré ni 
voulu la République, car, dans mon opinion, la mo- 
narchie constitutionnelle était suffisante pour nous 
assurer une large liberté, et l'état de l'Angleterre pen- 
dant les deux derniers siècles me semblait pour mon 
pays une destinée qui n'était point à dédaigner. La 
Providence en a décidé autrement ; je m'incline devant 
ses décrets, et si je suis prêt à résister à toute tyran- 
nie, je ne résisterai jamais à la force des choses, ma- 
nifestée par des signes si éclatants. J'accepte donc la 
République sans arrière-pensée, mais je n'entends 
désavouer aucune partie de ma vie. » 

Ce langage méritait d'être écouté : il était fier et 
digne, et ne trompait personne. Mais voici qui valait 
la peine, non pas seulement d'être écouté, mais mé- 
dité par les gouvernants républicains : 

< Je crois qu'indépendamment de l'expérience ac- 
quise, qui est toujours bonne sous tous les régimes, 
même les plus nouveaux et surtout sous les plus nou- 
veaux, les députés membres de la dernière opposition 
pourraient être utiles, « car si on veut réduire les sou- 



42 LA SECONDE RÉPLDLlQrE 

tiens de la nouvelle République à ceux qui étaient 
républicains il y a six semaines, on s'exposera à un 
grand isolement ». J'ai donc consenti à être porté à 
la députation ; j'y ai consenti par devoir, par dévoue- 
ment, parbonneur. non pour travailler dans la future^ 
Assemblée nationale à une restauration d^uisée, mais- 
pour y travailler franchement à constituer la nouvelle 
République sur des bases solides et durables, pour y 
défendre les conditions essentielles de toute société, la 
famille, la propriété, la liberté des transactions. Je^ 
prie mes amis de se dispenser de tout effort, de ne 
point se compromettre pour ma candidature, surtout 
de ne prendre aucun engagement pour mon compte ; 
je n'en veux prendre aucun que celui de travailler 
lovalement à bien constituer le nouvel ordre de 
clioses. » 

A i)art la phrase relative à la défense des conditions- 
essentielles de la société, la famille, la propriété, la 
liberté des transactions, c'est-à-dire le libre débat des- 
conditions du salaire, suivant la fameuse loi écono- 
mique de lo/ïre et de la demande, la circulaire de 
M. Thiers tranche singulièrement sur celles des autres 
chefs des anciennes classes dirigeantes; elle est mo- 
dérée, sobre de promesses, exempte de toute exagéra- 
lion et de toute enflure : elle aurait dû inspirer con- 
lianco. Malheureusement, elle se trouva noyée dans ce 
(h'duge d'adhésions à la République venues de tous les. 
l>()ints (le l'horizon; elle ne fut pas remarquée autant. 
qu'(»lkî aurait dû l'être. M. Thiers avait cependant dit 
le mot décisif sur la question brûlante des républicains- 
de la veille et des républicains du lendemain. A ne 
vouloir que des premiers pour constituer la Répu- 
bli(jue, on risquait de ne point susciter les seconds- 
pou r accepter le nouveau régime, et l'on tuait dans- 
l'cnut le gouvernement que l'on voulait fonder. Ce que= 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 43 

M. Thiers disait en avril 1848 demeure vrai, car le 
bon sens ne perd pas ses droits, et c'est aux républi- 
cains des générations nouvelles qu'il appartient de 
mettre à profit d'aussi sages conseils. 



VII 



Tableau des Élections. — Emeules de Limoges et de Rouen. — 
La France donne mandat à ses représentants de constituer la 
République. — Jugement porté sur le gouvernement provi- 
soire et la Révolution de Février par Léon Faucher. 



La fin de mars et presque tout le mois d'avril, c'est- 
à-dire toute la période électorale fut remplie par la 
publication des listes et des professions de foi des 
candidats. 

C'était la saison du printemps ; c'était comme un 
renouveau de la France. 

La liberté totale dont jouissait alors la presse avait 
fait éclore, à Paris, dans les grandes et petites villes 
et jusque dans les plus humbles centres de population, 
des journaux aussi nombreux que les feuilles vertes 
des arbres et qui ne durèrent pas autant qu'elles... 
Une liberté nouvelle, la Hbertéde réunion, invitait les 
citoyens à se réunir pour causer, délibérer entre eux, 
pour entendre les orateurs improvisés qui ne manquent 
jamais dans ce vieux pays des Gaulois, dont les Ro- 
mains, leurs vainqueurs, disaient, il y a dix-huit cents 
ans, que leur affaire était de faire la guerre et de parler 
avec éloquence : rem militarem gerere et argute loqiA. 
On se réunissait surtout pour entendre la lecture des 
journaux, et se communiquer les nouvelles. A se cou- 
doyer ainsi, la vraie fusion des classes s'opérait. Une 



44 LA SFXO^DE RKrUBLIQCE 

nouvelle nation allait naître comme un nouvel ordre 
de choses était né. Pourquoi faut-il queTégoïsme et la 
peur aient engendré cette réaction hypocrite et perfide, 
qui a rejeté si tôt et pour un si long temps, dans la 
vieille ornière, une P'rance jeune et pleine de foi, qui 
s'étaiteufiulevécet ne demandait qu'à marcher ? Après 
tant d'années écoulées presque un demi-siècle, toute 
cette œuvre est à reprendre. A qui la faute, si ce n'est 
aux chefs de cette bourgeoisie vaniteuse et impré- 
voyante, sans esprit et sans cœur, qui se remit vite de 
sa première stupeur et qui, pour conserver sa prépo- 
tence politiciue, se jeta dans les bras de l'Eglise et de 
la monarchie, quand elle avait pour devoir d'ap- 
prendre à la nation à faire elle-même ses affaires ? 

Au milieu de toute cette effervescence, avec toute 
cette agitation, nul désordre. On ne connaissait pas 
alors la vertu apaisante du suffrage universel ; on 
savait encore moins que le suffrage universel est par 
essence conservateur et ami de la paix; on ignorait 
enfin que la première notion qui s'est emparée de 
l'esprit simple et logique des Français, dès qu'ils ont 
été en possession de leur souveraineté effective et 
qu'ils se sont reconnu la puissance d'agir sur la direc- 
tion de leurs aiïaires, au moyen du bulletin de vote, 
c'est que le suffrage universel a mis fin aux coups de 
force,* aux révolutions violentes. Ces idées ont été sou- 
vent développées depuis, mais elles ont apparu, dès le 
premier jour, à l'état d'instinct dans l'àme populaire, 
et depuis lors, rien n'a pu les en arracher. Ainsi s'ex- 
pliquent que les élections générales, les plébiscites, 
les votes à la commune, au canton, toutes les mani- 
festations du suffrage universel (mt toujours été paci- 
fiques dans notre nation, à la grande stupéfaction des 
autres peuples même les plus libres, comme les 
Belges, les Anglais, les Suisses et les Américains qui 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 45 

trop souvent se livrent à des rixes, à de vraies batailles 
les jours de scrutin. 

Aussi ne faut-il compter pour rien dans Thistoire 
du suffrage universel les deux émeutes de Limoges et 
de Rouen. Ce ne sont pas les élections, c'est la poli- 
tique générale du temps qui fut la cause de ces regret- 
tables événements, et leur coïncidence avec le dépouil- 
lement du scrutin fut pour ainsi dire toute fortuite. 
Les excitations des partis rétrogrades, à Rouen sur- 
tout, les produisirent. La réaction essayait ses forces. 

A Limoges, les ouvriers se rendirent maîtres de la 
ville et constituèrent une autorité provisoire ; aucun 
excès ne fut commis, et Ton n'eut à regretter aucune 
effusion de sang. A Rouen, ce fut plus sérieux. C'est le 
27 avril, au soir, que les ouvriers coururent aux 
armes, excités par les provocations imprudentes de 
la garde nationale, qui s'était, depuis les événements 
de Paris, laissée glisser dans la réaction. Le combat 
s'engagea ; il dura deux jours. Ce qu'il y eut de plus 
pénible, c'est que les régiments de la ligne furent 
appelés à donner contre le peuple, ou, pour mieux 
dire, contre une foule composée de femmes, d'en- 
fants, de vieillards au moins autant que d'hommes en 
état de se servir de leurs fusils. Du côté de la troupe 
et de la garde nationale on n'eut à déplorer la mort 
d'aucun combattant. Il n'en était pas de môme hélas ! 
(le l'autre côté, et dès les premières séances de l'As- 
semblée nationale, il fallut reconnaître du haut de 
la tribune que cette répression sévère avait coûté la 
vie à plus de trente citoyens tués sur la barricade ou 
morts à l'hôpital des suites de leurs blessures. 

Ces déplorables événements n'altèrent point la phy- 
sionomie générale des premières élections françaises 
faites au suffrage universel, et ceux qui en ont été les 
témoins ne les oublieront jamais. 



46 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

La grande fôte chrétienne de Pâques tombait en Fan* 
née 1848 le dimanche 23 avril. Le scrutin fut ouvert 
pendant deux jours dans la mairie de chaque chef- 
lieu de canton, le dimanche et le lundi de Pâques. 

A cette époque d'enthousiasme mystique, les élec- 
tions furent considérées comme une sorte de Pàque 
civique, et ce nom est longtemps resté dans la lan- 
gue de certains orateurs ou écrivains, pour être appli- 
qué aux rtianifestations périodiques de suffrage uni- 
versel. A ce premier banquet de la fraternité électorale 
et politique tous les Français furent appelés. Comme 
il y avait une certaine distance à franchir de la com- 
muueauchef-lieudecanton,lescurésetdesservantsdes 
paroisses avancèrent Theure de la messe de la Résur- 
rection qui, en ce temps-là, était fréquentée par la très 
grande majorité des fidèles ; et, la cérémonie terminée, 
les citoyens électeurs, accompagnés souvent de leurs 
femmes et de leurs enfants, se mirent en marche^ 
maires et curés à leur tète, précédés du tambour de 
la commune et rangés autour du drapeau national, 
chantant des airs patriotiques dans les provinces de 
Test, des cantiques de dévotion dans Touest, en Ven- 
dée et en Bretagne. 

Partout les votes furent émis avec ordre, sans pré- 
cipitation, sans défiance. Dès la première opération 
(lu suffrage universel, le peuple français sut se servir 
de cet instrument que Ton disait impossible à manier. 

Le dépouillement eut lieu avec plus de rapidité que 
Ton ne s'y attendait. La France attentive ne mit pas 
plus de quatre à cinq jours à savoir que le suffrage 
universel avait donné mandat aux représentants de la 
nation de reconnaître la République proclamée par le 
peuple de Paris et de lui donner une Constitution 
stable, en Tentourant de lois organiques sages, libé- 
rales et progressives. 



ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 47 

L*Assemblée nationale était dès lors attendue avec 
d'universelles espérances. 

La véritable Révolution de 1848 était maintenant 
consommée. 11 ne restait plus aux hommes de Février 
(ju'à remettre leurs pouvoirs. A partir des élections 
et de leurs résultats, le gouvernement de THùtel de 
Ville appartient au jugement de l'histoire. 

Nul autre gouvernement n'a été attaqué autant que 
celui-là, aussi bien par la force que par la ruse. 11 a 
été outragé dans la personne de ses membres, diffamé 
dans ses intentions, vilipendé, tourné en ridicule par 
S3S ennemis, méconnu, soupçonné, renié et trahi par 
les républicains qui auraient dû le défendre. 

Et cependant, nul autre gouvernement porté au pou- 
voir dans une crise plus imprévue et plus difQcile, 
dans une heure de péril où, suivant une parole bien 
connue, la tâche la plus malaisée n'était pas de faire 
son devoir, mais de le connaître, nul autre groupe 
d'hommes politiques jetés aux affaires par les accla- 
mations de ces foules qu'ils savaient modérer en leur 
parlant, ne mérite davantage l'estime, le respect, 
l'admiration môme des Français du dix -neuvième 
siècle et de leur postérité. 

En 1849, au mois de février, peu de jours avant le 
premier anniversaire de la révolution qui l'avait tiré, 
comme tant autres, de l'obscurité, pour l'amener à la 
grande et éclatante lumière de la vie publique, M. Léon 
Faucher, cet homme qui devait être le ministre vio- 
lent de la plus impolitique des réactions, rendit à la 
révolution de Février et aux hommes qui en accep- 
tèrent la direction, sous leur responsabilité devant leur 
conscience et devant le peuple, un hommage d'autant 
moins suspect qu'il vient d'un ennemi politique. 

Cet hommage doit être rapporté ici, comme le juge- 
ment même de l'histoire. 



48 LA SECONDE RÉrCBLIQUE 

€ La révolution de Février a été pacifique. La société, 
un moment ébranlée sur ses bases, a promptement 
recouvré le sentiment de sa force et n'a pas dévié de 
ses immortelles destinées. Les combattants eux- 
mêmes, il faut le dire à leur honneur, jusque dans 
Tcxaltation du succès, ont réprimé le désordre; la 
conscience publique n'en tolérait pas la pensée. 

a Aucune révolution n'a échappé aussi promptement 
aux agitations irréparables de toute commotion popu- 
laire. Il n'en est pas qui ait enfanté, dans le même délai, 
un état de choses plus régulier, qui ait consacré aussi 
libéralement tous les droits, sans renoncer aux garan- 
ties essentielles de tout gouvernement représentatif. 
C'est le premier triomphe vraiment national, car il ne 
laisse pas après lui les traces lamentables de cette 
oppression qui partage un peuple en vainqueurs et 
ea vaincus. 

< La révolution de Février a établi en France le suf- 
frage universel. Elle a appelé, et ce sera son éternel 
honneur, à la vie publique, sans troubles ni difficultés, 
la nation entière. L'égalité politique est venue com- 
pléter et fortifier l'égalité civile. La nation s'appartient 
désormais, et tous les citoyens concourent au gouver- 
nement. 

< Une révolution qui a fait d'aussi grandes choses 
mérite de rester dans la mémoire et de prendre place 
dans la reconnaissance des peuples... » 



DEUXIÈME PARTIE 



ASSEMBLEE NATIONALE CONSTITUANTE 

4 mai 1848 - 25 mai 18 i9. 



I 

Séance d'ouverture de l'Assemblée Constituante. — Proclamation 
de la République. — Elle est acclamée dix-sept fois par les 
anciens partis. 



Le jeudi 4 mai 1848, eut lieu Touverture solennelle 
des séances de TAssemblée des neuf cents repré- 
sentants du peuple, à qui le suffrage universel venait 
lie donner le mandat de constituer la France en répu- 
blique. 

Le soleil rayonnait d'un éclat magnifique. Toute 
la population de Paris était répandue dans les rues et 
sur les quais qui avoisinent la place de la Concorde 
et par où les nouveaux élus devaient passer. On re- 
connaissait, on se montrait, on saluait avec une affec- 
tueuse confiance les représentants du peuple, venus 
de tous les déi)artements, fiers de leur mission, heu- 
reux de Taccueil symi)athique dont ils se sentaient 
l'objet. Une grande salle avait été construite à la haie 
dans la cour d'honneur du Palais-Bourbon. La déco- 
ration de cette vaste enceinte était modeste, mais 



:.0 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

<l('»ceiitc : elle convenait aux délibéra lions des man« 
(lataires de la nation démocratique qui allait chercher 
à s'oi^caniser. Le coup d'œil que présentait rAssem- 
hlée était d'une imposante orijrinalité. Les députés de 
la Hretfipfue portaient le costume traditionnel des 
habitants de cette région, qui semblait en arrière du 
reste de la France. Sur le sommet des gradins, du 
côté de Textrème gauche, on pouvait apercevoir le 
dominicain Lacordaire ])orlant le froc blanc de son 
ordre, avec la tète rasée, non loin de son ancien 
maître, Tillustre Lamennais, vêtu comme de coutume 
de sa longue redingote noire, la figure soucieuse et 
d'un aspect triste et sévère. Trois évêques en robe 
violette, une vingtaine de prêtres en soutane, élus çà 
et là sur tous les [ïoints de la France, montraient par 
leur présence quïi cette époque, on était loin de 
considérer comme inévitable et prochain le divorce 
(jui s'est établi depuislors entre le clergé catholique 
et les représentants laï({ues de la société moderne. 

Un décret du gouvernement provisoire avait institué 
])Our les membres de l'Assemblée nationale consti- 
tuante une sorte de tenue oflicielle renouvelée des 
costumes ([ue l'on portait du temps de la première 
Révolution. C'était un anachronisme que les représen- 
tants (le 1848 se refusèrent à ratifier. Ce costume fut 
laissé de côté. Les membres de l'Assemblée, pour 
toutes marques distinctives de leur hautes fonctions, 
adoptèrent la rosette rouge avec le court ruban à 
franges d'or; quelques-uns ceignirent Técharpe de 
soie aux trois couleurs nationales. 

La ])lus grande animation régnait dans la salle 
comme dans les tribunes, en attendant l'arrivée des 
membres du gouvernement provisoire. Réunis au 
ministère de la justice chez leur collègue Adolphe 
Crémieux, garde des sceaux, ils se rendirent, en 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 51 

ayant à leur tête le vénérable Dupont (de TEure), de 
la place Vendôme au palais de TAssemblée, au milieu 
des acclamations de la foule qui parut, par cette ova- 
tion de justice et de reconnaissance, acquitter envers 
eux la dette de la nation tout entière. Leur entrée 
dans la salle fut saluée par des tonnerres d'applaudis- 
sements. Toute l'Assemblée était debout pour les rece- 
voir. Dupont (de l'Eure) monta prendre possession 
du fauteuil qui lui avait été préparé à côté et un peu 
au-dessous de celui du président d'âge de l'Assem- 
blée nationale. C'était le citoyen Audry de Puyraveau, 
vétéran des luttes de la liberté, ancien combattant des 
trois glorieuses journées de Juillet, ancien persécuté 
de la monarchie d'Orléans, pour qui le beau jour 
du 4 mai 1848 fut comme une sorte de réparation et 
d'apothéose. Les autres membres du gouvernement 
provisoire se tenaient debout au pied de la tribune, 
recevant les saints individuels de leurs amis, et répon- 
dant aux cris sans cesse répétés de Vive la Républi- 
que î par des marques incessantes d'adhésion et de 
remerciements. Le canon des Invalides tonnait au de- 
hors, couvrant par intervalles les clameurs indis- 
tinctes d'une multitude qui s'abandonnait à la joie et 
à l'espérance. 

La séance fut ouverte par le doyen de l'Assemblée, 
Audry de Puyraveau, qui donna tout de suite la parole 
au président du gouvernement provisoire, Dupont (de 
l'Eure). 

La présidence de ce digne citoyen, ancien membre 
du conseil des Cinq-Cents sous le Directoire, ancien 
ministre de la justice dans le premier cabinet de la 
monarchie de Juillet, avait été tout honorifique à 
raison de son grand âge. 11 ne s'était pas compromis 
dans les divisions de ses collègues, et tous les partis 
le respectaient. 



52 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

C'est d'une voix affaiblie mais écoutée dans le plus 
protoud et le plus respectueux silence, qu'il prononça 
le discours suivant, où l'on retrouve exprimées avec 
une grande noblesse les idées comme les émotions 
qui remplissaient alors les esprits et les cœurs : 

« (litoyens représentants du peuple, 

« Le gouvernement provisoire de la République 
vient s'incliner devant la nation et rendre un hom- 
mage éclatant au pouvoir suprême dont vous êtes 
investis. 

« Elus du peui)le ! soyez les bienvenus dans la 
grande capitale où votre présence fait naitre'un sen- 
timent de bonheur et d'espérance qui ne sera pas 
tromj)é. 

« Dépositaires de la souveraineté nationale, vous 
allez fonder nos institutions nouvelles sur les larges 
bases de la démocratie, et donner à la France la seule 
constitution qui puisse lui convenir, une constitution 
républicaine. » 

A ces mots où, pour la ])remière fois, sortait, d*uae 
bouche autorisée à la prononcer au nom de la nation, 
rap[)ellation de la République, tous les représentants 
du peuple se levèrent d'un mouvement spontané et 
unanime, et la République fut acclamée avec enthou- 
siasme sur tous les bancs de l'Assemblée. 

Dupont (de l'Eure) poursuivit en ces termes: 

a Mais après avoir proclamé la grande loi politique 
qui va constituer définitivement le pays, comme 
nous, citoyens représentants, vous vous occuperez de 
régler l'action possible et efficace du gouvernement 
dans les rapports que la nécessité du travail établit 
entre tous les citoyens, et qui doivent avoir pour 
bases les saintes lois de la justice et de la fraternité!» 

Cette phrase, qui était destinée, dans la pensée du 
gouvernement provisoire, à rappeler aux élus de la 



ASSEMBLEE NATIONALE CONSTITUANTE 53 

France que la révolution de Février ne devait 
pas être simplement la substitution du régime répu- 
blicain au régime monarchique, mais qu'elle devait 
avoir aussi pour effet de modifier profondément la 
condition sociale du peuple, fut accueillie par l'As- 
semblée par de nouveaux applaudissements, mais déjà 
moins chaleureux, moins unanimes que les précé- 
dents, et les observateurs pénétrants et sagaces ne 
purent pas se dissimuler que les préoccupations so- 
ciales n'étaient point celles qui dominaient dans 
l'Assemblée. 

Le président du gouvernement provisoire reprit: 

« Enfin le moment est arrivé pour le gouverne- 
ment provisoire de déposer entre vos mains le pou- 
voir illimité dont la révolution l'avait investi. Vous 
savez si, pour nous, cette dictature a été autre chose 
qu'une puissance morale, au milieu des circonstances 
difficiles que nous avons traversées. > 

Cette « puissance morale, > dont parlait Dupont 
(de l'Eure), le gouvernement de Février la tenait sans 
doute du patriotisme républicain, de l'éloquence tour 
à tour séduisante ou redoutable, du courage civique, 
de la parfaite probité, de l'abnégation dévouée de cha- 
cun de ses membres. Mais au moment où le véné- 
rable orateur parla de la- puissance morale, aussitôt 
on comprit de quelle autorité dans les conseils avait 
été un homme aussi grave, aussi digne des respects 
de tous, et le vieux Dupont (de l'Eure) apparut alors 
à la jeune Assemblée républicaine comme le Père de 
la patrie. 

Il termina son discours par les paroles que voici, 
et qui achevèrent de jeter l'Assemblée pour ainsi dire 
hors d'elle-même : 

€ Fidèles à notre origine et à nos convictions per- 



."ii LA SKCONDE RK PUBLIQUE 

sounolles, nous n'avons pas hôsité à proclamer la Ré- 
l)ubli(jno naissante de Février. 

« Anjounl'Jiui noiisinau«;urons les travaux de TAs- 
seniblre nationale à ce cri qui doit toujours la ral- 
lier: Viv(î la Uépnbli([ue! > 

Ce cri fut réjxHé à |)lusieurs reprises par les repré- 
sentants et i)ar les citovens admis dans les tribunes^, 
Dupont (de TlMire) descendit imur rep:aguer sa place. 
Au l);is (l(* Tescalier, il rencontra son vieil ami, le 
«çrand poèh» iîéranj^er, qui ne |)ut contenir son émo- 
tion et se j<'la dans ses bras, dette scène d'attendris- 
sement porta l'émotion de l'Assemblée à son comble. 
Klle jtij::ea néc<'ssîûre de se retirer dans ses bureaux 
l)onr tiavailler à la vérilicalion des pouvoirs. 

Klle ne tarda |)as à rentrer en séance afin de com- 
mcMicer cette opération. A cette occasion, un député 
(les r>ouches-du-llhùne, DénioslliènesOllivier, père du 
jeune commissaire qui venait se distinguer par sa 
campaj^ne contre la candidature de M.Thiers, proposa 
(|ue chacjue membre, dont l'élection serait vérîQée, 
prêtât individuellement serment à la République, à 
Tappi'l de son nom et à la tribune. J)émosthènes 01- 
livier comptait sans doute enchaîner ])ar ce serment 
obligatoire tous ces enthousiasmes de fraîche date 
(ju'à sa grandiî surprise il voyait éclater sur les bancs 
de rAssend)lée, surtout ceux où s'étaient assis les 
hommes les [dus notoirement connus pour leurs opi- 
nions hostiles cula llé|)ublique et leur attachement à 
la monarchie. Sa proposition fut combattue par Ad. 
(^rémieux, membre du g<mvern(Mnent [)rovisoire, mi- 
nistre de la justice, qui rappela qu'un décret du 
])ouvoir issu de la Révolution avait aboli le-serment 
politi(jue. iMais cette proposition, eût-elle été adoptée, 
au lieu d*ôtre rejetée comme elle le fut aux acclama- 
ti(ms de TAssemblée, n*eùt gêné en rien la conscience 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 55 

(les monarchistes les plus endurcis. Ces homraes 
auraient prêté de grand cœur le serment que Démos- 
thènesOUivier leur demandait, sans se sentir engagés, 
par cette formule solennelle, plus qu'ils ne s'enga- 
geaient par les cris répétés qu'ils poussaient avec force 
gestes démonstratifs en l'honneur de la République. 

On a compté que la République fut acclamée dix- 
sept fois dans cette première séance de l'Assemblée 
nationale. Ce n'est pas assez dire, car c'est plus de 
trente fois que le Moniteur universel fait mention de ce 
cri poussé sur tous les bancs, et à des intervalles si 
rapprochés que Ton peut dire que la séance entière 
fut employée à ratifier solennellement la République 
déjà proclamée par le peuple de Paris. 

L'entraînement était si grand qu'il parut nécessaire 
d'y mettre un terme par un acte formel de l'Assemblée. 
Un représentant de la Seine, qui fut depuis l'un des 
complices du coup d'Etat du Deux Décembre en qua- 
lité de préfet de la Seine, M. Berger, proposa la 
déclaration suivante : 

« L'Assemblée nationale, fidèle interprète des sen- 
timents du peuple qui vient de la nommer, avant de 
commencer ses travaux, déclare, au nom du peuple 
français, à la face du monde eutier,que la République, 
proclamée le 24 Février, est et restera la forme du gou- 
vernement de la France. > 

Aussitôt la déclaration connue, les applaudisse- 
ments éclatent. « L'instant est solennel, » s'écrie 
M. Emmanuel Arago. En vain, Ducoux, représentant 
(lu Loiret, demande que, jmur donner plus d'éclat et 
de solennité à cette manifestation de la pensée una- 
nime de l'Assemblée, il soit i)rocédé à une délibéra- 
tion régulière. « Il ne dépend plus de personne de 
mettre en doute la République, dit Armand liarbès; 
nous sommes les serviteurs du peuple, nous n'avons 



56 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

qu a acclamer sa volonté. Le président lui-même fait 
observer qu'en présence des sentiments qui domi- 
nent TAssemblée, toute discussion est inutilel La pro- 
position de M. Berger est adoptée d'emblée, avec en- 
thousiasme, sans aucune marque d'opposition. 

Ce n'est pas tout. 

Interrompant la discussion de la vérification des 
pouvoirs, le général Gourtais annonce que la foule 
massée sur le pont de la Concorde et aux abords 
du péristyle du Palais-Bourbon demande à grands 
cris que les membres du gouvernement provisoire 
veuillent bien se présenter à elle pour recevoir les 
témoignages de la reconnaissance du peuple, et que 
l'Assemblée nationale consente à se joindre à eux. 
La nouvelle donnée par le général Courtais rend 
perplexes, hésitants un certain nombre de repré- 
sentants du peuple. L'Assemblée nationale va-t-elle 
donc se mettre ainsi aux ordres de la foule, obéir à 
ses réquisitions? Où mènera-t-on la France et son 
gouvernement, eu cédant dès le premier jour à des 
prières, des invitations qui, le lendemain peut-être, 
seront des injonctions et des menaces? C'est à ce mo- 
ment qu'un député de la Charente, Babaud-Laribière, 
redoutant avec raison les suites de la motion Courtais 
trouve dans son cœur de républicain, ferme autant que 
sage, l'idée d'une manifestation solennelle: < Citoyens, 
s'écrie-t-il, c'est à la face du soleil et en présence de 
l'héroïque population de Paris qu'il convient d'accla- 
mer la République! > Cette idée s'empare de tous les 
esprits. Les représentants du peuple se lèvent. Le vieil 
Audry de Puyraveau, suivi des membres du gouverne- 
ment provisoire et de tous ses collègues, se rend sur les 
marches du palais de l'Assemblée, et là, comme l'avait 
demandé Babaud-Laribière, à la face du ciel, il pro- 
clame la République. Une clameur immense lui ré- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 57 

pond ; le peuple est satisfait de se trouver en présence 
de ceux jqu'il vient d'élire; les membres de l'Assem- 
blée se mêlent à la foule ; on fraternise, en battant 
des mains en poussant de patriotiques clameurs : qui 
n'a cru, ce jour-là, que la République était définitive- 
ment fondée en France? 

Le4mail848 a laissé d'impérissables souvenirs. 

Ce fut une véritable fête de réconciliation dans la 
concorde et d'espoir dans la liberté, et cette fête 
réjouit le grand cœur de la France. Sans doute, à ces 
souvenirs il est impossible de ne point rattacher les 
inqualifiables palinodies des hommes qui, après avoir 
épuisé toutes les forces de leurs poumons à glorifier 
la République, l'ont presque aussitôt abandonnée 
avec la plus noire hypocrisie, pour la trahir plus lâ- 
chement encore. Mais ce n'est pas le 4 mai que se 
formèrent ces complots de la duplicité et de la tra- 
hison. Telle est la faiblesse du cœur des hommes que 
souvent, on voit les foules se livrer, sans y réfléchir, 
à des démonstrations passionnées qui, dès le lende- 
m ain, leur apparaissent avec des conséquences que nul 
n'avait aperçues dans les premiers entraînements des 
émotions communes. On doit tenir pour certain que 
nul, parmi les ennemis du régime républicain, ne son- 
geait à le détruire, au moment même où il Tacclamait ; 
mais il ne Test pas moins que, parmi ces hommes 
excités, bien peu pensaient qu'un vrai devoir de cons- 
cience leur imposait d'abandonner leur ancienne foi 
politique, pour en adopter une nouvelle avec une 
entière sincérité. Ce sont là les contradictions éter- 
nelles de la nature humaine. On ne peut ni trop vi- 
goureusement flétrir, ni trop bénignement absoudre 
ces manifestations ou plutôt ces explosions de sen- 
timents tout à fait déréglés et qui attestent un déplo- 
rable abaissement de la moralité poUl\c\\i^. 'twïs> 



:>8 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

ceux (jui, le 4 mai 1848, crièrent à tant de reprises 
(litTô rentes : Vive la République! n'étaient certes ni 
(les traîtres, ni des lâches, et leur bonne foi ne sau- 
rait être mise en doute : voilà pour leur excuse. Mais 
ceux qui, après s'être associés à cette démonstration 
extraordinaire, grandiose jusque dans son étrangeté, 
u ont pas compris qu'elle engageait leur conduite 
|)ubli([ue dans Tavenir, ceux-là n'ont connu ni leur 
intérêt, ni leur devoir, et voilà ce que l'histoire ne 
saurait trop duremeutleur reprocher. Ils ont méconnu 
leur devoir, en donnant au peuple le spectacle avi- 
lissant et démoralisateur de consciences sans compas 
ni boussole, qui, ne sachant ni se modérer ni se con- 
duire, chavirent au premier remous de flots, et les 
classes dirigeantes ont ainsi perdu les droits qu'elles 
alîectaient de prétendre au gouvernement du pays; de 
plus, ces mômes hommes ont singulièrement mécon- 
nu leur intérêt politique et social, car, par leurs pali- 
nodies éhontées, ils ont frappé les partis auxquels ils 
étaient attachés d'une véritable déchéance morale. 

Le parti républicain n'avait rien à perdre à ces exa- 
gérations de dévouement, quelle qu'en fût d'ailleurs 
la sincérité. En somme, c'était à son principe, à son 
gouvernement que les hommes des anciens partis 
rendaient hommage. Ce jour-là, personne n'eut la 
pensée de poser en face de la République un prince, 
une dynastie, une monarchie quelconque, et la France 
put se dire que le gouvernement républicain était 
reconnu et déclaré capable et digne par tous ses en- 
fants de présider aux destinées de la patrie. Ce fut là 
pour nos opinions et nos principes une immense vic- 
toire morale, qui effaçait bien des défaites antérieures. 
Moins de deux mois auparavant, le nom même de la 
République était encore un épouvantail, et voilà que 
tout à coup ce nom redouté était acclamé et glorifié 



ASSEMBLEE NATIONALE CONSTITUANTE 59 

par ceux mêmes qui le maudissaient et le signalaient à 
la haine et au mépris de la nation! Bien plus, la Ré- 
publique se montrait à tous les Français de bonne foi 
comme le régime destiné à rapprocher, pour le bien 
général du pays, pour la prospérité et la grandeur de 
la France, toutes les classes de la société, et la preuve, 
c'est que tout le monde s'y ralliait. A partir de ce 
moment, la République ne fut plus discutée comme 
gouvernement possible en France, en attendant le 
jour où elle s'imposerait comme gouvernement né- 
cessaire. 

C'est là ce que ne virent, dans relTarement d'uue 
telle heure, ni les amis ni les ennemis de la Répu- 
blique. Dès que les partis se retrouvèrent aux ])rises 
— et ce fut presque au lendemain du 4 mai 1848 — 
ils ne songèrent plus à ce qui avait été fait dans cette 
journée, les uns, les républicains, que pour se repen- 
tir d'avoir cru à la loyauté de leurs éternels adver- 
saires, et les autres, les royalistes, que pour accuser 
la République d'avoir failli à sa mission de gouver- 
nement stable et régulier. Seulement, les hommes des 
anciens partis ne s'aperçurent pas qu'ils tombaient 
dans l'estime du peuple, en reprenant l'adhésion qu'ils 
avaient donnée, tandis que les républicains, en de- 
meurant simplement fidèles à leur drapeau méritaient 
la confiance de la nation. Il s'établit ainsi, dans la 
conscience populaire, une comparaison qui ne fut pas à 
l'avantage de ceux qui se rendirent coupables de par- 
jure, et c'est en somme la République qui a profité 
des hommages même hypocrites qu'elle a reçus dans 
ce jour d'enthousiasme. 



60 LA SECONDE REPUBLIQUE 



II 



Le président Bûchez. — Comptes rendus des membres du gou- 
vernement provisoire. — Lamartine, Garnier-Pagès, Ledru- 
Rollin. — Proposition Dornès, déclarant que le gouvernement 
provisoire a bien mérité de la patrie. — Opposition d'Armand 
Rarbos. — Constitution du Pouvoir exécutif. — Louis Blanc et 
le ministère du Procrès. 



Les êleclions générales des 23 et 24 avril 1848 
avaient été faites par la France avec une si grande sin- 
cérité, avec une liberté si complète que la vérification 
des pouvoirs des représentants du peuple marcha très 
vite, et que l'Assemblée constituante se trouva en me- 
sure de constituer son bureau définitif, dès le 6 mai. 

P. J.-H. Biichez fut porté à la présidence. 

Ce choix a été vivement critiqué, surtout après 
que les aptitudes et les talents de Bûchez eurent été 
mis à l'épreuve. Esprit vigoureux et orné, historien 
et philosoi)he, d'une grande austérité de mœurs dans 
sa fiére pauvreté. Bûchez jouissait d'un réel prestige, 
mais il mauiiuait des qualités indispensables à tout 
homiuo que ses collègues chargent de la fonction 
toujours si diflicile de présider à leurs travaux ; il 
n'avait ni le sang-froid, ni la rapidité de coup d'œil 
et do décision qui sont nécessaires, particulièrement 
dans les époques de crise : il ne sut prendre aucune 
autorité. 

On doit ceiH>ndant reconnaîti-e que le choix de 
Bûchez, sans s'imposer à l'Assemblée constituante où 
les candidats à la présidence ne manquaient pas, était, 
dans la confusion des hommes et des idées où Ton 
vivait alors, le choix qui devait jKiraUre le plus natu* 
rel. Tous ces honnêtes citoyens, improvisés tout à 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE Cl 

coup mandataires souverains de la France républi- 
caine, alors qu'en janvier 1 848, ils étaient encore pour la 
plupart médecins, avocats, professeurs, commerçants, 
dans leurs petites villes, agriculteurs dans leurs campa 
gnes, tous absorbés par leurs affaires, se trouvèrent sans 
expérience de la vie des assemblées. Bûchez, l'un des 
fondateurs de la Charbonnerie française sous la Res- 
tauration, l'un des auteurs de V Histoire parlementaire 
de la liécolution française, véritable livre de chevet de 
tous les républicains du temps, démocrate non moins 
dévoué que ferventcatholique, chef d'une petite école 
qui défendait une théorie suivant laquelle la Révolu- 
tion n'est que la complète et définitive ef florescence des 
principes sociaux du christianisme, philanthrope qui, 
depuis dix ans, consacrait ses études et son temps à 
propager ses doctrines sociales dans un organe spécial 
l'Atelier, rédigé avec talent par une certaine élite de 
travailleurs manuels. Bûchez apparut, dans les pre- 
miers jours de l'Assemblée constituante, comme un 
candidat sur le nom duquel tous les partis pou- 
vaient se mettre d'accord, par une sorte de transac- 
tion : aussi réunit-il d'emblée le plus grand nombre 
de suffrages. Il n'en est pas moins regrettable qu'il ait 
occupé le fauteuil de la présidence dans des circons- 
tances aussi graves. Un homme moins qualifié, mais 
doué de plus de caractère, y aurait rendu avec un peu 
de fermeté plus de services que Bûchez n'en pouvait 
rendre avec tout son passé, ses qualités et ses vertus. 
Le même esprit de transaction entre les diverses 
nuances du parti républicain décida du choix des vice- 
présidents, qui furent adjoints à Bûchez : on nomma 
Recurt, médecin très populaire dans le faubourg 
Saint- Antoine, républicain éprouvé dans les plus an- 
ciennes luttes du parti ; le général Cavaignac, moins à 
cause de sa bravoure et de sa capacité si souvent re- 



62 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

connues dans les campagnes d'Afrique qu'en souve- 
nir de son frère Godefrov,dont la noble mémoire était 
restî'C chère à tous ceux qui l'avaient connu ; Corbon, 
ouvrier ébéniste de son état, rédacteur de V Atelier; 
Guinard, dont chacun estimait la fière et loyale atti- 
tude ; Gormenin, à raison des services qu'il avait ren- 
dus par ses pamphlets contre la monarchie tombée, 
et enfin Senard, avocat, chef du parti de l'opposition 
dynastique dans la Normandie, celui qui avait fait si 
durement réprimer l'émeute de Rouen. Ce dernier 
choix, qui obtint toute la faveur des hommes déjà 
prêts à se jeter dans la réaction, indiquait trop claire- 
ment que la majorité de l'Assemblée ne saurait pas 
contenir, comme il était si nécessaire et si politique 
de le faire, les ])réjugés et les préventions contre la 
démocratie des villes que déjà la réaction se prépa- 
rait à exploiter. 

L'Assemblée étant constituée, le gouvernement 
provisoire demanda à rendre compte de sa gestion. 
Au nom de Dupont (de l'Eure), Lamartine lut un 
exposé de la situation générale de la République tant 
au dedans qu'au dehors, écrit avec une rare magni- 
cence de style, et prononcé avec une éloquence pleine 
de force et de séduction. 

G'est le point culminant de l'extraordinaire fortune 
politique de ce grand homme. Lamartine était alors» 
on peut le dire après les élections enthousiastes dont 
il venait d'être l'objet dans dix départements, l'idole 
de la France entière. Nul ne pouvait penser à ce mo- 
ment que Lamartine fût exposé à perdre si tôt une 
popularité, un prestige, une autorité morale qui fai- 
saient de lui comme le véritable mandataire de l'As- 
semblée nationale et qui semblaient le désigner, dès 
que de la Constitution serait votée, comme le titulaire 
de la première magistrature de la République. Le dis- 



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62 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

connues dans les campagnes d'Afrique qu'en souve- 
nir de son frère Godef roy, dont la noble mémoire était 
restée chère à tous ceux qui Tavaient connu ; Corbon, 
ouvrier ébéniste de son état, rédacteur de VAtelier; 
Guinard, dont chacun estimait la fîère et loyale atti- 
tude ; Cormenin, à raison des services qu'il avait ren- 
dus par ses pamphlets contre la monarchie tombée, 
et enfin Senard, avocat, chef du parti de l'opposition 
dynastique dans la Normandie, celui qui avait fait si 
durement réprimer Témeute de Rouen. Ce dernier 
choix, qui obtint toute la faveur des hommes déjà 
prêts à se jeter dans la réaction, indiquait trop claire- 
ment que la majorité de l'Assemblée ne saurait pas- 
contenir, comme il était si nécessaire et si politique 
de le faire, les préjugés et les préventions contre la 
démocratie des villes que déjà la réaction se prépa- 
rait à exploiter. 

L'Assemblée étant constituée, le gouvernement 
provisoire demanda à rendre compte de sa gestion- 
Au nom de Dupont (de l'Eure), Lamartine lut un 
exposé de la situation générale de la République tant 
au dedans qu'au dehors, écrit avec une rare magni- 
cence de style, et prononcé avec une éloquence pleine 
de force et de séduction. 

C'est le point culminant de l'extraordinaire fortune 
politique de ce grand homme. Lamartine était alors, 
on peut le dire après les élections enthousiastes dont 
il venait d'être l'objet dans dix départements, l'idole 
de la France entière. Nul ne pouvait penser à ce mo- 
ment que Lamartine fût exposé à perdre si tôt une 
popularité, un prestige, une autorité morale qui fai- 
saient de lui comme le véritable mandataire de l'As- 
semblée nationale et qui semblaient le désigner, dès 
que de la Constitution serait votée, comme le titulaire 
de la première magistrature de la République. Le dis- 



ASSEMBLÉE NATIONxVLE CONSTITUANTE 63 

cours qu'il prononça comme ministre des affaires étran- 
gères du gouvernement provisoire fut une paraphrase 
du célèbre Manifeste aux puissances dont toute TEu- 
rope se montra si émue et si charmée, dans les premiers 
mois qui suivirent la Révolution de Février. De toute 
la politique de 1848, rien n'a vieilli autant que la 
politique extérieure. A l'heure qu'il est, c'est à peine si 
l'on peut comprendre tant de naïveté dans la grandeur, 
tant de générosité dans l'illusion! Mais pour qui 
veut se pénétrer des sentiments de la France, à cette 
époque véritablement unique dans notre histoire, 
rien n'est plus nécessaire à lire et à méditer que 
cet exposé de la politique extérieure de Lamartine, 
où Ton voit, comme en un tableau d'une magie mer- 
veilleuse, toutes les affaires de la diplomatie euro- 
péenne depuis 4815, et où la France, patrie de la dé- 
mocratie, est présentée aux nations sous les traits à 
jamais glorieux d'une féconde initiatrice des peuples 
au progrès et à la liberté. Encore une fois, rien ne 
subsiste de toute cette prodigieuse poésie politique, 
mais c'est le grand honneur de la France que d'avoir 
eu, ne fût-ce que pendant quelques heures de sa vie 
si agitée, un tel idéal à proposer au monde ! Jus([ue 
dans la postérité la plus reculée, l'humanité, dans 
ses aspirations vers la paix, la justice et la fraternité 
se souviendra de l'avoir entrevu, et qui sait si de telles 
visions n'éclairent pas d'une lumière prophétique les 
voies inconnues de l'avenir ? 

Les collègues de Lamartine eurent à retracer de- 
vant l'Assemblée, chacun pour sa part, le tableau de 
sa gestion ministérielle. Garnier-Pagès, ministre des 
finances, avait été fort attaqué. Il exposa Tadministra- 
tion financière des gouvernants de Février; pas une 
voix ne s'éleva dans l'Assemblée pour reproduire les 
méchantes et basses accusations de prodigalité, de 



6i LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

dilapidations que déjà la réaction lançait dans les 
journaux. Depuis lors, à deux reprises différentes, 
on a repris les comptes du gouvernement provisoire 
})our les vérifier, en réalité pour les éplucher et y 
découvrir, si cela était possible, quelque faute à signa- 
ler à la malignité publique; par deux fois, il a fallu 
reconnaître et proclamer la parfaite régularité, la 
sévère gestion, la prudence intelligente avec laquelle 
les républicains de 1848 avaient administré les 
finances de la France. Il en a été de même après la 
retraite du gouvernement de la Défense nationale en 
1871. A toutes les époques, la réaction monarchique 
se sert des mêmes armes contre les républicains. 
Mêmes accusations, mômes enquêtes et toujours 
mêmes résultats : les accusations retombent sur les 
accusateurs, sans les confondre et les réduire au 
silence. 

Ledru-Rollin, a son tour, lut le mémoire relatif à 
son administration. Son attitude nette et courageuse, 
son langage ferme et décidé causèrent une vive im- 
pression. En butte à de violentes attaques personnelles, 
il dédaigna de se défendre, mais il n'hésita pas à 
revendiquer la responsabilité de tous ses actes, et 
même de ceux des commissaires qu'il avait institués. 
H défendit ses amis, en les présentant < comme des 
soldats destinés à continuer et à propager la victoire 
du peuple > ; il défendit les « pouvoirs illimités > qu'il 
leur avait attribués, comme étant les seuls qu'on 
pût conférer, en face de l'imprévu, et sans nier que 
des fautes eussent été commises, il ne craignit pas 
d'appeler ses adversaires à se lever publiquement, 
dans l'Assemblée des représentants de la nation, afin 
de prouver qu'une seule atteinte grave eût été portée 
aux droits des citoyens. Personne ne répondit. 
Après Lamartine, ce fut Ledru-Rollin qui, de tous 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 65 

les membres du gouvernement provisoire, fat le plus 
applaudi. Il ne fit qu'une simple allusion aux calom- 
nies odieuses dont il était déjà Tobjet. 

« Dans les jours de trouble et d'inquiétude, dit-il, 
jour et nuit je veillais sans relâche. C'est par un dé- 
vouement absolu que je répondais aux infâmes calom- 
nies qui cherchaient à m'atteindre. Je n'ai jamais vu 
dans ce débordement sans exemple qu'une raison de 
plus pour défendre intrépidement une cause que la 
fureur de quelques insensés voulait compromettre en 
ma personne. J'ai eu confiance dans le bon sens de la 
nation, dans la justice de l'Assemblée, et j'ai pense 
que, soldat de la Révolution, je devais tout soulïrir 
pour elle, et ne pas perdre à relever d'odieux men- 
songes le temps précieux que son service réclamait 
tout entier. Du reste, tous mes actes sont publics, 
leur libre discussion vous appartient, et maintenant 
que votre souveraineté ine délivre du fardeau des 
affaires, toute calomnie privée me trouvera debout 
pour la confondre. > 

La grande majorité de l'Assemblée constituante 
était profondément honnête, et la sincérité hardie de 
ces paroles indignées d'un homme d'honneur ne pou- 
vait manquer de la toucher. Mais la haine politique 
ne désarme pas, et Ledru-Rollin, en dépit de son 
talent, de ses services et malgré toute sou élociucnce, 
ne parvint pas à dissii)er les préventions conçues 
contre lui par les républicains modérés. Ce fut un 
grand malheur, car c'est de là que datent ces défiances 
et ces rancunes qui ont divisé le ])arti républicain à 
toutes les époques, et môme dans les crises où il avait 
surtout besoin d'union. Ce sout les modérés de la Ré- 
publique qui ont à se reprocher d'avoir été les pre- 
miers à manifester cet esprit d'exclusion dont ils 
eurent à se plaindre plus tard d'avoir été y vç,l.\\w^'ïi> \ 



63 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

leur tour. La défiance est venue de ceux qui étaient 
les plus nombreux et les plus forts, et qui devaient 
au parti comme au pays, Texemple de la justice et de 
la patience. 

Le 8 mai, sur la proposition du représentant Dornès, 
un républicain de la nuance du National, TAssemblée 
déclara que le gouvernement provisoire avait bien 
mérité de la patrie : c'était la grande et heureuse 
formule des temps de la ])remière Révolution, celle 
dontles Assemblées républicaines usaient, quand elles 
avaient à remercier nos généraux de leurs services et 
nos soldats de leurs glorieuses victoires. 

('ne seule voix s'éleva dans l'Assemblée, pour pro- 
tester contre cette déclaration solennelle : c'était la 
voix d'Armand Barbés. Ce jour-là, cet homme si géné- 
reux ne fut pas juste, tout en croyant l'être. « Au nom 
du ])euple, dit-il, nous devons, avant d'adresser des 
remerciements au gouvernement provisoire, lui 
demander compte des massacres de Rouen. > Comment 
expliquer cette incartade déraisonnable? Hélas I on 
ne la comprendra que trop, (|uand on aura rappelé 
que la Société centrale républicaine présidée par Au- 
guste Blanqui avait fait parvenir au gouvernement 
])rovisoire, sous forme d'adresse, une sorte de somma- 
tion pour réclamer : 

1° La dissolution et le désarmement de la garde 
bourgeoise de Rouen ; 

2*^ L'arrestation et la mise en jugement des généraux 
et officiers de la garde bourgeoise et de la troupe de 
ligne qui ont ordonné et dirigé le massacre ; 

3° L'arrestation et la mise en jugement des soi-disant 
membres de la cour d'appel, séides nommés par Louis- 
Philippe qui, agissant au nom et au compte de la faction 
royaliste victorieuse, ont emprisonné les magistrats lé- 
gitimes de la citéet rempli les cachons de républicains; 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE (>7 

4*^ L'éloignement immédiat de Paris des troupes de 
ligne qu'en ce moment môme les réacteurs dressent, 
dans les banquets fratricides, à uneSaint-Harthélemy 
des ouvriers parisiens. 

Une semblable adresse, conçue eu termes aussi vio- 
lents, et qui répondait à un fait dé|)lorable de ^çucun^ 
civile par des excitations plus déi)lorables encon», en 
peignant la situation sous des couleurs sinistres, aurait 
dû certainement avertir Armand Barbes, si sou intelli- 
gence politique avait été à la Jiauteur de son dévoue- 
ment à la cause du peuple, du grave danger de susciter 
à cette heure un débat où les ])assions ne i)0uvaient 
manquer de s'allumer. Malheureusemejit, dans cette 
proclamation enflammée de la Société ceniralr, Harbés 
ne vit que Blanqui et l'ascendant que Hlanqui allait 
prendre sur la population des faubourgs. l)e|)uis long- 
temps, mais surtout depuis la publication dans la 
liecue rétrospective de pièces d'un caractère odienx, 
entachant l'honneur même de Blanqui et visiblement 
destinées à lui enlever l'estime de ses amis, la per- 
sonne encore plus que la politi(|ue d'Auguste Blanqui 
était devenue suspecte à Armand Barbes. (]e preux 
ne voulut pas permettre à un bon) me ([u'il tenait 
pour un traître, sans avoir d'ailleurs la preuve d(» sa 
trahis(m, d'usurper plus longtemps la confiance des 
soldats de la démocratie militante, et du moment ([ue 
Blanqui agitait le spectre des massacr<?s de Bouen, il 
lui parut que Barbes devait l'agiter aussi : rivalité mi- 
sérable, nuisible avant tout à la Bépubliquf», mais \um 
moins nuisible à l'action elïective du parti révolution- 
naire, qui acheva de se perdre dans roj)inion et ([ui 
contribua largement, par le discréditet l'impuissance 
où il tomba, à rendre certaines autant qu'inévitables 
les défaites qui devaient écraser le prolétariat français. 

Le gouvernement provisoire avait refusé de répondre 



68 LA SECO.NDE RÉPUBLIQUE 

à Tadresse delà Société centrale républicaine ; TAssem- 
blée nationale ne pouvait s'associer à la protestation 
d'Armand Barbes, à peine soutenu par quelques amis 
isolés. Senard fit un exposé des affaires de Rouen, et 
le ministre de la justice, Ad. Grémieux, annonça qu'une 
enquête était ordonnée sur ces événements. La pre- 
mière partie de la proposition du représentant Dornès 
fut adoptée, sans autre incident. L'indifférence de 
l'Assemblée devint un prétexte à de violentes récrimi- 
nations contre ces « faux républicains » qui sacrifiaient 
tout à leur passion de l'ordre, et ces récriminations ne 
furent pas étrangères aux mouvements tumultueux 
qui préparèrent la fatale journée du 15 mai. 

La proposition Dornès ne se bornait pas à remercier 
le gouvernement provisoire ; elle tendait à organiser 
le pouvoir exécutif qui devait lui succéder. 

C'était une question des plus importantes, et à la- 
quelle la majorité de l'Assemblée constituante n'était 
guère préparée. 

Trois systèmes de constitution du pouvoir exécu- 
tif étaient en présence. 

Quelques-uns pensaient qu'on pouvait laisser le 
gouvernement provisoire aux affaires jusqu'au vote 
de la Constitution. Ceux-ci étaient les moins nom- 
breux dans la majorité républicaine. Les républicains 
qui se prétendaient les plus avancés de leur parti ne 
pardonnaient pas aux hommes de Février ce qu'ils 
appelaient leurs faiblesses, leur manque d'initiative, 
leur abandon des principes, dissimulés sous les mots 
mal interprétés de prudence et de sagesse politique. De 
leur côté, les modérés du parti étaient résolus à faire 
sortir du gouvernement Louis Blanc et Albert, les 
hommes du Luxembourg, qui leur paraissaient repré- 
senter des tendances socialistes dont la République 
ne pouYSLÏi que souffrir. On ne pouvait renvoyer Louis 



ASSEMBLEE NATIONALE CONSTITUANTE 69 

Blanc et Albert sans renvoyer leurs collègues, et il 
était bon d'ailleurs que le gouvernement tout entier 
reçût l'investiture de TAssemblée nationale. L'idée de 
garder aux affaires les hommes de Février fut donc 
écartée presque tout d'abord. 

D'autres, fidèles aux traditions révolutionnaires, 
estimaient que l'Assemblée étant souveraine devait 
garder par devers elle tous les pouvoirs, l'exécutif 
comme le législatif, et gouverner comme avait autre- 
fois gouverné la Convention nationale, dans la plus 
terrible des crises, au moven de comités constitués 
dans son sein. Cette opinion, combattue par Jules 
Favre et par Lamartine, fut très faiblement soutenue 
par ses rares partisans, qui ne trouvèrent aucun 
homme politique de quelque expérience pour la dé- 
fendre. Au grand regret de ceux qui la professaient; 
elle ne réussit pas à prévaloir, et ce fut le point de 
départ d'insinuations et même d'accusations dont 
profitèrent seuls les ennemis de la République : on 
commença à dénoncer les ambitions en jeu et à dire 
que la guerre des poptefeuilles allait reprendre sous 
la République comme sous la monarchie parlemen- 
taire. La fâcheuse manie d'imitation qui a de tout 
temps porté certaine fraction du parti républicain à 
s'inspirera tort et à travers de ceux des actes de notre 
première Révolution qui peuvent le moins être donnés 
en exemple, tant ils ont un caractère vraiment extraor- 
dinaire et ressortissant aux circonstances spéciales 
(jui les ont produits et les expliquent; cette déplorable 
l>assion de certains hommes qui les pousse, malgré 
leur ignorance et leur faiblesse, à prendre dans la Ré- 
volution française des modèles qu'ils ne sauraient 
égaler; ces réminiscences intempestives ; ces évoca- 
tions inutiles et dangereuses, tout cela dure encore 
dans certains milieux de la démocratie frau^^vç»^ ^v^^i- 



70 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

temporaine. Le parti républicain en a souffert plus 
qu'il ne le pense dans le passé ; il en souffrira encore 
dans l'avenir, s'il n'arrive pas à se convaincre que la 
France demande avant tout aux institutions libres de 
la démocratie de s'ajuster avec souplesse, comme un 
vêtement aisé, aux besoins politiques et sociaux des 
générations actuelles. Sans renier aucune tradition, 
on est en droit d'exiger avant tout d'un gouvernement 
qu'il soit de son temps, et non d'un passé qui ne sau- 
rait renaître. 

D'ailleurs la confusion du législatif et de l'exécutif 
dans une Assemblée unique et souveraine, c'est à peu 
près l'établissement de la tyrannie la plus redoutable, 
celle d'un pouvoir à neuf cents tètes qui échappent 
à la responsabilité de leurs actes par leur nombre 
même, et toujours promptes à se laisser entraîner soit 
à leurs propres émotions, soit à la séduction de quel- 
que favori de la foule, soit enfin à l'adoration de la 
force dans la personne de quelque aventurier toujours 
prêt à faire un mauvais coup. 

Enfin, le plus grand nombre des républicains de 
l'Assemblée se montrait disposé à déléguer le pouvoir 
exécutif à plusieurs citoyens. Quant à le déléguera un 
seul, personne n'y pensa. On était encore trop près 
du temps où la royauté faisait sentir son pouvoir per- 
sonnel, et l'on craignait de paraître, même indirecte- 
ment et par voie oblique, relever la monarchie. 

La proposition Dornès ne se contentait pas de sug- 
gérer à l'Assemblée nationale le dessein de confier le 
pouvoir exécutif à une commission de cinq membres; 
elle indiquait les noms de ces cinq membres : c'étaient 
Lamartine, Ledru-Rollin, François Arago, Garnier- 
Pagès et Marie. 

Ce n'était pas sans difficultés que le représentant 
Dornès était parvenu à mettre sur la même liste les 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 71 

noms de Ledru-RoUin et de Lamartine. Les républi- 
cains partisans de la Commission executive n'avaient 
adopté cette combinaison politique et toute de cir- 
constance qu'avec Tarrière-pensée d'infliger à la po- 
litique de Ledru-Rollin et de ses amis du journal 
la Réforme, un désaveu éclatant au profit de la poli- 
tique du National et de Lamartine, que les modérés^ 
avaient proclamé leur cbef. Ces républicains étaient 
à peu près les seuls qui eussent jusqu'alors réussi 
à se grouper, à se réunir, à se concerter dans des 
conférences extra-parlementaires, qui se tenaient 
dans la salle dite de Mirabeau du l^alais-Bourbon. 
On proposa à Lamartine de figurer en tùte de la liste,, 
sans que le nom de Ledru-Rollin y fût porté; il 
répondit par un refus formel, et sa résistance fut 
invincible. Peu d'actes de la vie publique de Lamar- 
tine l'honorent autant que celui-là devant Thistoire. 
Il ne voulut pas se séparer de Ledru-llollin, au mo- 
ment même où celui-ci était chargé des plus noires 
calomnies, et accusé des plus grosses fautes en même 
temps que des plus imj)ardonnables scandales. Il se 
souvint, à cette heure critique, de la parole i)leine 
de mélancolie que Ledru-Rollin lui avait dite le !24 fé- 
vrier, dans le trajet de la Chambre des députés à 
l'Hôtel de Ville, quand ils s'y rendirent, au milieu 
des acclamations de la foule, pour reconnaître la Ré- 
publique: « Ami! nous montons au calvaire! » Lamar- 
tine ne se décida pas seulement par des raisons venues 
du cœur, mais aussi par des raisons iK)litiques. Il 
comprenait mieux que personne l'intérêt de premier 
ordre qu'il y avait pour le parti républicain à ne 
point se perdre dans la voie fatale qui mène à l'im- 
puissance parla division; il prévoyait que la Répu- 
blique allait avoir besoin de toutes ses forces; et 
d'ailleurs, comment pouvait-on supposer que Lamar- 



72 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

tine, témoin des elïorts sincères de Ledru-Rollin, pour 
maintenir Tordre dans la journée du 16 avril, consen- 
tirait à se séparer de lui, à la veille de manifestations 
qui s'annonçaient comme plus menaçantes? Mais, 
encore une fois, ce n'est pas môme cette raison d'ordre 
public qui a décidé Lamartine à placer sur le môme 
rang que lui-même son collègue de l'intérieur, c'est 
la raison supérieure de l'union nécessaire du parti 
républicain. Il s'en expliqua en termes admirables, 
dans le discours qu'il prononça devant TAssemblée. 

« Eli ! quoi ! dit-il, nous avons traversé deux mois 
€t demi des situations les plus cHtiques où jamais des 
bommes politiques se soient rencontrés ; nous avons 
été portés, il y a deux mois et demi, parTacclamation 
du peuple, le 24 février, ensemble à l'Hôtel de Ville. 
Le peuple, avec un instinct admirable peut-ôtr^, ci- 
toyens, n'a pas cboisi un seul parti pour lui confier 
ses destinées ; le peuple a pour ainsi dire choisi tous 
les partis notables qui formaient alors le fond commun 
des opinions, tous les hommes qui lui ont inspiré, soit 
par leur énergie, soit par leur modération, soit par 
leurs lumières, soit par leur intelligence présumée, la 
plus grande dose de confiance, et il a dit à toutes ces 
nuances, il Fa dit par le fait, s'il ne l'a pas dit par la 
parole; il a dit à toutes ces nuances d'opinions, de 
volontés confondues par le môme intérêt : Ralliez- 
vous, unissez-vous, oubliez vos dissidences, s'il y en a ; 
consacrez-vous comme un seul corps et une seule âme 
au salut public : c'est là un océan capable d'immerger, 
tous les dissentiments qui sont entre vous. C'est là ce 
que nous avons fait. C'est là ce qu'a fait le peuple. 
Faites comme lui et comme nous. » 

Ce langage fut entendu de l'Assemblée. Hélas ! ou àe 
peut pas ajouter qu'il fut compris dans toute sa lar- 
geur de vues et de sentiments. Le 10 mai, le scrutin 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 



73 



s'ouvrit pour la nomination des membres de la Com- 
mission executive. François Arago réunit 723 voix 
sur 794 suffrages exprimés ; Garnier-Pagès en obtint 
715 et Marie 702 ; Lamartine tombait à 643 voix et 
Ledru-Rollinà 4d8. Ce scrutin était significatif. Il prou- 
vait, d'une part, que les hommes des anciens par- 
tis avaient saisi Toccasion d'opposer les uns aux 
autres les républicains du gouvernement provisoire 
et, d'autre part, que Lamartine, pour avoir identifié sa 
cause àcelle de Ledru-Rollin, avait encouru la disgrâce 
de son propre parti. A partir de ce jour, en efïet, la 
popularité de Lamartine déclina visiblement. Il avait 
rendu un suprême service, en signalant la politique 
d'union républicaine comme la sauvegarde néces- 
saire des institutions que Ton se préparait à fonder ; 
l'ingratitude fut sa récompense. 

Quant au parti républicain traditionnel dont Ledru- 
Rollin pouvait à bon droit passer pour le chef, il se 
trouva justement blessé de la suspicion dont il venait 
d'être frappé. On alla même, dans les rangs de ce parti, 
jusqu'à blâmer Ledru-Rollin d'accepter de faire partie 
de la Commission executive, comme s'il lui eût été pos- 
sible à son tour de se séparer de Lamartine, après ce que 
ret illustre et désintéressé citoyen venait de faire pour 
lui î Ledru-Rollin, qui était d'un caractère faible sous 
des apparences énergiques, se défendit contre les re- 
proches qui lui étaient adressés, en prétendant qu'il 
n'était entré dans la commission executive que dans 
l'espoir de balancer dans le gouvernement l'influence 
réactionnaire de Garnier-Pagès et de Marie. Une telle 
défense est pitoyable. Mieux eût valu cent fois s'asso- 
rier àla grande etgénéreuse pensée d'union de Lamar- 
tine; mais cette abnégation de soi-même et de son 
propre parti n'était pas à attendre d'un homme qui 
n'avait, comme Ledru-Rollin, que des d\s\)Os\\X.^\i^ 

£. SPULLEff. — SEC, ItÊP, ^ 



74 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

trop marquées à voir un rival en son illustre collègue, 
et qui d'ailleurs se faisait une telle idée de la pureté 
républicaine que les adhésions au gouvernement nou- 
veau ne pouvaient être trop passées au crible, avant 
d'être accueillies. 

On a prétendu que si Ledru-Rollin, au lieu d'ac- 
cepter les fonctions de membre de la Commission 
executive, était revenu à son banc dans l'Assemblée, 
d'abord il ne se fût pas annulé, -^ car son influence, 
à ce que l'on assure, se trouva nulle parmi ses col- 
lègues de la Commission, — et qu'ensuite, il eût 
donné à son parti un chef qui lui manquait. Mais 
après tout ce qui est arrivé, comment supposer que 
Ledru-Rollin, redevenu simple représentant du peu- 
ple, n'eût pas subi le sort des autres Jiommes du parti 
de l'action que leurs ennemis arrachèrent à leur 
mandat pour les jeter dans l'exil ? Ledru-Rollin avait 
une vue plus juste, quand il pensait aux avantages 
que son i)arti pouvait recueillir de sa présence au 
pouvoir. A cette époque, le parti républicain était 
pour ainsi dire étranger au maniement des affaires, 
et Ledru-Rollin visait à l'y initier, mais il était peu 
ou mal compris des siens. C'est, en effet, une opinion 
qui a longtemps eu cours dans les fractions les plus 
avancées de la démocratie, qu'un vrai républicain ne 
doit toucher que le moins possible au pouvoir, ins- 
trument de corruption qui altère la pureté des prin- 
cipes, en forçant à des transactions où la démocratie 
perd plus (fu'elle ne gagne. En 1848, cette fausse 
doctrine était en pleine faveur. Elle n'a pas médio- 
crement contribué à retarder la métamorphose néces- 
saire du parti réi)ublicain, et ce n'est pas sans peine 
(|ue, de parti d'opposition, il deviendra parti de gou- 
vernement. 
La Commission executive à peine constituée forma 



ASSEMBLÉE îiATIONALE CONSTITUANTE 75 

tm cabinet composé de ministres responsables comme 
elle-même devant l'Assemblée : c est le premier cabi- 
net parlementaire de la seconde République. La Com- 
mission choisit pour ministres : Grémieux à la justice, 
Bastide aux affaires étrangères, Tamiral Cazy à la 
marine, Recurt à l'intérieur, Garnot à l'instruction 
publique, Ulysse Trélataux travaux publics, Flocon à 
l'agriculture, Duclerc aux finances, Bsthmont aux 
cultes. Jules Favre, Gharras, Garteret, Jean Reynaud 
devinrent sous-secrétaires d'État des affaires étran- 
gères, de la guerre, de l'intérieur et de l'instruction 
publique. Enfin, le général Eugène Gavaiguac, qui 
était encore en Afri([ue, où il exerçait les fonctions 
de gouverneur général de l'Algérie, fut nommé, quel- 
(jues jours après, ministre de la guerre. 

Le nouveau pouvoir exécutif eut la malheureuse 
inspiration de prendre pour résidence le palais du 
Luxembourg, d'où venait de sortir la Commission des 
travailleurs dont Louis Blanc avait apporté la démis- 
sion à la tribune de l'Assemblée nationale, le môme 
jour que le gouvernement provisoire avait donné la 
sienne, comme si la commission du Luxembourg et 
le gouvernement ])rovisoire de l'Hôtel de Ville eussent 
dû être placés sur la môme ligne ! C'était là une do ces 
])etites manifestations à effet, comme les aimait Louis 
lUanc et qui plaisaient à sa clientèle. Il ne voulut 
l>as (juitter le pouvoir, sans tenter un dernier effort 
en faveur de ses théories de réorganisation sociale. 
Dans cette môme séance du 10 mai, il proposa à l'As- 
semblée nationale la constitutiond'un ministère du 
Progrès, dont sans doute il rêvait d'être le premier 
titulaire. Ou a vu que Louis Blanc, pendant toute la 
dictature du gouvernement provisoire, s'était efforcé 
de déterminer ses collègues à prendre, par voie de 
décrets, dans l'ordre économi^iue et social, des mesures 



76 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

destinées à compléter la révolution accomplie dans 
Tordre politique. Il voulait que Ton usât de tous les 
moyens à la disposition du pouvoir pour faire ce qu'il 
appelait des réformes. Il croyait à ces réformes avec 
une sincérité, une ingénuité même qui]désarment toute 
critique. L'instrument à l'aide duquel tous ces décrets 
devaient être forgés était précisément ce ministère du 
Travail et du Progrès dont il demandait la création, 
comme s'il suffisait d'un chiffon de papier, avec une 
signature au bas, pour changer d'un trait de plume 
les condilions de la vie économique et sociale d'une 
vieille nation, émancipée de la veille, à peine en pos- 
session d'elle-même, et comme si le progrès, qui 
hélas î ne s'opère que sous les coups de la nécessité, 
ne devait pas être payé par l'Jiumanité au prix qui 
n'est jamais trop cher de l'expérience et du temps ! 

Le discours ([ue prononça Louis Blanc, pour ap- 
puyer sa proposition, rencontra dans l'Assemblée un 
accueil plein de malveillance. C'était une grande injus- 
tice, car l'Assemblée se devait à elle-même, autant 
qu'elle le devait aux travailleurs, un examen impar- 
tial et approfondi d'une question qui touchait au côté 
le plus brûlant de la révolution de Février, le côté 
social et réformateur. Ce n'est pas que, sur les bancs 
de l'Assemblée, il n'y eût point une majorité d'hommes 
(le bonne foi et de bonne volonté, résolus à tenir les 
promesses qu'ils avaient faites, dans leurs professions 
de foi aux électeurs, de mettre au premier rang de 
leurs études et de leurs travaux toutes les propositions 
et projets de lois intéressant la condition morale et 
matérielle de la classe la plus nombreuse et la plus 
pauvre : lès questions sociales étaient donc assurées 
(le ne point trouver l'Assemblée indifférente, mais la 
proj)osition de Louis Blanc la trouva fort hostile. 

C'est que Louis Blanc, sans le vouloir, sans même 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 77 

s'en douter, avait trouvé, dès le début de son discours, 
le moyen le plus sûr d'indisposer TAssemblée, en se 
présentant comme plus soucieux que personne des 
intérêts et du sort des travailleurs. A Tentendre, il 
était le seul qui portât de ce cAté son attention ; et, à 
ce propos, il ne craignit pas de se désigner lui-même, 
dans une série de récriminations aigres et person- 
nelles, comme une véritable victime dévouée à la 
haine des chefs de l'aristocratie capitaliste, indus- 
trielle et propriétaire, et de parler av(»c une sorte 
d'exaltation tout à fait déplaisante de son tendre et 
profond amour du peuple qu a lui seul il montrait 
le naïf oi^ueil de représenter et de défendre. L'Assem- 
blée n'entendit pas les choses vraies que Louis 
Blanc pouvait dire; elle ne s arrêta ([u'aux choses 
irritantes. De toutes parts, on lui criait : t Nous 
sommes tous ici pour le peuple, nous sommes tous 
ses représentants au même titre que vous ! Vous 
n*avez pas le monopole de l'amour du peu[)le ; nous 
sommes tous ici iK)ur la question sociale ; nous 
sommes tous venus au nom du peuple; toute l'As- 
semblée est ici pour défendre les intérêts du peuple ! > 
Sur la question même de la création du ministère 
du Travail et du Progrès, ce fut, par une étrange iro- 
nie du destin, un ouvrier horloger, un membre de la 
commission des travailleurs du Luxembourg, Peupin, 
homme nouveau, d'une grande ambition et suspect 
d'ailleurs de connivence avec la réaction commen- 
çante, qui répondit à Louis Blanc, écrivain bourgeois 
transformé en tribun du peuple. ]Vu])in déclara qu'il 
n*était pas nécessaire de créer un ministère du Pro- 
grès, {larce qu'il ne connaissait pas de ministère de 
la routine, et que d'ailleurs le ministère des travaux 
publics bien dirigé corres|>ondait aux nécessités signa- 
lées par Louis Blanc. Il demanda la seule mesure que 



78 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

r Assemblée fût prête à voter en un tel moment, une 
enquête sur la situation des travailleurs. L'Assem- 
blée adopta cette proposition et rejeta celle de Louis 
Blanc, qui sortit de la séance exaspéré. Le soir, dans 
les clubs et les rcuuious ouvrières de Paris, rémo- 
tion fut extrême. Les nuages noirs s'accumulaient à 
rhorizon, et, par une sorte de fatalité, il semblait 
que personne ne voulût les voir. 

A toutes les causes de malentendus, de défiance et 
de révolte qui existaient déjà entre la population 
révolutionnaire de Paris et TAssemblée nationale, qui 
ne soupçonnait pas les périls dont subitement elle 
allait être environnée, vint s'en ajouter une autre, la 
question de politique extérieure inopinément posée 
par une interpellation du représentant Wolowski sur 
les affaires de Pologne. 

D'une voix tonnante, un républicain du Loiret, 
Ducoux, avait crié dans l'Assemblée nationale de 
France : « Ne ferons-nous donc jamais rien pour les 
peuples ? » 

Sur cette parole grosse de dangers, rinterpellation 
avait été fixée d'un commun accord au lundi 45 mai. 



III 

L'attentat du (Juinze-Mai. — Sa cause véritable. — ManîTeslation 
en faveur de la Pologne. — Invasion de TAssemblée. — Au- 
guste Blanqui et Armand Barbes. — Uuber prononce la disso- 
lution de rAssemblée. — Reprise de la séance. — Commence- 
ments de la Républiqne honnête et modérée. 

La date du lo mai demeure, dans l'histoire de la 
seconde République, où il y a tant de fautes et de 
malheurs à signaler, la date fatale entre toutes. Dans 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 79 

cette journée funeste, c'est la révolution de Février 
elle-même qui se trouva mise en question, avec la 
grande conquête politique et sociale, le suffrage uni- 
versel, que cette révolution avait apportée à la France. 
Aucun événement, quel quMl fût, ne pouvait profiter 
davantage aux anciens partis qui virent clairement ce 
jour-là que la République nouvelle, n'étant ni comprise, 
ni respectée du peuple, ne tarderait pas à succomber 
sous les erreurs et les divisions de ses défenseurs en- 
core plus que sous les elïorts de ses ennemis. Quant au 
parti républicain, considéré dans toutes ses nuances, 
il ne laissa voir que la plus complète inintelligence 
de ses intérêts politiques, dans cette mêlée confuse 
où c'est à peine si l'on entendit parler du principe 
sacré de la souveraineté nationale indignement foulé 
aux pieds dans la personne des représentants élus 
librement par la France. Si les républicains avaient 
compris leur intérêt comme leur devoir, l'Assemblée 
nationale devait être pour eux ce qu'est pour les mo- 
narchistes, le roi, l'empereur, le prince, l'homme, en 
un mot, qui personnifie le pouvoir traditionnel, une 
personne inviolable et à laquelle on ne peut toucher, 
sans susciter les plus graves désordres. L'Assem- 
blée, c'était la loi vivante ; or, dans la République, il 
n'y a rien, il ne peut rien y avoir au-dessus de la loi, 
rien, pas même le peuple, qui doit obéissance à la loi, 
fût-elle injuste, tyrannique et mauvaise, jusqu'à ce 
qu'elle ait été changée. 

Ou a recherché souvent les causes de la journée du 
io mai. Il n'y en a qu'une, en laissant de cùté les causes 
occasionnelles, les faits contingents qui ont préci- 
pité la crise; et cette cause, c'est la conception fatale 
d'un prétendu droit révolutionnaire, selon lequel le 
€ Peuple » — et par là nous savons qu'il faut entendre 
la fraction de la population de Paris engagée dans les 



80 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

luttes du parti de ractîon — peut être appelé à se 
substituer violemment, par la force, à la représen- 
tation nationale. Successivement, pendant la dictature 
du gouvernement provisoire, les divers groupes 
d'hommes ardents autant que résolus, entre lesquels 
se partageait le parti républicain militant, avaien 
organisé des manifestations d'apparence pacifique^ 
mais qui avaient toutes cette signification révolu- 
tionnaire, que Paris reprendrait les armes, si la révo- 
lution était encore une fois enrayée, détournée de son 
cours, comme elle Tavait été après juillet 1830, et 
confisquée au profit des classes dirigeantes, au lieu de 
demeurer la conquête du peuple. Tous les groupes ré- 
publicains, aussi bien les hommes qui se réunissaient 
au ministère de l'intérieur sous les auspices de Ledru- 
Rollin que les clubs présidés par les notabilités du 
parti de l'action, comme la Société centrale républicaine 
présidée par Auguste Blanqui, tous étaient con- 
vaincus que si l'Assemblée sortie des urnes du suffrage 
universel manquait à sa mission, réformatrice selon 
les uns, révolutionnaire selon les autres, le peuple 
avait le droit et le devoir de reprendre le fusil. Le 
sens profond de la révolution de Février leur échap- 
pait aux uns comme aux autres. Tout serait à recom- 
mencer, disaient-ils, si l'on se trouvait en présence 
d'une « fausse représentation nationale >. La simple 
conception d'une telle idée montre que, aux yeux 
mêmes de ses plus ardents serviteurs, la République 
de 1848 ne reposait pas sur le droit, mais sur un simple 
fait qui pouvait s'efiacer devant un autre fait plus 
récent. Par là, cette République était fatalement con- 
damnée à périr, et c'est ce qui résulte de la misérable 
aventure du 15 mai, celle de toutes les dates révo- 
lutionnaires que les républicains doivent le plus hau- 
tement répudier et maudire. 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 81 

Ce qui est moins extraordinaire que l'aberration 
qui jeta dans la rue et jusque dans Tenceinte de TAs- 
semblée nationale toute une population affolée, incons- 
ciente et, au fond, beaucoup moins menaçante pour la 
sécurité des personnes et des biens que la réaction ne 
s'est plu à la représenter, ce sont les nombreuses cir- 
constances de fait qui expliquent le 15 mai, sans \pf 
justifier. Il y avait dans Paris, à cette date, toutes 
sortes de raisons pour craindre à la fin que le peu[)le, 
perdant patience, ne se laissât entraîner aux excita- 
tions journalières dont il était l'objet. Louis Blanc, en 
terminant son discours sur la création du ministère du 
Progrès, avait dit un mot terri})Ie, bien qu'il fût visi- 
blement exagéré : « Citoyens, c'est à nous de rendre 
impossible la révolution de la faim î » La vérité est 
que, depuis trois mois, toutes les affaires étaient arrê- 
tées; l'industrie, frappée de jiaralysie par le défaut de 
commandes; le commerce, nul; la confiance et le 
crédit, de plus en plus faibles, pour ne pas dire dé- 
truits. Mais la misère proprement dite n'était pas au 
degré que l'on a prétendu. La création si violemment 
critiquée des ateliers nationaux, avec le caractèio 
qu*on leur avait donné, avait du moins fourni le 
moyen de venir en aide à une foule nombreuse d'ou- 
vriers qui, grâce à la paie bobdomadaire, pouvaient 
subvenir aux besoins de leurs famillos. Ou vantail 
d*ailleurs l'esprit d'ordre et les sentiments de respect 
de la légalité qui animaient les ouvriers enrégimentés 
dans les ateliers nationaux; et, ({uant au gros de la 
population parisienne, on savait, par l'expérience des 
journées du 17 mars et du 16 avril, qu'elle était fort 
éloignée de prêter sciemment son concours à des ma- 
nifestations compromettantes pour les institutions 
républicaines qu'elle avait fondées. 

Le Quinze-Mai ne i^eut donc pas être considéré 

5. 



82 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

comme un soulèvement du peuple poussé à bout par 
la souffrance. La plus grande obscurité a longtemps 
régné sur les vraies origines de cette échauJSourée à 
jamais déplorable. Le parti républicain n'ayant pas 
tardé à reconnaître, sans Tavouer jamais, que la Ré- 
publique avait été, ce jour-là et par sa propre faute, 
frappée d'une atteinte mortelle, toutes les fractions de 
ce parti ont cherché à Tenvi à rejeter cette faute les 
unes sur les autres ; et comme cet échange de récri- 
minations et de reproches s'est produit dans une 
grande procédure judiciaire, où la discussion contra- 
dictoire était souvent impossible; comme les accusés 
du procès de Bourges ont été pour la plupart condam- 
nés et qu'il eût paru indigne de les accabler dans 
leur infortune, en mettant en contradiction leurs dé- 
clarations évidemment intéressées, l'affaire du Quinze- 
Mai resta enveloppée de mystérieuses réticences, 
souvent calculées et volontaires. 

Une opinion qui eut longtemps cours, c'est que le 
Quinze-Mai avait été organisé par la police. Cette opi- 
nion s'accrédita d'un mot de F.-V. Raspail devant la 
Haute-Cour de Bourges qui, dans sa défense, présenta 
cette journée « comme un vaste coup de filet jeté dans 
le bourbier de l'Hôtel de Ville, pour prendre certains 
hommes, dont la droiture et la probité étaient aussi 
à craindre que leur dévouement à la République •>. 

Cette grande émeute n'aurait donc été qu'un piège 
perfidement imaginé, pour faire disparaître de la 
scène politique certains acteurs gênants, voire dange- 
reux, dont l'influence sur les foules, par leur action 
sur les clubs ou réunions populaires, empêchait et 
menaçait le fonctionnement de toute autorité régu- 
lière. H va sans dire que cette politique machiavélique 
fut attribuée aux républicains modérés par les révo- 
lutionnaires et les socialistes; mais, parmi lesrépubli- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 83 

cains modérés eux-mêmes, l'esprit de suspicion et dte^ 
défiance se plaisait à faire des distinctions et des caté- 
gories, afin de les séparer, de les opposer et de les 
animer à des luttes intestines, dont la République ne 
pouvait que cruellement pâtir. 

On voit ici, dans toute son affreuse nudité, Tune des 
plaies les plus hideuses qu'offre le passé de notre 
parti aux regards attristés du moraliste et de Tliisto- 
rien. 

Les républicains militants avaient passé leur 
jeunesse, sous la Restauration et la monarchie de 
Juillet, à conspirer la chute de la royauté, dans les 
conjurations des sociétés secrètes. Ces sociétés étant 
nécessairement restreintes, quelles que soient la vigi- 
lance des chefs et leur connaissance plus ou moins 
profonde des hommes et des passions qui les font 
agir, il s'y glisse toujours des traîtres ; et quand 
même il n'en viendrait pas du dehors, il s'en forme- 
rait au dedans par le seul effet de la surveillance étroite 
et jalouse que les associés exercent fatalement les uns 
sur les autres, pour la plus grande sécurité, non pas tant 
de leurs personnes que de l'entreprise à poursuivre. 
Ainsi la crainte des délateurs les fait naître, et la vie 
du conspirateur se passe à chercher, pour les enrôler, 
bien moins ceux qui, par leur intelligence, sont ca- 
pables de concourir utilement à l'œuvre commune 
que ceux qui, par leur caractère et leur obéissance, 
sont incapables d'en livrer le secret. De là, cette dis- 
position innée et commune à presque tous les hommes 
de l'ancien parti de Faction, à tenir leurs regards sans 
cesse tendus vers la police et à la voir partout. Dès 
qu'une opération, même la plus mal combinée, venait 
à manquer, c'était une coutume que d'accuser de cet 
échec les « mouchards » que l'on n'avait pas su démas- 
quer à temps. Bien plus, c'était une tendance invin- 



84 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

cible de Tesprit, puisque la police était partout, que 
de l'accuser, à tort et à travers, de « monter des coups » . 
de tendre des pièges, d'organiser des émeutes, véri- 
tables traquenards où le pouvoir comptait faire tomber 
ses adversaires, s'emparer de leurs personnes et les 
réduire à l'impuissance. Le parti républicain a long- 
temps porté la peine de cette infirmité du soupçon 
perpétuel et de la défiance souvent la moins raison- 
nable. Il a tenu de la sorte éloigné de lui nombre de 
bons citoyens, qui auraient pu grossir ses rangs beau- 
coup plus tôt et le relever de cet état de minorité gé- 
néreuse et chevaleresque,mais insignifiante par le 
nombre, qui a eu tant de mal à faire triompher sa 
cause. 

Parmi les républicains de cet âge, F.-V. Raspail 
était le plus disposé par les accidents de son existence 
si éprouvée comme par son tempérament naturel 
à se laisser tourmenter de la crainte de la police. Il 
poussait cette crainte jusqu'à la monomanie : elle ne 
l'a jamais quitté, pas même dans les derniers temps 
de sa vie si longue. Avec tout le respect qui est dû à 
une intelligence supérieure sous tant de rapports, 
on peut dire que F.-V. Raspail s'est trompé sur le 
rôle de la police au Quinze-Mai, ainsi que dans beau- 
coup d'autres occasions semblables, mais d'une 
moindre importance. La police, en ce temps-là comme 
dans tous les temps, n'avait ni les moyens qu'on lui 
prête, ni l'habileté, ni le temps de les mettre en œuvre, 
bien qu'elle fût aux mains de Caussidière, un homme 
rusé et fertile ep ressources, qui a laissé, dans le corps 
môme des fonctionnaires et des agents de la police, 
une réputation de finesse et d'énergie peu communes. 
Les agents de Caussidière ne pouvaient se flatter de 
mettre en mouvement à un jour donné tout le person- 
nel des clubs et des réunions populaires de Paris, et 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 85 

c'est ce mouvement qui a fait la manifestation du 
Quinze-Mai, sans parler de cette foule inconsciente et 
innombrable qui échappe à toutes les sugîçestions et 
n'obéit guère qu'à des inspirations spontanées. 

Mais, dans ces foules mêmes, surgissent des me- 
neurs, qui souvent ne sont que des personnages subal- 
ternes et n'en jouent pas moins un rôle des plus consi- 
dérables. C'est l'autorité extraordinaire dont jouissent 
ces inconnus de la veille, destinés à redevenir des 
inconnus le lendemain, qui fait croire à quelque orga- 
nisation secrète, à des machinations savamment com- 
binées, et lorsqu'à la tète du mouvement, ou aj)erçoil 
une ou plusieurs personnalités déjà suspectes, il n'en 
faut pas davantage pour accréditer l'opinion (jue l'ex- 
plosion des sentiments populaires a été le résultat d'ar- 
rangements d'une perfidie égale à leur i)erversité. Au 
15 mai 1848, on vit reparaître sur la scène un homme, 
autrefois condamné comme républicain militant et 
gracié par Louis-Philippe, soupçonné d'avoir livré le 
secret de complots auxquels il avait pris une part 
active, et qui n'était rentré qu'après la révolution de 
Février : c'était Huber, ({ui sollicita jjIus tard sa grâce 
de la clémence de Louis-Napoléon, après le couj^ 
d'État du Deux-Décembre. Certes, cet homme peut 
être considéré comme ayant eu la part principale dans 
cette journée funeste, puisque, dans le tumulte de 
l'invasion de l'Assemblée, c'est lui qui prononça le 
mot fatal et décisif de dissolution; mais, la veille 
même, en avertissant Armand Marrast, — ce qui 
donna lieu de soupçonner Marrast comme tant d'au- 
tres — du mouvement qui se préparait, il lui pro- 
mettait, comme si tout eiU dépendu de lui, que la ma- 
nifestation serait pacifique; et en eflet, tout i)orte à 
croire que, si Huher fut un dos premiers à vouloir 
cette manifestation, à la prêcher, à l'organiser même 



86 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

<lans le club central, dont il était président, il n'a ja- 
mais eu de raisons de lui enlever le caractère de 
xlémonstration légale qu'il se proposait tout d'abord 
de lui maintenir. 

Dans de semblables mêlées, les intentions ne 
comptent pas, car les événements dominent les 
hommes, même quand ils semblent les plus résolus 
et les plus complètement maîtres de leur action. A plus 
forte raison, les individus faibles, livrés à toutes les 
incertitudes de leur esprit comme à tous les caprices 
d'une foule qu'ils sont incapables de maîtriser, flot- 
tent-ils, ainsi que des épaves, dans ces marées hu- 
maines. C'est ainsi que, dans le court intervalle de 
quelques heures, on en voit qui changent tout à coup 
de rôles et qui, de modérateurs de la multitude, de- 
viennent subitement des agitateurs forcenés : tel, par 
«exemple, Barbes, représentant de l'Aude, qui oublia 
son mandat, son devoir de membre de l'Assemblée, 
pour prendre la tête du mouvement, dès qu'il put 
soupçonner que Blanqui allait être investi d'une dic- 
tature, qui lui apparaissait comme la perte de la Répu- 
blique ; tel encore, Louis Blanc, qui harangua la foule 
•envahissante à la grande satisfaction de ses collègues, 
lieureux de le récompenser par leurs applaudisse- 
ments de ce grand service, et qui, à la fin de la jour- 
née, rentrant au Palais-Bourbon, alors que tout danger 
était passé, ne rencontra, parmi les gardes nationaux 
entassés dans les couloirs et même parmi les républi- 
cains de l'Assemblée, qu'une foule en délire, affamée 
de vengeance, et prête à se porter sur sa personne aux 
violences les plus honteuses, comme s'il eût été cou- 
pable de tous les méfaits qu'il n'avait pu empêcher. 

La conspiration contre l'Assemblée n'était donc ni 
le fait de la police, ce qui n'a aucun sens; ni le fait 
de quelques meneurs, ce qui n'était au pouvoir d'aucun 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 87 

d'eux, VU le nombre inouï de citoyens qui prirent part 
à la manifestation; ni même le fait de la foule, qui 
certainement ne se serait pas associée à cette révolte 
contre la représentation nationale, si par impossible 
on lui eût fait entrevoir les conséquences d'uu mou- 
vement aussi gros de conséquences, toutes fatales à la 
République. Mais si Ton peut ainsi parler, la conspi- 
ration n'en était pas moins dans la conscience géné- 
rale de la multitude. Cette foule était très dévouée aux 
institutions de Février, mais tout à fait ignorante et 
irrespectueuse des droits du suffrage universel, dont 
l'Assemblée était l'émanation. On avait tant de fois 
dit, et sous tant de formes différentes, que Ton chas- 
serait cette « fausse représentation nationale, » si elle 
ne donnait pas des garanties à la Révolution, que Ton 
en vint, par une pente irrésistible, à la résolution de 
lui montrer, par une manifestation imposante, qu'elle 
était sous la main du peuple et dans sa dépendance. 

Le Quinze-Mai n'a point d'autre cause. 

Quant aux prétextes, ils abondaient. Chacune des 
fractions mécontentes du i)arti de l'action avait le 
sien : les révolutionnaires attachés à la fortune de 
chefs comme Auguste Blanqui, F.-V. Raspail, Sobrier 
et autres présidents de clubs, avaient à se i)laindre 
d'avoir été tenus à l'écart après les journées de 
Février; les socialistes, de voir méconnues et sus- 
pectes leurs aspirations vers des réformes qu'ils regar- 
daient comme nécessaires ; les ouvriers du Luxem- 
bourg, de l'ostracisme dont Louis Blanc et Albert 
venaient d'être frappés ; les amis de Ledru-Rollin, de 
la défaveur où il était tombé, ai)rès avoir donné tant 
de gages de son dévouement au régime nouveau; 
«eux de Lamartine lui-môme, de l'embarras où les 
incertitudes et les indécisions de l'Assemblée le te- 
naient, quand il était si nécessaire de gouverner avec 



88 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

toute la force et tout l'éclat d'un grand pouvoir : bref, 
il y avait de grands mécontentements, et c'était l'As- 
semblée qui, un jour ou Tautre, devait inévitable- 
ment en être la victime. 

Il fallait une de ces grandes affaires, à la fois vagues 
et poignantes, mal connues mais présentes à l'esprit 
de tous, qui déchaînent les passions et suscitent les 
mouvements tumultueux dans l'âme orageuse et pro- 
fonde du peuple. Elle se trouva comme à point 
nommé : ce fut la question de Pologne. 

L'infortune sans égale de cette héroïque nation 
polonaise, partagée toute vivante entre ses trois 
ennemis, les despotes du nord ; une longue confrater- 
nité d'armes entre nos soldats et ceux de la Pologne 
pendant les guerres du premier Empire; les insurrec- 
tions de ce i)euple résolu à ne point mourir, compri- 
mées dans le feu et dans le sang, sous les re^rds du 
monde étonné et attendri; une certaine similitude 
dans le caractère des deux nations comme dans leur 
religion, avaient créé en France une sympathie à 
ri'ij^ard de la Pologne, telle que c'était pour ainsi dire 
une affaire nationale que de savoir comment, par 
quels moyens, à quelle date on pourrait porter secours 
à celle que l'on appelait le Christ des nations, la 
France du nord. Lamartine avait compromis sa popu- 
larité au ministère des affaires étrangères, en répon- 
dant à une députation polonaise que la France se 
réservait le droit de choisir le moment où elle donne- 
rait le sang de ses enfants, môme pour une cause 
aussi chère. La Pologne ne s'en était pas moins sou- 
levée, et la répression était venue, comme toujours, 
impitoyable, sanglante, au moment où les autre9«fl^' 
tious de l'Europe, en révolte contre leurs princes, 
semblaient conquérir leur indépendance. La pitié 
française s'émut de tant de malheurs, de tant d'iniquité 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 89 

dans la destinée. Le jour où le représentant Wolowski 
demanda à interpeller le gouvernement à la tribune do 
l'Assemblée nationale, tous les clubs avaieutdéjù traitiV 
la question de Pologne et manifesté leur commiséra- 
tion, avec la violence la plus compromettante et mal- 
heureusement la pius inutile. 

Une première pétition avait été portée à TAssemblée 
par des députations, qui ne franchirent pas le pont de 
la Concorde. Cette pétition fut prise par le repré- 
sentant Vavin, qui la remit au président Bûchez, et 
la manifestation se dispersa. Nul doute que cette 
première démonstration n'ait endormi la vigilance 
générale dans la plus trompeuse sécurité. Cepen- 
dant on savait que tout danger n'était point passé, 
puisque le président fit rendre un décret pour être 
autorisé à requérir les troupes nécessaires à la garde 
de la représentation nationale, et un autre décret 
pour empêcher l'apport et la remise directe des péti- 
tions à TAssemblée. On comptait d'ailleurs sur la 
garde nationale, sur la préfecture de police, sur hi (>)m- 
mission executive. Par une extraordinaire fatalité, le 
général Courtais, dans la matinée du lundi 13 mai, per- 
dit, à la parade ordinaire, le temps précieux qu'il aurait 
dû employerà prendre les mesures nécessaires à la sé- 
curité de l'Assemblée; la préfecture de police, sous les 
ordres de Caussidiêre, laissa voir une indécision pro- 
longée, ce qui permit de croire que le préfet attendait 
de voirqai triompherait de Tordre légal ou de l'émeute 
révolutionnaire; enfin la Commif^sion executive, (-jm- 
finéedanslepalais du Petit Luxemtxiurg. ne se décida 
à faire battre le rapjiel que trop tard, quand l'attentat 
était consommé : triple coïncidence qui fit dire a 
nombre de gens qu'il n'y à rien à faire jx/ur enji>é- 
cherce qui doit arriver- 

Et ceiMfDdaut, à diverses reprise^, dau^ la journée. 



90 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

il avait été possible d'imprimer un sens et un caractère 
tout différents à un mouvement populaire, qui ne pro- 
cédait pas d'une pensée nette et précise et qui se 
trouva plusieurs fois sans direction. 

Dès le matin, la place de la Bastille se trouva cou- 
verte de groupes. Bientôt, ce fut une masse com- 
pacte et qui paraissait indisciplinée, quoique Ton 
eût remarqué que des places avaient été assignées 
dans le cortège que l'on voulait former à des corpo- 
rations ouvrières, à des sociétés politiques avec leurs 
bannières déployées, et bien que le mot d'ordre général 
fût simplement d'apporter à l'Assemblée nationale 
des pétitions demandant une intervention de la 
France en vue du rétablissement de la Pologne. 

On se mit en marche, par les boulevards, vers onze 
heures. A la hauteur de la rue du Temple, sur la place 
<lu Chàteau-d'Eau, les hommes du club Blanqui pri- 
rent la tôte du cortège et précipitèrent sa marche 
vers la Madeleine. La manifestation était fort impo- 
sante. Cent cinquante mille hommes s'avançaient, en 
criant d'une seule voix : « Vive la République ! vive la 
Pologne! » Il n'y avait pas à douter de la force irré- 
sistible d'une telle multitude. 

Les abords de l'Assemblée étaient-ils couverts ? La 
Commission executive avait compté sur les dispo- 
sitions à prendre par le général Courtais, représen- 
tant du peuple, commandant de la garde nationale. 
Sur tout son parcours, la procession avait été haran- 
guée, excitée, enflammée par des orateurs populaires 
montés sur les bancs des boulevards et sur les bornes 
<les coins des rues. A la Madeleine, la confusion régnait 
dans les esprits comme dans les langues. Les uns par- 
laient de la Pologne, les autres de l'Italie, et tous, à 
l'occasion, se rejetaient sur la nécessité de reprendre 
l'œuvre interrompue de la révolution de Février, 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 91 

faussée parTégoïsme elles frayeurs feintes ou réelles 
des classes bourgeoises. L'avant-veille, une i^remièro 
manifestation s'étaitarrôtée là, et s'était laissé prendre 
sa pétition par le représentant Va vin, <[ui Tavaitappor- 
lée à l'Assemblée. Le général dourtais, comptant sur 
sa popularité, crut pouvoir en faire autant. Au lieu de 
barreravec résolution le passage à la foule, il s'avança, 
monté comme autrefois Lafayette sur un cheval blanc, 
pour parlementer avec ceux qui étaient en tête, et pro- 
mit tout ce qui lui fut demandé. Les hommes du club 
Blauqui, le voyant si occupé et si entouré, laissèrent là 
le général Courtais et s'élancèrent à travers la garde 
massée sur la place et le pont de la Concorde, aux cris 
signiûcatifs et répétés par la foule : En avant! on 
avant! C'était une brèche par où toute la multitude 
(levait passer, comme un torrent impossible à endi- 
guer. 

La séance s'était ouverte à l'Assemblée, un peu 
après midi. Le président avait donné lecture d'une 
lettre par laquelle le vieux poète Déranger, élu mal- 
gré lui représentant du peuple, donnait sa démission 
pour la seconde fois, l'Assemblée ayant refusé de 
l'accepter une première. Cette insistance du vieillard 
à vouloir rentrer dans la vie privée parut d'un mau- 
vais augure pour la République, à laquelle on croyait 
Béranger assez attaché pour lui apporter les conseils 
de son expérience, en lui faisant le sacrifice de son 
repos. On ne vit là qu'un acte d'égoïsme, quand c'était 
peut-être un acte de sagesse, car on se demande ce 
qu'eût fait Béranger, dans une telle mêlée d'opinions 
et d'intérêts, avec les habitudes de son esprit frondeur 
et causti([ue, plus propre à trouver les défauts et les 
ridicules des hommes, à critiquer leurs faiblesses et 
leurs erreurs qu'à soutenir leur courage et à les exal- 
ter dans leur tache. 11 se retira, et il lit bien. 



92 LA SECONDE RKPUBLIQCE 

Puis vint la discussion de rinterpellation sur la 
Pologne et Tltalie. Le représentant Wolowski était à la 
tribune, quand une rumeur immense, qui se rappro- 
chait avec rapidité de l'enceinte du Palais-Bourbon; 
se fit entendre : c'était la foule. Elle avait franchi les 
grilles du Palais et commençait à se répandre dans 
les couloirs et les tribunes. Les premiers qui pénétré* 
rent dans la salle des conférences hésitaient à franchir 
les portes de la salle des délibérations, mais bientôt 
le flot humain fut poussé avec une telle puissance 
que, ne fût-ce que pour éviter des accidents, l'inva- 
sion eut lieu, sans aucune pensée d'agression propre- 
ment dite : on en était toujours au projet originaire, qui 
consistait à déposer la pétition. Dans cette foule» il y 
avait plus de curiosité que d'hostilité. Il faut rendre 
aux membres de l'Assemblée constituante cette justice 
qu'ils firent tout d'abord bonne contenance. Ils sem- 
blaient eux-mêmes tout stupéfaits, et n'en pouvaient 
croire leurs veux, tant leur confiance dans les mesures 
prises était grande. Ils se tinrent immobiles sur leurs 
bancs, dans une attitude pleine de calme et de dignité. 
Le président Bucliez était au fauteuil, tout prêt à faire 
son devoir. Ce qu'il y eut de plus malheureux pour 
lui et pour l'Assemblée, c'est qu'il ne le connut pas. 
Qu'y avait-il à faire? Rien n'est plus difficile à exposer, 
après tant d'années écoulées, quand sur l'heure même 
personne n'a su ni le voir ni le dire. Il parait bien 
cependant que, si la séance avait été immédiate- 
ment ajournée au lendemain et que si les représen- 
tants se fussent dispersés et confondus dans la foule, 
l'attentat contre la souveraineté nationale aurait pu 
être évité; et, par attentat, il faut entendre cette décla- 
ration de dissolution de l'Assemblée par le peuple 
lancée du haut de la tribune par un des meneurs de 
la manifestation, l'ancien proscrit Huber. Mais il n'y 



ASSEIIBI.ÉE NATIONALE CONSTITUANTE 1)3 

avait pasdetempsàperdre.C'étaitàlapremièreminute, 
dès que Tenceinte de la salle avait été envahie, que la 
séance devait être levée, par application de la rè^lc 
qu'une assemblée vraiment libre ne peut délibérer li- 
brement que hors la présence de toute personne étran- 
gère. Cette idée si simple ne se présenta à Tesprit de 
personne : il ne fallait à aucun prix laisser l'Assemblée 
Constituante en face de la foule, sous sa pression, à la 
portée de ses menaces, encore moins de ses voies de 
fait. Il fallait qu'il n'y eût plus d'assemblée dans la 
salle, dès que la foule y pénétrait. 

Au lieu de cela, on affecta de continuer à délibérer. 
La foule remplissait les tribunes, les couloirs, les bancs 
des députés, l'hémicycle, les abords de la tribune et du 
bureau de l'Assemblée, et Bûchez était encore à son 
fauteuil recevant de toutes parts des billets, des avis, 
des opinions contradictoires, en proie à cette race 
d'hommes que l'on ne voit que dans ces heures de 
crise et qui, ayant perdu la tôte eux-mêmes, la font 
perdre aux autres, à force de les harceler, de les 
tirailler en tous sens, et dont il est souvent impossible 
de se délivrer, dans la crainte où l'on est de i)araître 
écarter les conseils et de vouloir tout prendre sur 
soi. Bûchez eut donc le tort de laisser prendre au 
hasard la direction d'un débat qui n'eût pas dû ùlre 
continué et dont personne ne pouvait assumer la 
direction. Montait à la tribune qui voulait, alors qu'il 
ne devait plus y avoir de tribune. On tint à parlemen- 
ter avec la foule, et pour obéir à un respect vraiment 
superstitieux de la souveraineté du i)euple, on la Ht 
haranguer par ses favoris, par ceux à qui l'on sup- 
jiosait la plus grande autorité, le plus grand empire sur 
les masses po|)ulaires.Ledru-lU)llin, Clément Thomas, 
]{arbès, Louis Hlanc s'y éjiuisèrent en vain. Par cela 
sçul (lu'ils éUiient membres de l'Assemblée, le prési- 



94 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

dent avait pour devoir de leur interdire tout colloque 
avec la foule, au lieu de les y appeler et de les y 
exciter. 

Cependant F.-V. Raspail, un de ceux qui fermaient 
le cortège, était parvenu, porté par la manifestation 
elle-même, à occuper la tribune, et il lisait la pétition. 
Cette lecture achevée, tout permit de croire que Ton 
touchait à la fin de cette triste aventure. 

Ce n'était au contraire que le commencement. 

C'est en pure perte que Barbes supplie le peuple de se 
retirer, maintenant qu'il a exercé son droit : paroles 
imprudentes qui ne font que déchaîner les passions 
au lieu de les apaiser ! Le peuple veut qu'on délibère 
tout de suite sans désemparer, sur la pétition. « Un 
décret ! un décret ! » crie-t-on de toutes parts. Huber, 
songeant à un moyen d'écarter la foule, dit spontané- 
ment : « Laissez le peuple défiler devant vous et il se reti- 
rera ensuite avec calme et dignité ! < Barbes et Bûchez 
lui-môme s'avancent pour appuyer cette proposition, 
quand tout à coup l'on entend, dans la multitude des 
envahisseurs, une voix forte prononcer ces paroles, qui 
produisent un effet magique : « Au nom de la majesté 
du pcui)le, je réclame le silence. Le citoyen Blanqui 
demande la parole. » Le silence s'établit. Des bras 
musculeux portent un homme de petite taille, vêtu 
de noir, aux yeux vifs et pleins de flamme, enfoncés 
sous des sourcils proéminents, aux traits amaigris, 
d'une étrange pâleur et d'une physionomie sévère: 
Auguste Blanqui parait à la tribune. 

A la vue de cet homme frêle, vieilli avant l'âge 
dans les prisons de la royauté, dont le nom avait 
grandi de jour en jour, depuis les journées de Février, 
dans l'opinion du peuple sans grandir dans son aflec- 
tion, qui passait pour le cerveau le plus ferme et le 
plus lucide du parti de l'action, que l'on croyait 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 95 

résolu à tout, pourvu que la cause de la Révolution 
sortît triomphante des mesures précises et décisives 
que son intelligence ardente et solitaire avait depuis 
longtemps combinées dans de sérieuses méditations, 
auxquelles personne n'était initié, enfin qui causait, 
par le mystère môme dont il était entouré et i)ar l'in- 
fluence sans bornes qu'on lui attribuait sur ses amis, 
une impression de terreur profonde à tous ceux (jui 
ne l'approchaient point, il y eut un mouvement de 
curiosité vraiment extraordinaire. 

€ Le peuple, dit-il d'une voix nette et i)énétrante, 
qui glaça d'efïroi les hommes toujours si nombreux 
dans les Assemblées qui ne demandent ([u'à trembler, 
le peuple exige que l'Assemblée nationale décrète, 
sans désemparer, que la France ne mettra lépée au 
fourreau que lorsque l'ancienne Pologne tout entière, 
la Pologne de 1772 sera reconstituée. » 

L'émotion était si vive que cette proposition, si 
étrange dans son exagération calculée, passa i)res- 
que inaperçue. D'ailleurs, Auguste Blanqui venait 
de tourner court et de sauter brusquement d'un sujet 
à un autre. Après avoir parlé brièvement, au nom 
du peuple dévoué qu'il connaît et dont il répond, de 
son désir de voler à la frontière sur un signe du 
gouvernement de la République, il demande justice 
pour les < massacres » de Rouen; il insiste pour ([non 
s'occupe de faire cesser les causes sociales do la 
misère, et voulant rassembler tous les éléments du 
coup de force qu'il croit possible de tenter, il va jus- 
qu'à parler des hommes systématiquement écartés du 
gouvernement, c'est-à-dire de Louis Blanc, U) m(>me 
(jui a naguère opposé à son propre parti une résis- 
tance victorieuse dans la journée du 17 mars. 

Mais ce langage inattendu frappe aussitôt tout le 
monde. Blanijui, lidèle à sa théorie des révolvilYOM's»^ 



96 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

essayait de < dériver » le mouvement. Pour lui, la Po- 
logne n'était qu'un prétexte. Le fond, c'était la main- 
mise sur le pouvoir, au nom du parti de Faction 
révolutionnaire. 11 se trompait. La multitude n'était 
pas en état de l'entendre ni de le suivre : preuve acca 
blante entre tant d'autres de l'impuissance à laquelle 
ce grand révolutionnaire s'est condamné pendant toute 
sa carrière, en n'opérant que sur de petits groupes, 
qui lui empêchaient de voir la masse du peuple ! 
Pendant que Blanqui était à la tribune, deux repré- 
sentants républicains du parti modéré, Freslon, de 
Maine-et-Loire et Gharton, de l'Yonne, se désignaient 
les chefs de la manifestation. — Où donc est Sobrier? 
se demandaient-ils. Sobrier, l'un des organisateurs, se 
trouvait précisément devant eux. Entendant pronon- 
cer son nom, il se retourna et dit : « C'est moi ; que 
me voulez- vous? — Ma foi! lui dit alors Gharton, je 
vous croyais plus forts en économie sociale; mais 
écoutez donc ce que vous débite Blanqui! comment! 
vous acceptez de pareilles doctrines? » Sobrier prêta un 
instant l'oreille et, tout de suite, il s'écria, en s'adres- 
sant à Auguste Blanqui qui occupait la tribune : 
€ Mais non, Blanqui, il ne s'agit pas de cela, mais de la 
Pologne I Parle donc de la Pologne. » G'était en effet la 
préoccupation dominante, unique de la foule, Blanqui 
se hâta de revenir à ce sujet ; mais il avait perdu 
l'oreille de cette immense multitude, en essayant de 
porter son attention sur un autre point, d'une tout 
autre importance, il faut bien le reconnaître, quand 
on ne perd pas de vue le caractère profondément 
social de la révolution de Février. 

Pendant cette scène, l'infortuné Louis Blanc usait 
les derniers restes de sa popularité à convaincre la 
foule de la nécessité de se retirer, afin de laisser TAs- 
semblée libre. Il parlait, avec tout ce qu'il avait encore 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 97 

de force après tant de fatigues, au nom de la souve- 
raineté du peuple représentée par les mandataires élus 
du suffrage uni versel ; il parlait, au nom de la raison et 
du droit, au nom de la République. Le danger que 
couraientles institutions de Février Tinspirait mieux 
que ses propres théories, qu'il avait Tair de renier 
pour la circonstance, tandis qu'il s'y cramponnait dans 
se pensée comme au levier qui lui permettrait de sou- 
lever le peuple pour le ramener à lui. Son courage, 
son éloquence, Favanie qui lui avait été faite, lorsqu'on 
l'avait exclu de la Commission executive, le dédain 
humiliant avec lequel on avait rejeté sa proposition 
relative au ministère du Travail, tout le désignait aux 
sympathies, aux acclamations de la foule. Comme il 
était de taille fort exiguë et de complexion délicate en 
apparence, le peuple aimait à le voir hissé sur les 
épaules de quelques amis plus dévoués. Dans la jour- 
née du 13 mai, le premier soin des envahisseurs, dès 
qu'il descendit de la tribune, fut de le prendre sur leurs 
épaules, comme ils en avaient l'habitude, et de le pro- 
mener en triomphe dans les salles et cours du Palais. 
lis finirent par le rapporter dans l'Assemblée, en lui 
faisant faire le tour del'hém icycle, et par le déposer sur 
son banc tout exténué, tout frémissant, protestant tou- 
jours contre l'invasion, suppliant ses amis de le laisser 
et de partir, absolument impuissant, vaincu et déses- 
péré. Hélas! ce triomphe de quelques heures a coiUé 
à Louis Blanc vingt-deux années crcxil, que nul n'a 
d'ailleurs plus noblement supportées. Mais en vérit;'», 
à pareil compte, la popularité coûte trop cher. 

La salle ne désemplissait pas. Au contraire, après 
le discours d'Auguste Blanqui et une réponse inutile 
et mal écoutée de Ledru-Rollin, les hommes du club 
de Barbes, apprenant (|ue Blanqui venait de parler et 
craignant qu'il ne s'emparât de la direcUon Aw. vsvovx- 



98 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

vement, firent irruption dans l'Assemblée, et ce fut 
comme une sorte d'invasion nouvelle dans la première. 
La vue de Blanqui avait produit sur Barbes son effet 
ordinaire : Barbes crut tout perdu, et le sang-froid lui 
manqua complètement. La République aux mains de 
Blanqui ! Pour Barbes , c'était la suprême catastro- 
phe, qu'ii fallait empêcher à tout prixl Blanqui avait 
parlé de la reconstitution intégrale de la Pologne de 
1772 : Barbés demanda l'envoi immédiat, sans autre 
déclaration de guerre, d'une armée française en 
Pologne. Blanqui avait parlé du problème de la mi- 
sère et de la nécessité de pourvoir aux besoins des 
travailleurs : Barbes proposa de décréter la levée d'un 
impôt d'un milliard sur les riches. A ce langage mena- 
çant, toute la salle se sent prise d'une indicible épou- 
vante chez les uns, d'une furibonde exaltation chez les 
autres : c'est bien l'anarchie qui fait son entrée. 
Le président renouvelle l'ordre d'évacuer la salle, et 
au môme instaut, le bruit parvient du dehors, que l'on 
entend au loin les tambours battant le rappel des 
légions de la garde nationale. On somme le président 
Bûchez d'envoyer l'ordre de faire cesser ce rappel, 
et on le voit, en effet, signant avec une lenteur étu- 
diée des morceaux de papier qui formulent cet ordre; 
mais il apparaît clairement à tous ceux qui ont gardé 
la possession d'eux-mêmes, que le président Bûchez 
attend des renseignements nouveaux et qu'il cherche 
à gagner du temps. A Barbes descendu de la tribune- 
succèdent des inconnus qui ne peuvent même pas se 
faire entendre. Tout à coup Ton apporte un drapeau 
noir avec deux glaives nus en croix. Ces emblèmes 
sinistres achèvent la déroute morale de tous. C'est 
alors qu'Huber, sollicité par Bûchez de lui prêter une 
dernière fois son concours, se décide à prononcer, 
d'une voix tonnante, ces quelques mots : 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 00 

€ Citoyens, puisqu'on ne veut pas prendre de déci- 
sion, eh bieni moi, au nom du peuple français, 
trompé par ses représentants, je déclare que TAsseni- 
blée est dissoute. > 

II était trois heures et quart ; l'attentat était con- 
sommé. 

Le rappel des légions avait été ordonné en effet, mais 
trop tard, par ceux de la Commission executive qui 
n'avaient point quitté le Petit-Luxembourg, par Gar- 
nier-Pagès, notamment, qui vint faire part à l'Assem- 
blée des dispositions prises par lui pour assurer sa 
sécurité et rétablir l'ordre, pendant que Lamartine et 
Ledru-Rollin se rendaient à l'Hôtel de Ville, où 
s'étaient précipités les hommes du parti de l'action, 
à l'effet d'y constituer un nouveau gouvernement pro- 
visoire. 

Aussitôt la dissolution prononcée par Huber, la 
salle des séances et le palais de l'Assemblée étaient 
devenus presque déserts. La journée se continuait 
ailleurs. A cinq heures et quart, la séance fut reprise 
sous la présidence de M. Corbon. Lamartine fit voter des 
remerciements à la garde nationale, et (iarnier-Pagès 
put réclamer pour la Commission executive l'honneur 
d'avoir sauvé la République, en reprenant possession 
de l'Hôtel de Ville. « Nous sommes décidés, disait-il 
dans un langage qui jurait avec son air débonnaire, 
à rendre toute sa force au pouvoir ; nous prendrons 
des mesures : nous voulons tous une République 
ferme, honnête et modérée. » Ces dernières épithètes, 
si maladroitement injurieuses pour toute une fraction 
du parti républicain, devinrent le mot de passe des 
bourgeois trembleurs, tout enfiévrés de passion 
contre les ouvriers. 

Dès cette séance du soir, commença pour la seconde 
République l'ère des vengeances et des proscriptions 



100 LA SECONDK «KPUBLIQUE 

politiques. Louis Blanc, en rentrant dans TAssemblée, 
fut de la part de ses collègues l'objet des plus inqua- 
liliables outrages ; il faillit être assommé par les 
gardes nationaux, et peu s'en fallut que Ton ne dé- 
crétât d'accusation, comme Courtais, Barbes et Al- 
bert arrêtés à THÔtel de Ville et conduits au donjon 
de Vincennes, l'homme qui avait épuisé ses forces à 
protéger, sur leur demande, des collègues tout effrayés 
de la présence de la foule. 

', La République honnête et modérée, la réaction, 
pour l'appeler de son vrai nom, commençait, et 
comme l'avait dit, pendant l'invasion de l'Assemblée, 
le dominicain Lacordaire, accablé et déjà résolu à se 
retirer d'une vie agitée qu'il sentait n'être pas faite 
pour lui : tout était bien près d'être perdu. 



IV 



L'Assemblée, au lendemain du 15 mai. — Caussidiëre, préfet de 
de police, se défend avec succès mais donne sa démission. — 

. Fête de la Concorde. — Débats sur la politique extérieure. — 
Discours de Lamartine. — Application de la loi d'exil de 1832 
aux princes d'Orléans. — Les Bonaparte sont admis. — Élections 
de Taris du 8 juin. — Louis Bonaparte est élu représentant. — 
Lamartine et Ledrn-Rollin proposent de lui appliquer la loi 
d'exil. — Opposition de Jules Favre. 



Le lendemain 16 mai, l'Assemblée ouvrit sa séance 
dès dix heures et demie du matin. La salle était à 
peine en état de recevoir les représentants. Elle était 
dévastée comme une terre où vient de passer quel- 
que ouragan. Tout y était brisé, cassé, mis en pièces, 
avec des souillures de tous genres. Le palais de la 
loi était gardé comme une place de guerre. Ce désor- 



ASSEMBLÉE 5ATI05ALE OX^SriTCAyTE 101 

dre matériel n'était qu'une image aâaiblie du désordre 
moral qui régnait dans les esprits. 

Tout de suite, une enquête fut ordonnt^e sur les 
causes de la ridicule aventure où TAssemblée avait 
failli périr. On avait à demander des comptes au pré- 
fet de police Caussidière, et à la Commission exéi^utive 
qui soupçonnait elle-même le préfet d'avoir louvoyé 
systématiquement à travers les écueils, afin de se 
tourner du côté des vainqueurs et de garder son 
emploi. Une interpellation fut décidée. 

Caussidière se rendit à la séance où Ton devait 
interpeller le ministre de fiotérieur sur l'inertie 
calculée de la préfecture de |>olice. Il se défendit lui- 
même, avec son astuce naturelle, son parler trivial 
et cette sorte de bonhomie narquoise qui fait tant 
d'impression sur les Assemblées. Il rappela les ser- 
vices qu'il avait rendus, en faisant, dit-il, de Tordre 
avec du désordre, en remettant en trois jours les 
pavés dans les rues après le ^4 Février, en faisant 
diminuer le prix du pain, en appliquant tous ses soins 
€ à la destruction de la vermine sociale ». A la lin 
de son discours, il offrit sa démission, qui fut refusée 
pardevivesdenegations.il pouvait croire qu'il s'était 
créé dans l'Assemblée de vives et durables sympathies. 
Mais le lendemain, ayant trouvé la préfecture occu- 
pée par des troupes sous le commandement du géné- 
ral Bedeau, il renouvela cette fois sa démissiou de 
préfet, en y ajoutant celle de représentant de la Seine. 
Il fut remplacé à la préfecture de police par un ban- 
quier du Mans, le représentant de la Sarthe Trouvé- 
Chauvel, ami de Ledru-Rollin et d'Armand Marrast. 

Une grande fête avait été, bien avant le Quinze- 
Mai, ordonnée et préparée par les soins de la Com- 
mission executive, afin de souhaiter la bienvenue aux 
représentants accourus de tous les points de la France 



102 LA SECONDE RKPUIJLIQUE 

pour siéger à l'Assemblée nationale. A cette fête, les 
travailleurs du Luxembourg avaient déclaré qu'ils ne 
prendraient point part, à cause du refus opposé de T As- 
semblée à la création du ministère du Travail. Mais la 
population parisienne, toujours passionnée pour les 
démonstrations extérieures de quelque éclat, ne vou- 
lut pas bouder, et la fête de la Concorde fut célébrée 
le 21 mai. Les préparatifs étaient magnifiques et rap- 
pelaient les anciennes fêtes de la première Révolution 
dont le grand peintre Louis David ne dédaignait pas 
de tracer le programme. Rien n'avait été négligé pour 
assurer la splendeur des décorations du Champ-de- 
Mars ; et, pour le défilé des corporations ouvrières avec 
leurs chefs-d'œuvre, on déploya une pompe inusitée* 
Toutefois le succès de cette fête ne répondit pas à ce 
que Ton pouvait attendre de tant de frais accumulés. 
Il n'y eut que le soleil qui se montra favorable. Les 
esprits et les cœurs n'étaient pas à la place de la Con- 
corde, et Lamennais eut raison de dire ce mot amer 
mais vrai : t On ne fait pas les fêtes; les fêtes se font.» 
Déjà, dans les rues et dans les carrefours, l'on pouvait 
catendre, au sein des profondeurs du peuple, sourdre 
de sinistres rumeurs de guerre civile. 

Par une étrange contradiction, la journée du Quinze- 
Mai avait roulé sur deux questions contradictoires, 
la guerre et l'organisation du travail, la politique 
extérieure et la politique sociale de la République. 
Les écrivains socialistes, P.-J. Proudhon entête, dans 
son journal le Ueprésentant du peuple, avaient vaine- 
ment démontré qu'une manifestation comme celle qui 
était projetée ne servirait en rien à procurer la solu- 
tion de ces deux questions. Elles n'en étaient pas 
moins posées. Il fallut bien que l'Assemblée les abor- 
dât. 

Dans la séance du 23 mai, il y eut un grand débat 



ASSEIIBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 103 



N 



sur la politique extérieure, qui amena Lamartine à 
la tribune* Il donna un brillant commentaire de son 
manifeste aux puissances, comme il avait déjà fait en 
rendant ses comptes à l'Assemblée comme ministre 
des affaires étrangères du gouvernement provisoire ; 
il exposa les incidents de nos relations avec Tltalie, 
et affirma que la France ne devait pas laisser Tltaiie 
retomber sous le joug de la domination autrichienne ; 
il fit comprendre qu'une action quelconque en faveur 
de la Pologne ne pouvait être espérée qu'à la suile 
d'une transformation profondément libérale de l'Alle- 
magne ; par-dessus tout, il proclama la nécessité de 
la paix, premier besoin du peuple français récem- 
ment entré en' possession du gouvernement de lui- 
môme, et justement préoccupé d'assurer à tous ses 
enfants les bienfaits de la révolution de Février. Le 
discours de Lamartine fut accueilli par des applau- 
dissements presque unanimes : ce fut la dernière fois 
que l'on put constater cette unanimité, qui allait faire 
place à tant de divisions. 

Elle se traduisit par Tordre du jour suivant, apporté 
à la tribune par le représentant Drouyn de Lhiiys, 
ancien député de l'opposition dynastique sous Louis- 
Philippe, très versé dans les questions extérieures : 

<c L'Assemblée nationale invite la commission exe- 
cutive à continuer de prendre pour règle de sa con- 
<luite les vœux unanimes de l'Assemblée, résumés par 
ces mots : Pacte fraternel avec l'Allemagne ; reconsti- 
tution de la Pologne indépendante et libre; alïranchis- 
sement de l'Italie. » 

Encore une fois, il n'y a rien de plus éloigné de la 
politique extérieure de la France de notre temps que 
la politique extérieure de la France en 1848. C'est à 
jieine si l'on pourrait croire, ai^rès avoir lu cet 
ordre du jour, qu'il s'agit du même pays. 



Î02 LA SECO:sl)E RÉPUIJLIQUE 

pour siéger à TAssemblée nationale. A cette fête, les 
travailleurs du Luxembourg avaient déclaré qu'ils ne 
prendraient point part, à cause du refus opposé de TAs- 
semblée à la création du ministère du Travail. Mais la 
population parisienne, toujours passionnée pour les 
démonstrations extérieures de quelque éclat, ne vou- 
lut pas bouder, et la fête de la Concorde fut célébrée 
le 21 mai. Les préparatifs étaient magnifiques et rap- 
pelaient les anciennes fêtes de la première Révolution 
dont le grand peintre Louis David ne dédaignait pas 
de tracer le programme. Rien n'avait été négligé pour 
assurer la splendeur des décorations du Champ-de- 
Mars; et, pour le défilé des corporations ouvrières avec 
leurs chefs-d'œuvre, on déploya une pompe inusitée* 
Toutefois le succès de cette fête ne répondit pas à ce 
que Ton pouvait attendre de tant de frais accumulés. 
II n'y eut que le soleil qui se montra favorable. Les 
esprits et les cœurs n'étaient pas à la place de la Con- 
corde, et Lamennais eut raison de dire ce mot amer 
mais vrai : « On ne fait pas les fêtes; les fêtes se font.» 
Déjà, dans les rues et dans les carrefours, l'on pouvait 
catendre, au sein des profondeurs du peuple, sourdre 
de sinistres rumeurs de guerre civile. 

Par une étrange contradiction, la journée du Quinze- 
Mai avait roulé sur deux questions contradictoires, 
la guerre et l'organisation du travail, la politique 
extérieure et la politique sociale de la République, 
Les écrivains socialistes, P.-J. Proudhon entête, dans 
son journal le Ueprésentant du peuple, avaient vaine- 
ment démontré qu'une manifestation comme celle qui 
était projetée ne servirait en rien à procurer la solu- 
tion de ces deux questions. Elles n'en étaient pas' 
moins posées. Il fallut bien que l'Assemblée les abor- 
dât. 

Dans la séance du 23 mai, il y eut un grand débat 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 103 

sur la politique extérieure, qui amena Lamartine à 
la tribune. Il donna un brillant commentaire de sou 
manifeste aux puissances, comme il avait déjà fait en 
rendant ses comptes à TAssemblée comme ministre 
des affaires étrangères du gouvernement provisoire ; 
il exposa les incidents de nos relations avec Tltalie, 
et affirma que la France ne devait pas laisser Tltalie 
retomber sous le joug de la domination autrichienne ; 
il fit comprendre qu'une action quelconque en faveur 
de la Pologne ne pouvait être espérée qu'à la siiile 
d'une transformation profondément libérale de TAlle- 
magne; par-dessus tout, il proclama la nécessité de 
la paix, premier besoin du peuple français récem- 
ment entré en* possession du gouvernement de lui- 
môme, et justement préoccupé d'assurer à tous ses 
enfants les bienfaits de la révolution de Février. Le 
discours de Lamartine fut accueilli par des applau- 
dissements presque unanimes : ce fut la dernière fois 
que l'on put constater cette unanimité, qui allait faire 
place à tant de divisions. 

Elle se traduisit par l'ordre du jour suivant, api)()rté 
à la tribune par le représentant Drouyu de Lhuys, 
ancien député de l'opposition dynastique sous Louis- 
Philippe, très versé dans les questions extérieures : 

« L'Assemblée nationale invite la commission exe- 
cutive à continuer de prendre pour règle de sa con- 
duite les vœux unanimes de l'Assemblée, résumés par 
ces mots : Pacte fraternel avec l'Allemagne; reconsti- 
tution de la Pologne indépendante et libre; ailrauchis- 
sement de l'Italie. » 

Encore une fois, il n'y a rien de plus éloigné de la 
politique extérieure de la France de notre temps que 
la politique extérieure de la France en 1848. C'est à 
peine si Ton pourrait croire, après avoir lu cet 
ordre du jour, qu'il s'agit du môme pays. 



104 \jl seconde République 

L'autre question, celle de Torganisation du travail, 
ou, pour mieux dire, celle de la reprise des afîaires 
par le rétablissement du crédit et de la confiance, 
restait toujours pendante. On sentait qu'il ne serait 
guère possible d'en attendre la solution d'un pouvoir 
aussi faible que la Commission executive. Déjà cette 
Commission était attaquée de toutes parts. L'Assem- 
blée lui reprochait l'abandon où elle avait été laissée 
pendant la journée du 18 mai ; la haute et moyenne 
bourgeoisie raillait les tiraillements intimes, l'indé- 
cision, l'incapacité et la vanité dont les gouvernants 
du Petit-Luxembourg avaient donné tant de preuves, 
et Lamartine lui-même était devenu suspect à ses 
amis inquiets et timorés, tant [la réaction se montrait 
acharnée autant qu'habile, depuis qu'il avait insisté 
pour avoir Ledru-Rollin avec lui, à le confondre avec 
ceux des hommes de Février qui excitaient le plus 
ses défiances et sa haine ; enfin, le peuple, désorienté 
et découragé par cette inutile manifestation du 48 mai 
au cours de laquelle les chefs qu'il avait suivis 
n'avaieFUt su que parler sans agir, se repliait sur lui- 
même dans le malaise du chômage, assailli d'inquié- 
tudes, ne sachant que devenir, prêtant une oreille 
complaisante à toutes les excitations, désespérant 
de la République, et malheureusement prêt à lui por- 
ter des coups mortels, en croyant la défendre. 

L'Assemblée éprouvait surtout le besoin d'être 
conduite et dirigée. On a vu que les hommes du parti 
du National avaient été les premiers à reconnaître 
l'utilité et à tirer avantage d'une réunion extra-parle- 
mentaire, qui tint ses séances à l'origine dans une des 
salles du Palais-Bourbon. Cette réunion comptait des 
républicains de toutes nuances. Bien menée, elle 
pouvait tout sauver. Elle perdit tout par sa faiblesse 
déguisée sous le nom de modération. 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE lO.i 

Pendant toute la durée de l'Assemblée constituante, 
ce lut la réunion la plus nombreuse celle qui garda 
pendant le plus longtemps la majorité numérique 
dans les scrutins. Peu à peu, elle en vint à ne compter 
que des républicains modérés. Placée sous l'invoca- 
tion du nom respecté de Dupont (de TKure), elle obéis- 
sait en réalité à Finfluence et aux conseils d'Armand 
Marrastetde Senard, enfin des hommes qui eurent les 
premiers la pensée de substituer au pouvoir collec- 
tif de la Commission executive le pouvoir d'un chef 
unique, qui fut le général Eugène Ciivaigaac.. Les 
républicains plus avancés, ceux qui n'allèrent pas aux 
réunions du Palais national (ci-devant l^ilais-lloyal) 
ou qui les abandonnèrent, se réunirent d'aJ)ord rue 
Taitbout et plus tard rue des Pyramides, sous le 
nom de la Montagne, réminiscence déraisonnable 
des temps de la Convention de 1793. Leur résolution 
était de maintenir la République dans les anciennes 
traditions du parti. Ledru-Rollin comptait beaucoup 
d'amis dans cette réunion, qui fut toujours sans grande 
autorité, faute de direction eflective, et à cause surtout 
de l'impopularité où tombèrent ceux (fui auraient pu 
lui imprimer une action plus nette et plus énergi(iue. 
Pendant que les républicains se divisaient, leurs 
adversaires se rapprochaient dans une coalition dont 
le siège fut la réunion de la rue de Poitiers, d'abord 
très peu nombreuse, mais qui alla se recrutant de 
jour en jour avec les progrès de la réaction. Elle prit 
pour président le général IJaraguey-d'Hilliers, mais 
i*homme qui exerça tout d'abord la plus grande in- 
fluence, parce qu'il en avait été l'un des organisateurs, 
ce fut le comte de Falloux, en attendant M. Thiers. 
Les anciens partis monarchiques commenraient à 
reprendre espoir et courage. 

Des élections complémentaires devaient avoir lieu 



■yMa 



106 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

dans toute la France, et notamment à Paris, par suite 
de Foption des représentants du peuple qui avaient 
été honorés de plusieurs mandats. Le journal la Presse 
d'Emile de Girardin publia une lettre de celui des 
fils du roi Louis-Philippe, dont le nom, la personne, 
la vie et les actes excitaient les moindres défiances, 
François d'Orléans, prince de Joinville, le marin qui 
avait ramené de Sainte-Hélène les cendres de TEm- 
pereur Napoléon P'' à bord de la Belle Poule et qui 
avait bombardé Tanger, pendant une expédition diri- 
gée contre le Maroc. En présence de cette lettre qui 
laissait entrevoir les intentions du prince de se faire 
nommer représentant du peuple, pour devenir plus 
tard président de la République, la Commission exe- 
cutive crut nécessaire d'appeler l'Assemblée nationale 
à faire application aux princes de la branche cadette 
de la maison de Bourbon de la loi votée en 4832, sous 
la monarchie de Juillet, contre les princes de la 
branche aînée. Cette mesure fut votée par 631 voix 
contre 64. On remarqua sans surprise que la plupart 
des amis de la famille d'Orléans votèrent pour ce 
décret. Parmi les républicains, Louis Blanc vota 
contre. A quels mobiles faut-il attribuer sa conduite 
en cette circonstance ? Ce serait le traiter avec injus- 
tice que de croire qu'il voulut faire acte d'opposition à 
la Commission executive, contre laquelle il nourrissait 
une animosité et des sentiments de rancune toute per-» 
sonnelle. Il est plus probable qu'il obéit à la pensée 
qui lui avait dicté le célèbre considérant du décret 
du gouvernement provisoire sur l'abolition de la 
peine de mort, et qui lui avaitfaitdirequec la grandeur 
d'âme est la suprême politique ». Toujours est-il que 
jamais il ne revint, à aucune époque de sa vie, sur 
cette opinion, donnant ainsi plus de preuves de la 
générosité de son cœur que de la clairvoyance de son 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 107 

esprit, et s'obtinant à ne pas comprendre que les 
princes, quoi qu'ils disent et quoi qu'ils fassent, ne 
sont pas et ne peuvent pas devenir des citoyens comme 
les autres, et que ceux qui se réclament de leur nais- 
sance pour se mettre au-dessus des lois de leur pays se 
mettent par là même hors la loi, sans que la ven- 
geance politique y ait aucune part. 

La plussingulière inconséquence entraîna TAssem- 
blée à distinguer les princes de la famille Bonaparte 
des princes de la famille des Bourbons. Ces derniers 
étaient tenus ou mis hors de France, au moment où 
les autres étaient autorisésà y rentrer. Cette diflérence 
de traitement ne s'explique pas seulement, comme on 
l'a fait, par la longue et funeste alliance du parti répu- 
blicain et des rares partisans du rétablissement de 
l'empire, dans les complots des sociétés secrètes, sous 
la monarchie des deux branches de la maison de Bour- 
bon. Elle s'explique surtout par ce fait, devant lequel 
s'inclina l'Assemblée, que des membres de la famille 
de Napoléon avaient été élus représentants du peuple, 
et que leur exclusion eût paru attentatoire à la sou- 
veraineté des électeurs qui les avaient choisis, comme 
si la souveraineté de la nation pouvait résider dans 
un seul collège électoral, et comme si ungroupe d'élec- 
teurs, si nombreux qu'on le suppose, pouvait tenir 
en échec la volonté de la nation exprimée par ses 
représentants ! Cette erreur de la démocratie persiste 
encore dans un trop grand nombre d'esprits, toujours 
enclins à donner à des manifestations partielles du 
corps électoral le pas sur la loi qui, étant sous la Répu- 
blique, la vraie souveraine, doit demeurer au-dessus 
4les fluctuations de l'opinion publique et des aber- 
rations des partis. 

Il y avait d'autant moins de raisons de distinguer 
entre les princes des familles ayant régné sur la Franc/^ 



108 LA SECONDE Rr:PUBLIQUE 

que le nom du prince Louis-Napoléon Bonaparte, celui 
qui s'éLait rendu coupable du double attentat de 
Strasbburg et de Boulogne, commençait à être exalté 
dans les réunions populaires. Après le 24 Février, il 
avait précipitamment quitté sa résidence de Londres 
pour venir à Paris olïrir ses services au gouvernement 
provisoire. Avec infiniment de prudence> on avait 
répondu à ces otïres intéressées, en lui demandant de 
se tenir éloigné. Pendant que ses cousins se faisaient 
élire représentants du peuple, Louis-^Napoléon affectait 
une patience qui aurait dû éveiller Tattention des 
républicains. Il montrait déjà qu'il savait se posséder 
et que, capable d'attendre les événements7 il ne lais- 
serait pas échapper les occasions de pousser sa for- 
tune jusqu'au but marqué par son ambition. Il avait 
à Paris des agents actifs, pleins de foi dans son étoile^ 
Armand Laity, Fialin de Persigny, ceux mêmes qui 
l'avaient entouré et aidé dans ses entreprises anté- 
rieures. On travaillait pour lui par tous les moyens de 
propagande, journaux, images et chansons populaires, 
discours dans les clubs ; on recrutait à prix d'argent 
des hommes pour crier sur les boulevards : Vive l'Em- 
pereur ! Vive Louis-Bonaparte ! Des feuilles étaient fon- 
dées avec les titres les plus significatifs, le Napoléon 
républicain^ le Napoléonisne, le Petit Caporal, la Redin- 
gote grise, et le caractère à peu près uniforme de ces 
publications se marquait par une exaltation violente 
dans les revendications socialistes unie à une perpé- 
tuelle et indécente apologie du pouvoir d'un seul. Une 
de ces tem\lQs,r Organisation du traimil, sous la. direc- 
tion d'un certain Lacolonge, publiait tous les jours des 
liste de bourgeois à exproprier, notamment dans la 
haute banque exploifée par les familles de religion 
Israélite. « Dans la République, disait ce journal, un 
seul homme n'a pas le droit de posséder huit cents 



ASSEMBLiÉE NATIONALE CONSTITUANTE 10.) 

nsillioDs devant six millions de mendiants. » i)e telles 
excitations effrayait les classes riches, sans leur laire 
comprendre que leur salut était assuré danâ leurs 
mains, à la condition de prendre la direction du 
gouvernement au lieu de Tenrayer. Elles ne voyaient 
pour elles de sécurité que dans l'apparition d'un sau- 
veur, et c'était précisément pour pousser le pays à se 
jeter dans les bras de ce sauveur que Ton semait par- 
tout cette peur absurde mais contagieuse, qui trou- 
blait l'opinion autant que les intérêts. 

A l'Assemblée, on n'apercevait rien d'un tel péril : 
les républicains étaient trop occupés à s'entre-déchi- 
rer. On en voulait surtout à la Commission executive, 
sans oser l'attaquer en face. Les modérés du parti du 
Xatianal, avec une ambition qui ne se cachait plus, se 
croyaient sûrs de garder et d'exercer le pouvoir, 
pourvu qu'il arrivât en leurs mains. Us arrachèrent 
à la faiblesse de la Commission executive l'ordre, donné 
A la fois au procureur général Portalis et au procureur 
de la République Landrin, d'apporter une demande en 
autorisation de poursuites contre Louis Blanc, qui fut 
déposée dans la séance du 31 mai. Ils se firent nommer 
en majoritémembres delà commission, conclurent eu 
toute hâte à accorder l'autorisation demandée, et char- 
gèrent Jules Favre, sous-secrétaire d'État au minis- 
tère des affaires étrangères, et membre en cette qua- 
lité du gouvernement, de rédiger le rapport. Comment 
Jules Favre, put-il oublier à ce point le devoir qui 
s'imposait à lui de se tenir impartialement en dehors 
d'une telle affaire ? Comment, au lieu de se récuser, 
rechercha-t-il cette mission, qui devait laisser une si 
^çraade tache sur sa vie? L'aigreur du caractère, la 
rancune personnelle, l'ambition effrénée et qui no 
recule devant rien, ne suffisent point à . expli(£uer, 
oi à justifier de tels écarts. Jules Favre fut l\:fe% ^wv^r 

f . SPtJLLEA. — C, RÉP, 1 



110 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

pable, mais sa faute doit être imputée à l'affole- 
ment général autant qu'à ses propres passions. 
Charles Ribeyrolles, rédacteur en chef de la Réforme 
put comparer justement à une jatte de lait em- 
poisonnée le perfide rapport que Jules Favre déposa 
sur la tribune. Favre n'attaqua point directement sa 
victime; au contraire, il parut faire son éloge et 
prendre sa défense. Il se défendit d'obéir à toute pen- 
sée de réaction politique; il alla jusqu'à prétendre 
que les poursuites n'étaient autorisées qu'en vue de 
fournir à Louis Blanc l'occasion et les moyens de con- 
fondre ses accusateurs. Louis Blanc se défendit avec une 
indignation éloquente, et força ses ennemis, Armand 
Marrast entre autres, à venir déclarer publiquement 
que, dans la journée du 15 mai, il n'avait pas mis les 
pieds à l'Hôtel de Ville. Pour cette fois, il sauva sa 
liberté. Quant à son honneur, il était impossible de 
l'atteindre. C'était déjà trop que l'on eût à lui repro- 
cher tant de fautes commises par inexpérience et par 
orgueil, aussi sa défense ne lui ramena point les 
esprits. Les hommes des anciens partis voulaient 
l'exécuter par assis et levé. On vota au scrutin de 
division, et les poursuites furent rejetées à trente-deux 
voix de majorité. On se promit bien de revenir à la 
charge, et de le perdre à la première occasion favorable. 
Le o juin, Paris vota pour les élections complé- 
mentaires, comme les départements qui avaient des 
représentants à remplacer. Dans les provinces où les 
anciennes influences subsistaient, la réaction com- 
mença plus tôt et suivit un cours plus précipité qu'à 
Paris : les hommes des anciens partis, au milieu 
du désarroi où étaient les républicains, firent passer 
leurs candidats; M. Thiers fut élu dans la Seine- 
Inférieure, dans rOrne, dans la Mayeiine et dans la 
Gironde; il remplaçait M. de Lamartine dans la 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 11« 

faveur du suffrage universel, et cela seul sufQt à indi- 
quer le rapide chemin parcouru par le pays dans son 
retour en arrière, depuis moins de six semaines. 

A Paris, la liste qui triompha offre la fldèle image de 
l'état anarchique des esprits. On a souvent parlé des 
grands courants qui entraînent parfois le suffrage 
universel. Aux élections du 5 juin 1848, rien de pareil 
à un tel mouvement d'opinion. Les abstentions, qui 
furent très nombreuses, démontraient que la poli- 
tique, même en ces temps passionnés, tenait à l'écart 
des urnes ceux des électeurs qui voulaient voir clair. 
Pour qui voter? on n'en savait rien. Comme il n'y 
avait eu nulle cohésion, nulle discipline dans les 
]>artis, les résultats du scrutin surprirent tout le 
monde. Caussidière sortit le premier avec 146,000 voix, 
et le dernier élu fut le grand journaliste P.-J. Prou- 
dhon avec 77,900 suffrages. Ce qui prouve bien que 
chacun avait suivi ses préférences individuelles 
c'est la bizarrerie incohérente de la liste des élus. 
Victor Hugo avait passé avec les voix de la réaction, 
comme l'ouvrier lyonnais Lagrange avec celles du 
parti révolutionnaire. Le socialiste Pierre Leroux 
était nommé avec 10,000 voix de moins que le répu- 
blicain modéré Goudchoux. Toutefois, la réaction 
était parvenue à se donner un chef militaire dans 
la personne du général Changarnier et un chef poli- 
tique dans celle de M. Thiers. Quant au prince Louis- 
Napoléon Bonaparte, il était élu par 84,420 voix. H 
était maintenant sur le même pied que ses cousins 
de la Corse; il avait désormais, pour appuyer son 
rôle de prétendant, une démonstration de la souve- 
raineté nationale ; il devenait par cela môme un des 
gros embarras de la situation. 

M. Thiers, comme on le pense bien, fut accueilli à 
braB ouverts par les réacteurs de la rue àe YoWx^x'à- 



112 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Son premier soin, en arrivant à l'Assemblée, fut de 
se faire inscrire au comité des finances. Trop habile 
[)our parler de détruire la République, il se conten- 
tait de se donner pour l'adversaire implacable des 
républicains. Il disait encore, comme aux premiers 
jours qui suivirent la révolution de Février, qu'on 
pouvait faire le bien du pays sous la République 
comme sous la monarchie; et comme il ne pouvait 
se flatter de rétablir immédiatement la monarchie de 
son choix, il répétait à ceux qui lui demandaient des 
conseils : < Conservons la République! c^est le gou- 
vernement qui nous divise moins. » Le grand mal- 
heur fut que, sans connaître les républicains, îl les 
accabla de ses dédains, leur reprochant surtout leur 
incapacité politique, et qu'il refusa de leur faire cré- 
4lit, en se rapprochant d'eux. Une singulière infirmité 
affligeait d'ailleurs celte rare intelligence : il croyait 
au péril socialiste ou il affectait d'y croire, au point de 
])araître en avoir peur, et, pour conjurer ce péril, il 
ne songeait à rien de moins qu'à remettre la France 
entre les mains de l'Église. « Je suis changé, disait-il, 
non par une révolution dans mes convictions, mais 
par une révolution dans l'état social. > Il croyait la 
France menacée par les doctrines communistes. Pour 
un historien, pour un politique, c'était ne point con- 
naître la France, le pays du monde où la Révolution 
a créé le sentiment de la propriété à la fois le plus 
universel et le plus puissant. M. Thiers voyait la 
France avec ses yeux de myope. Moins d'un an après 
avoir dit à la tribune qu'il resterait attaché au parti 
de la Révolution jusqu'à la fin de sa vie, il reniait 
une cause juste et chère, sous le vain prétexte que 
cette cause était compromise par des violences et des 
utopies dont il s'exagérait à lui-même le caractère et 
la portée. Une telle erreur, indigne d'un tel esprit, fut 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE li.-i 

rachetée un quart de siècle plus tard, mais elle pèsera 
toujours sur la mémoire de Tillustre homme d'État. 

Dans cet état de fièvre chronique, avec le désœu- 
vrement général, Tagitation, au lieu de s'apaiser, s*a- 
gravait tous les jours. La Commission executive pro- 
posa à l'Assemblée une loi sur les attroupements, afin 
de maintenir la liberté et la tranquillité de la rue. 
On commença de voir le triste effet des divisions du 
parti républicain. Ce fut Marie, membre de la fraction 
modérée de la Commission executive, qui défendit 
le projet de loi; il y déploya la plus vive ardeur, et 
sa passion fut telle qu'à un moment le représentant 
Guinard, l'un des hommes les plus respectés du x)arti, 
lui cria: «Vousdéshonorezla République, monsieur! » 
(iuinard se trompait, car le gouvernement était dans 
son droit et remplissait son devoir, en cherchant à 
protéger la liberté générale contre les usurpations de 
quelques-uns. On ne voyait dans la loi sur les attrou- 
pements que des pièges tendus aux républicains du 
parti de l'action : c'était prendre les choses au point 
de vue d'un parti et non du pays. La rue appartient à 
tout le monde, et ce n'est pas gouverner que de lais- 
ser troubler les citoyens paisibles par quelques agita- 
teurs, sous prétexte de maintenir le grand principe 
de la liberté. A cet égard du moins, nous avons aujour- 
d'hui une idée plus juste de la liberté comme des 
droits et de la mission du pouvoir. C'est encore une 
des conséquences d'un plus long exercice du suffrage 
universel : les attroupements séditieux qui condui- 
sent à l'insurrection participent, à l'heure présente, 
au juste discrédit dont doivent rester frappés dans 
notre démocratie tous les recours à la violence. 

Cette loi était surtout motivée, après la grande pro- 
cession du 15 mai, par les attroupements où se faisait 
ouvertement la propagande bonapartiste. Cette propa- 



114 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

gande se montrait partout. Le bruit courut même un 
jour dans l'Assemblée qu'un régiment de ligne, à 
Troyes, s'était mutiné aux cris de : Vive TEmpereurl 
Louis Bonaparte venait d'être élu à Paris. Le danger 
se montra aux yeux des clairvoyants. A la tribune de 
l'Assemblée nationale, le général Eugène Cavaignac, 
récemment nommé ministre de la guerre, fut appelé 
à s'expliquer sur l'incident de Troyes qu'heureu- 
sement il put démentir. « Aucune nouvelle semblable 
ne m'est parvenue, » dit-il ; et, continuant avec une élo- 
quence vibrante qui fit une impression d'autant plus 
profonde que l'on sentit aussitôt quel personnage 
il voulait désigner, il ajouta: « Loin de ma pensée de 
porter une accusalion aussi terrible contre un de mes 
concitoyens. Oui, je veux croire, je dois croire inno- 
cent l'homme dont le nom est si malheureusement 
prononcé et mis en cause. Mais, je le déclare aussi, je 
voue à l'exécration publique quiconque osera jamais 
porter une main sacrilège sur les libertés du pays. » 
A ces mots, toute l'Assemblée frémit, et Cavaignac 
apparut, en ce moment, comme le chef unique, ca- 
pable de donner au gouvernement républicain la 
force, l'autorité, le prestige que l'on souhaitait lui 
donner. Ce ne fut qu'un éclair, mais il illumina la 
situation. 

Lamartine et ses collègues de la Commission execu- 
tive, en face des menées bonapartistes, comprirent 
qu'il ne fallait laisser aucune équivoque dans les 
esprits. La question de la rentrée des princes de la 
famille Bonaparte avait été posée, mais non résolue. 
Lors de la vérification des pouvoirs des représentants 
appartenant à cette famille, leur admission avait été 
prononcée, et lors de l'application de la loi de bannis- 
sement de 1832 aux princes de la maison d'Orléans, 
on avait pris en considération, mais non pas prononcé, 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 1 15 

l'abrogation de cette loi en ce qui touchait les Bona«* 
partes. Louis-Napoléon ayant été élu et devenant dès 
lors dangereux, la Commission executive résolut de 
s'opposer à l'abrogation à son égard, et même de le 
faire arrêter si, rentrant tout à coup dans la France 
qui ne lui était par rouverte, il venait se présenter à 
l'Assemblée. Cette résolution était grave. Lamartine 
obtint de ses collègues que la question de confiance 
serait posée à l'occasion d'une demande de crédit 
pour les frais de bureau de la Commission executive, 
et qu'il serait autorisé à déclarer à l'Assemblée les 
projets du gouvernement. Ce débat solennel eut lieu 
dans la séance du 12 juin. L'illustre poète délendit la 
-Commission executive daus tous ses actes. 11 remonta 
jusqu'aux jours du gouvernement provisoire, rappela 
les glorieux services qu'il avait rendus à la Répu- 
blique, à la patrie, en maintenant l'ordre, tout en fon- 
dant la liberté; il confondit les calomnies et les impos- 
tures qui commençaient à le poursuivre, expliquant 
sa politique, ses alliances, ses relations, prodiguant les 
marques du plus rare esprit de prévoyance, en m(>me 
temps qu'il s'élevait aux cimes d'une éloquence vrai- 
ment prestigieuse, dont l'Assemblée se montra tour à 
tour émue, surprise, charmée et défiante. C'est dans ce 
discours mémorable que Lamartine laissa tomber de 
ses lèvres cette métaphore hardie : < Oui, j'ai conspiré 
avec Sobrier, j'ai conspiré avec Blanqui comme le 
paratonnerre conspire avec le nuage qui porte la 
foudre. > Image admirable du rôle joué par ce grand 
citoyen dans les heures de péril, mais qui ne lut pas 
comprise I Le charme était rompu entre Lamartine et 
ses auditeurs. 11 sentait l'Assemblée lui échapper. 
Soudain, une rumeur circule dansla salle : des coups 
de feu viennent d'être tirés aux cris de Vive l'Empe- 
reur I sur différents officiers de la garde nationale et ( le 



«16 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

i'armée. < Citoyens, s'écrie Lamartine, c'est la prér 
mière goutte de sang qui ait taché la révolution éter- 
nellement pure et glorieuse du 24 Février. Gloire aux 
différents partis de la République! Du moins, ce sang 
n'a pas été versé par leurs mains; il a coulé, non pas 
au nom de la liberté, mais au nom du fanatisme des 
souvenirs militaires et d'une opinion naturellement, 
quoique involontairement peut-être, ennemie invété- 
rée de toute République. Citoyens, en déplorant avec, 
vous le malheur qui vient d'arriver, le gouvernement 
n'a pas eu le tort de ne ç'être pas armé autant qu'il 
était en lui contre ses éventualités. Ce matin même, 
une heure avant de venir ici, nous avons signé d'une 
main unanime une déclaration que nous nous propo- 
sions de vous lire avant la fin de la séance et que 
cette circonstance me force à vous lire à l'instant 
même. Lorsque l'audace des factieux est. prise en 
flagrant délit, la main dans le sang français, la loi doit 
être votée d'acclamation. Voici le texte de cette déclara- 
tion : < La Commission du pouvoir exécutif déclare 
qu'elle fera exécuter, en ce qui concerne Louis Bona^ 
parte, la loi de 1832, jusqu'au jour où l'Assemblée en 
aura autrement ordonné. » 

Sous l'impression de ce discours et surtout des 
incidents qui en avaient motivé la fin, l'Assemblée 
accorda le vote de confiance demandé par la Commis- 
sion executive, et Lamartine crut avoir gagné la 
partie. Il ne vit pas le piège : l'heure n'était pas encore 
venue de renvoyer la Commission executive, et il y 
avait mieux k faire pour les réacteurs. 

Le lendemain 13 juin, vint en discussion la vérifi- 
cation des pouvoirs du prince Louis Bonaparte. Jules 
Favre, ami de Ledru-Rollin et naguère encore adjoint 
au ministre des affaires étrangères, avait demandé et 
obtenu de rapporter les quatre élections qui venaient 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITLANTK 117 

d'envoyer le prince à rAssembléc. II s(î prononr;! 
pour l'admission, avec cette (^^loqiienco ;iin(';r(; «H. eau 
teleuse qui le rendaient si redoutable;. Ou a dit (|u(% 
pressentant la future élévation du priuco, .Iules Favir 
s'était souvenu du rôle qu'il avait \()iu\ a'jtif^foi^ 
comme avocat dans le procès des accusés de l'atteu- 
tat de Boulogne, où il avait défeudu Aladr^ui^c, l'uu 
des complices de Louis Bonaparte, et qu'il elir-rehail 
à se ménager sa faveur. Il n'est fias besoin «le reuion 
ter si liaut pour assigner les eau-^es (Vimt: ielle fautt*. 
Jules Favre était de ceux qui voulaient r'!nvo><-i 
la Commission executive. 11 se leva eoniie 'II*!, beau 
coup plus qu'il ne se leva pour le fjrét.eij/l;iiil \pi<-. 
la séance où Louis Blane s'était -i viefoii» «j-.'tin'ut 
défendu, Jules Favre avait doun»': -.1 'l'-/ni-;sn t\" 
sous-secrétaire d'Ktal, fioiuriic -J:-. ju/iIt I'o.'j!:- 'J 
Landrin s'étaient demi* d»- leur- 'i*:i.'ii-->/;i-. ';«: iW': 
;;istrats, désavoué- qu'iN Tl-i'-::*. :/:: V \-::::.i,b *-. 
Far un sentiment •ju-^îi w: r-: :/-::*. \:h:» '\ •.,.',:'.: :.. 
trop flétrir. Jul»f^ Fdv:e --r r 



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118 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Ledru-RoUin répondit à Jules Favre, en homme 
d'Etat supérieur : « Gomment, s'écria-t-il, la loi 
n'existe pas ! Et pourquoi donc ce projet présenté 
pour décider si la loi serait ou non abrogée ? La loi 
existe par cela même que vous avez mis en question 
de savoir si elle serait suspendue ou au contraire 
appliquée. On vient parler de la souveraineté du 
peuple ! Comment ! vous reconnaîtriez que un, deux 
trois départements constituent la souveraineté du 
peuple. La souveraineté du peuple existe dans Tuni- 
versalité du peuple. Autrement, il peut convenir à 
un département surpris de nommer un prétendant, 
et ce département égaré pèserait à lui seul dans la 
balance autant que Tensemble de la nation! Quand la 
souveraineté du peuple que vous représentez, puis- 
que vous être constituants, a déclaré que la loi de 1832 
existe encore, vous ne pouvez pas dire que qu'on 
attente à la souveraineté d'un député du peuple ! Ce 
qu'il faut respecter, c'est l'ensemble de la nation et 
non pas le vœu isolé d'un département : voilà les 
principes. •» 

Ce ferme langage, inspiré de la véritable raison 
d'Etat, ne fut pas compris. L'Assemblée vota l'admis- 
sion pure et simple de Louis Bonaparte, et consomma 
ainsi la plus grande des fautes qu'elle pût commettre. 
Elle n'en eut même pas le bénéfice. Louis Bona- 
parte écrivit de Londres que, ne voulant que le bien 
de la République, il se refusait à rompre son exil ; 
mais il annonçait en même temps que, si le peuple 
lui imposait *des devoirs, il saurait les remplir. Le 
général Cavaignac remarqua que, dans cette lettre à la 
fois humble et insolente, le nom de la République 
n'était môme pas prononcé. L'Assemblée s'imagina 
qu'elle suppléerait à cette lacune, en criant elle-même : 
Vive la République I à diverses reprises. Mais le mal 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 119 

était fait, et le peuple qui n'aimait pas rAssemblée, se 
détourna d'elle, pour aller à l'homme qui savait le 
prendre de si haut avec ses adversaires. 



Paris à la veille des journées de Juin. — Les ateliers nalionaux. 
— Louis Blanc y a toujours été étranger. — Emile Tiioinas et 
Marie, ministre des travaux publics, imaginent cet expôilieni, 
transitoire dans l'intérêt de l'ordre. — Juste impopularité (1«î 
ces établissements. — Proclamation des ouvriers des ateliers 
nationaux unis à ceux du Luxembourg. — L'Assemblée eoiis- 
tituante et les théories sociales. 



La situation devenait de jour en jour plus soinl)re, 
et l'Assemblée nationale, dont la réunion avait excité 
tant d'espérances, était maintenant aussi décriée ([ue 
la Commission executive, ce faible pouvoir, divisé 
contre lui-même, que tout le monde battait en brèclio 
et qui n'avait même plus la force de se défendre. Tous 
les intérêts étaient alarmés, et tous les courages, a])at- 
tus. Le cours de la rente S pour 100 était tombé à ()9, 
et le 3 pour 100 ne pouvait s'élever au-dessus de 46. 
Le malaise des pauvres croissait avec l'inquiétude des 
riches, et la société paraissait menacée de dissolu- 
tion. 

A quarante-deux ans de distance de cette époque iié- 
laste., il n'y a plus à douter que tous ces maux de la 
société n'aient été fort exagérés par l'opinion publique 
surchauffée, par une bourgeoisie sans courage, par 
un prolétariat dont l'imagination exaspérée ne voyait 
partout que trahisons, iniquités et misères. Les 
souflrances matérielles et morales du peuple, à Paris 
surtout, n'étaient que trop réelles. La vraie cause en 



120 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

était que, nul ne voyant clair devant soi, personne 
n'avait plus cette confiance dans le lendemain qui fait 
qu'une grande nation ne s'abandonne pas elle-même 
dans sa propre détresse. La France de 1848 manqua 
d'hommes ayant foi dans les destinées nationales. 

La République avait été acclamée avec un enthou- 
siasme qui tenait du délire : en réalité, bien peu d'es- 
prits fermes et prévoyants, parmi les Français, em- 
brassaient la portée de la révolution immense que te 
suffrage universel allait opérer dans les idées comme 
dans les mœurs. L'enthousiasme des premiers jours 
fit place au doute, et du doute, on tomba dans le dé- 
sespoir. Il ne subsista que le délire, qui, changeant de 
caractère, ne fit que s'aggraver. Les fautes politiques 
s'accumulaient. A peine étaient-elles commises que 
leurs auteurs en apercevaient les conséquences, et que. 
dans leur ardeur à les réparer, ils en commettaient 
de nouvelles. C'était là le délire des gouvernants. 
Quant au délire des foules, il se manifestait par la peur 
des uns et par la violence des autres. Rarement aux 
époques antérieures de notre histoire, le bon sens, le 
sang-froid, la netteté dans les vues, la sagacité dans 
les jugements, ces qualités maîtresses de l'esprit fran- 
çais, se sont trouvées plus complètement en défaut. 

La question la plus poignante de toutes, c'était la 
question du travail, le problème de la misère, le côté 
social de la révolution de Février : tout cela se résumait 
dans la question des ateliers nationaux. 

L'idée première de ce genre d'établissements ne date 
pas de 1848. Elle remonte, comme tant d'autres imita- 
tions plus ou moins chimériques et maladroites, à 
notre première révolution, qui, par l'organe de ses pre- 
miers auteurs, hommes sages et modérés entre tous^ 
Malouet, par exemple, avaient proclamé le droit à 
l'assistance et au travail. La commune de Paris, sous 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 121 

la Convention, avait ouvert le premier atelier national 
à Ja butte Montmartre. 

Vers la fin du mois de Février, dans les jours ([ui sui- 
virent la victoire du peuple, les ouvriers de Paris de- 
mandèrent du travail. On leur répondit par Taunione, 
sous forme de secours à domicile : ce n'était pas ce (fui 
convenait à leur fierté non plus qu'à leurs besoins. La 
commission des travailleurs, instituée au Luxenihouri^^ 
sous la présidence de Louis Hlanc assisté d'Albert, était 
un expédient politique, et ne répondait nuileuieut aux 
préoccupationssocialesdumondeouvrier. Le ministre 
des travaux publics du gouvernement provisoire, 
Marie, avocat éminent, mais peu familier avec les ([ues- 
tions ouvrières, encore moins avec les dilHcultés ijilié- 
rentes à toute organisation du travail, prit Tavis d'un 
jeune ingénieur à peine sorti de l'Ecole centrale, Kmile 
Thomas, qui conseilla d'ouvrir, d'accord avec la mai- 
rie centrale de Paris, des ateliers nationaux, où seraient 
embrigadés les travailleurs qui demanderaient à être 
enrôlés, en vue de gagner leur subsistance et celle de 
leurs familles. 

(]e n'était pas l'organisation du travail, telle ([ue le 
préconisait Louis Blanc, dans ce qu'il appelait ses ate- 
liers sociaux ; c'était môme le contraire, et cependant, 
telle est la mauvaise foi des partis, que Louis lUanc, 
malgré des protestations qu'il a di\ renouveler jusqu'à 
la fin de sa vie, sans réussir à extirper ce préjugé, 
passa pour être l'auteur des ateliers nationaux, et 
porta la peine d'une organisation qu'il a toujours dé- 
savouée. Une telle erreur si prolongée ne peut s'expli- 
quer, après Unit d'années écoulées, que par l'iniquité 
de ses adversaires. Kmile Thomas, dans son Histoire 
iha airliers nalion(iu.r, avait cependant fait cet aveu : 
« Je voyais à ce projet, dit-il (la fondation d'un club 
des ateliers nationaux), l'immense bénéfice de dresser 



122 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

un autel contre celui du Luxembourg » ; et Lamar- 
tine, dans son Histoire de la Révolution de 1848, avait 
écrit les lignes suivantes, d'une juste sévérité à l'égard 
de son collègue Marie : « M. Marie organisa les ateliers 
nationaux avec intelligence (il s'agit des règlements 
édictés par Emile Thomas) mais sans utilité pour le 
travail productif. Il les embrigada, il leur donna des 
chefs... Commandés, dirigés, soutenus par des chefs 
qui avaient la pensée secrète de la partie anti-socia- 
liste du gouvernement provisoire, ces ateliers contre- 
balancèrent, jusqu'à l'arrivée de l'Assemblée, les 
ouvriers sectaires du Luxembourg et les ouvriers 
séditieux des clubs. » Il n'y avait donc pas à douter 
que Louis Blanc ne fût pour rien dans l'établisse- 
ment des ateliers nationaux, et quand on se représente 
que ces ateliers, institués contre lui et pour faire 
échec à son {influence comme à ses doctrines, ont 
été la cause principale de son impopularité parmi ses 
collègues de l'Assemblée nationale et de l'injuste 
proscription dont il a été frappé, on est forcé de recon- 
naître que ce n'est pas sans motifs qu'il se considérait 
comme un martyr de sa cause, et comme une grande 
victime devant l'histoire. 

Pendant toute la durée du gouvernement provisoire, 
les enrôlements d'ouvriers dans les ateliers nationaux 
augmentèrent en nombre tous les jours, et dans des 
proportions qui ne tardèrent pas à devenir inquié- 
tantes. Que ferait-on de cette agglomération de tra- 
vailleurs, qui n'était en réalité qu'un rassemblement 
de désœuvrés ? Si le propos rapporté par Emile Tho- 
mas, dans son livre, est vrai — et ce propos n'a jamais 
été démenti — il faut convenir que la responsabilité 
morale du ministre des travaux publics, Marie, reste 
gravement engagée devant le tribunal de la cons- 
cience publique : « Un jour, raconte Emile Thomas^ 



ASSEMBLÉE 5ATI0NALE CONSTITUTANTF: Vi:\ 

M. Marie me demanda fort bas, si je pouvons roiiiptcr 

sur les ouvriers. — Je le pense, répondis-jc. ; c(^|)(mi- 

dant le nombre s'en accroît tellement qu'il iim* (1(; 

vient difficile déposséder sur eux une action nussi 

directe que je le souhaiterais. — Ne vous in(iiM<>l,e/ 

pas du nombre, me dit le ministre ; si vous les h'iic/, 

il ne sera jamais trop grand. Ne ménagez ]);is ViW'^r.id ; 

au besoin même, on vous accorderait des fonds 

secrets. Le jour n'est peut-être pas loin où il faudra 

les faire descendre dans la rue. » 

On frémit à Tidée que de telles ])n'*,visioiis aifnf pu 
se présenter à l'esprit d'un homme d'une (•oiisricri^-p, 
élevée et d'une parfaite droiture, comme ('tait Marif». 
Que pouvait signifier dans sa bouche un sfinhlahic, 
langage? Faire descendre dans la rur; (M's ouvri^-rH 
embrigadés au nombre de plus de cent mille, et pour- 
quoi faire ? Marie comptait-il s'en servir eontre jc^ 
autres ouvriers de Paris, encore [dus malheureux et 
plus aigris que ceux qui avai(^nt ohtenu rl/lre 
inscrits dans les ateliers nationaux? Kspéralt il que 
ces derniers consentiraient à se, faire, les soldaUfh- 
l'ordre, c'est-à-dire les exécuteurs terrihhs r|e^ 
alarmes et des vengeances bourgeoises, contre l'armée, 
du désespoir et de la faim ? (Comment de, pareitle^ 
perspectives n'ont-elles pas remi>li srju Ame dépou- 
vante ? D'autre part, licencier les ateli^TS nationaux, 
jeter sur le pavé de Paris ce,nt mille hommes sans 
travail,sans argentet sans i)ain, c'était, en rendant iné- 
vitable un soulèvement de tout le pndétariat fiarisien, 
déchaîner la guerre civile, et la guerre civile, e'était 
pour la République une mort (terlaine au milieu des 
plus effrayantes convulsions. On ne s*expli(|ue pa^^ le. 
discours de Marie. Oue voulaient donc re.s modérés? A 
quoi pensaient-ils? Pouvait-il y avoir dans une insur- 
rection du peuple un avantage (|uelron(|ue à recueillir 



12 i LA SECONDE RÉPUBUQUE 

pour la République ? Comment ces hommes portée 
au gouvernement par les hasards d'une révolution 
ne comprirent-ils pas mieux leurs devoirs les plus 
élémentaires ? On se perd en conjectures, et c'est là 
qu'on peut voir à quel point la révolution de Février 
était restée inconnue dans son principe et ses ten- 
dances à ceux mêmes qui en paraissaient les chefs. 
Mais que dire de ceux qui n'étaient pas républi- 
cains, et qui n'attendaient que l'occasion de précipiter 
la chute de la République, au risque de voir la France 
s'abîmer elle-même dans un cataclysme général ? 

Ce qu'il y eut peut-être de plus regrettable dans 
cette crise, c'est l'erreur qui fit croire aux ouvriers 
enrôlés dans les ateliers nationaux que ces établis- 
sements, qui, dans la pensée de leurs organisateurs, 
avaient un caractère essentiellement transitoire, 
étaient comme une première application de ce 
droit nouveau conquis par le peuple en Février et 
qu'où appelait le droit au travail. Cette conquête était, 
dans Tordre économique et social, la conséquence 
et le complément de l'autre conquête accomplie dans 
l'ordre politique, le suffrage universel.' Celle-ci avait 
été taxée d'utopie dangereuse et irréalisable, et cepen- 
dant, on venait de l'appliquer; et, du premier coup, 
la France entière l'avait adoptée comme l'instrument 
nécessaire et définitif de sa souveraineté. Pourquoi 
la conquête sociale n'aurait-elle pas la même for- 
tune ? Le gouvernement provisoire avait reconnu et 
proclamé le droit au travail, tout de même qu'il avait 
reconnu et proclamé le droit égal et la capacité égale 
de tous les Français à l'exercice du droit de suffrage. 
Et vraiment, quand on se reporte à cette époque, le 
gouvernement provisoire pouvait-il faire autrement, 
dans les premiers jours de son avènement au pouvoir? 
Ne savait-il pas qu'il y avait été porté principalement 






ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTiTIJAMI-: 1'^.» 

parles classes ouvrières de Paris ? Jjîs r.Ucis i\r cc^ 
:| ciasses, à défaut de la masse à peiiio Ocluivt'v. dos ti:i 
vailleurs, étaient à cette épo(|ue profoiidfuiHHit iinhiis, 
/«ut-ètre plus que de dos jours, dfîs lljéorii's cl**s n\Un 
mateurs socialistes. Une révolution qui n';iur:iil ritm 
fait ni rien tenté en faveur du sociaiisnjf', ciil t-\r. ]univ 
les meneurs des classes ouvn(';n;s urn; (U'.rM\,]\(ni qui 
ea rappelant les déceptions de juillet IH.'iO, <iji inf;iilli 
blement remis le peuple debout, los aiitit" a l;i in-jin. 
pour détruire son ouvrage. Aluni l(rsat(:lJf'rHn:iiJoii:iiix 
furent un expédient, mais un tt\\n':ti'n'ti\. qui \,n\ .-t 
source dans la reconuaissaucf; et la \ti*n:\:iîti't\:'ni du 
droit au travail parlefrouverue/neut jijovi oim ;iutoN/ 
duquel la bourgeoisie s'était r-illiée r'ufjj/j': iiut^m <!<• 
la seule autorité possible, en ee- uio/ne/i»-. d^: j/' /il si 
elle ne songeait qu'à sou propie -alut. 

Tout cela malheureusenieut Jut orjhli' *U -. *\ i<: :< 
hautes classes revinrent de Jeu/-, jijej.i 'm î;;. .< i' 
Les ouvriers, suivant Ja ir-ij'A*t •■Aiu;i:::,>. ';.;.. 
avaient dite, firent crédit de t'o.-. /nsj -. ':e Je >: lu..' :< 
à la République: le^î anei«-jjjj*--. 'Jô-e- ';j.'./< .;;.*' • 
se croyant défiouiliée-, de v>tjs- j-j; ..'.;:.«•'< •/... 
tique, et déplu* menaeëer d-j;- .e,; >.;^';:;\'.^ .■/':..' 
>e refusèrent â un r^e; JV.e ;.<:e:, f-'i •.<..'-, i.i ;.;•... 
ciste hardi mai^ invo/jr -.Ui.r e* .^::j*..' Kr.'...^ ' ' 
liirardiu. avait-iJ e:>; '/e- Je- i»:*".'...-'^ //-».••- '//;. 
liauce ! fonlian» e - /•s :.> ;'e e\ ;.'.'/. »;.;.e ;// .:-/"». f '■ 
ue pu: ni n<ir vo-.«-l •■': ;•:-.. ;''.e' < ;..•<.;./:;? .•',;. ;/.,•■ 
d'un xr'SwuK u*y^'* e< . ': o;,* . <.«:.■ ;;.< ;. ■ ..;..,■ .• ,; 
J•^i-•- *-l Or:<:.::e=r ':>;.' ,< •;•*.•■ .' - *. *. >^/' '/•/."• ' • 
1 1 11 i 1 u i T<:ii :. . ' . ". :;. n • • > =-;. ;>- ■ . -' •. . :. / • • .• ' • . r;. • ' -^ •• 
•ii>trin*r%. .-- . r^ .*:•;.'■ \*-.:.'.'- ,' « • .v -^ y . •; , ^ 

et p<::iv.- :. : - *: .• ' -.•■.•;/ ; .• , •,.-. .• •■ 



# ■ 



126 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

se refusa toujours à reconnaître loyalement à ce qu'il 
pouvait y avoir de nécessaire et jusqu'à un certain 
point d'avantageux pour elle dans ces mesures mêmes. 
Elle donna ainsi l'exemple de la politique funeste qui, 
depuis un demi-siècle, a tant énervé la force morale 
•de la France, la politique pessimiste qui sème la dé- 
fiance et le découragement, abaisse les caractères, et 
pousse à l'excès du mal, en affichant l'espoir que le 
bien finira par en sortir. 

Le rapide accroissement du nombre des ouvriers 
des ateliers nationaux fait comprendre le discrédit 
profond dans lequel tombèrent ces établissements, 
qui n'avaient d'ailleurs aucun caractère socialiste et 
ne donnaient satisfaction à personne d'un peu notable 
dans le groupe des réformateurs. Au 2 mars, huit 
jours après les événements de février, on ne comptait 
pas plus de dix-sept mille ouvriers sans travail dans 
Paris ; au 15 mars, ce chiffre de dix-sept mille montait 
à cinquante mille ; au 20 juin, il dépassait cent sept 
mille. Evidemment, il y avait là de sérieux abus. 
Sans doute, le chômage s'était étendu, et les misères 
aussi. Chose plus grave, les ateliers nationaux, par leur 
institution même, inquiétaient le travail libre, dans 
ses diverses spécialités, car les ouvriers, qui n'auraient 
pas demandé mieux que de continuer leur labeur 
accoutumé et de reprendre leur tache quotidienne, ne 
pouvaient voir, sans des sentiments d'envie et sans de 
justes récriminations, ces chantiers où la production 
était nulle et où l'on touchait des salaires réguliers, 
sans avoir rien fait d'utile. Le grand vice de l'institu- 
tion se manifesta surtout par l'impuissance des orga- 
nisateurs et des chefs à occuper sérieusement plus de 
six mille hommes. Gaussidière, dans sa défense devant 
l'Assemblée nationale, avait dénoncé ce désœuvrement, 
qui coûtait des sommes énormes au Trésor : c Les oui- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 127 

mers, disait-il, n'ont fait que gratter la terre et la 
transporter d'un endroit à un autre. > Et encore, tous 
a'étaient pas propres à ce travail dérisoire et impro- 
ductif I D'ailleurs, tous étant désœuvrés, tous étaient 
déclassés. La démoralisation devait s'en suivre, si l'on 
ajoute à tant de causes d'insubordination les excita- 
tions des agents des partis dynastiques, habiles à se 
glisser partout, l'or à la main, les paroles de lifiine et 
de révolte à la bouche, avec Tardent désir de jeter dans 
la plus effroyable mêlée tout ce monde d oisifs et 
d'ambitieux à qui l'on promettait, au nom des i)ré- 
tendants, de réaliser l'éternelle chimère des pauvres, 
l'abolition de la misère. 

Cette oisiveté pesait singulièrement aux hommes 
sérieux et sincères des ateliers nationaux. Entassés 
pêle-mêle, malgré la hiérarchie savante d'Emile Tho- 
mas, condamnés à des besognes rebutantes pour h\ 
plupart d'entre eux, ils contenaient à i)eine leurs 
colères incessamment attisées par une presse (em- 
poisonnée, par des journaux nourris des haines de 
la réaction, comme le Constitutionnel, VAsscmhIrr 
nationale, qui, pour les insulter, rivalisaient de cy- 
nisme, de verve injurieuse avec des feuilles écloses 
de la veille entre les pavés soulevés par Témente, et 
soudoyées par les pires corrupteurs. Cette presse i n f A m e 
accablait les ouvriers des ateliers nationaux, comme 
les autres du reste, comme ceux qui étaient restés 
libres et se réunissaient tous les soirs sur les ])laees 
publiques et dans les carrefours, sous les épithètes les 
pi us outrageantes et les plus calomnieuses, les traitant 
de paresseux, de voleurs, d'assassins, de forçais libérés 
à peine sortis des bagnes et prêts à tout faire pour y êtnî 
renvoyés. Vainement les honnêtes ouvriers essayaient 
de se défendre, en adressant des protestations aux 
journaux de leur opiniou : « Rédacteurs du Constitn- 



128 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

tionnel, disait Tune de ces protestations, vous mentez 
impudemment, quand vous dites que les ateliers ren- 
ferment de onze à douze mille forçats... Nous ne 
gagnons pas notre argent, dites-vous I Eh 1 mon Dieu î 
nous le savons aussi bien que vous et c'est là ce qui 
nous désespère. Vous ne savez pas, vous riches, ce 
qu'il en coûte à des ouvriers honnêtes et laborieux, 
habitués à gagner leur vie par le travail, d'aller pen- 
dant toute une journée s'exposer aux rayons d'un 
soleil brûlant, pour toucher le prix d'un labeur qu'ils 
i^'ont pas fait. » 

Voilà qui jette une lumière instructive sur les sen- 
timents qui animaient les principaux des ouvriers des 
ateliers nationaux, en ce qui touche le travail qu'on leur 
donnait à faire ; et pour ce qui est de leurs opinions 
politiques, un autre document atteste qu'en dépit de 
toutes les excitations auxquelles ils étaient livrés 
avec la connivence de M. Emile Thomas lui-même 
qui ouvrit la porte des ateliers aux agents bonapar- 
tistes, ces ouvriers, ces artistes, ces Parisiens de 
naissance, de mœurs et d'éducation ne cessaient pas 
d'être fidèles à la République. Se sentant travaillés, 
harcelés par les émissaires de la réaction, ils com- 
prirent vite que l'on cherchait à dégoûter le peuple 
de ces institutions républicaines qu'il avait fondées, 
pour être le point de départ et l'instrument d'un ordre 
social nouveau ; et ils se rapprochèrent des ouvriers 
du Luxembourg, afin de signer avec eux une proclama- 
tion, dans laquelle ils adjuraient les travailleurs pari- 
siens de ne pas se laisser séduire par les flatteries et 
les promesses des agents des dynasties déchues, de ne 
pas encourager par leur présence « des manifestations 
qui n'ont de populaire que le titre ». 

« Nous vous prions, disaient-ils encore, au nom de 
cette liberté si durement achetée, au nom de la patrie 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 129 

régénérée par vous, au nom de la frateruité, de réjça- 
lité, de ne pas joindre vos voix et votre appui à des 
voix anarchiques, de ne pas prêter vos bras et vos 
cœurs pour encourager les partisans d'un troue que 
vous avez brûlé! Ces hommes sans âme, sans con- 
victions, amèneraient inévitablement l'anarchie au 
milieu du pays, qui n'a besoin que de liberté et de 
travail. 

« Nul ne doit prétendre désormais qu'au plus beau 
de tous les litres, à celui de citoyen. Nul ne doit essayer 
de lutter contre le véritable souverain, le peuple. 

« La réaction travaille, elle s'agite; ses nombreux 
émissaires feront luire à vos yeux un rêve irréalisable, 
un bonheur insensé. Elle sème l'or. Défiez-vous ! dé- 
fiez-vous ! Attendez encore quelques jours avec ce 
calme dont vous avez fait preuve et qui est la véritable 
force. Espérez, car les temps sont venus, l'avenir nous 
appartient ; rien n'est maintenant possible en France 
que la République démocratique et sociale. » 

Un tel langage, au lieu d'apaiser les passions, ne 
fit que les envenimer. On voulait voir, dans cet ajour- 
oement à quelques jours, l'annonce à bref délai de la 
collision, qui apparaissait d'heure en heure comme 
plus menaçante et bientôt inévitable. Ce fut une faute, 
que les modérés pouvaient facilement éviter. Aujour- 
d'hui, sans doute, il est facile de dire que cette procla- 
mation respire en plus d'un passage la passion sincèr(i 
et naïve d'un état social vraiment utopique, constant 
objet des aspirations populaires : mais, en ce temps-là, 
c'était le langage de tout le monde, et personne ne 
pensait à reprendre, pour la blâmer, cette phraséo- 
logie vague et trompeuse. On ne remarqua point 
assez le grand pas que venaient de faire les ouvriers 
vers la reconnaissance du fait légal de l'existence de 
la République, qui, d'après eux et sous aucun ^^^i- 



130 LA SECOxNDE RÉPUBLIQUE 

texte, ne devait plus être exposée aux dangers ni 
remise en question ; on ne s'attacha qu'à la couleur 
« socialiste » de ces adjurations solennelles, et comme 
le parti socialiste venait de faire passer aux élec- 
tions parisiennes du 5 juin P.-J. Proudhon et Pierre 
Leroux, les terreurs feintes ou réelles du parti mo- 
déré n'en devinrent que plus vives. 

La vérité est que, dans l'effervescence des esprits^ 
et dans le trouble des âmes, les problèmes sociaux 
posés par la révolution de Février prenaient chaque 
jour plus d'importance. Les uns, et c'étaient les plus 
nombreux, n'osaient aborder ces problèmes que pour 
en dénoncer le caractère à la fois chimérique et sub- 
versif ; les autres, tout en ne refusant point de s'en 
occuper, ne comprenaient point que le peuple s'obtinât 
à les mettre au-dessus de toutes les autres difficultés 
que la République avait à résoudre. 

Tel était l'état d'esprit de la plupart des républi- 
cains de l'Assemblée constituante ; tous avaient été 
plus ou moins surpris par la soudaineté de la révolu- 
tion de Février, et tous s'étonnaient et s'alarmaient 
de la tournure imprévue que pouvait prendre tout à 
coup cette révolution qu'ils regardaient comme finie, 
puisqu'elle avait abouti à l'installation de la Répu- 
blique sur les ruines de toutes les monarchies succes- 
sivement essayées et renversées depuis un demi-siècle. 
Les représentants arrivés de leurs provinces igno- 
raient Paris, et surtout Paris socialiste. Les théories 
et les systèmes, les doctrines et les hommes leur étaient 
également inconnus. Ils n'en savaient guère que ce 
qu'en disaient les journaux, souvent aussi peu ins- 
truits qu'eux-mêmes. Cette ignorance les réduisait, 
soit à s'en rapporter trop souvent aux déclamations 
déraisonnables qui échappaient aux défenseurs pas- 
sionnés de ces idées confuses et peu mûries, soit aux 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 134 

calomnies efirontées de ceux qui exagéraient le péril 
socialiste, avec l'arrière -pensée d'exploiter contre les 
institutions nouvelles l'effroi causé par ce péril. On 
sentait vaguement que le socialisme, si mal défini 
qu'il fût alors, et justement parce qu'il était mal com- 
pris et mal digéré, portait tort à la République, et 
loin de l'étudier pour l'appliquer ou le réfuter, on se 
contentait de le détester, en le diffamant. 

Nul doute que le socialisme n'eût fait surgir au sein 
des classes laborieuses des espérances impossibles à 
réaliser, et que ces espérances mômes ne dussent 
aboutir, en s'écroulant, à de cruelles déceptions, et 
à un recul inévitable, alors que le peuple avait cru 
faire un pas en avant dans la voie qui conduit à 
Tégalité par la justice sociale. Ces déceptions devaient 
avoir pour effet de diviser les républicains, encore 
plus qu'ils ne l'étaient avant. Ceux d'entre eux que 
leur ignorance ou leur défaut de courage tenait éloi- 
gnés du socialisme, perdirent la confiance des portions 
vives et agissantes de la démocratie ouvrière, et, d'un 
autre côté, les ressentiments témoignés à ces républi- 
cains timorés par la fraction la plus ardente de leur 
parti, précipitèrent les bourgeois dans une si folle 
terreur du socialisme que, plus tard, ils aimèrent 
mieux se jeter dans les bras du premier sauveur à 
leur portée que d'accepter, pour la conduire, une Ré- 
publique qu'ils jugeaient impuissante à les protéger 
contre les périls des soulèvements populaires. 

Au milieu de tout cela, le caractère de Finsurrectioa 
désormais inévitable et qui éclata en juin, resta pro- 
fondément méconnu. Mais il est temps de dire quelle 
fut la conduite de l'Assemblée nationale dans ces cir- 
constances à jamais douloureuses. 



132 LA SECO.XDE RÉPUBLIQUE 



VI 



Ulysse Trélat, ministre des travaux publics. — Son plan pour la 
solution de ralTaire des ateliers nationaux, repoussé par la 
Commission executive, est tenu en échec par les comités des 
finances et des travailleurs de l'Assemblée. — Les comités 
permanents de la Constituante. — Le comte de Falloux. — 
Discours socialiste de Pierre Leroux. — Réplique de Goudchoux. 



La question des ateliers nationaux était arrivée à 
sa période aiguë, quand la Commission executive 
nomma pour remplacer Marie au ministère des tra- 
vaux publics, un des hommes qui avait le plus compté 
<lans Tancien parti républicain par son caractère élevé, 
son courage à toute épreuve, sa haute et sévère probité, 
son éloquence audacieuse et convaincue : c'était le 
docteur Ulysse Trélat, ancien journaliste dans le Puy- 
de-Dôme, impliqué dans le procès d*avril devant la 
cour des Pairs, celui qui avait fait entendre au prési- 
dent Pasquier le fier et hardi langage du parti répu- 
blicain, quand il se fît accusateur de ses juges devant 
la France et devant l'Europe. Trélat, doué d'un cœur 
aussi tendre que sa volonté était ferme, était de ceux 
<[ue la responsabilité n'ellraye point, tant ils sont sûrs 
de leur conscience. Hélas ! cette qualité si précieuse, 
et si rare dans les hommes qui gouvernent aux heures 
de crise, tourna contre lui-môme et contre ses projets. 
Il avait le problème des ateliers nationaux à ré- 
soudre; il s'y appliqua, dès son entrée aux affaires, 
avec sincérité et dévouement, moins encore comme à 
un service à rendre à son parti que comme à un 
, grand devoir à remplir envers son pays. Il crut tout 
d'abord que, dans des circonstances aussi difficiles 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 133 

et dans ud cas aussi exceptionnel, il avait le droit de 
recourir à des moyens énergiques, sauf à ré])ondre 
de ses actes devant l'assemblée nationale. 

Il commença par se faire rendre compte par une 
commission qu'il nomma en dehors de TAssemblée 
de l'état des ateliers nationaux. Les lumières de son 
esprit, les inspirations de son cœur ne lui permet- 
taient pas de songer à une dissolution immédiate et 
brutale de cette immense agglomération d'hommes. 
Et cependant il était nécessaire d'y arriver, le trésor 
de la République s'épuisant à fournir des subsides qui 
allaient se perdre dans ce gouffre toujours béant, sur 
lequel l'Assemblée fixait des regards pleins d'anxiété 
et de malveillance. 

Ulysse Trélat pensa qu'il atteindrait le but assigné 
par sa conscience à ses efforts : en arrêtant d'abord 
les enrôlements que le directeur Emile Thomas , sus- 
pect d'accointance avec la faction bonapartiste, sem- 
blait multiplier comme à plaisir, quand il aurait fallu 
tout faire pour les réduire ; en préparant la rentrée 
des ouvriers dans les ateliers privés, que les patrons 
furent invités à rouvrir, surtout dans les industries 
toutes parisiennes; en créant non seulement à Paris, 
mais sur tous les points du territoire, des chantiers 
où les ouvriers consciencieux et qui voudraient quit- 
ter Paris trouveraient un travail vraiment utile et 
rémunérateur; en prenant à cet égard, d'accord avec 
son collègue des finances, des mesures d'intérêt 
général, telles que chemins de fer à con^ruire, ca- 
naux à creuser, usines et fabriques à mettre en acti- 
vité, pour la production d'objets d'utilité nationale; 
enûn, en provoquant parmi les plus jeunes ouvriers 
d'autres engagements, d'autres enrôlements, cette 
fois dans l'armée et non plus dans des établissements 
que l'on devait inévitablement fermer. 

8 



134 LA seconde; RÉPUBLIQUE 

C'était, comme on le voit, la dissolution lente mais 
progressive : il n'y fallait que du temps et de la 
bonne volonté. 

Le courageux ministre soumit ce plan à la Commis- 
sion executive dont il tenait ses pouvoirs. Celle-ci 
refusa de l'adopter, ne pouvant se résoudre, dit-elle, 
maintenant que l'Assemblée oationale était réunie, à 
sanctionner un ensemble de mesures qui semblaient 
impliquer et consacrer le droit au travail. C'étaient 
les mômes hommes qui, en face du peuple, avaient 
reconnu et proclamé ce droit, en reconnaissance de 
la victoire des combattants de Février. 

Trélat ne parlait point du droit au travail : pourquoi 
soulever cette question ? 

L'Assemblée constituante ne voulut pas davantage 
accepter les propositions du ministre des travaux 
publics, sans les soumettre à une commission nommée 
par elle, complication nouvelle, et tout à fait inutile 
en un tel moment. 

C'est sur le fait qu'il faut saisir ici les fâcheux 
inconvénients de la méthode de travail adoptée par 
l'Assemblée nationale de 1848. 

Cette assemblée était remplie d'hommes de bonne 
volonté, très fiers de leur mandat, fort attachés à 
leurs devoirs, impatients de faire le bien, en travail- 
lant avec assiduité aux affaires de la nation . Comme 
elle était souveraine, elle ne résistait guère à la ten- 
tation de se mêler de tout ce qui pouvait toucher de 
près ou de loin à l'administration ou au gouvernement, 
bien qu'elle eût chargé du pouvoir exécutif une ccm- 
mission qui en avait toutes les attributions et la res- 
ponsabilité. Afin de mieux faire sentir son action, elle 
s'était appliquée à copier celle de nos grandes assem- 
blées révolutionnaires, la Convention nationale, qui a 
mené à bonne fin la plus grandiose comme la plus ter- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTK I3ô 

rible de toutes les tâches, la défense de la ])ntrio on 
danger et l'ailermissemeut des couquiMes (!<' la llévolu- 
tion. LaConvention avait eupourorganes,pourinstrii- 
meatsde saredoutable omnipotence, ces fameux comi- 
tésqui ont laissé après eux une sitragi(|iie renommée. 
L'Assemblée nationale de 1848 voulut avoir les si(Mis, 
autant pour suivre l'exemple de la ('convention ([ue 
pour offrir aux représentants laborieux et dévoués des 
moyens d'étude et de travail et tirer parti de l'intelli- 
gence et de l'activité de tous ses memhre>. 

Assurément le but était louable, et, dans TAssemblét^ 
constituante de 1848, en elïet, la plupart d(»s repré- 
sentants se firent inscrire suivant leurs ^oiUs. leurs 
aptitudes, leurs capacités, sur les listes des (|uiu/.o 
comités permanents entre lesquels le ré};lem(Mil <te 
l'Assemblée partagea les travaux dont elle devait 
s'occuper. A côté et en dehors des comités, le règbî 
ment admit la nomination de commissions spé(;ial(^s 
élues dans les bureaux. 

11 arriva plusieurs fois que les commissions spé- 
ciales se trouvèrent en désaccord avec les romités 
permanents, antagonisme déjà très fâcheux; mais 
il arriva plus souvent encore (jue ce désaccord 
éclata entre les comités permanents eux-mêmes, (|ui 
avaient tous, à un degré plus ou moins élevé, la 
prétention de représenter et de diriger TAssemblée 
dans les matières de leur compétence. (les tiraille- 
ments ne laissaient pas de nuire à la bonne et i)rompl.(3 
expédition des afTaires, et sous le prétexte d'appeler 
tout le monde à travailler, on en vint, dans les cir- 
constances les plus délicates, à paralyser Faction de 
l'Assemblée tout entière. 

Indépendamment de cette rivalité des comités entre 
eux, il y eut une autre cause de menées et d'intrigues 
q;:i ne fut pas aperçue tout crabord, mais qm» Texpé- 



136 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

rience des choses et la pratique des hommes mirent 
bientôt en lumière, de manière à dessiller les yeux 
les plus prévenus. Dans les comités permanents, où les 
hommes se groupaient, non pas tant d'après leurs 
aptitudes que selon leurs affinités politiques, sq rejoi- 
gnirent bien vite tous ceux qui voulaient suivre la 
même ligne, observer la même tactique, servir et faire 
triompher la même cause politique. Par là, ces comités 
devinrent des centres d'action, ordinairement soumis 
à l'influence de quelque personnage considérable, 
qui, par l'adhésion de ses amis et la force morale qu'ils 
lui apportaient, se trouva souvent en situation, sans 
faire partie du gouvernement, d'exercer l'action la 
plus étendue, et quelquefois même de substituer, sans 
aucune responsabilité, à l'influence comme au pouvoir 
des ministres, une autorité dépourvue de tout frein 
comme de tout contrôle. 

C'est ce qui put être observé peu de temps après 
la quintuple élection de M. Thiers à l'Assemblée cons- 
tituante. A peine arrivé, il alla se tapir dans le comité 
des finances, d'où il ne tarda pas à diriger toute la 
politique parlementaire des ennemis de la Républi- 
que. Certes, un homme d'État d'une fertilité de moyens 
et d'une expérience aussi consommée que celles que 
possédait M. Thiers, était toujours assuré de se faire 
une place importante et de jouer un rôle prépondé- 
rant dans une assemblée française; mais, en 1848, il 
fut singulièrement aidé dans ses projets par les comi- 
tés permanents, au-dessus desquels il sut placer celui 
des finances comme le véritable groupe directeur de 
toute la Constituante. 

Il y a donc plus à perdre qu'à gagner, pour les 
assemblées qui veulent garder leur indépendance, 
dans l'établissement de ces chambres au petit pied 
constituées dans la grande, et l'on s'étonne qu'après 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 137 

l'expérience de 1848, il y ait encore parmi nous des 
hommes pour demander le retour à une organisa- 
tion aussi dangereuse, à une méthode de travail aussi 
vicieuse que celles de l'Assemblée constituante. C'est 
encore un de ces faux progrès, qui ne sont que des 
rétrogradations vers le passé, une de ces réformes 
vaines et à effet, comme on les aime dans certains 
groupes de notre parti, qui, sous prétexte de respecter 
certaines traditions, refusent de s'éclairer des leçtms 
du passé. 

Cet antagonisme des comités permanents de l'As- 
semblée constituante éclata juste au moment où les af- 
faires voulaient êtres conduites avec la plus parfaite 
unité de direction. Il y avait un comité des travaux 
publics qui soutenait le gouvernement, et un comité 
des finances qui lui faisait une guerre sourde et im- 
placable. Les ministres, Eugène Duclerc aux finances, 
Ulysse Trélat aux travaux publics, étaient d'accord, et 
les représentants appelés à les seconder, étaient désu- 
nis et divisés. Duclerc, jeune rédacteur du National, 
ne manquait ni de vues ni de courage. Son pian de 
finances reposait tout entier sur un projet de rachat 
des chemins de fer, que le comité des travaux publics 
était disposé à l'accepter. Au contraire, le comité des 
finances ne voulait point entendre parler du rachat 
des chemins de fer, qui lui apparaissait comme une 
mesure révolutionnaire et entachée du pire socialisme, 
et proposait à la place un projet de conversion des 
caisses d'épargne et des bons du Trésor en rentes 
perpétuelles. Le gouvernement soutenait, pour sa part, 
que la ^conversion projetée s'opérerait dans les condi- 
tions les plus désavantageuses au Trésor, tandis que 
le rachat des chemins de fer et la reprise des travaux 
pour leur achèvement rendraient de l'activité à l'in- 
dustrie, en même temps que du travail aux ouvriers : 



f38 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

ce pouvait être une solution du problème des ateliers 
nationaux, et c'est à quoi tenait surtout le ministre 
des travaux publics. 

La Commission executive cherchait à gagner du 
temps. Tout en refusant son adhésion aux vues de 
Trélat, elle avait compris que son devoir était de le 
soutenir dans la voie où il voulait entrer : c'est ainsi 
qu'elle avait approuvé le ministre dans les mesures 
qu'il avait prises pour remplacer Emile Thomas, lequel 
désobéissait de la manière la plus grave en continuant 
les enrôlements. Mais, la Commission, en vue de 
donner satisfaction à l'Assemblée, voulait substituer 
au travail à la tâche le travail à la journée, et dé- 
créter l'enrôlement dans l'armée des jeunes ouvriers 
de 18 à 2o ans inscrits sur les contrôles des ateliers 
nationaux. Tout dépendait du sort qui serait fait par 
l'Assemblée aux projetsfinanciers du gouvernement, et 
c'est là que l'on eut l'occasion de voir de près et de 
juger la tactique profonde d'un homme, à peu près 
nouveau dans les Assemblées politiques de la France, 
mais qui avait, dès les premiers jours de la Consti- 
tuante de 1848, conquis une grande influence, dont il 
sut user avec la plus rare habileté pour le plus grand 
malheur de la République. 

C'était le comte Alfred de Falloux, représentant de 
Maine-et-Loire. Fils d'une manière de gentilhomme 
angevin, enrichi dans le commercedu bétail et récem- 
ment anobli par le roi Charles X, M. de Falloux avait 
été élevé par sa mère, autrefois dame de la cour de 
Louis XVI, dans le culte de la monarchie légitime, 
et formé par elle aux belles manières, au langage fin, 
souple, insinuant et distingué du monde de l'ancien 
régime. Il était ainsi légitimistedenaissanceet d'édu- 
cation, et c'est en celte qualité qu'il était entré, aux 
élections de 1846, dans la Chambre des députés, où il 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 130 

n'avait eu ni le temps ni l'occasion de faire preuve de 
ses grandes aptitudes politiques. Une autre influence 
féminine, au moins aussi active et plus profonde que 
la première, avait déterminé le cours dé ses idées, en 
lui révélant par d'adroites flatteries l'emploi qu'il 
était appelé à faire dans la vie publique de ses facul- 
tés et de ses talents. Une dame étrangère, russe d'ori- 
gine et de religion, plus tard convertie au catholicisme 
romain le plus ardent sous la direction spirituelle 
de l'illustre comte Joseph de Maistre lui-môme, 
madame Swetchine, qui tenait au faubourg Saint- 
Germain un salon moitié mondain, moitié dévot, mais 
fort recherché, avait initié le jeune Alfred de Falloux 
au service de l'Église, et celui-ci s'était trouvé mer- 
veilleusement fait pour apprendre et saisir les mys- 
tères de cette politique cléricale toujours fixe en ses 
desseins, infiniment variée dans ses ressources, sans 
cesse rajeunissante et renouvelée dans ses moyens. 
Falloux avait commencé sa réputation, en publiant des 
livres : un Louis AT/ par où il avait déclaré sa haine 
de la Révolution française, en s'efïorçant de prouver 
que, si l'on avait laissé faire le roi, toutes les réformes 
auraient été accomplies, sans aucun bouleversement 
social et sans aucune effusion de sang; et une Histoire 
de Pie V, le pape de la Saint-Barthélémy, où il n'avait 
pas cru pouvoir se refuser à l'apologie de ce crime à 
jamais exécrable : c'était assez, à ce qu'il semble, pour 
faire bien connaître Falloux, et Ton s'étonne à bon 
droit que l'on ait pu semé prendre sur son caractère et 
ses opinions. Mais Falloux excellait à dissimuler les 
visées de son esprit comme les ardeurs de son tem- 
pérament. Il était à la fois très fanatique et très 
politique. Si ses doctrines étaient très arrêtées et fort 
étroites, son esprit de conduite était large et facile, 
au moins en apparence : il abordait ses adversaires 



iiO LA SECO.NDE RÉPUBLIQUE 

avec rintention de les séduire; il se résignait à vivre 
avec eux, pour les mieux tromper. Dans son livre 
sur Pie V, il avait osé écrire que < la tolérance, 
inconnue des siècles de foi, est un sentiment qui 
ne peut être rangé parmi les vertus que dans un 
siècle de doute > ; il avait même ajouté qu' « en im- 
molant rhomme endurci dans son erreur, il y avait 
toute chance pour que cette erreur pérît avec lui, et 
que les peuples demeurassent dans la paix de l'ortho- 
doxie ». Mais si, pour A. de Falloux rompu aux sub- 
tilités de la théologie, ces doctrines abominables 
étaient la thèse, il n'hésitait pas à réclamer la liberté 
des personnes, de la parole et des écrits, comme Vhy- 
pothèse donilemaHheur des temps voulait que les catho- 
liques fussent condamnés à s'accommoder. Pour sa 
part, il faisait plus que de s'y résigner, il usait hardi- 
ment de cette liberté et ne craignait même pas de se 
donner comme acquis aux réformes réclamées par l'es- 
prit du monde moderne. Après la révolution de Février 
sa profession de foi aux électeurs de Maine-et-Loire 
avait été Tune des plus remarquées pour ses tendances 
socialistes, et il n'est même pas bien sûr qu'il n'ait 
pas eu dès cette époque, avant tous ses coreligion- 
naires, étant plus attaché à l'Église qu'à la royauté 
même, la vision très nette des avantages que l'Église, 
si elle orientait sa politique de ce côté, pourrait retirer 
d'un certain socialisme chrétien et même d'une répu- 
blique cléricale. 

(]e qui est sûr, c'est que Falloux était né avec de&. 
parties supérieures de l'homme d'État. Doué d'un 
esprit à la fois pénétrant et très maître de soi, il était 
habile à paraître se donner au moment même où il 
se réservait le plus complètement. La fermeté de ses 
vues se marquait par la plus grande précision dans ses. 
actes. Il savait reconnaître où il fallait porter Teffort, 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 141 

et l'y portait avec une résolution inflexible, un)e coura- 
geuse persévérance, et toujours avec les formes les 
plus attirantes et les plus fallacieuses. De tous les 
adversaires que le parti de la Révolution a rencontrés 
sur sa route depuis un siècle, le comte de Falloux 
peut à juste titre passer pour Tun des plus redou- 
tables. Il à frappé ce parti de trois coups décisifs, et si 
violents que Ton se demande comment ils n'ont pas 
été mortels : il a provoqué, à la date marquée par lui, 
la terrible insurrection de Juin ; il a conduit la France 
républicaine à Rome, pour y étouffer la République 
et y rétablir le principal temporel des Papes, jetant 
ainsi entre la France et l'Italie les germes d'une divi- 
sion funeste et dont on ne voit pas le terme ; enfin, il a 
préparé la loi sur l'enseignement, qui a coupé la 
France en deux, mettant, d'un côté, les Français du- 
parti de la Révolution, et, de l'autre, les Français qui 
se sont rejelés entre les bras de l'Église, afin d'échapper 
par cette soumission aux conséquences de notre nouvel 
état social et politique. Si Falloux avait rétabli la mo- 
narchie des Rourbons, comme il aurait certainement 
réussi à le faire, ne fût-ce que pour un temps, avec 
un parti plus docile aux conseils de son expérience 
et de son génie, on cherche quel plus habile politique 
nous montrerait toute notre histoire. 

Le caractère hardiment socialiste de sa profession 
de foi avait permis à cet homme si avisé de se ranger 
parmi ceux qui voulaient s'occuper avant tout des 
questions sociales et ouvrières : c'est ainsi qu'il fut 
amené, dans le comité même des finances et dans la 
commission du travail, à prendre en main l'affaire 
des ateliers nationaux. Du premier jour, il vit clair. 
La dissolution des ateliers nationaux, la dissolution 
immédiate, totale, faite d'un seul coup et en un seul 
jour, des ateliers nationaux, amènerait une collision. 



142 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Eh ! ne fera-t-on rieii pour détourner une pareille 
catastrophe? oui, sans doute, il y aurait bien quelque 
chose à faire, mais quoi ? Il n'y a point, il n'y aura 
jamais d'autre remède, jamais de solution vraie et 
définitive que le licenciement de cette armée du dé- 
sordre; et ce qu'il y a de mieux, c'est encore de s'y 
préparer. Tel a toujours été son langage, et c'est pour 
cela que l'on voit d'abord Falloux temporiser. Il n'est 
[)as avec Trélat, ministre des travaux publics, dont il 
n'approuve pas les mesures ; il est encore moins avec 
la Commission executive, qu'il veut précipiter dans 
une telle impopularité que la République y succombe, 
avec elle : il se tient aux ordres de la Commission, 
de la sous-Commission qu'il conduit et dirige comme 
il veut, et il multiplie les rapports. Il a son plan, et 
il le suit. Pour lui, il n'y a pas d'autre solution que 
celle qu'il a fait connaître. Que lui importe la guerre 
civile? Une insurrection de prolétaires, qu'est-ce que 
cela ? On en vient toujours à bout. Ce qu'il faut, c'est 
qu'il y ait entre la bourgeoisie et le prolétariat haine 
irréconciliable dans le présent et dans l'avenir, car 
c'est cette haine perfidement exploitée qui empêchera 
la République de se fonder et de s'affermir. 

Les honnêtes et naïfs républicains du centre de 
l'Assemblée ne soupçonnaient rien d'une telle poli- 
tique. Dans toutes les occasions qui s'offraient à eux, 
leurs sympathies pour les souffrances matérielles dû 
j)eui)le se manifestaient par des votesde subsides, qui 
ajoutaient aux charges du Trésor, sans atténuer les 
maux dont souffrait le pays. On cherchait de la meil- 
leure foi du monde des palliatifs, des remèdes à ces, 
maux, sans rien trouver. On interrogeait les écono- 
mistes, et ils répondaient par leur célèbre formule : 
Laissez faire, laissez passer ! N'attentez pas à la liberté 
de l'offre et de la demande ! Ces crises sont încoer-- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE i43 

eibles comme les forces de la nature. Elles échappent 
à toute action. Le temps seul y peut quelque chose. 
C'est une affaire d'équilibre. L'équilibre ne peut tar- 
der à se rétablir, surtout si l'État n'intervient point, 
s'il ne rachète pas les chemins de fer, s'il ne cherclie 
pointa créer une hausse factice, si enfin il abandonne 
à leur liberté naturelle les contrats entre patrons et ou- 
vriers. On interrogeait aussi les socialistes. Comme on 
les accusait de tout le mal, c'était à eux surtout qu'on 
demandait de le guérir, et les socialistes répondaieni; 
qu'ils avaient, chacun de son côté, un système com- 
plet de réformes qui ne pouvait être ni mutilé, car 
c'était le réduire à l'impuissance, ni appliqué dans 
toute son étendue et dans sa rigueur, dans l'état pré- 
sent des esprits, avec les préjugés persistants et les 
habitudes invétérées de la nation. 

Il y eut cependant un jour où le socialisme apparut 
à la tribune de l'Assemblée, dans la personne du repré- 
sentant Pierre Leroux, récemment élu par la popula- 
tion parisienne. Cette apparition ne laissa pas de 
causer une vive impression, bien moins par les me- 
sures pratiques recommandées par le philosophe, que 
par les grands horizons que sa parole mystique ouvrit 
tout à coup devant les yeux les plus prévenus. 

Dans la séance du 13 juin, on discutait un projet 
relatif à l'assimilation de l'Algérie à la France, et à la 
création de communes, destinées, dans la pensée de 
ceux qui voulaient les organiser, à recevoir le trop- 
plein du prolétariat des grandes villes. Pierre Leroux 
proclama qu'en fait et en principe la France ne peut 
se passer de colonisation, de migrations, qu'elle a 
besoin de faire sortir de son sein tout un peuple qui 
demande une civilisation nouvelle. 

« Je dis, — et il se tournait vers la droite qui restait 
tout ébahie, — que si vous ne voulez pas admettrecela, 



144 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

si VOUS ne voulez pas sortir de rancieoQQe économie 
politique, si vous voulez absolument anéantir toutes 
les promesses, non pas seulement de la dernière ré- 
volution, mais de tous les temps, de la révolution 
française dans toute sa grandeur ; si vous ne voulez 
pas que le christianisme lui-môme fasse un pas nou- 
veau, si vous ne voulez pas de l'association humaine, 
je dis que vous exposez la civilisation ancienne à 
mourir dans une agonie terrible. > 

Ces paroles avaient déjà causé une émotion pro- 
fonde, quand Torateur ajouta : 

« Le gouvernement agit sans ensemble, sans une 
idée, faute de connaître la situation profonde de la 
société, faute d'avoir médité sur le problème que la 
révolution de Février a présenté aux esprits. Vous 
n'avez pas de solution, pas d'autre que la violence, la 
menace, le sang, la vieille, fausse, absurde économie 
politique. Il y a des solutions nouvelles. Le socialisme 
les apporte ; ne les calomniez pas, comme vous faites 
depuis trois mois ; permettez au socialisme de faire 
vivre l'humanité. Examinez les solutions du socia- 
lisme, et si vous n'en avez pas le temps, laissez le 
peuple les essayer, car il en a le droit. > 

Et Pierre Leroux, se sentant écouté, recommanda 
l'association, dont tout le monde parlait alors comme 
d'une sorte de panacée universelle. Il expliqua qu'il 
fallait augmenter la production par l'association, par 
la mise en culture des terrains vagues de la Bretagne, 
du Limousin et de la Sologne, par des migrations en 
Corse ou en Algérie. 

€ Ce grand mouvement de migration, dit-il, qui 
s'est accompli à toutes les grandes époques de l'huma- 
nité, doit s'accomplir encore, mais non pas de la 
même façon que dans l'antiquité. C'est la grande 
.loi de migration qui a fondé toutes les grandes choses 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 145 

humaines. Ceux qui connaissent l'histoire savent 
que c'est ainsi que l'humanité s'est toujours régéné- 
rée. C'est toujours une civilisation nouvelle qui est 
venue se placer à une certaine distance de l'ancienne^ 
en apportant à l'humanité une vie nouvelle, une cou? 
ception nouvelle de la vie. » 

€ Nous marchons à l'association ; souiïrez-la, ouvrez- 
lui la terre, la terre, notre mère. 

« Oui, c'est vers la terre, vers l'agriculture que l'asso- 
ciation, que la commune républicaine doit marcher. Il 
(aut lui ouvrir la route. Autrement, vous allez être obli- 
gés d'enfermer l'essaim dans la ruche, et alors ce qui 
s'observe dans les abeilles s'observera dans la société: 
humaine : la guerre, la guerre implacable. Comment 
concentrer ce qui veut vivre ? Comment conteuir 
ce qui veut sortir, ce que la loi divine veut qui 
sorte ? > 

Il ne faudrait pas croire que ces visions apocalyp- 
tiques d'une sorte de prophète social furent accueillies 
avec un scepticisme railleur. Tout en étant fort au- 
dessus de la portée moyenne des esprits,, la parole 
ardente et convaincue de Pierre Leroux- r^mua, pro- 
fondément les cœurs, et l'on vil plusieurs de ses adver- 
saires de la droite, Montalembert entre autres,, v^nir 
à lui, pour serrer sa main et le remercier d'avoir porté 
la question sur ces hauteurs. 

Mais ces adjurations, adressées aux républicains 
politiques, de tenir enfin compte des réclamations, 
soit justes, soit utopiques, du socialisme, amenèrent 
à la tribune Goudchaux, président de la commission 
des ateliers nationaux, qui crut de son devoir de 
montrer que la situation des travailleurs, leurs mi- 
sères, leurs plaintes, leurs droits ne manquaient 
point de défenseurs parmi ceux que l'on accusait de 
n'être que des formalistes, satisfaits par la 8ivsv\Afô 

E. SPULLER. ^ SEC. ttéP, ^ 



146 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

substitution de la République à la monarchie. Goud- 
chaux parla de l'instruction qu'il fallait donner gra- 
tuitement au peuple, des institutions de crédit qu'il 
était nécessaire de fonder dans l'intérêt des classes 
ouvrières, de l'exonération de certains impôts, dont 
il était juste de les faire bénéficier, de l'extension des 
magistratures populaires, telles que les conseils des 
prud'hommes; il alla même jusqu'à prononcer les 
mots tant reprochés à Louis Blanc d'égalité sociale 
par l'organisation du travail. Ses paroles excitèrent 
d'abord la surprise et bientôt le mécontentement. 

Goudchaux alors, et sans doute pour ne point trop 
irriter la droite, au besoin pour la ramener, prononce 
la déclaration que Falloux attendait : « Il faut, dit-il, 
que les ateliers nationaux disparaissent, je dis le mot, 
en leur entier ; il faut qu'ils disparaissent à Paris 
d'abord, en province aussi; il ne faut pas qu'ils s'a- 
moindrissent, entendez-le bien, il faut qu'ils dispa- 
raissent... Le sol est maintenant très miné... La Révo- 
lution de Février est arrivée trop tôt. Il faut résoudre 
aujourd'hui même la question des ateliers nationaux. 
Si vous ne la résolvez pas, la République périra, et 
la société passera par un tel état des choses que je ne 
veux pas vous le dépeindre. > 

A ces mots, empreints d'une si profonde inquiétude, 
la terreur renaît dans les esprits ; et, dès lors, c'est un 
cri universel : 

Il faut en finir I 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 147 



VII 



Il faut en flnir. — Emeutes quotidiennes. — Marie, membre de 
la commission executive, et le délégué Pujol. — Premières 
barricades. — Divergence de vues entre la commission exe- 
cutive et le général Cavaignac. — Falloux lit son rapport sur 
la dissolution des ateliers nationaux. — Intrigues politiques 
dans la majorité républicaine. — Proposition de Victor Con. 
sidérant. — Discours de Caussidière. — Proclamations de 
Marrast, maire de Paris, et de Sénard, président de l'Assem- 
blée. — Véritables caractères de l'insurrection de Juin. — Le 
sufTrage universel et le socialisme. — Proclamation de l'état 
de siège. — Dictature du général Cavaignac. — Retraite de la 
cx)m mission executive. 



Il faut en finir ! Ce fut comme une sorte de mot 
d'ordre, que toute la France répéta dans les provinces 
comme à Paris, dans les villes et jusqu'au fond des cam- 
pagnes les plus reculées, dans les rues aussi bien que 
dans les salons, parmi les ouvriers, parmi les soldats, 
dans les conseils du gouvernement, dans les concilia- 
bules des partis, partout à la fois et instantanément, 
comme si le pays tout entier se fût trouvé soumis à 
quelque immenseappareil électrique, qui eût au même 
moment galvanisé tous les Français par une décharge 
soudaine. 

Cette unanimité était ce qui se pouvait imaginer . 
de plus menaçant. Tout le monde voulait en finir; 
mais chaque individu, chaque groupe, chaque classe 
de la nation avait ses passions et ses vues, ses arrière- 
pensées el ses espérances : comment, par où arriverait- 
on à eu finir? Hélas ! il n'y avait qu'une seule issue, la 
guerre civile. On s'y trouva donc entraîné, sans avoir 
les moyens de s'arrêter, ni de se retenir. A tout on ré- 
pondait par le mot général et commun : Il faut en 



i48 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

finir î Et ce mot, qui devait étoufler la voix de la 
raison, commença par étouffer la voix de la pitié. 

Les ouvriers des ateliers nationaux rédigèrent une 
adresse à cet imprudent Goudchaux, qui venait de 
tout précipiter par sa proposition de dissolution 
totale et immédiate : on y lisait la déclaration sui- 
vante, bien faite pour toucher les cœurs les plus durs : 

« Vous demandez la suppression immédiate des 
ateliers nationaux, mais que fera-t-on des cent dix 
mille travailleurs qui attendent chaque jour de leur 
modeste paye les moyens d'existence pour eux et leurs 
familles ? Les livrera-t-on aux mauvais conseils de 
la faim, aux entraînements du désespoir ? Les jet 
tera-t-on en pâture aux factieux? » 

Goudchaux avait demandé que la Commission exe- 
cutive prît les mesures nécessaires pour arriver à 
cette dissolution immédiate, qu'il regardait comme 
une opération préliminaire indispensable. Ulysse Tré- 
lat soutint avec le plus louable courage qu'il n'était 
pas commandé par les circonstances d'agir avec pré- 
cipitation et inhumanité. Il voulait obtenir de nou- 
veaux délais, gagner du temps. On lui reprocha son 
impéritie, ses faiblesses. Le mot avait été dit : il faut 
en finir. La Commission executive, voyant l'orage 
gronder, crut habile de revenir à son premier plan 
d'évacuation forcée des ateliers, par l'envoi d'un cer- 
tain nombre d'ouvriers en Sologne et l'enrôlement 
des jeunes dans la garde mobile. 

Cette déportation à l'intérieur excita dans les ate- 
liers nationaux la plus vive irritation. Tous les soirs, 
se formaient des rassemblements, qui dégénéraient en 
émeutes, place du Panthéon, place de la Bastille, sur 
les boulevards, autour des portes Saint-Martin et Saint- 
Denis. Les ouvriers s'excitaient, s'encourageaient à la 
révolte ; les émissaires des prétendants dynastiques, 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 149 

-les agents de la réaction circulaient dans les groupes. 
On ne criait plus: Vive la République I mais on accla- 
mait la République démocratique et sociale, en jetant 
par intervalles des exclamations significatives, telles 
que celles de : Vive le Roi ! Vive Joinville î Vive 
l'Empereur ! Poléon I Nous l'aurons ! ce dernier cri 
sur Tair des Lampions. Avec la Marseillaise dont on 
ne chantait que le refrain : Aux armes ! citoyens, et 
que l'on profanait dans ces attroupements, où tant 
d'éléments impurs, bien connus de la police judiciaire 
et de la police de la sûreté, venaient se mêler aux 
prolétaires convaincus et honnêtes, ces discours en 
plein vent, ces criailleries, ce tapage avaient pour eflet 
d'exaspérer les bourgeois paisibles, en sorte que Téner- 
vement sous toutes les formes terrassait toutes les 
velléités de résistance à tant de désordre. 

Le 21 juin, le Moniteur universel annonça pour le 
lendemain un premier départ d'ouvriers. < Ne partons 
pas, disaient les ouvriers, on veut détruire la Républi- 
que. » Et, de fait, ils se considéraient comme les vrais 
défenseurs de la République. Aussi, la voyant mena- 
cée dans son existence par la couardise de ceux qui 
en avaient la garde, le plus grand nombre se résolut 
parmi eux à prendre les armes pour la défendre, en- 
core plus que pour défendre la maigre pitanro (jui 
les faisait vivre et qu'ils savaient bien qu'à un jour 
prochain l'Etat ne voudrait ni ne pourrait plus leur 
<lonner. 

A voir ainsi la Commission executive enopposilioii 
constante avec Trélat, son ministre des travaux |>n- 
blics, la défiance était devenue extrême dans le [)er- 
î$ounel des ateliers nationaux. Un certain Pujol, (|ni 
exerçait une grande action sur ses camarades, hdfnnH* 
doué d'une haute stature, d'un aspect imposant, d'une 
éloquence rude et d'une rare énergie, voulut en avoir 



150 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

le cœur net. Il rassembla un certain nombre d'ou- 
vriers et leur proposa d'aller en commun demander à 
la (Commission executive, si elle entendait maintenir 
sou décret. La proposition fut acceptée, et l'on se mit 
en marche vers le Petit-Luxembourç. Ce fut Marie 
qui reçut les délégués de cette manifestation, Pajol 
en tête. Marie le reconnut pour avoir pris part à la 
manifestation du 15 mai, ayant ce jour-là même parle- 
menté avec lai à la grille du Palais-Bourbon. Cette 
circonstance indisposa Marie, homme de palais, fort 
imbu de sa dignité, et qui crut que son devoir était 
de ne point laisser entamer celle du gouvernement. Au 
lieu de calmer les esprits, le ministre les irrita, en ma- 
nifestant sa résolution d'empêcher Pujol, qu'il tenait 
pour suspect, de porter la parole au nom de ses ca- 
marades, et il les froissa, en leur tenant un langage 
méprisant : « Pourquoi ^e parlez-vous pas, dit-il aux 
compagnons de Pujol, vous qui êtes de vrais ouvriers? 
Avez- vous besoin de la permission de cet homme? 
Seriez-vous ses esclaves ?» Ce mot maladroit gâta les 
affaires. Interrogé sur les résolutions de la commission 
executive, Marie fut sec et hautain : < Si les ouvriers 
ne se soumettent pas volontairement au décret, dit- 
il, ils seront expulsés par la force de Paris. » Pujol 
répliqua : < Le peuple saura à quoi s'en tenir sur 
vos dispositions à son égard. Nous nous retirons avec 
la conviction que vous ne voulez ni l'organisation du 
travail ni la prospérité des travailleurs, et que vous 
n'avez nullement répondu à la confiance que nous 
avions mise en vous. > Et les délégués sortirent. 

La manifestation organisée par Pujol se dirigea 
vers la place du Panthéon, et là commencèrent les 
premières barricades. La Commission executive donna 
l'ordre défaire arrêter Pujol et les principaux meneurs. 
Dans le désarroi où était la police, cet ordre ne put 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE loi 

être exécuté. La nouvelle deTiasuccès delà démarche 
de Pujol se répaudit dans tous les quartiers popu- 
laires comme une traînée de poudre, et dès lors Tinsur- 
rection apparut comme prête à éclater sur tous les 
points de Paris à la fois. A leur tour, les prolétaires 
parisiens dirent, comme les bourgeois : Il faut en finir ! 

Ils reprirent comme devise guerrière, dans les com- 
bats qu'ils s'apprêtaient à livrer, la devise des ouvriers 
lyonnais de la Croix-Rousse, en 1834 : Vivre eu tra- 
vaillant ou mourir en combattant ! Ils voulurent par 
là donner à cette lutte désespérée, non plus seulement 
le car::ctère d'une prise d'armes, pour la conquête 
d'une . nouvelle forme de gouvernement, comme ils 
avaient fait dans les révolutions antérieures, mais le 
caractère d'une guerre sociale, pour la conquête de 
certains droits, avantages et bénéfices, dont ils se 
croient injustement frustrés depuis la Révolution, bien 
((u'elle ait proclamé l'égalité devant la loi de tous les 
Français. « Du travail ou du plomb ! > dirent la plupart. 
Un certain nombre enfin, avant de se mettre à cons- 
truire des barricades et à faire le coup de feu, accom- 
plirent une sorte de pèlerinage, véritable acte de foi 
révolutionnaire, en allant à la colonne de Bastille s'age- 
nouiller devant le tombeau des héros de Juillet eu 
1789 et en 1830, afin de demandera ces grands morts, 
toujours si chers à la mémoire du peuple, des inspi- 
rations et des exemples, et jurer de reprendre et de 
continuer leur œuvre de justice et d'égalité. 

Et la bataille commença. 

Le général Eugène Cavaignac était ministre de la 
guerre. A ce titre, il avait eu de fréquentes confé- 
rences avec les membres de la Commission executive. 
Il était si certain pour tous que l'on aurait une insur- 
rection à réprimer, que hi général et la Commission 
executive étaient facilement tombés d'accord sur le 



152 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

nombre des troupes à faire venir ; ils se divisèrent sur 
remploi qu'il y aurait à en faire. La Commission 
executive demandait que Ton prévint une insurrection 
générale, en portant des forces en quantité suffisante 
partout où l'on verrait s'élever des barricades, de ma- 
nièreà disperser les fauteurs de l'insurrection et à les 
réduire à l'impuissance, avant qu'ils eussent le temps 
de se fortifier. C'était l'opinion de Ledru-RoUin, qui 
prédit que si l'on n'empêchait pas la construction des 
barricades, on ne tarderait pas à voir les faubourgs 
se transformer eu forteresses , abritant des soldats 
invisibles qui, de barricade en barricade, s dvance- 
raient des extrémités vers le centre, s'empareraient 
de l'Hôtel de Ville, et bientôt après, du Palais-Bour- 
bon, résidence de l'Assemblée nationale. 

Au contraire, le général Cavaignac voulait concen- 
trer les troupes, les ranger autour de l'Assemblée, et 
surtout ne pas les engager isolément dans les rues, 
afin de les faire avancer à la rencontre de l'ennemi en 
colonnes puissantes, avec de l'artillerie pour appuyer 
leur action. Ce qui importait au général Cavaignac, ce 
n'était pas tant d'empêcher l'insurrection de naître et 
de se développer que de lui infliger une défaite écra- 
sante et définitive. Il redoutait par-dessus tout, d'ex- 
poser moins la vie de ses soldats que leur honneur. 
Après ce qui s'était passé en juillet 1 830, en février 1848, 
où l'on avait vu des compagnies de soldats se laisser 
désarmer par des insurgés audaciemx, le général crai- 
gnait qu'une pareille humiliation ne fût infligée à des 
troupes placées sous son commandement, et il ne 
parlait de rien de moins que de se brûler la cervelle, 
si un tel malheur lui était réservé. Quand on lui par- 
lait de protéger les boutiquiers contre les émeutiers, 
il disait, non sans quelque dédain : « Qu'ils défendent 
leurs comptoirs et leurs boutiques ; moi, j'ai à défendre 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 153 

l'ordre public et la loi, sans laisser toucher à Thon- 
neur de l'armée. » En effet, Cavaiguac, on ne Ta pas 
assez vu dans son parti, était républicain de naissance 
et d'éducation, et la sincérité de ses convictions politi- 
ques ne pouvait faire doute pour personne ; mais il 
était avant tout soldat, ayant passé sa vie dans les 
camps, au milieu des troupes, et jugeant toutes 
choses avec des préjugés militaires dont il ne se ren- 
dait pas compte lui-même. Avant d'adopter son plan 
de répression de l'insurrection de Juin, il avait con- 
sulté ses camarades de l'armée d'Afrique et tous 
l'avaient approuvé; nulle puissance au monde n'était 
capable de l'y faire renoncer, car, après sa passion 
pour l'armée, la dominante de Cavaiguac, c'était 
le point d'honneur. Il se trouva donc en opposition 
avec les « avocats > de la Commission executive, 
et certes nul ne pouvait attendre de lui qu'il céde- 
rait. La Commission était dans son rôle, en vou- 
lant empêcher l'insurrection de naître, puisqu'elle 
était chargée du maintien de l'ordre; mais Cavaiguac 
obéissait à une loi de son esprit comme de son carac- 
tère, en ne craignant pas de laisser l'insurrection 
s'étendre jusqu'au moment où il pourrait la tenir et la 
broyer sousle feu roulant de sesfusilsetdeses batteries. 
(Cavaiguac se trouvaainsi en butte à des accusations 
terribles, dès que Ton sut qu'il était en conilit avec la 
Commission executive. Le journal la Pressf d'Kmile 
de Girardin alla' jusqu'à dire que les hommes du 
Xational voulaient, en laissant la révolte grandir et 
se développer, rendre nécessaire la dictature de Ca- 
vaiguac; ce qui est certain, c'est que, dans l'Assem- 
blée, le parti du Xational désignait le général comme 
le successeur nécessaire de la Commission executive', 
et qu'il y eut là une nouvelle cause de division entre 
les républicains de l'Assemblée. 



loi LA SKCONDE REPUBLIQUE ' 

(les tiraillements ne laissaient pas d'encourager lés 
combattants de Juin dans leur ardeur à la lutte. Pen- 
dant les deux premiers jours, il y eut sur divers points 
de Paris, notamment sur la rive gauche, des fusillades 
assez nombreuses. L'insurrection ne faisait cependant 
point de progrès trop inquiétants, et peut-être que si 
Ton eût témoigné, par quelque acte décisif, d'une moins 
vive et moins déraisonnable horreur du socialisme, en 
même temps que d'une sympathie plus agissante à 
l'égard des ouvriers, peut-être fût-on parvenu à faire 
tomber les armes des mains de ceux qui les avaient 
prises en désespoir de cause. 

Le comte de Falloux tenait son rapport tout prêt. On 
savait qu'au nom de la sous-commission des travail- 
leurs, ce rapport concluait à la dissolution immédiate 
des ateliers nationaux. A sa décharge, le comte de 
Falloux a pu dire qu'il n'avait pas été le premier ni 
le seul à réclamer cette mesure; mais ce qui subsiste 
pour l'histoire, c'est qu'il monta à la tribune de l'As- 
semblée, le jour même où la masse des ateliers n'avait 
pas encore pris parti pour l'insurrection, et que son 
rapport, ayant été lu dans l'Assemblée, tous les voiles 
furent déchirés, toutes les hésitations écartées, et 
que l'insurrection prit alors tout son développement. 
Il n'y a pas à dissimuler le courage personnel dont 
Falloux lit preuve dans cette circonstance. Pour qui 
veut y réfléchir, c'était sa vie qu'il jouait au service 
de la réaction. Tous ceux qui l'ont entendu lire son 
rapport ont gardé, à près d'un demi-siècle de date, le 
souvenir de cette voix claire, froide et posée, d'un son 
argentin, qui sonnait le tocsin de la guerre civile, 
avec la plus effrayante placidité. Il a bien senti lui- 
même, en écrivant les Mémoires d'un royaliste, toute 
l'importance de cet acte capital de sa vie publique* 
Mais qu'invoque-t-il pour sa défense ? 



ASSEMDLKE NATIONALE CONSTITUANTE j.w 

« L'assemblée, dit-il, en ordonnant la lecture <ie 
mon rapport, et moi, en le lisant, avions-nous, pou- 
vions-nous avoir la pensée d'une provocation à la 
guerre civile ? Non, car nous n'avions pas voulu assi- 
gner une date fixe à la dissolution, afin de laisser TAs- 
semblée toujours maîtresse de reculer ou d'avancer, 
comme elle le jugerait utile, la délibération qui 
devait précéder la dissolution. Ce que la majorité de 
la commission avait voulu, l'Assemblée le voulut 
aussi : c'était qu'au moment où les soldats, les gardes 
nationaux et l«s gardes mobiles exposaient leur vie, 
chacun de nous livrât son nom, et que, si le courage 
civil n'avait pas le même éclat que le courage mili- 
taire, il eût du moins la même franchise et le même 
dévouement. Nous étions réduits au rôle de légitime 
défense, et nous devions tout naturellement toute notre 
force morale aux bataillons qui, depuis plusieurs 
heures déjà, repoussaient à grand'peine une agression 
longuement préméditée, froidement résolue, audacieu 
sèment exécutée. > Falloux intervertit visiblement les 
rôles. Il se donne comme la victime, après avoir été 
le provocateur ; mais ce n'est qu'une feinte, qui ne 
saurait tromper personne. Quelle que soit la date à 
laquelle il lui ait plu de lire son rapport, il n'en de- 
meure pas moins le premier qui ait froidement résolu, 
dans l'Assemblée, de préparer les esprits à Tidée d'une 
dissolution nécessaire, inévitable des ateliers natio- 
naux, et le soin même qu'il a pris de laisser cette idée 
faire son chemin dans l'opinion de ses collègues 
montre bien qu'il la jugeait décisive à son point de 
vue, dans la crise où l'on se débattait. Les faits ont 
prouvé la justesse de ses calculs. Tout s'est passé, 
comme il l'avait prévu, pour ne pas dire préparé, et 
cela suffit à l'accabler. 

Le général Cavaignac, ayant décidé de concentrer 



156 LA SECO.NDI-: RÉPUBLIQUE 

ses troupes autour du palais de TAssemblée nationale 
pour la mieux protéger, c'est à la Présidence qu'il ins- 
talla son quartier général. Lamartine, Ledru-Rollin, 
Marie l'y accompagnèrent; Arago et Garoier- Pages 
restèrent au Luxembourg pour lutter avec la garde 
nationale contre l'insurrection. A l'heure môme où ils 
réussissaient à la tenir à distance, au Palais-Bourbon 
se tramait une véritable conspiration, pour amener 
la Commission executive à se démettre. Il semblaitque 
les hommes du National eussent plus grande hâte à 
remporter quelque misérable avantage politique qu'à 
triompher de l'émeute de plus en plus menaçante. 
Ce fut encore une faute, et celle-ci les républicains 
modérés ont à se la reprocher : ils ne devaient rien 
changer dans le gouvernement, avant le rétablisse- 
ment de l'ordre. C'était d'une politique élémentaire. 
Il est vrai que le vertueux Abraham Lincoln, prési- 
dent des États-Unis d'Amérique, n'avait pas encore 
dit son mot profond et admirable : < Ce n'est pas le 
moment de changer les chevaux, quand on passe le 
gué ! » 

Tout annonçait que la lutte, en s'étendant, allait 
devenir plus acharnée et plus meurtrière. C'était le 
soir du 23 juin. On espérait que la nuit porterait 
conseil et désarmerait tant de colères et de haines. 
Victor Considérant proposa une proclamation au 
peuple ; on lui répondit par la question préalable. 
Caussidière, l'ancien préfet de police, devenu le pre- 
mier élu de Paris aux élections du 5 juin, eut une 
inspiration du cœur, qui ne fut pas même comprise : 

€ Citoyens, dit-il à la tribune, je propose une pro- 
clamation aux flambeaux ; je me mettrai à la tête, 
si vous voulez ; je recevrai les premiers coups* de 
fusil... N'attendez pas les nouvelles, elles peuvent 
changer d'un instant à l'autre, et comme je vous l'ai 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 157 

dit, les clubs du désespoir sont en permanence : c'est 
la guerre civile. » On Finterromptpar de violents mur- 
m4ires : il reprend : c Voulez -vous encore une fois, au 
nom de la majorité nationale, vous rendre simplement, 
sans apparat, auprès du peuple : que six d'entre vous 
me suivent... Si nous mourons, tant pis ! Si nous 
sommes détruits, eh! mon Dieu, nous aurons fait 
notre devoir, et cela doit nous suffire ! » Les mur- 
mures redoublent, et alors Gaussidière, à bout de 
forces, lance cette apostrophe, qui ne lui fut pas par- 
donnée: «Vous tenez donc bien à vivre ! > Et cependant, 
nombre d'hommes de cœur criaient à Gaussidière : 
€ Gourage ! nous irons avec vous î » Baune et La- 
grange, deux hommes du vieux parti, soutiennent 
la proposition. « Faisons cesser ce fatal malen- 
tendu, » dit Baune. < La guerre civile n'est pas un 
malentendu, > réplique le président Senaid. 

Hélas! si coupable, si horrible, si funeste dans ses 
conséquences qu'ait été l'insurrection de Juin, pour 
le plus grand nombre de ceux qui y ont pris part, elle 
n'a été qu'un malentendu. Senard, en prononçant 
cette parole, a montré que.son tempérament, son édu- 
cation de juriste, ses préjugés sociaux le rendaient 
incapable de rien comprendre à cet effroyable drame 
de notre vie politique et sociale. Tout démontre d'ati- 
leurs que cette insurrection a été méconnue, aussi 
bien dans la puissance et l'étendue de ses moyens que 
dans les intentions et les visées de ses auteurs. 

Uneproclamation lancée par ArmandMarrast, maire 
de Paris, le 23 juin, à trois heures de l'après-midi, 
parle encore d' « un petit nombre de turbulents, qui 
jettentau sein de la population les plus vives alarmes ». 
Ainsi, c'est un petit nombre d'émeutiers vulgairesque 
la même proclamation accuse de vouloir « le pillage, 
la désorganisation sociale » ; c'est pour réduire cette 



158 LA SECO^iDE RÉPUBLIQUE 

bande que Ton adjure la garde nationale, première 
gardienne de la paix publique et des propriétés, à ne 
point s'abandonner, < car c'est la patrie entière 
qu'elle livrerait à tous les hasards, ce sont les familles 
et les propriétés qu'elle laisserait^exposées aux cala- 
mités les plus affreuses >. 

Que penser de telles exagérations de pçnsée et de 
langage? Que dire encore du même Senard, plus fu- 
rieux ou plus peureux à mesure que ses devoirs 
grandissaient avec le péril, et prononçant, au nom de 
l'Assemblée .nationale qu'il préside, cet ana thème 
contre les insurgés : < Que veulent-ils? On le sait 
maintenant : ils veulent l'anarchie, l'incendie, le pil- 
lage. » On reste confondu devant un si complet oubli 
de soi-même, car enfin n'est-il pas impossible que 
Senard ait cru d'une entière et sincère bonne foi au 
viol et au pillage, dont il agitait les spectres sinistres 
devant l'imagination des familles épouvantées? Au 
reste, cette idée de pillage universel s'était déjà fait 
jour dans les cerveaux des plus implacables réacteurs. 
A la suite du 15 mai, quand Armand Barbes fut arrêté 
et enfermé dans le donjon de Vincennes, les journaux 
infâmes des partis dynastiques répandirent le bruit 
qu'à la tribune de l'Assemblée nationale, au moment 
où il proposait d'urgence un impôt d'un milliard sur 
les riches, à titre de représailles ou plutôt de répétition 
de l'impôt d'un milliard prélevé sur la nation au profit 
des émigrés, Barbes avait été interrompu par ses 
partisans qui lui auraient crié : c Non, Barbes, tu te 
trompes : ce que nous voulons, c'est deux heures de 
pillage. » Calomnie abominable, longtemps colportée^ 
dont on n'a retrouvé nulle trace dans les journaux et 
documents officiels, mais dont une sorte d'écho se fait 
entendre dans les proclamations affolées de Senard 
et d'Armand Marrast ! Calomnie imbécile, qui atteste 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 159 

î^o;i!cnîc:it l'état d'hc^bétude où la peur jetU» les âmes 
faiiles, dans certaines crises. Ni Marrast ni Senarci, 
uibien d'autres ne comprirent le caractère et la portée 
du soulèvement de Juin. Ce ne fut ni une révolte 
insensée contre les lois protectrices de la vie, de la 
Jiberté et delà sécurité des citoyens; ni une tentative 
criminelle et à main armée contre les fortunes privées 
que personne, parmi les insurgés qui écrivaient sur 
tous les murs : Mort aux voleurs ! n'eût laissé piller 
ou simplement menacer ; ni enfin une de ces explo- 
sions, pour ainsi dire volcaniques, de tous les mauvais 
instincts de la nature humaine, qui aurait p<;rmis à 
cent mille hommes, écume et rebut de notre rac^e, de 
tout détruire pour satisfaire leurs plus abjectes pas- 
sions : l'insurrection de Juin, si violente*, si doulou- 
reuse, si sanglante, ne fut que la conséquence lanuMi- 
table des trois mois d'excitations cérébrales et de 
malaise physique, ])ar où passa lapo])ulation ouvriènï 
de Paris, après la Révolution de Février; ce fut h) 
résultat d'une fièvre causée par les souffrances de l'es- 
prit et du corps de tant de travailleurs réduits à la pinî 
misère, eux et leurs familles, après avoir perdu toute; 
espérance de voir, par un coup (b» baguette de ce pou- 
voir républicain qu'ils avaient fondé, leur pénible et 
triste condition sociale se changer pour toujours eir 
un état plus conforme à leur idéal de justice sociah; (»t 
de fraternelle égalité. 

L'insurrection de Juin n'en doit pas moins être sé- 
vèrement condamnée, et les hommes qui ont eu à la 
réprimer, si impitoyables qu'ils se soient montrés 
dans l'exécution, n'en ont pas moins rempli un vé- 
ritable devoir civique, qui impose à leur égard une 
reconnaissance d'autant plus grande que ce devoir 
a été plus pénible et plus douloureux. La plupart 
des insurgés de Juiu, aussi bien les chefs que les^ 



160 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

soldats, étaient égarés, et, il faut bien le dire, égarés 
par une idée générale autant que généreuse : c'est 
que la révolution de Février, ayant proclamé le droit 
au travail, était ou tout au moins devait devenir une 
révolution sociale. C'est là ce qui donne à Tinsurrec- 
tion de Juin son vrai caractère devant l'histoire. Nous 
ne sommes plus, comme au quinze Mai, en présence 
d'une échauflourée révolutionnaire, et il ne s'agit plus 
de renverser un gouvernement : nous sommes en face 
d'un soulèvement du prolétariat, debout et en armes 
pour constituer un état social nouveau. Le socialisme, 
se croyant fort de son droit, a fait appel à la force 
pour le consacrer. 

Mais, dans cet appel à la force, gît précisément l'er- 
reur qui a tout perdu en 1848, comme elle a tout perdu 
en 1871, après le premier siège de Paris, sous le gou- 
vernement éphémère et d'ailleurs incapable de la 
Commune, comme elle perdra tout encore, chaque 
fois que le socialisme voudra livrer bataille ; et c'est là 
un des effets, une des conséquences, la plus impor- 
tante et la moins reconnue peut-être, de l'institution 
à la fois politique et sociale du suffrage universel. 

L'institution du suffrage universel fait reposer la 
société française tout entière sur la loi du nombre. 
Or, dans la société française, telle que nous la pou- 
vons observer aujourd'hui, le socialisme n'a pas et ne 
peut pas avoir pour lui le nombre. Delà ses illusions, 
ses mécomptes, ses défaites. 

Qu'est-ce donc que le socialisme? 

Dans la société française, et même dans tout le 
monde occidental moderne, les travailleurs manuels, 
les ouvriers des villes, répartis dans les différents 
corps de métier; les ouvriers des usines, des fabriques, 
des houillères, de la grande industrie; tous ceux, en 
un mot, qui, pour prix de leur travail, touchent un 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 101 

salaire, forment un groupe naturel, dont les membres 
se sentent unis par des intérêts communs et par des 
sentiments de nécessaire et juste solidarité. 

Le socialisme, si toutefois on peut définir par un 
seul mot un ensemble si vaste et si compliqué, est 
ridée que se font de leurs intérêts, de leurs tendances, 
de leurs aspirations, tous les ouvriers manuels, tous 
les salariés du monde du travail. 

Le socialisme apparaît ainsi, très nettement dis- 
tinct, entre la bourgeoisie qui se compose des capita- 
listes et des patrons, et le monde plébéien, ([ui se 
compose des paysans, que la Révolution française a 
rendu propriétaires du sol qu'ils cultivent et qu'on ne 
leur arracherait pas, au nom de n'importe (|uels prin- 
cipes ou théories, sans provoquer les plus eltroyabi(»s 
perturbations. 

A mesure que la grande industrie, suivant les pro- 
grès de la science, s'est développée, la classe ouvrière 
s'est accrue en nombre, en force et même en lumières, 
mais non pas en richesse, ni en indépendance. Kllc se 
juge lésée, à son point de vue d'une plus exacte justice 
distributive et d'une plus rigoureuse égalité sociale. 
Ainsi, plus le sentiment de cette égalité a i)énétré pro- 
gressivement dans les couches profondes de la classe 
ouvrière, plus le travailleur manuel a senti les misères 
de sa vie condamnée à un labeur perpétuel, avec des 
salaires toujours insulïisauts et précaires, avec des chô- 
mages inévitables, avec le travail peu rémunérateur (»t 
souvent mortel des femmes et des enfants, avec la dé- 
tresse dans le présent, le dénûment dans la vieillesse, 
la maladie et la mort à l'hôpital. Ce triste tableau, rap- 
proché de l'aisance et de la liberté de la plèbe affranchie 
des campagnes, rapproché surtout de l'opulence con- 
quise par les patrons au moyen des profits d'entreprises 
industrielles, ([ui ne pourraient être ni commencées 



162 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

ni poursuivies sans la coopération du travailleur, a 
provoqué dans Fesprit de l'ouvrier des réflexions, et 
dans son âme des récriminations qui, si elles ne sont 
pas toujours justes, sont toutes naturelles. L'ouvrier 
a lu le récit des luttes longues, violentes, mais enfin 
couronnées de succès, que les bourgeois ont soutenues 
contre les privilégiés de la naissance i c'est môme là 
toute l'histoire de la Révolution, depuis son origine 
jusqu'à nos jours. Gomment pourrait-il être interdit 
aux ouvriers, pour qui la Révolution n'a rien fait, à les 
en croire, alors qu'elle a donné la terre aux paysans et 
l'argent aux bourgeois, de se jeter dans des luttes 
armées pour la conquête de cette égalité sociale, re- 
connue et proclamée comme l'un des principes de la 
moderne société française ? En attendant l'heure pro- 
pice pour les luttes armées, on exposera les griefs, et 
l'on bâtira des systèmes destinés à remédier aux maux 
dont souffre le peuple : tel est, à proprement parler, 
l'office du socialisme théorique. 

Mais qui ne voit que, pour en venir à ces luttes ar- 
mées, il faut justement des occasions, des événements, 
des crises propices, et que tout cela ne se présente que 
dans les périodes d'agitation et de trouble, où la so- 
ciété tout entière est profondément ébranlée, et où les 
partis conservateurs sentent la nécessité de se dé- 
fendre? Or, l'établissement du suffrage universel a eu 
pour effet de rendre conservateurs de l'ordre républi- 
cain, tous les paysans qu'il a évoqués à la vie politique 
en leur donnant le bulletin de vote; et les paysans 
étant de beaucoup les plus nombreux ne laisseront 
jamais se consommer, par la force d'une insurrection 
triomphante, le bouleversement total d'une société au 
sein de laquelle ils vivent librement de leur travail. 
Et quant aux bourgeois, ils sont encore plus conser- 
vateurs que les paysans,'et, pour leur malheur et celui 



ASSEHBLf^E NATIONALE CONSTITUANTE 163 

de Tensemble de la société, ils sont aussi trop souvent 
rétrogrades. Ils n'en disposent pas moins, à titre de 
détenteurs, des instruments de Tordre et de la con- 
servation sociale, c'est-à-dire de l'administration, de 
la justice, de la police et de la force publique. Avant 
de se laisser dépouiller de tous ces attributs par la 
violence, ils ne manqueront pas d'opposer la plus 
vive résistance, et c'est ce qu'ils ont toujours fait, avec 
le succès le plus complet, dans toutes les insurrections 
antérieures. 

Les ouvriers salariés sont une minorité en France, 
et c'est ce qu'ils s'obstinent à ne point reconnaître; 
ayant pris l'habitude de se désigner aux masses sous 
le nom de peuple, ils se considèrent comme tout le 
peuple, comme la nation tout entière. Nulle erreur 
plus profonde, nulle cause plus active et plus féconde 
de malentendus et de déceptions. La condition infé- 
rieure, ou, pour mieux dire, l'infortune de la destinée 
sociale des salariés commande à leur égard, non pas 
plus de bienveillance, ce qui serait une odieuse aggra- 
vation de l'iniquité de leur sort, mais la justice, toute 
la justice sociale, dans toutes ses applications. C'est 
pourquoi la société n'a pas de plus rigoureux devoir 
<iue d'appliquer toutes les lois qu'elle édicté et toutes 
les mesures qu'elle prend à la solution du problème 
insoluble et toujours renaissant de la misère luimaiiie. 
Il est donc bien vrai de dire, suivant une expression 
admirable de Gambetta, dont le cœur était aussi grand 
que le génie politique, qu'il n'y a pas une question 
sociale à résoudre, mais que, dans notre état républi- 
cain, toutes les questions sont sociales et doivent 
tourner, conformément à la belle formule du socia- 
lisme, à l'amélioration matérielle et morale du sort 
de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre. Les 
ouvriers des villes ne sont pas d'autres Français que 



164 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

les autres. Aussi, quand ils parlent d'un quatrième 
état, ils se servent d'une expression qui ne répond à 
aucune réalité. Il n'y a pas de quatrième état, et la 
révolution politique et sociale que les Français ont 
voulu faire est aujourd'hui accomplie. C'est un cycle 
terminé. Ce qui commence, c'est le progrès social ; et, 
c'est à procurer ce progrès social que, non pas seu- 
lement les ouvriers des villes, mais tous les Français 
sans distinctions de rang ou de fortune doivent dé- 
sormais consacrer leurs efforts : la politique répu- 
blicaine ne saurait avoir d'autre but. 

Quant au recours à la force, quelles que soient à 
cet égard les déclamations des socialistes révolution- 
naires, il n'a jamais profité et ne profitera jamais au 
monde du travail, car, en dépit de ses illusions, ce 
monde ne l'a ni de son côté ni à son service. La force n'a 
jamais fait dans le monde du travail que son office bru- 
tal : elle a servi à écraser ceux qui l'avaient imprudem- 
ment déchaînée. C'est ce qui s'est vu à toutes les épo- 
ques, et c'est ce qui se reverra toujours, dans l'avenir 
surtout, où les éléments sociaux d'ordre et de stabilité 
seront à la fois plus nombreux et plus actifs, car étant 
devenus la base et la condition de tous progrès, c'est 
la nation tout entière qui y sera de plus en plus at- 
tachée. 

L'insurrection de Juin fut un appel à la force révo- 
lutionnaire, rien de plus, rien de moins. Cet appel ne 
pouvait venir que d'hommes égarés et enfiévrés, 
destinés les uns à mourir, les autres à souffrir pour 
leur cause. Leur cause a servi à leur défaite, mais elle 
ne peut plus être servie par les mêmes moyens. Sans 
doute, le suffrage universel n'a pas clos l'ère des révo- 
lutions violentes, puisque notre malheureuse destinée 
a voulu que nos libertés fussent violées et nos droits 
opprimés par l'ambition d'un homme, qui avait la force 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 165 

à son service; mais aucune insurrection populaire n'a 
triomphé parmi nous depuis bientôt un demi-siècle, 
et cela commence à compter dans l'histoire d'un parti. 

La lutte allait, en empirant d'heure en heure dans 
les rues de Paris. La proposition de Gaussidière avait 
été repoussée, mais les membres de la commission 
executive, les ministres, beaucoup de représentants 
marchèrent avec les généraux et les chefs de la garde 
nationale et de l'armée au-devant des insurgés. Ces 
rencontres lurent très meurtrières. La fureur des com- 
battants ne s'arrêtait devant rien ni devant personne. 
Les chefs militaires étaient spécialement et directe- 
ment visés. Parmi les membres de l'Assemblée natio- 
nale, Bixio, homme ardent et généreux fut grièvement 
blessé, et Dornès, vieux et ferme républicain frappé 
à mort, succomba quelques semaines plus tard. 

Dans les couloirs de l'Assemblée, les modérés de la 
majorité républicaine ne cessaient de réclamer la 
concentration des pouvoirs exécutifs sur la tôte du 
général Cavaignac. Pascal Duprat, représentant des 
Landes, proposa de déclarer que la Commission exe- 
cutive avait cessé ses fonctions. Toutefois l'Assem- 
blée refusa de frapper aussi directement des hommes 
qui n'avaient d'autres torts ({ue les incertitudes de 
j)ensée et d'action dont elle se sentait elle-même la 
proie. Mais la question revint dans des conciliabules 
de nuit. Le même Pascal Duprat mit en avant la né- 
cessité de proclamer l'état de siège. Une voix grave 
et sévère se fit entendre, pour s'opposer à l'adoption 
d'une mesure d'exception ([ue les républicains avaient 
tant de fois reprochée à la royauté de Juillet : c'était la 
voix de M.Jules (Irévy, représentant du Jura, qui sut 
garder dans cette horrible tcîmpéte le regard clair et 
calme, l'imperturbable sang-froid, la fermeté patiente 
d*ua véritable homme d'Etat. En vain fit-il remarquer 



^ 



166 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

que rétat de siège, c'était l'arbitraire substitué » 
la loi, les libertés suspendues, la République à 1^ 
merci d'une saute de vent, dans une assemblée qvti 
semblait avoir perdu toute possession de soi-mèma 
comme toute direction. M. Jules Grévy fut à peiae 
suivi par soixante de ses collègues. Il avait mis le 
doigt sur la plaie vive et profonde du parti républicain, 
c'est-à-dire sur son défaut de confiance dans la vertu 
des principes et l'autorité de la loi. 

L'état de siège proclamé, tout naturellement la dic- 
tature militaire devait s'en suivre. Toute dictature, 
mais principalement celle d'un chef d'armée, fût-il 
républicain comme Eugène Gavaignac, c'est la fin de 
la République , car la dictature, c'est la loi s'efïaçant 
devant un homme. Les républicains de l'Assemblée 
constituante, qui aimèrent souvent à se croire et à se 
dire souverains, abaissèrent dans cette occasion la 
majesté du pouvoir civil devant l'épée d'un soldat; et 
c'est toujours un amoindrissement de la dignité na- 
tionale, non seulement dans une république, mais sur- 
tout dans notre vieux pays de France, où la royauté des 
quatorze siècles a de tout temps conservé le caractère 
d'une magistrature civile, ainsi qu'en témoigne la main 
de justice que nos rois portaient à leur sacre. Le chef 
des Français ne doit pas être un soldat, caries soldats, 
dans un état bien réglé, sont faits pour obéir et non 
pour commander, quelles que puissent être à cet égard 
leurs prétentions sans cesse renaissantes. Mais, dans 
la crise que traversait la France, l'institution de la dic- 
tature de Gavaignac fut une faute, parce qu'elle apprit 
au pays à douter de lui-même. Que pouvait penser 
ce pays, en voyant ses représentants cesser de faire 
tète à l'orage et se réfugier éperdus et tremblants 
derrière un général ? Ge n'était pas un dictateur qu'il 
fallait, pour chasser des esprits les idées funestes, qui 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 167 

lienty pénétrer de tous les côtés à la fois, et qui 
t devaient les dominer : au milieu des périls que 
ourons, qui donc nous portera secours? où est 
ne marqué, providentiel ? où est le sauveur ? 
oûte à dire, mais la vérité y oblige : ce sont les 
icains modérés de l'Assemblée nationale, qui ont 
jmiers poussé ces cris de détresse. Quoi d*éton- 
i la nation les a imités plus tard, en cliercliant, 
)elant un sauveur, qui hélas ! ne devait pas 
3nir, mais perdre la République? 
lommission executive, qui s'était crue par devoir 
e obligée de garder ses fonctions en face du pé- 
ressa au président de TAssemblée sa démission, 
le lettre pleine de dignité, que Lamartine signa 
nier, après Tavoir rédigée, et qu'il fit signer à 
llègues. 

A s'éloignèrent de la scène les hommes de Fé- 
sans bruit, sans éclat, au milieu d'une commo- 
>ciale singulièrement plus redoutable que celle 
s avait portés au pouvoir. On ne vit pas assez, 
îs préoccupations des esprits étaient ailleurs, 
ur retraite marquait un progrès nouveau de la 
)n. Avec des hommes qui n'avaient pas été môles 
aple dans le grand mouvement de Février, la 
clique allait prendre un caractère tout différent, 
jmblée nationale, afin de ne point laisser le gé- 
Cavaignac tout à fait seul au pouvoir, se déclara 
•manence. 



|«8 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 



VIII 



AUitiide (Je rAsscmblôe constituante en face de l'insurreclion. 
— Plan militaire de M. Thiers. — La garde nationale. la garde 
mobile et rarméc. — Cavaignac dépose ses pouvoirs extraor- 
dinaires. - Le nouveau ministère dépose des projets de lois 
de n'*action. — Ilippolyte Carnot et Tinstruction publique. — 
Les associations ouvrières. — Le terme du 15 juillet. — Pro- 
position de ]*.-J. Proudlion. — La {propagande de la rue de 
Poitiers. — Les petits traités de l'Académie des sciences mo- 
rales et politiques. 

Il n'entre pas dans le cadre de ce livre de retracer 
avec tous ses détails l'histoire de la terrible guerre 
civile, qui, après avoir ensanglanté Paris pendant 
trois jours, épouvanta la France et l'Europe, et porta le 
coup mortel à la République. Il suffit ici d'en marquer 
le caractère et les conséquences. 

Ayant délégué tous les pouvoirs exécutifs au gé- 
néral Cavaignac, l'Assemblée considéra qu'il était de 
son devoir de se tenir auprès de lui et d'attendre les 
événements. On sait déjà que plusieurs de ses membres 
plus ardents, plus impatients, n'avaient pas craint, 
dès la première heure, de se jeter dans la lutte, pour 
y porter, avec des paroles d'apaisement et de récon- 
ciliation, l'exemple de leur activité et de leur courage. 
Ils ne réussirent, ni par leurs conseils, ni par leurs 
prières, à désarmer des combattants exaspérés, qui, 
dans leur aveugle fureur, semblaient ne plus chercher 
que la triste satisfaction de vendre chèrement leur vie. 
Les malheureux révoltés avaient fait appel à la force : 
c'est la force qui leur répondit, sans merci ni pitié. 

Ce n'est pas à dire que l'Assemblée n'eût pas reçu 
de toutes parts des informations et des cpnseils, tous 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 169 

en opposition les uns avec les autres, comme il arrive 
inévitablement en de pareilles circonstances. Le plus 
étrange de ces avis fut émis par M. Thiers. Il venait à 
peine de faire son entrée dans TAssemblée; il y es- 
sayait son influence, et mesurait ses forces. 11 avait 
reconnu tout de suite la grande importance que le 
fçénéral Cavaignac y avait prise, à cause de son passé 
militaire, de son caractère personnel et de ses origi- 
nes républicaines; il n'avait pas moins bien vu que 
les républicains modérés s'apprêtaient à donner au 
général une place considérable, la première, dans le 
gouvernement de la République : c'était peut-être celle 
que M. Thiers visait pour lui-même, et Ton a prétendu 
que, si la réunion de la rue de Poitiers avait paru ma- 
nifester des prédilections pour un autre soldat, Clian- 
garnier, c'était parce que cet officier général, moins 
engagé que Cavaignac avec le parti républicain, gênait 
moins les ambitions de M. Thiers. Quoi qu'il en soit, 
M. Thiers affectait de traiter Cavaignac avec des airs 
de protection assez déplacés : c Ce jeune homme m'in- 
téresse, disait-il; voyons ce qu'il saura faire. » Quand 
le général Cavaignac fît connaître son plan militaire 
de répression de l'insurrection, M. Thiers, qui, dès le 
temps de sa jeunesse, s'était piqué de grandes con- 
naissances en stratégie et eu tactique, déclara que ce 
plan était absurde; qu'il ne pouvait aboutir qu'à une 
catastrophe générale et complète; que ce qu'il y avait 
de mieux à faire, aussi bien pour la sécurité de l'As- 
semblée quefiour l'action à la fois commode, prudente 
et décisive de rarm«*e , c'était de quitter Paris, de 
transférer le siège de l'Assemblée et du gouvernement 
à Bourges, et d'of>érer militairement contre la capitale, 
suivant toutes les prescriptions et avec toutes les ri- 
gueurs d'un siège en règlo, facile «railleurs à mener à 
bonne lin, grâce â la posseSdiuudesforLsquidoininaieut. 



170 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Paris et qui finalement devaient bien servir à quelque 
chose. M. Thiers soutenait cette idée avec sa verve ac- 
coutumée, mais il ne put convaincre personne, tout en 
troublant gravement les esprits. Gavaignac, qui sen- 
tait combien il avait besoin d'avoir l'Assemblée auprès 
de lui, et qui n'avait d'ailleurs ni le goût ni l'intention 
de conserver longtemps les pouvoirs extraordinaires 
dont il était momentanément investi, fut obligé, à ce 
que l'on assure, de faire dire à M. Thiers qu'il ne tolé- 
rerait pas plus longtemps cette propagande obstinée en 
faveur de l'idée néfaste d'abandonner Paris dans une 
telle crise, et que si M. Thiers y persistait, il n'hésite- 
rait pas et le ferait fusiller. M. Thiers se le tint pour 
dit, mais il en garda rancune au général, et ce fut la 
République qui en valut pis. 

Le général Gavaignac exécuta son plan, tel qu'il 
l'avait conçu et arrêté. Dans la garde nationale et 
surtout dans la garde mobile, troupe improvisée et 
où l'on avait incorporé nombre de jeunes gens, presque 
des enfants, ramassés sur le pavé de Paris, abandonnés 
sans travail et sans subsistance, aussi bien prêts à 
soutenir l'émeute qu'à la réprimer, le général trouva un 
concours, un dévouement, une ardeur au combat, sur 
lesquels personne n'aurait osé compter. Il est de tradi- 
tion derépéter, en rappelant la part prise par la garde 
nationale de Paris et de la banlieue, et même celle des 
départements accourus à l'appel du pouvoir exécutif , 
dans la répression parfois si dure de l'insurrection de 
Juin, que tous ces bourgeois, tous ces boutiquiers, ar- 
tistes, rentiers, grands et petits commerçants, croyaient 
combattre pour la République, menacée par des fac- 
tieux égarés, et pour les principes sacrés de toute so- 
ciété civilisée, qu'on leur représentait, matin et soir 
depuis six semaines, comme à la veille de périr sous 
les coups et les piétinements d'une nouvelle invasion 



ASSEMBLÉE NxVTIONALE CONSTITUANTE 171 

de barbares. Rien de plus vrai pour la plupart d^entre 
eux, mais il convient d'ajouter que les plus acharnés 
furent surtout ceux qui, en faisant le coup de feu, son- 
geaient d'abord à défendre leurs biens qu'ils croyaient 
encore plus menacés que la République, et qu'ils se 
montrèrent d'autant plus implacables qu'ils se sen- 
taient plus inquiétés dans la paisible jouissance de 
leur fortune et le train ordinaire de leur vie. Quant 
aux gardes mobiles, à ceux qui n'avaient rien que leur 
jeunesse à risquer à l'effroyable jeu de la guerre civile, 
il n'est que juste de reconnaître que c'est l'ardeur 
française et le tempérament national excités par cette 
horrible mêlée, beaucoup plus que leurs opinions po- 
litiques, qui en ont fait les héros de hardiesse et de 
vaillance, que toute la bourgeoisie rassurée voulut 
acclamer après la victoire. 

Pour dire toute la vérité, le général Cavaiguac fut 
surtout secondé dans son œuvre par les soldats placés 
sous les ordres de ses camarades et rivaux de l'armée 
d'Afrique, Négrier, Damesme, Duvivier, Bedeau, et, 
'au premier rang, Lamoricière, qui se distingua encore 
plus par sa pénétrante et rapide intelligence des né- 
cessités et conditions de cette guerre nouvelle que 
par son éclatant courage. L'armée, pourvue d'une 
bonne éducation militaire, rompue à la discipline, et 
ne connaissant que l'obéissance passive, remplit son 
devoir jusqu'au bout salis hésitations ni faiblesses. 
Elle était commandée, elle défendait Tordre public, 
les lois du pays : on pouvait tout attendre d'elle, et 
c'est elle, en effet, qui vint à bout des insurgés. Il en 
sera toujours ainsi. C'est mArne là ce qui rend si pé- 
rilleux et si coupables les coups de force tentés par 
des factieux, sous le gouvernement impersonnel et 
anonyme de la République. La défaite peut se faire 
attendre plus ou moins longtemps, trois jours comme 



172 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

en juin 1848, huit jours comme en mai 1871 : elle est 
certaine, dès que l'armée a des ordres, et la répres- 
sion, pour avoir tardé, n'en est que plus impitoyable. 

Ce qu'il y eut de plus sinistre peut-être, dans le 
choc lamentable de tant de Français armés les uns 
contre les autres par des passions dont ils auraient 
eu quelque peine à se rendre compte, c'est que, de 
part et d'autre, des deux côtés des barricades, on criait : 
Vive la République ! Dans la garde nationale, il y en 
avait bien qui, tout en paraissant défendre la Répu- 
blique, la considéraient déjà comme perdue et se pré- 
paraient à la trahir ; dans les insurgés, nombre de com- 
battants, tout en L'acclamant avec passion, savaient que 
les agents du prétendu parti de Tordre n'étaient pas 
restés étrangers aux agitations à la suite desquelles on 
avait pris les armes, et que l'or des princes avait été ré- 
pandu pour soudoyer la révolte. Les éléments de l'in- 
surrection de Juin étaient ainsi fort complexes ; et si elle 
n'avait pas laissé après elle des traces si épouvantables, 
au sein de tant de familles décimées par la mort ou la 
transportation, si, encore aujourd'hui, elle n'était pas 
restée dans la mémoire des Français comme un événe- 
ment à jamais détestable et maudit, il est à croire que 
les partis dynastiques auraient mis moins de soins 
à cacher la part qu'ils y ont prise. Mais, ayant à tâche 
de perdre la République dans l'esprit et dans le cœur 
de la France, ces partis ont compris, avec la clair- 
voyance de la haine, que c'était encore ce qui pouvait 
le plus complètement tourner à leur profit que de 
laisser à )a République l'entière responsabilité de 
cette catastrophe. 

Leurs calculs se sont trouvés justes. 

Il est certain que l'insurrection de Juin a nui parmi 
nous à la République,pendant les années qui suivirent, 
au moins autant que les souvenirs tant exploités de 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 173 

îa Terreur lui avaient nui, pendant la première 
moitié du dix-neuvième siècle. 

Aussi bien, les socialistes, qui se disent attachés à 

la République, ne devraient- ils pas insister, comme 

ils ont coutume de le faire, sur ce qu'ils appellent la 

seconde défaite du prolétariat français, non plus que 

sur la troisième, chacune de ces défaites, et surtout 

celle de juin 1848, ayant marqué une éclipse de Tiilée 

républicaine en France, et recalé pour longtemps Tère 

de libre discussion, qui peut seule assurer le sucoès 

des revendications ouvrières. 

Dans les premiers jours qui suivirent la répression 
de la révolte, ce fut un désespoir général parmi les 
républicains, et la situation a été résumée d'un mot 
dit pendant l'insurrection môme par le philosophe 
JeanReynaud: « Perdus,si nous sommes vainqueurs: 
perdus encore, si nous sommes vaincus. » Ce n'était 
que trop vrai. 

Aussi, Tordre rétabli, la première mesure à prendre 
consistait-elle à rendre quelque apparence de vie à 
la République frappée à mort. Le général Cavaignac 
ne s'y épargna poinl. Il était à peine maître des 
dernières barricades qu'il s'empressa de remettre à 
l'Assemblée les pouvoirs extraordinaires, la dicta- 
ture momentanée dont elle l'avait investi. 11 ne 
fallait pas attendre moins de Cavaignac et de sa 
haute probité civique et républicaine. Xé dans les 
rangs de notre parti, fort attaché à la mémoire de 
son père, le conventionnel Cavaignac, et de son 
noble frère Godefroy, Eugène (Cavaignac n'était pas 
homme à substituer sa volonté à celle de son pays, 
et toute son ambition était de bien servir la France, 
eu servant la République. 11 n'était pas, comme ses 
ennemis l'ont trop dit, un soldat enrôlé au service de 
la réaction. La rue de Poitiers ne lui témoigna môme 

10. 



174 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

quelque confiance qu'à défaut du général Changarnier 
qui avait toutes ses préférences, parce qu'elle savait 
celui-ci capable, sinon désireux, de jouer le rôle d'un 
Monck français au profit de la monarchie. Cavaignac 
n'autorisait pas de telles espérances. On le savait ré- 
publicain, et il l'était en effet ; mais il ne connaissait 
pas bien ni les hommes ni les idées de son parti, ayant 
toujours été étranger à la politique. Les ennemis de 
la République lui reprochaient ses passions injustes 
et ses étroits préjugés; et dans son propre parti, on 
lui faisait un grief de ses habitudes militaires et de 
son respect de l'autorité, si bien que de part et d'autre, 
le général Cavaignac a été méconnu et mal traité. 
Il avait reçu de la nature les dons les plus précieux, 
une mâle figure, une attitude fière et distinguée, 
une éloquence sobre, énergique et vibrante. Par 
toutes ces qualités, il commandait le respect, et s'il 
n'eût pas été militaire, le parti républicain aurait pu 
faire de lui le chef qui lui manquait depuis la mort 
d'Armand Garrel. Malheureusement, avec de la jus- 
tesse, de la fermeté, de l'élévation dans l'esprit, Eu- 
gène Cavaignac manquait d'expérience personnelle. 
Trop souvent, il fut obligé de s'en rapporter à ceux qui 
l'entouraient, tandis qu'il eût certainement mieux fait, 
s'il s'était abandonné aux vues de sa propre intelli- 
gence comme aux inspirations de son cœur. 

Ainsi, dans ses proclamations au peuple de Paris, 
à la garde nationale, à l'armée, aux insurgés eux- 
mêmes, il avait trouvé la note la plus juste, la plus 
politique et la plus humaine. 

€ Citoyens I soldats î disait-il, l'insurrection termi- 
née, la cause sacrée de la République triomphe..» 
Au nom de la patrie, au nom de l'humanité, soyez 
bénis pour ce triomphe nécessaire !... Maintenant 
soyez aussi grands dans le calme que vous l'avez été 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 175 

dans le combat. Dans Paris, je vois des vainqueurs et 
des vaincus ; que mon nom soit maudit, si je consen- 
tais à y voir des victimes ! La justice aura son cours ; 
qu'elle agisse ! C'est votre pensée, c'est la mienne ! » 
Ces derniers mots font allusion à une mesure prise 
pendant la bataille, et qui a pesé sur la mémoire de 
Cavaignac comme sur la République elle-même. Senard 
avait fait rendre par l'Assemblée nationale, un décret 
aux termes duquel tout individu, pris les armes à la 
main, serait saisi, pour être déporté sans jugement au 
delà des mers ou tout au moins en Afrique. Cavaignac 
répugnait à l'exécution de cette mesure. Au mot c dé- 
porté > il substitua le mot « transporté » afin de mieux 
marquer, comme on le lui suggérait de tous cùtés, 
qu'il ne s'agissait pas là d'une peine ayant un carac- 
tère infamant et alïlictif , mais d'une siujple ujesure 
administrative et toute momentanée, à laquelle il 
serait toujours facile de mettre fin par une amnistie, 
qui couvrirait les personnes comme les faits de l'insur- 
rection du voile de l'oubli. Cavaignac, ignorant des 
passions des partis, consentit à laisser passer le décret, 
comptant sans doute que l'amnistie viendrait. Kl le ne 
vint pas.' Ni l'Assemblée constituante ni lui-même ne» 
songèrent à la décréter, après avoir donné à entendre 
qu'ils en avaient eu le projet ; et, comme ajirès la ba- 
taille, tout un vaste réseau de délations, suites inévita- 
bles et odieuses de la guerre civile, s'étendit sur Paris 
pendant plusieurs semaines, et (jue de nombreuses ar- 
restations furent opérées, l'insurrection sembla faire 
de nouvelles victimes, alors qu'on la croyait a])aisée, (*t 
le général Cavaignac, objet d'horreur et de haine pour 
les classes ouvrières décimées penrlant la lutte, parut, 
en refusant des juges à tous ceux (|ui étaient arrêtés 
et transportés, se mettre au-rlessus des lois de la jus- 
tice et de l'humauiU'; : certainement telle n'était pas 



176 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

son intention, mais en politique, les intentions nr ^ 
comptent pas. 

Aussitôt que l'Assemblée nationale lui eut confért? 
le titre de président du conseil, le général constitua 
son ministère : c'est le deuxième cabinet parlementaire 
de la République. Il donna Tintérieur à Senard dont le 
rôle avait été si important pendant l'insurrection, les 
linances au banquier Goudchoux, la guerre au géné- 
ral Lamoricière, la justice à l'avocat Bethmont, l'agri- 
culture et le commerce à un républicain du nom de 
Tourrel, les travaux publics à Recurt, précédemment 
ministre de l'intérieur, la marine au vice-amiral Le- 
blanc. Il conserva Jules Bastide aux affaires étrangè- 
res et Hippolyte Garnotà l'instruction publique. Hip- 
polyle Garnot était le seul représentant des républi- 
cains de la première heure : à ce titre il ne devait pas 
tarder à être sacrifié aux rancunes de la réaction. Ge 
ministère était, à proprement parler, le ministère des 
vainqueurs de Juin. On l'avait pris tout entier dans 
la nuance des hommes du NationaL Marie avait été 
réservé pour la présidence de l'Assemblée consti- 
tuante. Il y fut porté eu effet, avec la permission de 
M. Thiers, dont l'influence grandissait au sein des 
comités, celui des finances dans l'Assemblée, et celui 
(le la rue de Poitiers au dehors. Marie ne garda pas 
longtemps le fauteuil. Le 19 j aillet, il le céda à Armand 
Marrast, qui, depuis longtemps, visait ce siège émi- 
nent, où il fit preuve d'ailleurs des qualités les plus 
rares, un esprit prompt aux réparties les plus fines et 
les plus vives, une courtoise aménié, enfin une habi- 
leté tout à fait inattendue dans l'art de conduire les 
discussions, sans paraître s'y mêler. En somme, c'é- 
taient les modérés du parti républicain qui tenaient 
les affaires et qui en avaient la responsabilité. 

Mais comment croire à cette modération tant afii- 



IJ5LLLI C'jy'rrmr-':^ 



. quiid OD reilî: îl proMîaiiaiJ'.ii ri'j ro -^^- î^: 
lie français, iiour ju. snmoii'yf ir m j> i^ -r-»'e*T- 
î. et oô J*«n iiariH- ch- t*^ lon^-îair- tu r^r- 
nl iMr 'f'f'lre' htmb*s^ ou- i^i^u" i* nic-^sai-r- ^ .** 

t encore '.* d(*«5iiiDeui . « *i'riiî?alj'.»L r-iï-r i-»rrii~- 
le périr! Lb Franfrf- i»»u: -«^ilirp- rr^it-'U—- • v*-- 
.*ur ces doctrîiHs ^iauvaiF^ *n ir i^mi:.** i rr' 
1 nom et la jirajc"j*n*- nu ul vu. ^ i,iu. cimii- i- 'ir- 
s'étonner. ajir^ a*- i*?li*?^ ci— :j^iiir^:j«»i_'- rtii*- 
isées qne fnriiKUJû**. aiHr ii .* rHU-> *- -•! i-.iT-. — 
er par la peur, dun: ^^î^e^ rviir-rr^^uMuir iii o«»l- 
it rexempk* ? (kumneu: u* ]^- l*i*':'r '-'*:':it i:;in* 
î desrépultlicam^ niud-rT*^ . -- viui -u'. -t l V^: 
I leur improliitt" j»c»iitj(.7u*:.iiitii' t. i^u: û-^îhu: 
►érience qu'il c^juviau* a*- rimim;**: . J'^u:-*':!* 
lient-ils avec siiicérit*^ -^ jusTili*^' r jt'U?- iirc»]»:'^ 
. en ne dédisant rieL a it ¥ri:ut'*r g^ it. iri y^-ur 
ils avaient été sai?i^. Mai? la njoiijdr^ inlf -liiT^iK^' 
écessités de la situation ii 'aurait-elle î»hs 'lu l'.»u: 
intraire leur conseiller de teuir dau^ lomlire le? 
[lances qu'ils avaient épi-ouvées et dout la rëar- 
î'apprêtait à profiter ? Ils ne voyaient ni ne ronj- 
lient qu'ils faisaient les affaires de leurs ennemis, 
discréditant eux-mêmes et la République avec 
Ils se jetaieut du côté de leurs adversaires, espt'*- 
ians doute les désarmer, et donnant ainsi le sif^^nal 
ouvement de retour en arrière qui doviut les 
rter. On ne dira jamais assez que c est la majorité 
fondement honnête, si sincèrement républieaine 
assemblée constituante do 1848, qui a précipité 
iction. 

H juillet, Senard, ministre de rintérinur, iinnonçii 
(sentationde trois projets de loin, l'un rétiibliM 
e cautionnement dcH journaux, l'autre ré^lnninn 



178 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

tant, c'est-à-dire détruisant les clubs ou le droit de 
réunion pour la conquête duquel le peuple avait fait 
la révolution de Février, le troisième remettant en 
vigueur la législation de la presse antérieure aux lois 
de septembre 183o. Le décret sur les clubs fut adopté 
par six cent vingt-trois voix contre cent. Le rétablis- 
sement en principe du cautionnement à exiger des 
fondateurs des journaux fut approuvé par quatre cent 
sept voix contre trois cent quarante-deux. Enfin, 
comme on se proposait surtout de défendre la religion, 
la famille et la propriété, parmi les dispositions répres- 
sives de la législation antérieure de la presse, Jules 
Favre introduisit un amendement, punissant d'un mois 
à quatre ans de prison et de 150 à 5,000 francs d'amende 
toute attaque contre la liberté des cultes, le principe 
de la propriété et les choses de la famille. Que la 
presse ait payé les frais de cette première campagne 
contre la liberté, rien de plus conforme à ce qui arrive 
toujours dans les temps de commotion politique, où 
la presse est rendue responsable de l'état général de 
Topinion ; qu'à cette époque néfaste, les torts de la 
presse aient été de beaucoup plus grands que ses ser- 
vices, et qu'on ait voulu de très bonne foi réprimer les 
abus d'une licence que personne ne se sentait nile goût 
ni la force de tolérer, voilà qui s'explique encore ; mais 
que, par la plus étrange aberration, on ait supprimé, 
en rétablissant le cautionnement, le plus puissant, 
pour ne pas dire le seul instrument d'éducation poli- 
tique et sociale du peuple, au moment môme où 
l'on venait de voir les tristes et inévitables effets de 
l'ignorance des classes inférieures de la société, voilà 
ce qui ne pourrait se comprendre, si l'on ne savait 
pas qu'en ces temps d'apprentissage de la vie républi- 
caine, l'instruction générale n'était pas encore consi- 
dérée comme l'un des plus puissants moyens de gou- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 170 

yernement dans une démocratie. Il ne se trouva per- 
sonne pour rappeler, comme Gambetta le fit avec 
tant de courage, dans son discours de Bordeaux, après 
la répression de la Commune, le mot de TAméricain 
Channing : « Les sociétés sont responsables des catas- 
trophes qui éclatent dans leur sein, comme les villes 
mal administrées, où on laisse pourrir les charognes 
au soleil, sont responsables de la peste. > 

Ces mesures rétrogrades furent accueillies par le 
parti progressiste avec un profond sentiment de dou- 
leur, d'inquiétude et décolère, dont le grand écrivain 
Lamennais se fit l'interprète, dans le dernier numéro 
deson journal le Peuple conslUiunUj qui parut encadré 
de noir, avec un article terrible, finissant par ces mots 
tant de fois répétés : Silence au pauvre! 

Mais où l'on vit bien la haine que les partis de 
réaction portaient à Tinstruction populaire, ce fut à 
Toccasion d'une demande de crédit déposée par Hippo- 
lyte Carnot, ministre de l'instruction publique, pour 
venir en aide aux instituteurs. La rue de Poitiers médi- 
tait depuis longtemps de se débarrasser de Carnot, 
dont l'administration avait permis d'entrevoir i)our 
l'avenir tout un système d'ensemble, tout un plan de 
réorganisation de l'instruction publique, tracé de ma- 
nière à faire de l'éducation universelle des enfants de 
la République un complément nécessaire du suffrage 
universel proclamé par la révolution de Février. 

Cet homme de bien, fils du grand Carnot, l'organi- 
sateur de la victoire, après avoir passé par l'école 
saint-simonienne, avait appliqué son esprit à Télude 
attentive et passionnée de toutes les questions sociales. 
Un des jiremiers dans le parti républicain, il avait 
reconnu et proclamé que la solution de la plupart 
de ces questions est dans une étroite dépendance de 
riustruction plus ou moins développée du peuple. 



180 LA SECONDE RÉPUBLIQUE . 

Aidé de ses deux amis, Edouard Charton et Jean 
Reynaud, il avait fait du ministère de rinstruction 
publique ce qu'il doit être dans une République 
démocratique, le ministère de la réforme intellec- 
tuelle et morale d'un grand peuple, qui fonde Tordre 
comme le progrès sur la diffusion des lumières de la 
science et Tautorité de la raison. A ce seul titre, 
Hippolyte Garnot a marqué son pa$s£^e dans notre 
histoire, et ajouté à la gloire du nom illustre qu'il 
portait si dignement. 

La réaction ne lui pardonnait point d'avoir cherché 
à inculquer aux instituteurs du peuple la plus haute 
idée de leur mission. On l'accusait surtout d'avoir 
cherché à faire de ce corps enseignant des humbles et 
des pauvres une sorte de clergé laïque ; on lui reprochait 
d'avoir commandé au philosophe Charles Renouvier 
une sorte de catéchisme républicain, destiné à faire 
connaître aux citoyens français leurs devoirs en même 
temps que leurs droits. Bonjean, magistrat qui devint 
plus tard sénateur du second Empire et qui mourut 
sous les balles des révoltés de la Commune, attaqua 
l'administration de Carnot, au nom de la droite. 
C'était le 5 juillet. Le ministère venait à peine d'être 
formé. On ne voulut pas jouer l'existence de tout le 
cabinet sur une affaire qu'on affecta de trouver sans 
grande importance, un crédit pour des instituteurs ! 
Carnot, qui avait des vues larges, élevées, un cœur 
généreux, mais qui ne tenait nullement à garder son 
portefeuille, défendit ses idées et ses amis avec une 
grande dignité; il ne fut soutenu ni par Senard, ni par 
Cavaignac lui-même, et il tomba, à la grande satisiac- 
tion des hommes de la rue de Poitiers. On lui donna 
pour successeur Achille de Vaulabelle, auteur d'une 
Histoire de la Restauration, connu dans tout le parti 
républicain pour ses convictions fermes et anciennes, 



ASSEMBLÉl!: NATIONALE CONSTITUANTE 181 

mais trop fidèle aussi aux anciennes et mauvaises tra- 
ditions de ce parti. Il arriva au ministère de Tins^ 
traction publique avec un commissionnaire portant sa 
malle, comme pour montrer qu'il était toujours prêt 
à en sortir. Cette affectation de simplicité de la part 
d'un homme, qui avait d'ailleurs beaucoup d'esprit^ 
ne réussit pas à relever le prestige de Vaulabelle, ni 
celui des hautes fonctions qu'il exerçait au nom de 
la République. 

Les ateliers nationaux ayant été dissous, dés le H 
juillet, on avait pourvu aux premiers besoins par des 
secours à domicile, qui absorbèrent une somme de trois 
millions votée par TAssemblée nationale. Une autre 
somme de trois millions fut également votée, sur le 
rapport de Corbon, ancien rédacteur de ï Atelier de 
Bûchez, devenu vice-président de l'Assemblée, pour 
encourager les associations ouvrières. Dans ce rapj)ort, 
Corbon marquait avec une grande expérience pra- 
tique les caractères que devaient prendre les associa- 
tions ouvrières: il les soumettait aux conditions de la 
concurrence, qui sont les coniiitions mêmes de la 
liberté du travail. L'Assemblée parut approuviM- ces 
vues. Elle autorisa le ministre des travaux publics à 
concéder a ux associa tiens ouvrières les tra va ux (| n «files 
[lourndent se charger de faire, en les dispensant du 
cautionnement C'était là une bonne mesure, et il 
y avait beaucoup à tenter dans cette voie. A coup sur, 
on u'eiltpas désarmé le socialisme, constitué à partir 
deJuinàTétat départi militant, si écrasante ({u'eût été 
sa défaite; mais, du moins, on eiU essayé de ramener 
les esprits égarés, et c'était l'apaisement qu'il fallait 
surtout chercher, après de si douloureuses convul- 
sions. 

L'aspect de Paris resta i t à peu près le même, fiévreux, 
inquiet, sans activité, sans espérance. On fit des élec- 

B. SPt'LLER. — SEC. HÉP. IV 



182 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

lions générales en France, au suffrage universel, pour 
renouveler les conseils généraux et d'arrondissement 
et les conseils municipaux dans toutes les communes. 
Paris fut placé, sans réclamation possible, en dehors 
du droit 'commun : on lui imposa une commission 
municipale, sous la République comme sous la mo- 
^narchie. 

Une nouvelle crise approchait, celle du 18 juillet, 
jour du terme, date toujours notable pour le com- 
merce et la finance, la boutique et l'atelier pari- 
siens. On croyait en avoir fini avec le socialisme, en 
Tétouffant dans le sang : on allait voir qu'il n'en était 
rien. Un publiciste du plus grand talent, P.-J. Prou- 
dhon, que la bourgeoisie parisienne lisait tous les jours 
avec passion, tout en lui portant une haine profonde, 
éci'ivit, dans son journal le Représentant du peuple, un 
article qui provoqua dans le public une prodigieuse 
impression : « Le terme, voici le terme! Gomment 
paierons-nous le terme? » Le numéro du journal fut 
tiré à plus de deux cent mille exemplaires. P. J. Prou- 
dhon, pour aider les Parisiens à payer le terme, 
demandait que l'Assemblée nationale décrétât, vu l'ur- 
gence, la remise d'un tiers du prix de leurs loyers, 
rentes et sommes dues par les propriétaires, rentiers 
et créanciers hypothécaires, et il engageait les proprié- 
taires, rentiers et créanciers à présenter en ce sens 
une pétition à l'Assemblée, leur assurant que c'était 
là leur unique moyen de salut. 

Aussitôt toutes les terreurs qu'elle avait ressenties 
au cours de l'insurrection de Juin se réveillèrent dans 
l'âme de la haute bourgeoisie. Elle se crut arrivée à 
son dernier jour, menacée d'une ruine qui l'effrayait 
plus que la mort môme. Elle chargea P.-J. Proudhon 
de ses malédictions et de sa haine. Jamais peut-être 
on ne vit pareil débordement de passions, semblable 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 183 

acharnement contre un homme. P.-J. Proudhon lui- 
mèmealaissé, dans ses Confessions d'un révolutionnaire, 
un crayon immortel de l'extraordinaire impopula- 
rité, sous laquelle on essaya de le perdre : 

« Je ne crois pas, dit-il, qull y ait jamais eu 
d'exemple d'un tel déchaînement. J'ai été prêché, 
joué, chansonné placardé, biographie, caricaturé, 
blâmé, outragé, maudit ; j'ai été signalé au mépris et 
à la haine, livré à la justice par mes collègues, accusé, 
jugé, condamné par ceux qui m'avaient donné man- 
dat, suspect à mes amis politiques, espionné par mes 
collaborateurs, dénoncé par mes adhérents, renié par 
mes coreligionnaires. Les dévots m'ont menacé, dans 
des lettres anonymes, de la colère de Dieu ; les femmes 
pieuses m'ont envoyé des médailles bénites; les pros- 
tituées et les forçats m'ont adressé des félicitations, 
dont l'ironie obscène témoignait des égarements de 
l'opinion. > Enfin, pour tout dire, un Espagnol, diplo- 
mate de profession, catholique ardent, Donoso Gortès, 
marquis de Valdegamas, ne craignit pas de donner 
des preuves de l'aliénation mentale la plus caracté- 
risée, en écrivant sur P.-J. Proudhon les ligues sui- 
vantes, qui doivent être rapportées ici, pour donner 
<{uelque idée de l'absurde surexcitation des esprits : 
« Jamais mortel n'a péché aussi gravement contre l'hu- 
manité et contre le Saint-Esprit. Lorsque cette corde de 
son cœur résonne, c'est toujours avec un son éloquent 
et vigoureux. Non, ce n'est pas lui qui parle alors, c'est 
un autre qui est lui, qui le tient, qui le possède et 
qui le jette haletant dans ses convulsions épileptiques; 
c'est un autre qui est plus que lui, et qui entrelient 
avec lui une conversation perpétuelle. Ce qu'il dit est 
parfois si étrange, et il le dit d'une si étrange manière, 
que l'esprit demeure en suspens, ne sachant si c'estun 
homme qui parle, ou si c'est un démon. Homme ou dé- 



184 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

mon, ce qu'il y a de certain ici, c'est que sur ses épaules 
pèsent d'un poids écrasant trois siècles réprouvés. » 

Dans TAssemblée nationale, c'était un retour aux 
provocations des jours qui précédèrent la bataille de 
Juin. On sommait P.-J. Proudhon d'apporter ses idées 
à la tribune, on l'en défiait, on voulait enfin voir et 
entendre celui qui avait tant critiqué les autres, et 
lui demander à son tour t ce qu'il avait dans le 
ventre ». Que voulait-il dire, avec sa « liquidation de 
la vieille société »? Il était temps de le savoir. P.-J, 
Proudhon comprit qu'il ne pouvait se dérobera tant 
de questions ; il déposa sur le bureau de l'Assemblée 
une proposition qui fut renvoyée au Comité des fi- 
nances. M. Thiers attendait une occasion favorable de 
rentrer en scène. Il saisit celle qui se présentait avec 
empressement. 

La proposition de P.-J. Proudhon, c'était tout sim- 
plement l'exposé d'un système de crédit gratuit, ten- 
dant à supprimer l'intérêt du capital, par la création 
d'une banque d'échange. Le moyen mis en avant con- 
sistait à obliger par une loi tous les capitalistes et 
rentiers à faire, à titre de prêt, remise à leurs fermiers, 
locataires et débiteurs d'un sixième de leur revenu 
et à verser dans la caisse de l'État un autre sixième 
pour la fondation de la banque d'échange. Il n'y avait 
aucun danger que l'Assemblée adoptât jamais une pro- 
position semblable, et c'est là ce qui rend si coupable 
la honteuse hypocrisie dont firent preuve les réac- 
teurs, M. Thiers .en tête, quand ils affectèrent de croire 
au péril social déchaîné par la proposition de 
P.-J. Proudhon. M. Thiers, rapporteur du Comité des 
finances, n'eut pas de peine à démontrer, avec sa 
parole vive, agile et lumineuse, tout ce qu'il y avait 
de chimérique et d'inapplicable, dans ce plan de 
réorganisation si mal étudié, qui n'entrait, avec un ca- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 185 

ractère de clarté pratique, dans la tête de personne, 
pas même dans celle de son auteur. Proudhon, de 
son côté, se défendit mal, et pour cause. Il fit toutefois 
bonne contenance à la tribune, et prouva, par son 
propre exemple, qu'on n'en avait point fini avec le so- 
cialisme : c'était là sans doute tout ce qu'il voulait. 
L'Assemblée à qui P.- J. Proudhon faisait grand'peur, 
ne sut pas contenir l'expression de ses sentiments. 
L'illustre socialiste fut interrompu, apostrophé, hué, 
injurié, outragé, accablé sous les mille cris de la haine 
débordante. Afin d'écraser définitivement cet ennemi, 
un ordre du jour motivé fut proposé, qui était sans 
exemple et qui est resté sans imitation : < L'Assem- 
blée nationale, considérant que la proposition du 
citoyen Proudhon est une atteinte odieuse aux prin- 
cipes de la morale publique, qu'elle viole la propriété, 
qu'elle encourage la délation, qu'elle fait appel aux 
plus mauvaises passions ; considérant, en outre, que 
l'orateur a calomnié la Révolution de février 1848 en 
prétendant la rendre complice des théories qu'il a 
développées, passe à l'ordre du jour. > 

L'Assemblée nationale constituante crut avoir fait 
un coup de politique extraordinaire, en se jetant 
comme un seul homme, à l'unanimité moins deux 
voix, sur l'adversaire qui, tantôt par ses railleries, 
tantôt par ses menaces, avait excité et bravé sa colère : 
elle ne comprit pas qu'en accablant de tout son poids 
un homme isolé, elle tournait encore une fois contre 
elle et contre la République formaliste et politique 
qu'elle se flattait de représenter, toutes les défiances et 
toute l'indignation de ceux dont le grand écrivain so- 
cialiste avait voulu défendre la cause à sa manière ; elle 
comprit encore moins, quand elle couvrit de ses rires 
et de ses huées le nom obscur du représentant Greppo, 
du Rhône, <iui seul avait osé vot(M* contre l'ordre 



185 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

du jour de flétrissureà l'adresse de P.-J. Proudhon, que 
ce vote courageux, qui n'a jamais été renié par son 
auteur, bien que trop souvent, avec une légèreté cou- 
pable, on ait accusé Greppo de cette petite vilenie^ 
était la protestation d'un cœur simple et droit contre 
ce débordement insensé, qui creusait de plus en plus 
le fossé entre les représentants des classes bourgeoises 
et les couches profondes de la population ouvrière. 

M. Thiers obtint, comme on pouvait s'y attendre, le 
plus grand succès, en défendant la propriété si ma- 
ladroitement attaquée. Eprouvait-il sincèrement, au- 
tant qu'il affectait de le dire, cet effroi du socialisme 
dont les conservateurs se montraient si terrifiés ?. 
Certes, ce n'était pas la proposition de P.-J. Proudhon 
qui avait prouvé la force des théories si redoutées : 
au contraire, cette mésaventure parlementaire éta-, 
blissait, aussi clairement qu'on pouvait le souhaiter,. 
que le socialisme n'avait rien à espérer d'une con- 
nivence quelconque dang l'Assemblée, puisqu'il n'y 
comptait guère que des adhérents tout platoniques, 
et qui s'étaient montrés incapables de s'unir dans une^ 
simple démonstration de résistance à leurs adver- 
saires. On n'en persista pas moins à considérer tout 
l'édifice social comme exposé aux dangers les. 
plus imminents. Sous prétexte de combattre la 
propagande socialiste dans le peuple, M. Thiers 
suggéra l'idée de faire un fonds commun pour 
une autre propagande, celle des idées saines en op- 
position avec les idées subversives. Deux cent mille 
francs furent souscrits et remis au comité de la rue de 
Poitiers. Dès lors commença la publication et la 
diffusion de ces petits livres, brochures, pamphlets, 
feuilles volantes, images populaires avec légendes, qui 
répandirent partout la haine et la peur. Là, des plumes 
mercenaires et calomnieuses, enrôlées au service de la 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 187 

pire réaction, s'en donnèrent à cœur joie, et s'occupè- 
rent beaucoup plus de décrier la Répul)lique et ses 
institutions que de rétablir les vérités méconnues de 
la science des économistes. 

Le gouvernement avait eu le premier l'idée de de- 
mander à la quatrième classe de l'Institut, à l'Aca- 
démie des sciences morales et politiques, de se char- 
ger de cette dernière tache. Ce n'était pas une mauvaise 
idée, à tout prendre. Il y avait à l'Académie, dont 
F. Mignet était secrétaire perpétuel, des hommes fort 
capables de comprendre la pensée du gouvernement et 
de le seconder dans ses desseins. Le gouvernement du 
général Cavaignac avait invité l'Académie des sciences 
morales et politiques à concourir à la défense des prin- 
cipes sociaux, attaqués par des publications de tous 
genres, < étant persuadé, disait la lettre adressée au 
président, qu'il ne suffirait pas de rétablir l'ordre 
matériel au moyen de la force, si l'on ne rétablissait 
pas l'ordre moral ù l'aide d'idées vraies, et regardant 
comme nécessaire de pacifier les esprits en les éclai- 
rant. » 

L'Académie était toute prête, et son secrétaire per- 
pétuel exposa, dans un document qui ne fut pas assez 
remarqué, qu'elle considérait comme de son devoir 
d'essayer cette œuvre à la fois séduisante et difficile 
de pacification et de réconciliation sociale. 

« Elever tous les enfants, d'une môme patrie, disait- 
elle, à la dignité morale du citoyen, aider chacun à 
réaliser la mesure du bien-être à laquelle lui permet 
d'atteindre unesociété où règne l'égalité politique, c'est 
cequi ne peut s'effectuer par de simples proclamations. 
€ L'enthousiasme suffit pour entreprendre une pa- 
reille chose, mais non pour y réussir, Il s'agit de 
résoudre une question générale, qui se compose d'une 
foulede questions particulières: lerésultatd'ensemble 



188 JA SECONDE RÉPUBLIQUE 

ne peut être atteint que par mille moyens divers. Une 
grande société est une machine immense que ne meut 
pas un ressort unique ; et ce n'est pas la moindre des 
erreurs de certains esprits que de croire que, pour 
changer d'une manière effective et durable le sort de 
toute une nation, il suffit d'une seule idée, et quelque- 
fois d'un seul mot. Ceux qui s'imaginent savoir une 
de ces paroles magiques avec lesquelles on transforme 
la condition des hommes sur la terre, méconnaissent 
dans la théorie la grandeur de la science, et dans la 
pratique la grandeur de la destinée sociale. En croyant 
tout facile, ils se trompent ; en disant aux hommes 
que tout est facile, ils les trompent, et les con- 
duisent par la voie des espérances chimériques à de 
cruels mécomptes, peut-être à des vengeances dé- 
sespérées. Il est donc sage d'en appeler sans cesse 
des promesses d'une spéculation irréfléchie à l'étude 
attentive des choses. C'est dans l'intérêt de cette 
grande démocratie qu'il est nécessaire de poser scien- 
tifiquement et d'examiner dans leur multiplicité et 
leur variété les questions sociales, et de déterminer, 
sous la dictéede l'expérience, la portée des institutions 
humaines, les caractères de la réalité, les limites du 
possible. L'Académie à toujours poursuivi le bien 
praticable. Elle croit qu'en matière de science politi- 
que, la durée est l'épreuve de systèmes, elle ne veut 
que d'une science qui tienne tout ce qu'elle promet, 
et ne se pique pas. de savoir tromper la raison par le 
raisonnement. > 

Ces belles et sages paroles sont aussi vraies aujour- 
d'hui que dans les temps qui suivirent la répression 
de l'insurrection de Juin. Que d'années il a fallu, que 
d'épreuves, de luttes, de mécomptes et d'échecs, que 
d'expériences ont été nécessaires, pour en arriver 
à reconnaître les vrais et nécessaires caractères de 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 189 

la politique républicaine dans notre pays ! Heureu- 
sement, il s'est trouvé un homme, doué d'autant de 
bon sens que d'enthousiasme, pour comprendre, 
adopter et faire prévaloir ces principes de conduite : 
on cherche les origines des idées et de la politique de 
Gambetta dans les questions sociales ; qu'on relise et 
qu'on médite les lignes qui précèdent ! Cette politicjue 
y est tout entière. 

Il ne faut donc pas confondre les Petits Traités de 
V Académie des sciences morales et 'politiques avec les 
petits livres de la rue de Poitiers, bien que peut- 
être — et ce fut un des malheurs de cette époque — 
cette confusion ait été faite à l'origine par l'opi- 
nion publique, avec plus de passion (|ue de lu- 
mières. L'Académie confia à chacun de ses membres 
la tâche de résumer dans un court écrit les idées que» 
Ton croyait les plus propres à remettre les esprits 
dans le droit sens. Les économistes se distinguèrent 
au premier rang: Adolphe Blanqui, Villermé, Charles 
Dupin, Hyppolyte Passy s'attachèrent à décrire l'état 
économique et moral des classes ouvrières, en leur 
prodiguant les bons conseils. Troplong, juriscon- 
sulte éminent, celui qui devait mourir président 
du Sénat du second Empire, écrivit un petit traité 
de la Propriété selon le code cicil ; le philosophe 
Damiron, un petit traité de la Providence : Barthélémy 
Saiut-Hilaire, un petit traité de la vraie Démocratie, et 
Victor Cousin donna ([uelques pages éloquentes, inti- 
tulées /<t«^tc^ei C/i^//7fe. Le secrétaire perpétuel Miguet 
fit paraître sur la vie de Beujamiu Franklin, proposé 
à l'admiration du peuple comme un modèle, une 
notice qui est un petit chef-d'œuvre: et enfin M. Thiers 
composa son livre de la Propriété, Malheureusement, 
ces petits livres d'une doctrine savante, d'une forme 
abstraite, et ({ui n'étaient d'ailhMirs pas tons d'un égal 

11. 



190 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

intérêt, furent peu lus, bien que répandus à très ba» 
prix et en fort grand nombre. Us sont aujourd'hui 
tombés dans l'oubli ; personne ne les connaît, personne 
ne s'en inspire. Cette tentative à peu près unique de 
la haute culture officielle, entreprise en vue de contri- 
buer à Finstruction du peuple, n'a pas assez bien 
réussi pour être jugée digne d'être reprise plus tard, 
dans d'autres conditions et sur de nouvelles bases : 
on ne peut ({ue le regretter, car, sous ce rapport, il y a 
tout à faire. 



IX 



La coinniissKm (ronqiiètc. — Rapport de Qnentin-Baucliart. — 
Li.vlrn-Kollin se défeiul, el échappe à la proscription. — Pros- 
cription do. Louis RIanc et de Caussidière. — Maintien de Tétai 
<l(î sir^^^e. - Kleclions complémentaires de septembre. — Entrée 
(le Louis Ruiiapart(î dans rAsscmi)lce. 

Pendant hi bataille de Juin, sous le feu de l'insur- 
recLioii, rAsscnibléc nationale avait institué sur la 
proposition de Senard, son président, une commis- 
sion (le (fuinze membres, à l'effet de rechercher, par 
voie d'enquête ou par tous autres moyens qui lui 
paraîtraient utiles et nécessaires, les causes de l'insur- 
reclion et de constater les faits se rattachant soit à sa 
prépnration, soit à son exécution. 

Cette commission était autorisée, en outre, à étendre 
ses investigations à tout ce qui était relatif à l'attentat 
du 15 mai. 

Elle se mit à l'œuvre immédiatement, sous la direc- 
tion, pour ne pas dire sous la pression du président 
qu'elle se donna, Odih)n Barrot, ancien chef de 
l'opposition dynastique dans les Chambres de la mo- 
narchie de Juillet, représentant du département de 



ASSEMBLKE NATIONALE CONSTITUANTE 191 

l'Aisne après la révolution de Février, et qui avait rap- 
porté dans l'Assemblée toutes les rancunes d'une 
ambition déçue, toutes les haines d'une àme de réac- 
teur implacable. Etendre les pouvoirs de la commis- 
sion d'enquête jusqu'au Quinze-Mai, c'était évidem- 
ment, ramener, pour le soumettre à un nouvel examen, 
le rôle attribué à Louis Blanc et Caussidière que 
l'Assemblée avait déjà jugés, et c'était provoquer 
l'Assemblée à reviser elle-même, dans un sens plus 
rigoureux, la sentence qu'elle avait rendue : première 
faute, qui fut suivie d'une autre, plus inexcusable 
encore. Placer à la tête de la commission d'enquête 
un homme qui se considérait comme un vaincu 
de Février, Odilon Barrot, c'était livrer la Répu- 
blique et les républicains de la première heure, 
Ledru-Rollin et ses amis, à des ressentiments qui 
n'attendaient qu'une occasion de se faire jour. 

Ce fut, en effet, ce qui arriva. Tous les républicains 
furent mis sur la sellette. Tous les actes du gouver- 
nement provisoire de la Commission executive furent 
repris, incriminés, dénoncés et llétris. Les passions 
étaient si ardentes dans la commission que la plu- 
part de ses membres hésitèrent avant de se charger 
du rapport : Odilon Barrot confia cefte mission à un 
jeune représentant de son département Quentin- 
Bauchart, mort depuis conseiller d'Etat du second Em- 
pire, et tout brûlant à cette époque de mériter par un 
zèle odieux toutes les faveurs des partis de réaction. 

Toutefois, il faut rendre justice au rapport de la 
commission d'enquête. Ce document, déposé le 3 août 
sur le bureau de l'Assemblée, réduisait à néant les 
abominables calomnies, les outrages sans nom pro- 
digués à la population parisienne par la presse infâme 
au service du parti de l'ordre. Nulle part, la commis- 
sion ne put découvrir ces fontaines empoisonnées, 



192 LA SECO>DE RÉPUBLIQUE 

ces actes de viol et de pillage, ces mobiles sciés entre 
deux planches, ces soldats rôtis à petit feu par les 
mégères de l'insurrection, dont les journaux aux 
gages des prétendants et des factions monarchiques 
avaient tant de fois parlé, pour semer l'alarme et le 
découragement dans les provinces. A ce point de 
vue, le rapport de la commission d'enquête fut une 
véritable réparation envers Paris, la France et la civi- 
lisation humaine si atrocement enveloppés dans un 
réseau de perfidies et de mensonges sans exemple 
dans rhistoire des partis. Mais le mal n'en était 
pas moins accompli, et la peur faisait silencieusement 
son œuvre. 

Ce factum était d'ailleurs assez hypocrite dans ses 
accusations tortueuses, pour qu'il y eût urgence à se 
défendre dans le plus bref délai. Ledru-Rollin n'y 
manqua point. Aussitôt la lecture du rapport termi- 
née, il demanda et obtint la parole pour le combattre. 
Dans une improvisation admirable, il montra ce 
qu'était cette œuvre de basse et noire vengeance. 
C'était la première fois que l'on voyait une commis- 
sion, élue par une Assemblée souveraine, s'attribuer 
toute la souveraineté, pour se placer au-dessus de 
tous les pouvoirs, au-dessus du gouvernement comme 
de la magistrature. La commission, usant jusqu'à 
l'abus des pouvoirs extraordinaires qu'elle s'était 
arrogés, avait interrogé tous les hommes politiques 
appartenant au parti républicain, y compris le géné- 
ral Cavaignac en personne. Ceux-ci, ne se défiant 
nullement des collègues qui leur posaient les ques- 
tions les plus insidieuses, répondirent, en rejetant 
à l'envi les uns sur les autres les fautes commises, 
afin d'esquiver chacun pour sa part toute respon- 
sabilité. Le parti républicain sortit de là blessé, 
meurtri, défiguré, déshonoré par ses propres mem- 



ASSEMBLEE NATIONALE CONSTITUANTE 193 

bres. On se demande, pourquoi les représentants hon- 
nêtes qui faisaient partie de la commission d'enquête 
ont accepté un tel rapport si visiblement rédigé pour 
compromettre la République, et comment ils ne l'ont 
pas dénoncé et flétri ? Mais il y a plus : avant le rap- 
port, il y avait eu l'enquête, les interrogatoires, les 
dépositions. Comment se fait-il que personne n*ait vu 
le mal qui allait être fait à tout le monde, pour perdre 
deux ou trois hommes? 

La discussion du rapport en séance publique fut 
renvoyée au 23 août. Ledru-Rollin reprit de nouveau 
la parole le premier, et fut encore plus éloquent que 
la première fois : on peut dire qu'il gagna lui-même 
Son procès. Du reste, son talent ne faisait que grandir, 
et il n'est pas interdit de croire que nombre de répu- 
blicains comprirent à ce moment le tort qu'ils cause- 
raient à la République, en la privant des services 
d'un tel orateur. Quant à Louis Blanc et à Caussidière, 
chose honteuse à dire, leur sort était si bien réglé 
d'avance que le procureur général Corne adressa, au 
cours même de la séance, au président Armand 
Marrast une demande en autorisation de poursuites 
contre les deux malheureux représentants. C'était 
confondre effrontément un débat judiciaire ayec un 
débat politique. En vain, M. Jules Grévy, avec l'au- 
torité de sa haute raison, voulut-il ramener ses 
collègues à la modération, à la justice, à la di- 
gnité ; ses efforts échouèrent, et l'urgence fut votée. 
Louis Blanc se défendit avec autant d'opiniâtreté 
que de vigueur. Caussidière eut la parole à son 
tour, mais l'Assemblée, résolue à tout brusquer, ne 
cessa de l'interrompre. Théodore Bac reprit la défense 
de Louis Blanc, et Flocon celle de Caussidière : tout 
fut inutile. Les poursuites furent autorisées contre 
Louis Blanc par cinq cent quatre voix contre deux 



19i LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

cent cinquante deux ; contre Caussidière, en ce qui 
concernait les événements du 15 Mai, par quatre cent 
soixante-dix-sept voix contre deux cent soixante-huit. 
Encore une fois, c'était TAssemblée qui se perdait 
dans Testime du pays, en se déjugeant elle-même, en 
prononçant la proscription de deux de ses membres 
((u'elle avait couverts autrefois de sa protection- 
(]ette violation de toutes les règles de la justice fut 
commise dans une séance de nuit. A six heures du 
matin, les représentants se séparèrent, et Louis Blanc 
et Caussidière prirent le chemin de l'exil. Pour Louis 
Hlanc, cet exil devait durer vingt-deux ans. 

De telles iniquités ne relevaient point les affaires 
de la République dans Tesprit de la France. Cepen- 
dant, le gouvernement du général Cavaignac s'elïor- 
çait de tout remettre en ordre. La transportation des 
insurgés avait été décidée : on les dirigeait sur l'Afri- 
que sans les juger, et rien n'était mieux fait pour 
exciter des réclamations universelles, personne ne 
voulant croire à l'amnistie, qui devait suivre, disait- 
on, le vote de la Constitution. La vérité est que, dans 
la majorité républicaine de l'Assemblée, l'amnistie 
sembla toujours une mesure prématurée; qu'on la 
différa systématiquement pour ne point paraître 
pactiser avec des révoltés que le pays détestait sans 
les connaître, et que la Constituante se sépara, sans 
avoir compris de quel intérêt pour la République eût 
été ce grand acte d'oubli et de réconciliation. 

Le général Cavaignac gouvernait avec l'état de siège. 
Rien loin de l'embarrasser, l'état de siège lui permet- 
tait de prendre vite des résolutions d'apparence 
énergique, sur lesquelles il comptait pour rendre 
confiance à ceux des Français que la peur avait 
jetés hors d'eux-mêmes. Il s'appliquait en outre 
à tenir une situation intermédiaire entre les par- 



ASSEMBLÉE ^ATIO-NALt CON^-?]?' ' J 



^ . 



tis extrêmes. C'est aiii^i quu-vu* ;.■•• :• . 
((ui lui avaient été couih-^- p'-M i '----v- 
tionale, il avait supprimé le jrj-rjjfr j- • -■ -^ 
de France, jourual royali^tf*. *^\ \h /r'."." - 
peuple de P.-J. Proudhou. cfv-'- Mjt ; > 
f«*uilles justement décriéer. leJI^r 'r- ■ /-' ^ ^ •-. 
et /^ Lampion. Il dé5Î::uait ô-ju-ï j^ ; -- ■ - . 
comme le plus dan;j:<:'reux j:j-îri.i' . . ^-i 

s:ition politique et sociaJe qu'il }-.'.- • = • 
se faisait, dans les jjuijjiux jîj rr- 
des ennemis acijanjé> h s-j j»'r''--. J- • • ;■ 

la Moutîigue, pour empJo>i:'j ji ... ■ 

temps, demanda Ih 'iujjjire--j j . 

(iavaignac s'y opjiosH. c ^ivvut > ■ ; . • :• • 

pn main le moyen de j»ro'' .:• • .- : • :• ■ 

Cîiin ». C'était. *-n elî<-l Tu/j- .:• ■ - - 

jrouvernemeut ne doj* p - i— • • 

ripe. « Quiconque* ne vou'j'- ; - ..^ ■ 

est notre eiujMjjj. noîM- -.:.:' 

Cîivai^rnnc à la Iriliuî;*-. > L! ' 

homme à profe*=^rr d' - ';■ - 

ipn»r, il son;:''î!it. h J*-^ ^ ':j;.:- ' • ■ 

sons la C'inv«'nlJon ;-■■ !■ ». • " . - '- 

départiMimjf^ de- i*-;!?----- • . • ; 

CiMUli.'ittre 1-1 ]é:f:*j'i;j »r' ■ ';;•■'• ; Il •. 

que If'S syjiiji-îtjji'-r du ;.• . : .'■ f •■ •'!•;.; .•:, 

adressée par Ij-jz*- el loJ.o;* ^ "j ' .Jj « m ■ j « ■: 
voi de ce^ eonjijj--- : = •. • •,'.;..•:•,■ \. * ::.;. !. • ;,r-/ 
jf4 <ie CMv;ii;:jj::'; d*:.i.i iiS: . • '.'•• ■- '.■ : : • «i" 
LtMlru-UoIliri Init" li-iru-rj-:. * Oi' 11'»;- :. i. ' :> 
fallut pa^ dîjv;jnt'C''-. pyj- iij/'-' :■ ji* :■♦ i i ^ d' 
Cavai;;Nae. 

Des éleeliofJr f'jijjp!»-riji':jl:!ii'-- Mjr'':jl Ji'-u J« 1T •'■]> 
lembre. C'élnit Jh tr»ji-ji ru'- r-jn^uJi-i o:j dij 'jJIîîj;'*' 
universel df-pui*? son 'r'.;jbJi--»j;i'-jjl. L'- iJoruliT*- d<-- 






196 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

abstentions fut encore plus considérable qu'au 8 juin. 
On eût dit que la France, en province surtout, était 
déjà dégoi\tée de la vie publique. La réaction profita 
de cet affaissement général, pour pousser ses affaires. 
A Paris, les divisions de notre parti éclatèrent avec 
une violence inouïe. On ne put s'entendre sur la forma- 
tion d'aucune liste. Seul, F.-V. Raspail, enfermé dans 
une prison de la République, fut élu représentant du 
peuple en même temps qu'Alphonse Gent, dans le Vau- 
cluse. Raspail ne remplit pas son mandat, puisque la 
liberté ne lui fut pas rendue, mais il n'en a pas moins 
persisté, jusqu'à la fin de sa vie, à en porter le titre et 
les insignes, sur ses portraits destinés au peuple, en 
souvenir reconnaissant de la protestation faite sur son 
nom contre les fureurs de la réaction. Sur quinze élec- 
tions à faire, treize portèrent sur des conservateurs, 
deux sur des républicains socialistes, pas une sur 
un républicain modéré : triste et significatif symp- 
tôme, qui aurait dû avertir la France républicaine 
que les divisions de la démocratie allaient tout per- 
dre à bref délai, et qui, à l'époque, passa presque 
inaperçu. 

Elu en juin par quatre départements, Louis-Napoléon 
Bonaparte le fut en septembre par cinq, notamment 
par la Moselle, le boulevard de la défense nationale 
dans l'Est, par Metz, que son inepte et criminelle 
politique devait, vingt-deux ans plus tard, livrer à 
l'Allemagne, Cette fois, Louis Bonaparte vint prendre 
séance dans l'Assemblée nationale. Il dit avec la plus 
astucieuse hypocrisie : c La République m'a rendu 
ma patrie et mes droits de citoyen ; qu'elle reçoive 
ici mon serment de reconnaissance et de dévoue- 
ment. » L'Assemblée s'inclina sous le verdict popu- 
laire, en abrogeant la loi de bannissement dans ses 
applications à la famille Bonaparte. Dans l'Assem- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 197 

blée, Louis Bonaparte se montra tout d'abord à de 
fares intervalles. Quand il y venait, il y était fort 
entouré par tous ceux qui voyaient se lever et mon- 
ter à riiorizon l'astre de sa fortune. Un jour, comme 
il causait avec M. Thiers : c Monseigneur, lui dit le 
malicieux petit homme, en lui montrant les bancs de 
l'Assemblée, vous voyez bien tous ces gens-là, vous 
pourrez être un jour leur maître ; vous ne serez janiai^ 
le mien. » 



X 



La Constitution. — Formation du premier comité. — Ses propo- 
sitions. — Discussion de la Constitution dans rAssemblée. — 
Le préambule. — Le droit au travail. — Discours de Billault. 
— Le système des deux Chambres. — La Présidence de la 
République. — Amendement de M. Jules Grévy. — Discours de 
Lamartine : aléa jacla est ! — Amendement Leblond. — Fête 
de la Constitution. 



■ Au commencement de septembre, le rapport géné- 
ral sur le projet de Constitution de la République 
avait été apporté à l'Assemblée. 

La Constitution était la tâche spécialement confiée 
aux représentants élus le 23 avril par le suffrage uni 
versel. Un comité de constitution avait été formé par 
l'Assemblée quelques jours après Téchauffourée du 
ioMai. Elle voulait prouver par là qu'elle ne se lais- 
serait distraire par aucuu événement de l'œuvre que 
la nation avait imposée à son patriotisme. La succes- 
sion des événements démontra au contraire que la 
discussion de la Constitution fut incessamment re- 
tardée par tout Ci' qui se passait au deliors. Et qui serait 
en droit de s'en étonner ? Qui donc aurait pu songer à 
faire de la philosophie politique, au milieu des hor- 



198 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

reurs de la guerre civile? Le comité de Constitution 
ii*ea travailla pas moins avec ardeur, mais ses déli- 
bérations n'étaient pas apportées à la tribune. Ou 
attendait des jours plus calmes. 

Le comité de Constitution était composé d'hommes 
pour la plupart distingués. Quelques-uns étaient même 
supérieurs, tels que l'illustre Lamennais. Ce ne fut 
pas ceux-là qui eurent la plus grande influence sur 
leurs collègues. Lamennais, à ce que l'on disait, avait 
dans ses papiers une Constitution toute prête, et quel- 
([ues-uns le tenaient pour le Sieyès de la nouvelle 
République. Si théoricien et même des plus absolus 
((ue fût Lamennais, aucun rôle politique ne convenait 
moins que celui-là à un grand écrivain, étranger aux 
thèses et aux discussions de droit public et plus 
liabitué aux grandes vues historiques et morales 
(lu'aux applications pratiques et journalières de la 
politique. Lamennais parla de son plan de constitution 
dans la seconde séance du comité. Le voyant accueilli 
avec tiédeur, il le retira et n'en parla plus. 

Les autres membres du comité appartenaient, les 
uns au prrti républicain modéré, comme Armand 
Marrast, Martin (de Strasbourg), Corbon, Vaulabelle, 
Dornès, Considérant, Pages (de l'Ariège), Woirhaye et 
(Considérant; les autres, à l'ancienne gauche dynas- 
tique, comme Odilon Barrot, Tocqueville, Vivien, 
(lustave de Beaumont, et même à l'ancien centre 
gauche, comme Dufaure. Ces derniers ne furent pas, 
comme on pourrait le croire, les plus hostiles à une 
refonte complète du système politique, administratif 
et judiciaire de la France. Ce sont, au contraire, les 
républicains qui, par la plus fâcheuse des méprises, 
persistèrent à nous laisser sous le joug des institu- 
tions rétrogrades, données à la France de la Révolution 
par le génie despotique de Bonaparte, premier consul. 



i 

; 



ASSEMBLEE NATIONALE COXSTITL'ANTE 199 

Jamais occasion plus favorable de transformer, sinon 
dedétruire ces institutions, véritables étais du pouvoir 
«absolu, ne s'était encore présentée. Ni la Restauration, 
liiia monarchie de Juillet n'avaient tourné leurs vufs 
et leurs efforts de ce côté; et c'était, à y rei^ardor dt^ 
près, rœuvre nécessaire de la seconde Républifiup. 
Faute de temps ou pour s'être trompée sur sa vraie 
mission, TAssemblée constituante n'a pas pris la 
tâche assez à cœur ou n'y a pas apporté assez de réso- 
lution et de confiance en elle-même. Elle a ainsi 
manqué à ce qu'elle devait à la France nouvelle, et 
c'est le plus grand reproche qu'elle ait mérité. 

Odilon Barrot avait proposé au comité de (lonstitu- 
lion un plan de travail dont l'originalité même pro- 
mettait les plus heureux fruits, c Au lieu de com- 
mencer par créer les grands pouvoirs publics, 
commençons, disait-il, par organiser fortement la 
commune, qui n'est que la famille agrandie; de bi 
commune, passons au canton, du canton au départe- 
ment. Imitons ces architectes avisés qui donnent aux 
constructions des fondations solides, avant d'exposer 
le sommet. Nos institutions départementales et com- 
munales sont réglées par les lois despotiques du 
Consulat et de l'Empire : comment établir la liberté 
en haut, quand le despotisme est en bas? Conifuent 
les citoyens pourront-ils débattre eflicacement les 
grandes affaires, s'ils n'y ont été accoutumés pî^r Je 
maniement des affaires locales? Que rorganisaliou du 
pouvoir central soit le début de notre aiuvre. * f/r 
problème était admirablement posé, et c'ét^Mt déjà 
beaucoup, pour arriver à la solution. OdiJon lîif f ot ne 
fut compris et soutenu que par [.amennaii* el. To/:q'«:- 
ville. Il est regrettable que le p;irti lé;(ilimi>.»e itil M*, 
systématiquement exclu du fjtuM: de fsou^.u^n'.^fh 
liraads partisans de la décentralin^ition ;)drijwiu*./^ 



200 LA SECONDE RÉPUBUQCE 

tive, les légitimistes auraient peut-être contribué à 
faire adopter le plan de travail d'Odilon Barrot, comme 
ils ont contribué à faire voter en 1871, sous la troi- 
sième République, la loi qui a si notablement étendu 
les attributions des conseils généraux. Mais, en J848, 
ces idées n'étaient pas mûres : les républicains avaient 
en horreur les influences locales, qui leur semblaient 
toutes favorables à la contre-Révolution. Lfe suffrage 
universel d'ailleurs n'en était qu'à ses premiers bé- 
gaiements; et, à cette époque, il était loin d'avoir 
conscience de sa force. C'est grâce aux progrès de son 
éducation politique qu'il a été possible, vingt ans plus 
tard, de rompre avec la centralisation que l'on regar- 
dait alors comme la condition même d'un pouvoir fort 
et durable. Elevés dans l'admiration et le respect des 
conceptions politiques du Premier Consul, les républi- 
cains ne pensaient pas que la République démocratique 
dût avoir pour tache de constituer le citoyen français, 
les communes, et les départements dans leur force et 
leur liberté. Il a fallu subir les vingt années de des- 
potisme du second Empire, avant d'en arriver à une 
orientation toute différente ; et encore est-il nécessaire 
de ne s'avancer de ce cùté qu'avec une extrême pru- 
dence, dans l'état de division où les luttes des partis 
ont jeté la France. Les hommes de 1848, ne se jugèrent 
pas, dans les circonstances difficiles où ils se sont 
trouvés, maîtres d'aborder avec succès une œuvre 
aussi ardue que la refonte générale de notre droit 
public. Le comité de Constitution rejeta la méthode 
politique proposée par Odilon Barrot. Si cette mé- 
thode eût été adoptée, le premier avantage que 
l'Assemblée constituante en eût recueilli, au grand 
profit de la République, c'eût été d'assurer à son man- 
dat une plus longue durée. Elle eût travaillé aux lois 
organiques, au lieu de se dissoudre prématurément, 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 201 

comme elle fut amenée à la faire, dès que la Consti- 
tution fut votée. 

Une autre discussion préliminaire s'engagea sur le 
point de savoir si Ton ferait précéder la Constitution 
nouvelle d'une Déclaration de principes, comme la 
Constituante avait fait pour la Constitution de 1791, et 
la Convention nationale pour celle de Tan III. La Ré 
publique de 1848 promulguerait-elle à son tour une 
nouvelle Déclaration des droits de l'homme et du ci- 
toyen? Ce dernier parti fut écarté, mais on mit au- 
devant de la Constitution nouvelle, sur la proposition 
de Lamartine, un préambule, où les législateurs s'ap- 
.pliquèrent à rappeler les grands principes de liberté, 
de justice, d'égalité sociale et de fraternelle assistance, 
((ui sont les titres d'honneur du peuple français au res- 
pect des peuples et à la reconnaissance deThumanité. 
Ce préambule de la Constitution de 1848 a été souvent 
critiqué par les partisans de la politique dite pra- 
tique. Les républicains de l'Assemblée constituante 
ont eu raison de remonter à l'idéal proposé par nos 
pères de 1789 comme un exemple à l'admiration du 
genre humain. Ils ont trouvé d'ailleurs, pour carac- 
tériser la République, forme supérieure du gouverne- 
ment des nations, une formule magnifique, qui res- 
tera, comme une indication de l'avenir politique des 
sociétés de l'avenir. 

Le préambule de la Constitution de 1848 s'exprime 
ainsi : 

« La France s'est constituée en République. 

c En adoptant cette forme définitive de gouverne- 
ment, elle s'est proposé pour but de marcher plus 
librement dans la voie du progrès et de la civilisation, 
d'assurer une répartition de plus en plus équitable des 
charges et des avantages de la société, d'augmenter 
l'aisance de chacun par la réduction graduée des dé- 



*Hn LA StCONDi: RÉPUBLIQUE 

penses publiques et des impôts, et de faire parvenir 
tous les citoyens, sans nouvelle commotion, par l'ac- 
tion successive et constante des institutions et des lois, 
à un de^ré toujours plus élevé de moralité, de lumières 
4ît de bien-ôtre. » 

A cette République d*un caractère si profondément 
idéaliste, tout ensemble, libérale, progressiste et ra- 
tionnelle, il eût fallu donner des institutions cohé- 
rentcîs et cordonnées, viables dans le présent et per- 
fectibles dans Tavenir. Ce fut malheureusement ce 
<|ui manqua, moins par la bonne volonté des hommes 
<iue par leur défaut de savoir et d'expérience. 

II y eut surtout de graves inconséquences commises. 
Quand on en vint à discuter le droit au travail et à 
l'assistance, le comité se divisa. Armand Marrast, cet 
adversaire acharné de Louis Blanc et du socialisme, 
iw, cacha pas à ses collègues que le gouvernement 
provisoire de Février ayant reconnu le droit au travail 
C(^ décret lui paraissait engager l'Assemblée dans cet 
ordre d'idées : c'était, disait-il, le côté social de la 
révolution de 1848, qu'il y aurait péril extrême à reje- 
ter, si l'on voulait ramener à la République le peuple 
<U's villes, c'est-à-dire les travailleurs manuels, qui 
étaient en train de s'en éloigner. Marrast l'emporta, 
et le droit au travail comme le droit à l'assistance, fut 
reconnu par le comité. 

Sur la question des deux Chambres, au nom du 
principe métaphysique de l'unité du pouvoir législa- 
tif, Armand Marrast fut intraitable, se sentant soutenu 
non seulement par Lamartine et les républicains, mais 
par d'anciens constitutionnels et parlementaires, tels 
que le procureur général Dupin et l'éminent avocat 
Dufaure. On eut beau rappeler que les républicains des 
Etats-Unis, Washington, Thomas Jefïerson, Franklio 
avaient reconnu la nécessité de diviser le pouvoir lé- 



ASSEMBLÉE :SATIONALE CONSTITUANTE 203 

gislatif en deux assemblées, et que la Convention natio- 
nale avait imité les Américains, en créant les deux 
Conseils des Anciens et des Cinq-Cents : rassemblée 
unique fut adoptée. Cependant, Tocque ville avait dit : 
« La République se perdra, ou arrivera au système des 
deux Chambres. » La République, avec une seule As- 
semblée, a été facilement détruite parle coup de force 
du Deux Décembre. Elle n*a pu être rétablie légale- 
ment qu'en adoptant le système des deux Chambres ; 
elle ne subsiste après vingt aus que grâce à ce système, 
et tout démontre, les faits tout récents comme les 
événements du passé, qu'elle se perdrait encore, si elle 
retombait dans Tancienne erreur de Tunité du pou- 
voir législatif. 11 n'importe ! Rien ne prévaut, ni la 
raison ui l'expérience, contre certains préjugés. Une 
Assemblée unique, le pouvoir législatif dans une seule 
Chambre : c'est, nous dit-on, un des principes les 
plus certains de la Révolution ; on ne peut s'écarter 
de ce principe, sans manquer à tout ce qui est dû à 
la logique, à la rigueur nécessaire des conceptions de 
la vraie politique républicaine. Et pas d'autre argu- 
ment que celui-ci, en 1848 comme de nos jours : la 
nation est une ; donc, le pouvoir législatif, qui la 
représente et légifère eu son nom, doit être un comme 
elle. Cette sophistique triompha en 1848; mais ou ne 
devait pas attendre longtemps, avant d'en voir les 
effets désastreux. 

Toutefois la grosse faute, celle qui perdit tout, ce fut 
l'institution au sommet de 1 édifice politi({ue d'un pré- 
sident de la République, élu directement p:ir le suf- 
frage universel, (^est (^ormenin Timon, le pami)]ilé- 
taire,qui mit en avant cette autre conception, illogicjue 
cette fois et contradictoire même à l'idée républi- 
caine; elle fut défendue dans le comité de constitution 
par Dufaure qui, dit-on, représentait les opinions du 



204 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

général Cavaignac. Les républicains, respectueux du 
principe de la souveraineté du peuple jusqu'à la su- 
perstition, auraient cru manquer à leurs devoirs 
envers la nation, en ne lui conférant pas le droit 
d'élection directe du président de la République. 
Comment ne virent-ils pas qu'ils invitaient une nation 
profondément monarchique à se donner un roi, dans 
la personne de ce président, et que le seul moyen de 
faire de la présidence de la République une véritable 
magistrature républicaine, c'était de placer l'exécutif 
sous la dépendance immédiate des législateurs, repré- 
sentants de la nation, en ne lui donnant que les attri- 
butions d'un simple délégué? La présidence conférée 
directement par le suffrage universel, c'était le conflit 
certain et à bref délai avec l'Assemblée unique. Victor 
Considérant l'aperçut avec une rare clairvoyance. 11 
demanda au comité l'élection du président par l'As- 
semblée, mais il fut battu, avec Odilon Barrot qui 
le soutenait et qui dit à cette occasion : c Tout autre 
expédient nous amènera la guerre civile. » Un autre 
républicain, Pages (de l'Ariège) demanda, en ce qui 
concernait la présidence, l'exclusion des princes 
appartenant aux familles qui ont régné sur la France, 
Neuf voix contre sept écartèrent sa proposition. 

En d'autres matières que les matières politiques, le 
comité de Constitution adopta certaines réformes, que 
la France n'a jamais connues que sur le papier, telles 
que le jury au correctionnel et progressivement au 
civil. Elle admit aussi, chose très étonnante pour 
l'époque, le principe de la réduction de la durée du 
service dans l'armée à deux ans et la suppression du 
système immoral du remplacement militaire. Les 
généraux Cavaignac et Lamoricière étaient tous les 
deux partisans du service de deux ans, adopté dès 
cette époque en Prusse. Qui sait ce qui serait arrivé 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 206 

de la France, si son armée avait été réorganisée sur 
cette base, il y a près d'un demi-siècle? 

Telles étaient les vues du premier comité de Cons- 
titution. Avant d'être discutées solennellement en 
séance publique, elles furent soumises aux bureaux 
de TAssemblée. On attendit longtemps cette discus- 
sion, et la réaction gagnait tous les jours du terrain. • 
Quand les débats s'ouvrirent, Tesprit de TAssemblée 
était déjà profondément modifié. 

M. Thiers, devenu le cbef du parti de Tordre, livra 
I)ataille au socialisme sur la question du droit au 
travail. Il n'y avait que le principe qui fût proclamé 
dans le projet de constitution : c'était trop. La discus_ 
sien dura quatre jours. On y remarqua un discours 
d'une puissante habileté et d'une réelle éloquence, 
prononcé par Billault, ancien député de l'opposition 
sous Louis-Philippe, qui n'avait pas encore donné 
toute sa mesure et qui se révéla grand orateur. On 
put croire que la République venait de faire une im- 
portante recrue, en ralliant à sa cause un homme de 
cette valeur et de ce talent. Mais Billault était un am- 
bitieux sans caractère et sans scrupules : il mourut 
ministre de la parole, sous le second Empire. Le droit 
au travail fut écarté du préambule de la Constitution, 
même sous la forme d'un amendement présenté par 
<îlais-Bizoin, dans les termes les plus modérés : « La 
République reconnaît le droit de tous les citoyens à 
l'instruction, le droit à l'assistance par le travail, et à 
l'assistance dans les formes et aux conditions réglées 
par les lois. » Cet amendement pouvait tout concilier, 
car de quoi s'agissait-il? de ne pas fournir au socia- 
lisme l'occasion de prétendre que l'Assemblée natio- 
nale refusait de s'intéresser aux soulTrances du peuple : 
il fut rejeté par cinq cent quatre-vingt-dix-huit voix 
contre cent quatre-v' ' "'"'>t. 

12 



206 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Les réformes militaires soutenues par le général 
Lamoricière, ministre de la guerre, au nom du gou- 
vernement, le service de deux ans, Tabolition du rem- 
placement, furent repoussées après des discours de 
M. Thiers, qui représentait Tarmée française comme 
perdue, si Ton osait toucher au système de recrute- 
ment de la loi de 1832. Rien ne prouvait mieux que 
ce rejet de toute réforme militaire que la République 
de Février, n'existant que de nom, n'avait pas déter- 
miné de véritables changements dans la constitution 
politique et sociale de la France, caries lois militaires 
sont avant tout des lois sociales, et il est nécessaire 
qu'elles procèdent directement des principes de 
justice et d'égalité qui doivent régner dans une dé- 
mocratie. 

Eu revanche, on inscrivit dans la Constitution le 
principe d'une liberté qui n'a été reconnue et procla- 
mée par aucune de nos assemblées révolutionnaires, 
le principe de la liberté de l'enseignement. Sous cette 
étiquette fallacieuse, Montalembert et le parti clérical 
entendaient le principe d'une lutte à outrance de 
l'Église contre l'État représenté par l'Université ; on 
se réservait de s'armer pour cette lutte, en faisant 
voter une loi organique, qui a été la loi Falloux. 

Il y eut une forte minorité, deux cent quatre-vingt- 
neuf voix, pour l'établissement des deux Chambres que 
M. Thiers appuya très fortement, mais qui fut proba- 
blement repoussé à cause de son intervention même. 
Sur cette question, Lamartine erra non moins grave- 
ment que sur la question de la présidence. Il considé- 
rait une Chambre unique comme une dictature tem- 
porairement nécessaire, et, en même temps, il instituait 
à côté un pouvoir en opposition forcée avec cette dic- 
tature. Odilon Barrot lui montra la contradiction où 
il tombait : < Avec une Chambre unique, dit-il fort 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 207 

sagement, pas de président indépendant et nécessaire- 
ment rival. » 

C'était la pensée même du célèbre amendement qui 
a fait la fortune politique de M. Jules Grévy et qui 
était ainsi conçu : 

« L'Assemblée nationale délègue le pouvoir exécu- 
tif à un président du conseil des ministres toujours 
révocable. » 

Cet amendement si simple et si clair était pris dans 
la réalité même des choses, car c'est ainsi que le gêné-» 
rai Cavaignac avait été placé par l'Assemblée à la tète 
de la République. M. Jules Grévy parla, dans cette occa- 
sion comme toujours, avec autant de fermeté clair- 
voyante que de sagesse politique. Comme il aperce 
vait nettement le danger, il le dénonça en termes 
prophétiques : « Êtes-vous bien sûrs, demanda-t-il à 
ses collègues, qu'un ambitieux élevé au trône de la 
Présidence ne soit pas tenté de s'y perpétuer ? Et si 
cet ambitieux est le rejeton d'une de ces familles qui 
ont régné sur la France, s'il n'a jamais renoncé 
expressément à ce qu'il appelle ses droits, si le com- 
merce languit, si le peuple souffre, s'il est dans un de 
ces moments de crise, où la misère et la déception le 
livrent à ceux qui masquent sous des promesses leurs 
projets contre sa liberté, répondez-vous que cet am- 
bitieux ne parviendra pas à renverser la Répu- 
blique? » Que ce noble et beau langage, inspiré par 
les plus4.ristes et les plus justes pressentiments, n'ait 
pas été écouté, c'est ce que l'on ne peut comprendre : 
il y avait peut-être là trop de raison, trop d'éloquence ! 
Mais quand M. Jules Grévy suppliait l'Assemblée de 
garder la forme de gouvernement qu'elle avait éprou- 
vée — il aurait pu dire qu'elle avait fondée — avec 
laquelle elle venait de traverser les plus grandes dif- 
ficultés, il était da.as la situation la plus parlante : il 



208 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Q'y avait qu'à conserver ce qui était, et tout était, 
sauvé. Mais la logique voulait que Ton fit une Cons- 
titution de toutes pièces, et c'est la logique, à laquelle 
on fait tant de sacrifices qui, cette fois encore, perdit 
tout. On ne saura jamais le mal qu'a fait à la politique 
la violente domination de la logique, legs fatal de 
l'ancienne éducation scolastique qui a façonné l'intel- 
ligence française. 

A la froide et calme raison de M. Grévy, Lamartine 
répondit par le plus prestigieux et le plus vide des 
discours, un de ces discours qui sont la gloire et le 
péril de l'éloquence. Lamartine nageait dans l'erreur, 
comme un poète dans l'éther. Toute la majorité répu- 
blicaine, qui ne l'écoutait plus, se retrouva avec lui 
ce jour-là, pour se laisser tromper. Elle étaitentraînée^ 
séduite comme autrefois, mais les temps étaient bien 
changés. 

€ Oui, s'écria-t-il, quand même le peuple choisirait 
celui que ma pensée, mal éclairée peut-être, redou- 
terait de lui voir choisir, n'importe! aléa jacta est ! 
Que Dieu et le peuple prononcent I II faut laisser quel- 
que chose à la Providence ! Elle est la lumière de 
ceux qui, comme nous, ne peuvent pas lire dans les 
ténèbres de l'avenir î > 

On frissonne, en lisant ces mots prononcés par un 
homme qui a eu l'honneur de conduire la France à 
travers les périls d'une révolution : aléa jacta est! 
Les dés sont jetés I Eh ! quoi, c'est sur un coup de dés 
que ce poète sublime, cet illustre citoyen a joué la 
liberté, le repos, l'avenir de son pays! Rien ne pou- 
vait faire plus de mal à la République que de la 
représenter comme livrée ainsi à tous les hasards. 
On en faisait une bouée flottante, alors que la nation 
comptait sur elle comme sur un mur d'appui. La 
déception fut immense. Lamartine avait-il conscience 



ASSEMBLEE NATIONALE CONSTITUANTE 20^ 

du choix que la nation française égarée allait faire? 
Devinait-il Thomme destiné à nous mener aux abîmes? 
« Si le peuple s'abandonne lui-même, disons le mot 
des vaincus de Pharsale, et que cette protestation 
contre Terreur ou la faiblesse du peuple soit son 
accusation devant lui-même et notre absolution à nous 
devant la postérité >, s'écria Lamartine en finissant. 
La France a eu trop à se faire pardonner à elle-même, 
pour ne point absoudre Lamartine. Mais la postérité, 
que dira-t-elle ? Elle est souvent plus sévère que les 
contemporains. 

Lamartine, le général Cavaignac, M. Thiers — les 
princes et leurs amis, cela va sans dire — étaient par- 
tisans de l'élection directe : c'est que tous étaient can- 
didats à la Présidence. Comment ne comprirent-ils 
point — les prétendants, et en particulier Louis 
Bonaparte, étant mis à part — qu'ils n'avaient de 
chances sérieuses d'arriver au pouvoir suprême que 
par l'Assemblée ? 

L'amendement de M. Jules Grévy, si conforme au 
véritable intérêt la de République, au moment où il 
fut proposé, ne donnait pas, il faut en convenir, satis- 
faction à ce besoin de durée et de stabilité qui tra- 
vaille toutes les sociétés humaines dans l'organisa- 
tion des pouvoirs. Ce système, qui consiste à faire 
déléguer par une Assemblée unique un pouvoir exécu- 
tif à un président toujours révocable, a été mis à 
l'épreuve après la guerre de 1871, quand M. Thiers, 
élu de vingt-six départements, fut nommé chef du 
pouvoir exécutif de la République française. A l'expé- 
rience, il n'a pu tenir plus de six mois : le pouvoir 
exécutif était sans force, trop instable, et il a fallu une 
loi spéciale, appelée la constitution Rivet, pour mettre 
la magistrature de M. Thiers, à l'abri des fluctuations 
inévitables d'une majorité toujours capricieuse et 

VI. 



no LA SECO:SDE RÉPUBLIQUE 

mobile. La proposition de M. Grévy fut rejetée par six 
cent quarante-trois voix contre cent cinquante-huit. 
Cet amendement, qui gardera le nom de M. Grévy, n'est 
donc pas, com me quelques-uns le croient encore, le der- 
nier mot de la sagesse politique. Il n'a de valeur que 
celle que lui ont donnée les circonstances, mais il a mis 
son auteur hors de pair parmi les républicains français. 
Un autre amendement, moins théorique et plus 
explicite que celui de M. Grévy, fut présenté par 
Leblond, représentant de la Marne, avec le dessein 
non dissimulé de fournir à la majorité républicaine 
une occasion et un moyen de réparer la faute qu'elle 
venait de commettre. Leblond proposait de faire déci- 
der que le président de la République serait élu di- 
rectement par l'Assemblée nationale et révocable par 
elle. Tous les ministres et le général Cavaignac étaient 
favorables à cet amendement. Mais, craignant qu'on 
ne l'accusât de poursuivre un but d'ambition toute 
personnelle, en remettant à l'Assemblée l'élection du 
chef du pouvoir exécutif, Cavaignac refusa de soutenir 
la proposition de Leblond ; il n'autorisa même pas ses 
ministres à la défendre,*en sorte que c'est par d'autres 
considérations, également toutes personnelles, que 
l'intérôt supérieur de la République fut sacrifié à 
l'aveuglement général. Le général Cavaignac montra, 
dans cette occasion, que ses sentiments prévalaient 
sur ses idées, et qu'en lui l'homme d'État restait au- 
dessous de l'homme privé : sa trop grande modestie 
a coûté cher à la France. L'amendement Leblond fut 
rejeté par six cent deux voix contre deux cent onze. 
Le 9 octobre, six cent vingt-sept voix attribuèrent 
l'élection du président de la République au suffrage 
universel. L'Assemblée constituante, après l'insurrec* 
tion de Juin, porta ainsi le coup mortel à la Repu* 
blique de Février. 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 211 

Ua député du Nord, Anthony Thouret, fils du grand 
jurisconsulte de la première Constituante, reprit dans 
l'Assemblée la proposition de Victor Considérant dans 
le comité de Constitution, et demanda que, par une 
disposition spéciale, les candidatures des personnes 
appartenant aux familles qui ont régné sur la France, 
lussent déclarées illégales, nulles et de nul effet. 
Louis Bonaparte, directement visé par cette proposi- 
tion, prit la parole pour se défendre contre l'accusa- 
tion qu'on lui jetait incessamment à la tête d'être un 
prétendant au trône impérial. Sa piètre figure à la 
tribune, son ^accent étranger n'ajoutèrent point à l'au- 
torité de ses déclarations, que nul ne lui demandait et 
quine pouvaient tromper personne. Aprèsqu'ileut fini, 
Anthony Thouret remonta à la tribune, et dit : « J'a- 
vais cru cet homme dangereux. Après l'avoir entendu, 
je reviens de mon erreur, et je retire mon amende- 
ment. » On rit sur tous les bancs, et Louis Bonaparte 
dévora en silence, sans laisser paraître la moindre 
émotion, cet affront sanglant que le suffrage univer- 
sel devait bientôt venger. 

Le prince savait mieux que les républicains de 
l'Assemblée qu'une immense et irrésistible poussée 
de l'opinion allait le porter au pouvoir. A cet égard 
il était mieux renseigné que les préfets du général 
Cavaiguac, qui écrivaient chaque jour au ministre 
de l'intérieur (|ue la candidature du chef du pouvoir 
exécutif sortirait par acclamation des urnes popu- 
laires. On se trompait soi-même comme à plaisir. Au- 
cun autre témoignage de cet aveuglement n'est plus 
accablant que celui qui fut donné par le général Cavai- 
guac, lors de la discussion du décret fixant la date de 
l'élection présidentielle. La plupart des républicains 
des réunions de la rue des Pyramides et du Palais- 
National c'est-à-dire le gros de la majorité républi- 



2!2 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

caine, pensaient qu'avant de faire élire le Président 
par la nation, il était avantageux que rAssémblée 
votât les lois organiques prévues par la Constitution 
et qui en faisaient en quelque sorte partie intégrante. 
Une proposition dans ce sens fut déposée. Comme il 
était écrit que pas un avertissement utile, pas un 
sage conseil ne manquerait à cette majorité désem- 
parée et devenue incapable d'en tenir compte, cette 
fois, ce fut un vieil homme d'Etat, blanchi au service 
de toutes les monarchies, un des « burgraves » de 
la rue de Poitiers, le comte Mole lui-même, qui 
vint dire aux républicains de la Constituante que 
leurs jours étaient comptés, s'ils laissaient s'établir en 
face d'eux le pouvoir rival de l'Elysée : t En présence 
de cette Assemblée omnipotente, s'écria-t-il, le pou- 
voir exécutif restera frappé de stupeur, ou sera tenté 
de l'envahir. Soyez-en bien sûrs, jamais il ne pourra 
exister avec elle. > Ce langage ne fut pas entendu. Ca»- 
vaignac, toujours confiant, voulut-il précipiter l'élec- 
tion présidentielle, avec l'espoir de rester vainqueur 
dans la lutte électorale? Etait-il fatigué, excédé du 
pouvoir, et désirait-il en descendre? Ses amis votèrent 
l'élection présidentielle à la date la plus rapprochée; 
elle fut fixée au 10 décembre. 

Le même jour, Louis Bonaparte reparut à la tribune 
pour dire, cette fois avec assurance, qu'il acceptait la 
candidature. Il sut avec habileté se présenter comme 
décidé à ramener l'ordre dans les esprits, sans mena- 
cer la République. II sentait bien que son heure était 
venue. 

L'ensemble de la Constitution mis aux voix fut 
adopté le ^^ novembre par sept cent soixante-neuf 
représentants du peuple présents. Trente voix seule- 
ment votèrent contre : c'étaient des légitimistes, qui 
eussent abandonné leur principe, en reconnaissant 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 2i:i 

la République ; des socialistes, pour qui cette Consti- 
tutiou n'avait aucun sens, réformateur, et enfin quel- 
ques individualités isolées, qui invoquèrent diverses 
raisons, telles que l'institution d'une Chambre unique 
et le vote du pacte fondamental sous le régime de 
l'état de siège. 

La Constitution de 1848 a été jugée très sévèrement. 
Il est certain que, destinée à servir de base à tout un 
système d'institutions dont la démocratie était appelée 
à profiter, elle devait être conçue de manière à sauve- 
garder l'existence de la République, et que, loin d'of- 
frir à la France de sûres garanties de stabilité et de 
durée, elle ouvrit la porte, dès les premiers jours, à 
toutes les chances de conflit entre les divers pouvoirs. 
Ije pays d'ailleurs n'eut pas le temps de s'y attacher. 
Pendant les trois années qu'elle dura, les républicains 
semblèrent prendre à tâche de démontrer à la France 
que cette Constitution faible et débile était incessam- 
ment l'objet de violations, qui toujours restèrent im- 
punies. 11 arriva de là que la nation n'apprit pas à la 
respecter. Elle avait en outre le tort de rappeler, par 
des imitations incomplètes et maladroites, la Consti- 
tution de 1791 si vite emportée dans les orages de la 
première révolution. Elle était trop républicaine pour 
un pays qui ne l'était pas encore assez, et, en même 
temps, elle conservait au sommet de l'édifice une ins- 
titution d'un caractère monarchi([ue, alors qu'il était 
si nécessaire d'apprendre à la nation, affranchie de la 
veille, à garder soigneusement le dépôt de sa propre 
souveraineté. 

Toutefois, la Constitution votée fit sortir la Répu- 
blique de l'état provisoire, et c'est sans doute pour 
cette raison que le gouvernement du général Cavai- 
gnac décida de célébrer sa promulgation par une fôte 
solennelle, qui eut lieu le 14 novembre, sur la place 



^14 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

de la Concorde. Au pied d'an autel de vingt mètres de 
haut, où Fayet, représentant du Loiret, évoque d'Or- 
léans, avait dit la messe, en présence de TAssemblée 
€t des grands corps de l'Etat, Armand Marrast, ayant 
à sa droite le général Cavaignac et à sa gauche le 
garde des sceaux Marie, donna lecture de la Consti- 
tution sous une averse de neige fondante. Un ciel bas 
€t noir, des visages tristes et inquiets dans une fête 
manquée, ce fut tout le souvenir que laissa cette céré- 
monie. 



XI 

Dispositions des partis à veille de réiection présidentielle. — 
Crise ministérielle. — Dufaure, ministre de Tinlérieur. — Atta- 
ques dirigées contre le général Cavaignac parles républicains. 
— Envoi d'un corps expéditionnaire en Italie. — Election 
présidentielle du 10 décembre. — Louis Bonaparte prête ser- 

• ment à la République. 

On sentait si bien queTélection du Président par le 
suffrage universel, c'était le point culminant de la po- 
litique d'alors que, depuis longtemps, tous les partis 
ne s'occupaient plus que de cette grande lutte électo- 
rale. L'Assemblée nationale avait commis bien des 
erreurs et des fautes; au dehors, les partis furent 
encore plus déraisonnables. 

Il était évident que les républicains n'avaient de 
chances sérieuses de résister au ccTurant, qui commen- 
çait à se dessiner dans le pays en faveur de la candi- 
dature du prince Louis Bonaparte, qu'à la condition de 
se grouper avec sincérité et discipline autour de leur 
gouvernement. Le pouvoir était entre leurs mains. Ils 
n'avaient, semble-t-il, qu'à prendre pour candidat à 
la présidence le chef actuel de la République. Mais 



ASSEMBLÉE WATIONALE CO^STmjAlîïTE 2i:> 

ce chef, c'était le général Cavaigoac. Au lieu de se ral- 
lier à luiy les républicains qui n'étaient pas de sa 
nuance politique, s'évertuaient à le décrier, à le pour- 
suivre de leurs récriminations et de leurs rancunes» 
à l'accabler de malédictions et d'outrages. Mais si 
grands qu'aient été leurs torts à Tégard de Gavaignac, 
ils ne pèsent rien à côté des torts qu'ils eurent à l'é- 
gard de la République elle-même, qu'ils achevèrent 
de perdre dans l'estime et l'affection de la France par 
leurs exagérations et leurs violences. Ils ne comprirent 
pas que leur premier devoir était de ne point elTrayer 
ce pays déjà tout désorienté, et sur qui la paniiiue 
avait une action si certaine et si funeste. Au lieu de 
le ramener à eux, ils s'appliquèrent à Ten éloigner 
par leurs déclamations absurdes et menaçantes. L'an- 
niversaire du 21 septembre leur parut une occasion 
admirable de reprendre ce qu'ils appelaient la graïuhî 
tradition de 1792, et, dans des banquets révolution- 
naires, on entendit des discours insensés, sans aucun 
rapport avec la situation du moment, sans onihnî 
d'esprit politique. Ces discours semblaient prononcr'î.s 
tout exprès pour jeter la France dans les bras du 
premier venu, afin d'échapper à tant de folies. Ledru- 
RoUin, qui se plaisait aux souvenirs de la H/^volu- 
tion, eut le tort de prêter son éloquence tribunitieiiiH? 
à cette prétendue politique de revendications sans 
objet, et de ne pas comprendre que le premier ifit/;rAt 
des républicains, c'était de garder la liépiibliqiH', i*ti 
lui conservant les sympathies géuéralen du p^ty^. Oh 
parlait sans cesse du [m uple, main on ne r**{f,itr&'tii 
jamais du côté de la nation, pour ViuUtnt*^/^r H Ini 
arracher sfm secret. On avait proclamé la w>iiver;<M<H/j 
de la France, sans paraître se douter qu'elle allait en 
user, dans sa force et dans sa lilierlé, en dehof> de 
toutes les combinais^>us de parti, ij:^ {/lun ardenU 



216 LA SECONDE REPUBLIQUE 

républicains d'alors eurent à se reprocher de n'avoir 
rien fait, pour se rendre compte de l'oploion natio- 
nale. La France du suffrage universel, bien différente 
<lu peuple des villes, passa à côté d'eux, sans même 
les connaître. Le suffrage universel démontra, dès ce 
temps-là, qu'il ne se donne qu'à ceux qui s'intéres- 
sent à lui. 

D'un autre côté, les anciens partis de monarchie 
n'étaient préoccupés que de se délivrer de la Répu- 
blique. Ils n'attachaient à l'élection présidentielle 
({u'une importance toute relative. Au fond, peu leur 
importait de savoir qui serait placé par les suffrages 
populaires à la tète du pouvoir, pourvu que l'élu, par 
son ambition personnelle autant que par sa fonction 
môme, devint un obstacle à la marche régulière des 
choses. Les chefs de la réaction connaissaient mieux 
la France que les républicains. Etant plus capables 
<le l'observer, ils avaient remarqué, dans les manifes- 
tations successives de sa volonté, que, sans se pro- 
noncer ouvertement contre la République, elle était 
prôte à confier la République à un homme, et ils com{)- 
taient bien que cet homme, surtout s'il était prince, 
ne tarderait pas à la confisquer. Telle fut la raison 
principale qui les détermina, pour la plupart, à se 
rallier à la candidature du prince Louis Bonaparte. 
Ils apercevaient très clairement ce que les républ- 
icains ne voyaient pas, c'est que la France allait à lui; 
et ils calculaient que leur intérêt politique consistait 
tout d'abord à ne pas se trouver en opposition avec le 
pays, qui serait tôt ou tard appelé à les renvoyer dans 
une autre Assemblée, quand la Constituante aurait 
rempli son mandat. Les républicains, manquant de 
prévoyance, ne pensaient à rien de pareil. Ils allaient 
devant eux, tète baissée, sans voir le pays, sans son- 
ger à l'avenir. 



ASSEMBLÉE NATIONALE CO.NSTITUAME 2(7 

M. Thiers avait fiai par accepter la candidature 
uapoléonienoe. 11 était en ce moment en coquetterie 
réj^lée avec le prince Louis, et il se flattait peut-être 
de ridée d'exercer le pouvoir sous le couvert d'uHi 
président qu'il aurait contribué à faire. Les événements 
ont singulièrement démenti ce calcul. Il est plus que 
vraisemblable que M. Thiers ne se rallia pas à la can- 
didature de CavaignaCy parce qu'il eut un instant la 
pensée de poser la sienne, et qu'il craignit d'avoir le 
chef du pouvoir exécutif pour compétiteur. Combieci 
de temps dura cette velléité chez M. Thiers ? On ne 
saurait le dire, mais il est à croire qu'avec son intelli^ 
gence si prompte et si sûre des situations, il ne s'at- 
tarda pas longtemps dans ce rêve. En prenant la di- 
rection des partis de réaction, M. Thiers s'est trompé 
gravement. C'est en 1848, qu'il aurait dû suivant sa 
propre expression, se décider à passer rAtlautique, 
pour chercher dans la République des États-Unis les 
exemples à proposer à la démocratie française. Seul, il 
pouvait, par son expérience et ses talents, avoir sur le 
parti républicain nrodéré l'autorité qu'il fallait pour le 
conduire. 11 ne lui a manqué que de mieux connaître 
les hommes, ce qui est décidément en politique le 
don le plus précieux comme le plus rare. M. Thiers 
ne se rendit pas compte alors de toute l'étendue de son 
erreur, mais il s'en trouva tout gêné. N'ayant plus la 
complète liberté de ses mouvements, il suivit le cou- 
rant qui emportait tout vers le prince Louis Bonaparte, 
eu se réservant de diriger le nouveau président, si 
celui-ci voulait bien accepter ses conseils. 11 les offrit. 
On les accepta. Mais cela n'eut qu'un temps. 

Une crise ministérielle avait éclaté le jour où les 
ministres avaient vu écarter la proposition Leblond, 
sans avoir pu la soutenir. Le général Cavaignac re* 
constitua le cabinet, en y appelant deux hommes de 

E. 8PULLER. — SEC RÉP. V^ 



218 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Tancien centre gauche de la monarchie de Juillet, 
Vivien, jurisconsulte distingué, et Dufaure, à qui le 
portefeuille de Tintérieur fut attribué. On avait re- 
marqué que, dans le comité de Constitution, Dufaure 
avait soutenu toutes les opinions chères au général 
Cavaignac, et qu'il s'était prononcé notamment pour 
l'institution d'une Chambre unique. L'entrée de ces 
deux hommes et d'un troisième, Freslon, représentant 
de Maine-et-Loire, qui remplaça Achille de Vaulabelle 
à l'instruction publique, dans un cabinet présidé par 
Cavaignac, fit pousser les hauts cris aux républicains 
avancés : on dit tout nettement que Cavaignac était 
vendu à la réaction, et l'on insinua que la rue de 
Poitiers consultée avait donné son adhésion à ces 
choix significatifs. La vérité est que l'on allait de plus 
en plus vers la droite, et que cette évolution était 
peut-être forcée, puisque l'opinion publique se 
détournait de plus en plus des républicains. Dufaure 
était un homme de la plus grande valeur comme ora- 
teur parlementaire , mais ses facultés politiques, en 
dépit de ses admirateurs trop échauffés, furent toujours 
assez bornées : il n'a jamais vu bien haut ni bien loin, 
et, chez lui, c'était le fonds qui manquait le plus. 11 
était surtout redoutable quand on l'avait comme ad- 
versaire, et M. Thiers lui-même, qui le connaissait 
bien, le prenait avec soi pour ne pas l'avoir contre 
soi. Sa parole rude et forte, sa dialectique serrée, sa 
ténacité, sa connaissance profonde des af!aires, sa 
puissance de travail, sa tenue sévère et rigide l'im- 
posaient au respect des Assemblées : pour Cavai- 
gnac, c'était un auxiliaire puissant, et Dufaure aimait 
le général. Il n'est pas impossible que Dufaure ait 
sincèrement voulu seconder le chef du pouvoir exé- 
cutif de la République dans son œuvre d'af!ermisse- 
ment des institutions républicaines, et il eut même 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 2I9 

t^oécasion de s'en expliquer un jour à la tribune : 
€ De quoi se plaint-on, en réalité? demandait-il. 
Soyons francs ! On se plaint de ce que le gouverne- 
ment à fait un pas vers des hommes qui n'étaient 
pas républicains la veille du 24 février — cela est vrai, 
et je suis forcé d'en convenir — mais qui ont accepté 
-la République, qui s'y sont attachés et qui se sont 
voués à la défendre. Ce n'était pas assez, et Dufaure eût 
bien fait d'insister davantage : à la tribune comme dans 
la presse, il faut frapper souvent sur le clou, pour 
renfoncer. Mais Dufaure n'osait pas : c'était de sa part 
on acte déjà fort audacieux que de se rapprocher de la 
République; il ne pensait qu'à se le faire pardonner. Il 
reconnaissait volontiers qu'il y avait deux groupes 
dans l'Assemblée : < Les uns, disait-il, ont de tout 
temps travaillé à l'établissement de la République ; 
d'autres s'attachaient au gouvernement qui existait, 
cherchaient à lui faire produire ce qu'il aurait pu 
produire et en institutions politiques et en améliora- 
tions sociales. Eh bien I que reproche-t-on, en réalité, 
à la composition du cabinet actuel ? Une seule chose : 
c'est que les deux éléments que je viens de définir y 
sont entrés. » C'était la vérité môme. Il n'y avait qu'à 
la faire pénétrer dans l'esprit public, mais il faut re- 
connaître que les temps étaient peu propices à cette 
propagande. 

La situation étant ainsi définie, il semble que les 
républicains auraient dû considérer que c'était un 
avantage pour leur gouvernement que d'avoir fait 
de telles recrues. Mais le mal de la défiance était trop 
aigu, en même temps que trop invétéré dans le parti, 
pour que ces recrues fussent accueillies comme elles 
auraient dû l'être. On vit cependant, par les suffrages 
que Cavaîgnac obtint dans la bourgeoisie, lors de l'élec- 
tion du 10 décembre, que les choix d'hommes tels que 



220 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Freslon ^ Vivien et Dufaure n'avaient pas laissé d'ètrè 
compris et d'exciter de vives sympathies. . : ^ 

Dufaure était ministre de l'intérieur. C'était lui qui 
avait à s'occuper de l'élection présidentielle. Ministre 
d*uQ homme public d'une conscience aussi scrupuleuse 
que Cavaiguac, et, très décidé lui-même à respecter la 
liberté de la nation dans le choix du premier magis- 
trat, Dufaure déclara, dans une circulaire aux préfets, 
la complète neutralité du gouvernement. < La nation, 
disait-il, dans le choix qu'elle fera doit se confier à 
un passé sans reproche, à une résolution mâle, éner- 
gique, déjà éprouvée au service de la République, 
plutôt qu'à de vaines et trompeuses promesses. » En 
même temps, il recommandait aux préfets de ne pas 
flatter les prétentions locales, de ne point parler aux 
populations t de faveurs sans bornes, de dégrèvements 
d'impôts, qu'aucun gouvernement ne saurait leur 
procurer >. Dufaure tenait ainsi tête à la propagande 
bonapartiste, qui justement se montrait prodigue des 
déclarations les plus emphatiques et lesplus trompeu- 
ses. Jules Favre, avec une passion ardente et surtout 
inexplicable, dénonça la circulaire deDufaure comme 
une manœuvre oppressive du suffrage universel. 11 fut 
battu, mais la division des républicains n'en devint 
([ue plus profonde : c'était le mal affreux du temps. 

Au moment où tous les adversaires delà République 
se concentraient sur la candidature napoléonienne, 
depuis les anarchistes les plus violents jusqu'aux clé- 
ricaux lesplus hypocrites, les républicains attaquaient 
à la tribune le chef de leur gouvernement. Une bro- 
chure de Barthélémy Saint-Ililaire parut, sous le titre 
(le Frayment d'histoire, pour reprocher à Cavaignae 
d'avoir laissé s'étendre l'insurrection de Juin, pendant 
la journée et la nuit du 23 jus(|u'à une heure de l'après- 
midi du samedi 24, d'avoir troj) tardé à faire venir l'ar- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 221 

tillerie du fort de Vincennes, d'avoir laissé, par cette 
inaction, la garde nationale soupçonner la Commis* 
sioa executive de trahir ses devoirs, et cela dans le 
but de la remplacer. On reconnaît ici les vieux griefs 
des amis delà Commission executive, dont Barthélémy 
Saint-Hilaire avait été le secrétaire général. A quoi 
bon les reproduire, en un tel moment? Il fut soutenu 
dans cette œuvre de récrimination par Duclerc et Car- 
nier-Pagès, et nombre de gens hostiles à Cavaiguac ne 
manquèrent pas de leur donner raison. Ce débat eut 
un retentissement déplorable dans Topiniou, à la 
veille de l'élection présidentielle. 

Eugène Cavaignac se défendit à la tribune, avec un 
talent supérieur d'exposition et de discussion, avec 
des accents indignés et une émotion vraiment commu- 
aicative. La journée parlementaire du 25 novembre fut 
pour lui un triomphe. Sur la proposition de Dupont (de 
l'Eure), l'Assemblée renouvela le vote par lecfuel elle 
avait déclaré, au lendemain de la répression de la ré- 
volte, que le général Cavaignac avait bien mérité de la 
patrie. Il y eut 703 voix pour cet ordre du jour et seu- 
lement 35 voix contre. On put croin» que cette jour- 
née allait enfin rétablir cette union si désirée |iar tous 
les gens sages. Des adresses de félicitations |iarvinrent 
à Cavaignac, non seulement de Paris, mais de tous les 
points de la France: mais la fureur des |iartis ne vou- 
lut voir dans ce vote et dans les nianifestatirtns rpji 
suivirent qu'une manoeuvre nouvelle au profit rli; I21 
candidature du chef du pouvoir exfV:ulif, et cMU'. 
affaire tourna encore eontie la République. 

Un grave événement ->t;jii pioduit hm ^jehoi";. A la 
suite de l'assassinat de -.ou njini-lie,p«-ll«ru'rinoMo-'^i, 
frappé au moment ou il ^sll-iit |/:fi<'tn*f <\:iti: le p;}|;ii> 
011 Sf trouvaient r'-oni'- pou» Ut \n''.utit't*' loi-. 1er 
rhambref» rr>njain«'-, j«: i>':j**: J'j*- Ia ;r. :jjt q-uM/ 



222 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Rome et ses Etats, non sans avoir fait demander 
secrètement au duc d'Harcourt, ambassadeur de la 
Kéi)ublique auprès du Saint-Siège, s'il ne pourrait 
pas venir en France. Cet événement causa partout la 
plus vive émotion, mais nulle part aussi vive qu'en 
France, où Pie IX avait conservé la popularité qu'il 
s'était acquise, au commencement de son règne, par 
ses déclarations libérales. Le pape fuyant Rome et 
[)oiivant se jeter dans les bras de l'Autriche, il y avait 
de ([uoi émouvoir la diplomatie française soucieuse 
avec raison de maintenir en équilibre les diverses 
iiilUionces ({ui s'exerçaient alors en Italie^. Le gou- 
veruemeut du général Cavaignac songea spontané- 
ment à olïrir au pape l'hospitalité de la France. M. de 
Corcelle lui fut envoyé en ambassade extraordinaire, 
et Freslon, ministre de Tinstruction publique et des 
cultes, partit pour Marseille, avec mission de recevoir 
Pie IX dans le cas où il se présenterait. De plus, un 
petit corps d'armée qui se trouvait à Marseille, tout 
prôt à partir pour Venise, à l'effet d'y soutenir la 
résistance de la République contre l'Autriche, reçut 
Tordre de se rendre à Civita-Vecchia, pour y protéger 
l'indépendance et la personne du pape. Des interpella- 
tions furent adressées au gouvernement dans la séance 
du 30 novembre : Montalembert approuva la conduite 
de Cavaignac et de ses ministres, avec l'arrière-pensée 
que la brigade d'infanterie que l'on envoyait à Civita- 
Vecchia pour protéger la personne du pape, servirait 
plus tard à rétablir le pouvoir temporel, qui allait 
s'écrouler dans une révolution ; de leur côté, Ledru- 
Rollin et Jules Favre critiquèrent vivement les actes 
du gouvernement, comme pouvant conduire îa Répu- 
blique française à intervenir dans les afiaires inté- 
rieures du peuple romain, au mépris et en violation for- 
melle de la Constitution récemment votée. L'Assemblée 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 223 

donna raison à Cavaignac et à son gouvernement par 

480 voix contre 63. Lamartine vota contre : ce n'était 

plus la politique idéale du Manifeste aux puissances. 

La vérité est que Ton s'engageait dans une voie fausse, 

au bout de laquelle il y avait la funeste expédition de 

Rome. Cavaignac n'avait point promis de rétablir le 

principat. temporel des papes, il n'en avait même pas 

parlé ; mais Louis Bonaparte, candidat à la présidence, 

tout en blâmant la conduite du gouvernement de son 

son pays, se déclara pour le maintien du pouvoir 

temporel, contre lequel il avait autrefois conspiré et 

même pris les armes. Le parti clérical était satisfait, 

et le clergé ne marchanda point sa reconnaissance. 

Enfin, l'élection du 10 décembre eut lieu. La France 
nouvelle, la France du suffrage universel se mit en 
mouvement, sans désordre, mais avec une impertur- 
bable conscience de sa force. Elle se remua jusque dans 
ses dernières profondeurs. Il y eut 7,327,345 votes ex- 
primés, sans compter ceux de la Corse et de l'Algérie. 
Louis Bonaparte avait obtenu cinq millions, quatre 
cent trente-quatre mille deux cent vingt-six voix ; 
Cavaignac, un million, quatre cent quarante-huit mille 
cent sept ; Ledru-Rollin , trois cent soixante-dix 
mille, cent dix-neuf ; Raspail, candidat des socialistes, 
trente-six mille, neuf cent soixante-quatre, et enfin 
Lamartine, l'élu de dix départements, aux élections 
du 23 avril, seulement dix-sept mille, neuf cent qua- 
torze : on peut mesurer, par ce dernier chiffre, la 
chute effroyable des hommes de Février. 

En réunissant toutes les voix républicaines, on 
n'arrive pas à un chiffre de deux millions. Le parti 
républicain, dans toutes ses nuances, était donc à 
l'état de minorité bien constatée. L'intérêt comme le 
devoir consistait pour ce parti à se mettre dès lors en 
communication directe avec le suffrage universel, pour 



224 LA SECONDE RÉPUBUQUE 

Féclairer et le gagner à la République, en lui mon- 
trant que la République seule respecterait son indé- 
pendance comme sa sincérité. Mais la déception lut 
trop amère, et la colère trop grande. On persista plus 
que jamais à se confier au peuple, c'est-à-dire à la 
lorce révolutionnaire, sans voir que la force était 
maintenant, grâce aux bulletins que Février leur avait 
mis en main, du côté des masses rurales. Paris d*ail- 
leurs avait donné à Bonaparte plus de cent mille voix 
qu'à Cavaignac. Le torrent avait été irrésistible, en- 
traînant tout sur son passage, Paris comme le dernier 
des hameaux. 

Le 20 décembre, Charles-Louis Napoléon Bonaparte, 
élu président de la République française, vint à l'As- 
semblée constituante, pour y entendre le rapport du 
représentant Waldeck-Rousseau sur son élection, et y 
prêter le serment prescrit par la Constitution. Ce 
serment ne lui coûta rien à prononcer ; il y ajouta 
même un petit commentaire, par où il disait qu'il 
verrait des ennemis de la patrie dans ceux qui tente- 
raient de renverser par des voies illégales l'ordre 
établi par la France entière. Armand Marrast, avec 
la solennité du temps, prit Dieu et les hommes à témoin 
du serment qui venait d'être prêté : et ce ne fut pas en 
vain, car si c'est la violation de ce serment, au Deux- 
Décembre, qui a fait le second Empire, c'est du 
parjure et du crime du Deux-Décembre, qui jamais 
ne furent pardonnes par la conscience du genre 
humain, que le second Empire resta condamné à 
mourir. 

. En descendant de la tribune, le nouveau président 
alla tendre la main au général Cavaignac, qui eut un 
instant la pensée de se détourner, comme pour ne 
point laisser souiller sa droiture civique et son hon- 
neur de soldat par le personnage équivoque et subal- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 225 

terne» à qui la France venait de se livrer dans une 
heure de vertige. 

L'Assemblée constituante était finie. 

Dès le 28 décembre, un de ses membres les plus obs- 
curs^ Râteau, représentant de la Charente, lui proposa 
de se dissoudre. 



XII 



Premier cabinet de la présidence de Louis Bonaparte. — Léon de 
Maleville, ministre de l'intérieur. — Falloux à l'instruction 
publique. — Odilon Barrot, président du conseil. — Rapport 
de M. Grévy sur la proposition Râteau. — Discours de Monta- 
lembert. — Echec du ministère. — Louis Bonaparte le couvre. 
— Le vingt-neuf janvier. — L'expédition de Rome. — Discours 
de Montalembert, Ledru-RoUin et Jules Favre. — Fin de 
l'Assemblée constituante. 



Le premier cabinet parlementaire de la Présidence 
de Louis-Napoléon Bonaparte fut si vite formé, que 
Ton peut croire à des pourparlers antérieurs, et remon- 
tant aux premiers jours qui suivirent l'élection du 
Dix-Décembre. 

Le prince Louis Bonaparte n'en était pas encore à 
découvrir sa politique personnelle. Il avait prouvé 
par son flegme la patience dont il était armé ; il ne 
se sentait nullement pressé, et comprenait qu'il y avait 
des ménagements à prendre et des transitions à mé- 
nager. Mieux que personne, il savait qu'il ne devait 
son élévation au poste suprême qu'au prestige de son 
nom, à la légende napoléonienne, à la passion folle et 
maladive avec laquelle la France s'était jetée vers lui 
comme vers le sauveur providentiel qu'on lui avait 
appris à demander au ciel, dans ses prières. 

Les chefs des anciens partis, le monde parlemen- 



Û^A 



226 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

taire et officiel affectaient de dire que rélection du 
Dix-Décembre était le résultat de la coalitioa des con- 
servateurs de toutes origines et de toutes nuances. 
Louis Bonaparte n'hésita pas à souscrire en apparence 
à cette opinion. Aussi constitua-il un ministère 
hybride et mélanj^é, sous la direction du chef de Tan- 
cieune gauche dynastique, Odilon Barrot, parvenu 
enfin à toucher le but de son ambition, la présidence 
d'un cabinet responsable. Le Président lui ayant dit^ 
comme programme général, qu'il ne serait pas fâché 
de faire de grandes choses et de frapper les esprits par 
la force et l'éclat de son gouvernement, Odilon Barrot 
lui fit connaître sans détours que telle n'était pas sa 
manière de voir et qu'il se proposait tout simplement 
défaire renaître eu France le sentiment de la sécurité 
dans le présent et de la confiance dans l'avenir. Bona- 
parte s'inclina, et déclara lui-môme à l'Assemblée qu'il 
faisait consister sa tache < dans l'établissement d'une 
République fondée sur l'intérêt de tous et d'un gou- 
vernement juste, ferme, animé d'un sincère amour du 
progrès, sans être réactionnaire ni utopiste. Dieu ai- 
dant, ajouta-t-il, nous ferons du moins le bien, si 
nous ne pouvons faire de grandes choses. > C'était assez 
dire qu'il tenait en réserve, pour des temps plus pro- 
pices, toute une politique personnelle, que les chefs 
(les anciens partis refusaient d'adopter et d'appliquer, 
mais qu'il eût été sage de surveiller dès cette époque^ 
afin de la contenir. 

Un seul républicain, Alexandre Bixio, homme d'un 
grand courage, qu'il avait montré pendant les jour- 
nées de Juin, et d'une vive et pénétrante intelligence, 
avait pris place dans le cabinet, comme ministre du 
commerce. Il n'y demeura pas longtemps. Léon de 
Maleville, membre actif de l'opposition sous Louis- 
Philippe, ancien sous-secrétaire d'État dans le ca- 



ASSEMBLÉE NATIO.NALE CONSTITUANTE 227 

binet du i^ mars 1840 constitué par M. Thiers, avait 
reçu le portefeuille de Tintérieur. Il était à peine 
installé qu'il fut invité par une lettre assez imperti- 
nente du président de la République à lui communi- 
quer les dossiers des affaires de Strasbourg et de Bou- 
logne. Léon de Maleville refusa, comme c'était son 
devoir, d'obtempérer à cette sorte de réquisition. Une 
crise ministérielle faillit s'en suivre. Bonaparte écri- 
vit aux ministres une lettre dans laquelle il faisait 
des excuses à leur collègue de l'intérieur. Celui-ci 
n'en maintint pas moins sa démission, et il fut suivi 
dans sa retraite par Alexandre Bixio. Léon Faucher, 
qui avait pris dans la combinaison originaire le por- 
tefeuille des travaux publics, devint ministre de l'in- 
térieur à la place de Léon de Maleville, et Bixio fut 
remplacé au commerce par un jeune homme de vingt- 
neuf ans dont le talent donnait les plus belles espé- 
rances, qui, n'étant compromis dans les querelles anté- 
rieures des partis, se trouvait en situation d'accepter 
la République et de travailler avec zèle et loyauté à 
son établissement, mais qui subordonnait dès ce 
temps-là ses opinions politiques à ses opinions reli- 
gieuses : c'était M. Buffet, représentant des Vosges. 

L'homme le plus considérable du ministère fut le 
comte de Falloux. Légitimiste déclaré, il manifesta 
d'abord la plus vive répugnance à devenir ministre 
d'un Bonaparte, qu'il était bien près de tenir pour 
un simple aventurier. Le principal serviteur de cet 
aventurier, son ami le plus dévoué, celui qui l'avait 
aidé dans toutes ses entreprises, Fialin de Persigny, 
avait cependant prédit à Falloux, en 1835, dans 
un hôtel de Londres où ils se trouvaient tous les 
deux de passage, que, tout légitimiste qu'il fût, il 
ferait partie du premier cabinet formé par son prince. 
La prédiction se réalisa, grâce à la pression exercée 



aa£- f- Tizn. cierical. Jiràce 



^■- r.: _ r.^ Mii •r»t - Œh rÀli'mrL SOI BTracheT à 






'^. ^. . f T-T-'_ rii-.B^ Hîti'» J*eîvi^ -^ îaErrifiirlW9, 

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V-. — î-.i.r-. iifcr- ~ Tn^"**- ^y^ ^ TWtsjoik ordi- 

fii.T ?*- Miu*- ^r^ -r ;x*- -H^ViiiîtiBî*? L Z -nseicufiDeiit 
îài.ii': niiijrî fur ^1-iJk. Al nnin' itr? rnnrreiratioiis 
r»i;ii^«iiî<£-- I '*t»î*-ii."- -^iSî- fifAv hfs iirnj»05u qui fai- 
<i'::'i- tîf«_ -!Mifir.Tr«i:: , -<!':; -^nTi; * AT î*e? institu- 
:î«i;>^ ^mfji ftuT'isj:^ i*n nrtiî> dtdjTrsrt de ces 
oc**?^ iX'i'iKT^ ^^rrit'.-'-zr.'^ iV **=- ilrm^ ±^rf^5L qu'on 
tT'»î*^i -*- i:r-j?^?ir»rrr. ^'n.-kT-^uiLin? Tnôiè j^ maîtres 
ït:; '. TU.; Ji ^ ';»'•. r "*liuil:^ r^*? BJip^TriirîCtûS d'une 

ïi-r*'- -^ alôur. i ' iiîs.i'-ii Miiu. luiiûirDf : iTfif Léon 
"^liuiat^. nu tKlxx n>ri : rmii*? W cnrrrft? delà reac- 
luu, »i nmissbr*? n? ''mui-iï^ir tp?: ^tîiicin Barrot, 
» a. h^.b ur. ^luv^rïtjmwmi î;tirr/c ru: 3*e T«LHiTait se 
•tmsvîifr Ds î^ia i^rauv ia "^i^rur. Strrvi<- qui ne sut 
imniiiï^ jrauô:*: iiiiiiicim iaos Ji 7i/£:><{igh» inaagarée 
Trfc jf :!^xnn»f :?;gttûiiirjiir^ i5îi.rr»x, LSKiikEisistant, ver- 
jacjH -K «£ xiw nju'i; -îTtù» i se< r&jnounes. FAssem- 
JÙK^ tnic&ftiCKjjittf a^drcLtC qu'ùk bien se tenir. Ses plus 
iCfbtiitS' «obpmhûs ti>:ea|>aîent le pouvoir. Déjà le glas 
SEOffâot avait retenti à ses oreilles, le jour où le repré- 
9ea!:ajit Râteau avait déposé sa proposition. Les repu- 
blkaios les plus avisés voulaient prolonger Texis- 
teoce de TAssembiée, en la laissant à son poste 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 229 

jusqu^au jour où elle aurait voté les lois organiques 
et complémentaires de la Constitution. L'exécutif au 
contraire, Président et ministère, tenaient à la ren- 
voyer, afin de mettre, disaient-ils, la Constitution en 
plein exercice, par l'élection d'une Assemblée natio- 
nale législative. Le conflit était donc inévitable, et, 
dès les premiers jours, il se posa comme le comte 
Mole Favait indiqué. Pour soutenir la guerre sourde 
et implacable qu'on allait lui faire, la majorité répu- 
blicaine n'avait qu'à serrer ses rangs et faire appel à 
l'union de tous ses membres. Les divisions y étaient 
au contraire plus nombreuses, plus ardentes que 
jamais. Elles achevaient de discréditer le parti répu- 
blicain, pendant que le parti de l'ordre se renforçait, 
aux yeux du pays, par des nominations importantes, 
telles que la nomination du maréchal Bugeaud, qui 
ne craignait pas d'afficher ses opinions réactionnaires, 
au commandement d'une armée dite des Alpes, mais 
toute prête à comprimer les mouvements de l'inté- 
rieur, et la nomination encore plus significative du 
général Changarnier, au double commandement de 
l'armée de Paris et des gardes nationales de la Seine. 
Les hommes de la rue de Poitiers faisaient ainsi 
sentir toute leur force : le comte de Montalembert 
allait y ajouter l'insolence. 

La proposition Râteau avait été renvoyée à une com- 
mission dont M. Jules Grévy fut élu rapporteur. Avec 
beaucoup de calme, M. Grévy démontra que la propo- 
sition de dissolution était faite en violation de l'article 
lis de la Constitution, qui imposait à l'Assemblée le 
devoir de faire les lois organiques;' avec beaucoup 
d'habileté , il écarta les prétendus dissentiments que 
Ton voulait faire naître entre le Palais- Bourbon et 
4'Elysée. Son rapport, nourri et concis, aurait pu faire 
grande impression sur l'Assemblée et dans le pays, si 



230 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

des républicains imprudents et indisciplinés n'avaient 
pas cru devoir déposer, contre l'avis de leurs collè- 
gues, des propositions analogues à la proposition Râ- 
teau. La majorité républicaine était de la sorte tirail- 
lée dans les sens les plus divers, et c'est le moment 
que Montalembert choisit, pour accabler l'Assemblée 
constituante de ses sarcasmes. 

« Nous sommes ici, dit-il, en présence de trois frac- 
tions; la première est une minorité qui veut à tout 
prix s'en aller, parce qu'elle se croit sûre de re- 
venir. Une seconde fraction, qui est également en mi- 
norité, ne veut à aucun prix s'en aller, parce qu'elle 
est à peu près sûre de ne pas revenir. 

« Entre ces deux fractions, j'en distingue une troi- 
sième qui n'a pas de parti pris sur cette question, qui 
n'est pas la majorité, mais qui la fera... C'est à cette 
troisième fraction que je m'adresse pour lui demander : 
il s'est manifesté, depuis le 16 décembre, un nouveau 
courant d'opinions ; êtes-vous complètement d'accord 
avec le nouveau courant ? Je ne le crois pas. 

« Le pays est arrivé aujourd'hui à regarder une 
nouvelle Assemblée comme un remède. A-t-il tort ou 
raison ? Je n'en sais rien, mais ce que je sais, c'est que 
le malade est maître de ses médecins. Ce n'est pas sa 
volonté, direz-vous, c'est un caprice. Mais à qui est-il 
donné de distinguer entre le caprice et la volonté du 
peuple souverain? Oui, messieurs, vous avez déchaîné 
le géant et, de plus, vous l'avez armé du suffrage uni- 
versel... > 

On le voit, la raillerie était féroce. Sous ces auda- 
cieux coups de fouet, la majorité parut se regimber* 
La prise en considération de la proposition Râteau 
ne fut adoptée qu'à la majorité de 4 voix, et si la 
Constituante ne s'était pas abandonnée, peut-être eût-r 
elle réussi à triompher de ses adversaires, à la con- 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 231 

^tîon d'être soutenue par l'opinion publique au de- 
Ws. Mais de jour en jour cet appui lui faisait plus 
Complètement défaut. Le parti de Tactiou croyait le 
Moment venu pour lui de reparaître en scène avec ses 
procédés ordinaires. On parlait de sociétés secrètes, 
on cherchait à en organiser; on se vantait de tra- 
vailler à réunir les débris de Tarmée insurrection- 
nelle de Juin ; on annonçait des prises d'armes pro- 
chaineSy comme si l'on eiU réussi à grouper des 
éléments de force, alors qu'il n'y avait rien que 
des hâbleries et des jactances. Ainsi, les journaux 
de la République démocratique et sociale semblaient 
prendre à tâche de multiplier des excitations aussi 
bruyantes que vaines, et cela, au moment môme où 
la grande masse du pays, ayant vu la transmission 
du pouvoir s'opérer avec une régularité parfaite, at- 
tendait du fonctionnement normal des institutions 
républicaines les garanties du calme indispensable 
à la reprise des affaires. Il était impossible de plus 
mal servir la République, en lui étant plus dévoué : 
c'est trop souvent le lot des plus avancés de notre parti. 
L'Assemblée constituante, se sentant emportée par 
la réaction, cherchait à résister. Le ministre de l'inté- 
rieur Léon Faucher, ayant déposé un projet de loi 
portant interdiction des clubs, l'urgence sur ce pro- 
jet fut repoussée, et le cabinet se trouva en échec. 
Le lendemain 27 janvier, une note du Moniteur uni- 
cersel le relevait de cet échec, en annonçant < que 
le ministère pouvait compter sur l'appui ferme et 
persévérant du président de la République ». Le 
Président se découvrait, et mettait en avant sa propre 
responsabilité, inscrite dans la Constitution. C'était 
parfaitement légal, et il n'y avait qu'à constater sur 
le fait une des plus graves erreurs de cette Constitu- 
tion républicaine, qui datait à peine de trois mois. 



232 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Aussi rémotion fut-elle vive dans Paris ; il y eut des 
rassemblements ; on ordonna des perquisitions ; on fit 
même procéder à des arrestations, et c'est peut-être 
là qu'il faut chercher l'explication du singulier mou- 
vement de troupes que le général Changarnier fit 
opérer, le :29 janvier 1849, autour de TAssemblée 
nationale, sans avertir le Président ni le bureau, en 
sorte que Ton put se demander si ces mesures n'a- 
vaient pas été prises, autant pour se rendre maître de 
l'Assemblée que pour la protéger. Changarnier refusa 
de s'expliquer, et Odilon Barrot, président du conseil, 
se trouva obligé de déclarer à la tribune qu'en effet 
on avait dû prendre des précautions militaires, dans 
l'appréhension d'un mouvement combiné entre la 
garde mobile et les débris de l'insurrection de Juin. 
Cette explication peu claire ne satisfit personne. A 
gauche, dans l'Assemblée, quelques-uns voulaient 
une enquête : le gouvernement la fit repousser, et 
les républicains purent s'avouer à eux-mêmes qu'ils 
n'avaient plus qu'à courber la tête devant des 
adversaires qui, sûrs de l'impunité, pouvaient désor- 
mais tout se permettre. 

Ce jour-là même, la proposition Râteau revint en 
discussion. Elle avait pour objet de fixer les élec- 
tions générales au 4 mai et la séparation de l'Assem- 
blée au 19 mai après qu'elle aurait voté la loi électo- 
rale et la loi sur le conseil d'Etat. Or, la Constitution 
ayant réservé à l'Asseitiblée nationale le droit de nom- 
mer les nouveaux conseillers d'Etat, naturellement 
la majorité tenait beaucoup à instituer ce conseil, afin 
de pouvoir y placer nombre de ses membres, qui ne 
devaient pas se représenter aux élections. Ce fut en- 
core une cause d'impopularité qui tomba sur les répu- 
blicains modérés, et la proposition Râteau arriva, 
escortée de pétitions signées ou non signées par plus 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 23a 

de trois cent mille citoyens harcelés par tous les 
agents de la réaction. Un amendemeut portait que 
TAssemblée nationale, avant de se séparer, voterait 
le budget. On comptait ainsi gagner du temps. Il était 
visible que l'Assemblée, comme un moribond, se re- 
tournait désespérément avant d'expirer. 
- La réaction trouva cependant moyen de lui faire 
commettre une dernière faute, en changeant le carac- 
tère du mouvement de troupes ordonné par le gou- 
vernement du général Cavaignac sur Civita-Vecchia. 
Depuis le départ du pape qui, au lieu de venir en 
France, comme on s'y était attendu peut-être avec 
trop de confiance, s'était réfugié à Gaëte dans les 
Etats de Ferdinand II, prince cruel et despote, in- 
féodé à la politique ultra-réactionnaire de l'Autriche, 
la République avait été proclamée à Rome, et Joseph 
Mazzini était un des triumvirs. Des crédits furent 
demandés pour le corps expéditionnaire. Jules Favre 
déposa un rapport tendant à les accorder, sous la 
réserve expresse que le gouvernement ne les emploie- 
rait pas à tourner les armes de la France contre la 
République romaine. Le gouvernement du président 
Louis Bonaparte s'engagea par une promesse for- 
melle, et le crédit de douze cent mille francs fut voté. 
Le corps expéditionnaire fut placé sous les ordres 
du général Oudinot, bien connu pour ses attaches 
avec le parti clérical. Falloux était dans les conseils 
du gouvernement, et veillait. Louis Bonaparte lui- 
môme avait pris des engagements sur la question du 
maintien du principal temporel des papes. Les élec- 
tions de l'Assemblée législative approchaient. Plus 
que jamais, on avait à ménager le clergé et son in- 
lluence. Le corps expéditionnaire, au lieu de station- 
ner, s'avança jusque sous les murs de Rome et tenta 
d'en forcer les portes. Nos soldats furent repoussés. 



234 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

et le sang français coula (30 avril 1849). Comme le dit 
Jules Favre : il coula pour le pape, pour le principe 
absolutiste, en violation formelle de l'article V de la 
Constitution, lequel portait que la République Iwh 
çaise respecte les nationalités étrangères et n'emploie 
famais ses forces contre la liberté d'aucun peuple, 
^ules Favre voulait le rappel du général Oudinot. 
Louis Bonaparte considérant l'honneur du drapeau 
français comme engagé, écrivit à cet officier général 
une lettre directe et sans le contreseing d'aucun mi- 
nistre, où il faisait acte de pouvoir personnel» en pro- 
mettant des renforts, au mépris des résolutions prises 
par rAssemblée nationale (7 mai) ; et cette lettre était 
mise par le général Changarnier à l'ordre du jour 
général de l'armée de Paris. Tout cela était fort irré- 
gulier, illégal, inconstitutionnel. Ledru-Rollin, avec 
la plus grande véhémence, demanda la mise en ac- 
cusation du ministère et du président Bonaparte; il 
demanda aussi la reconnaissance immédiate de la 
République romaine par la République française. 
Jules Favre se contenta d'un vote de non-confiance 
pour le cabinet. L'une et l'autre de ces deux proposi* 
tions furent repoussées. Le gouvernement sortit vain- 
queur de cette lutte, et il annonça au pays sa victoire, 
en ces termes : 

« L'Assemblée nationale a repoussé l'ordre du jour 
pur et simple sur la proposition de M. Jules Favre de 
déclarer que le ministère avait perdu la confiance du 
pays. Ce vote consolide la paix publique. Les agitateurs 
n'attendaient qu'un vote hostile pour courir aux bar- 
ricades et pour renouveler les affaires de Juin. Paris 
est tranquille. » 

Ainsi jusqu'au bout, c'est à la peur qu'on fit appel. 
C'est la peur qu'on invoque et que l'on répand, afin 
de semer la haine et la guerre entre les citoyens» 



ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 235 

tnent la France aurait-elle pu résister à un pareil 
me de démoralisation? Et qui ne s'explique la 
tur résignée avec laquelle notre infortuné pays 
A les vingt ans d'oppression du second Empire ? 
pinion républicaine laissa mourir l'Assemblée 
ituante, sanslui donner même un regret : on eût 
ne Ton avait hâte de la voir disparaître dans 
li, comme y avait disparu Lamartine et Cavai- 
, que la majorité républicaine avait tant de fois 
mes, et dans la destinée desquels elle aurait pu 
on propre sort. 

le est cependant la puissance de la vertu, de 
fauté et de l'honneur en ce pays de France que 
entiments profondément honnêtes de l'Asseni- 
[constituante, sa volonté de fonder la République, 
nfiance dans le succès du droit et de la justice, 
nexpérience, sa naïveté môme l'ont défendue, la 
ident encore, et la défendront toujours contre la 
îur d'une condamnation trop justement méritée 
les fautes accumulées et, pour ainsi dire enchal- 
et continues, bien que pour la plupart faciles à 
r. L'Assemblée constituante avait eu l'honneur 
3 grande tâche qu'elle n'a pas su remplir ; elle a 
i tristesse de laisser la République plus impo- 
ire, plus décriée, plus faible, plus impuissante 
le ne l'avait trouvée. Sa destinée, qui aurait pu 
si brillante, a été des plus malheureuses. Vrai- 
t, on ne lui connaît qu'un bonheur, qui a été 
ne la revanche de sa mauvaise fortune : elle a 
emplacée par une autre Assemblée, qui devait la 
regretter. 



TROISIÈME PARTIE 



ASSEMBLÉE NATIONALE LEGISLATIVE 

25 mai 1849 — 2 décembre 1851 



I 



Situation générale de la France et de l'Europe, à la fla de ÏÀs- 

semblée constituante de 1848. 



Dans la séance du 26 mai 1849, qui ftit la dernière 
de TAssemblée constituante , le président, Armand 
Marrast, prononça un discours, où l'on remarqua les 
paroles suivantes : 

< Voilà, citoyens représentants, dans quel étal 
de perturbation générale nous laissons le monde : 
à l'extérieur, des principes ennemis qui ne se me- 
nacent pas seulement, qui déjà se mesurent ; au 
dedans, deux partis hostiles qui se calomnient mu- 
tuellement, comme à la veille des grandes luttes. 
A ceux-ci, du moins, vous léguez mieux encore que 
votre exemple ; vous léguez une constitution qui doit 
désormais servir à la fois de règle et de bouclier à 
tous les pouvoirs comme à tous les droits. Je fais eu 
votre nom les vœux les plus ardents pour que cette 
loi suprême inspire à tous les partis le respect di\ à 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 237 

l'œuvre de l'assemblée que le peuple avait choisie 
pour la faire. Malheur à ceux qui tenteraient de la 
violer I Indépendamment du châtiment qui les attein- 
drait aussitôt, ils attireraient sur leur tête les malé- 
dictions de la patrie entière I » 

Et, après ces imprécations solennelles, Armand 
Marrast ajoutait, aux applaudissements prolongés de 
l'Assemblée qui l'écoutait : 

« Que la sagesse de nos successeurs vienne réparer 
ce qu'il a pu y avoir de fautes, d'erreurs et de dures 
nécessités dans notre laborieuse carrière I Puissent- 
ils se garder eux-mêmes des passions violentes ou 
des funestes entraînements I » 

Jamaix vœux plus sincères ni plus honnêtes n'ont 
été plus complètement trahis par le destin ; jamais 
non plus Assemblée française n'a mérité plus qu(^ 
l'Assemblée législative de 1849, les justes sévérités de 
l'histoire. 



II 



Etal des partis en présence. — Les modérés du parti républicain 

sont exclus. 



L'élection à la première magistrature de la répu- 
blique du prince Louis-Napoléon Bonaparte, dont les 
prétentions monarchiques , tout inavouées qu'elles 
fussent, s'étaient retrempées et raffermies dans le 
suffrage populaire, avait mis en péril la Constitution 
même de l'État. Tout le monde sentait que le 10 dé- 
cembre 1848, la Républi(iue avait été frappée au cœur 
d'une atteinte mortelle. 

Les partis hostiles au nouvel ordre politique, au 



nS LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

sein desquels le Président était allé chercher ses 
ministres, comptaient profiter du pouvoir pour ren- 
verser les institutions républicaines dans un avenir 
plus ou moins éloigné. Ce n'était pour eux qu'une 
<[uestion de temps ; leurs projets, mal dissimulés 
sous des déclarations hypocrites qui ne trompaient 
personne, étaient déjà tout arrêtés, et l'exécution s'en 
poursuivait avec une incroyable passion. 

De leur côté, les républicains de toutes nuances 
comprenaient que leur intérêt comme leur devoir 
iîtait de défendre la Constitution sans cesse menacée 
par les entreprises d'une réaction implacable. La lutte 
<*tait engagée de part et d'autre avec une ardeur 
inouïe, qui touchait à la fureur : dans cette lutte, il 
y avait peu de place pour les opinions moyennes, et 
ce fut un des malheurs du parti républicain. 

L'Assemblée constituante venait de se dissoudre 
dans l'indifférence publique. Cette Assemblée, qui 
avait commis tant de fautes inexcusables, avait au 
moins le mérite de compter une majorité de républi- 
cains dévoués. La plupart de ceux qui en avaient fait 
partie ne retrouvèrent en rentrant dans leurs foyers 
<[ue le découragement dans le présent et l'incertitude 
dans l'avenir. Placés entre deux sortes d'adversaires 
également implacables, les hommes des partis monar- 
chiques et les républicains avancés qui ne pardon- 
naient point les erreurs coupables dont souffrait la 
République, le plus grand nombre des anciens Cons- 
tituants ne sut pas regagner la confiance des élec- 
teurs. Aussi bien, ne purent-ils pas rentrer dans la 
nouvelle Assemblée, pour y défendre la Constitution 
qu'ils venaient de donner à la France. La République, 
en perdant leur concours, perdit la moitié de ses 
forces. 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 239 



III 

liéccssité de TUnion républicaine en face de Tunion des partis 
monarchiques. — Tactique des conservateurs. — Circulaire de 
M. Léon Faucher, ministre de Tintérieur. 

Cependant Texemple de la conciliation et de Tunion 
avait été donné au parti républicain par ses ennemis 
acharnés. Les partis hostiles avaient formé entre eux 
VUnion libérale, coalition immorale et monstrueuse, 
oi^anisée par le comité de la rue de Poitiers, où Ton 
trouvait mêlées et confondues les personnalités les 
plus diverses. 

A la vérité, les républicains plus avancés avaient 
cherché, depuis quelque temps, à mettre fin à leurs 
propres discordes. Un cri nouveau, qui résumait 
assez bien l'ensemble des aspirations démocratiques, 
avait été adopté, surtout par la population des grandes 
villes : c'était le cri de vive la République démocra- 
tique et sociale I A Paris, le comité central, qui avait 
pris la direction des élections, s'intitulait Comité dé- 
mocratique socialiste ; et dans la liste qu'il dressa des 
candidatures à présenter aux électeurs, ce comité 
s'était appliqué à donner satisfaction aux diverses 
fractions de l'opinion républicaine avancée. Les répu- 
blicains modérés seuls avaient été tenus à l'écart de 

» 

cette liste : erreur funeste, qui aurait dû être évitée à 
tout prix, dans des circonstances aussi graves ! A 
l'union monarchique de la rue de Poitiers, il fallait 
opposer l'union de tous les républicains. Cette tactique 
nécessaire fut employée plus tard avec le plus grand 
succès, sous la pression des événements, mais trop tard. 



i>38 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

sein desquels le Président était allé chercher ses 
ministres, comptaient profiter du pouvoir pour ren- 
verser les institutions républicaines dans un avenir 
plus ou moins éloigné. Ce n'était pour eux qu'une 
<fuestion de temps ; leurs projets, mal dissimulés 
sous des déclarations hypocrites qui ne trompaient 
personne, étaient déjà tout arrêtés, et l'exécution s'en 
poursuivait avec une incroyable passion. 

De leur côté, les républicains de toutes nuances 
comprenaient que leur intérêt comme leur devoir 
<3tait de défendre la Constitution sans cesse menacée 
par les entreprises d'une réaction implacable. La lutte 
était engagée de part et d'autre avec une ardeur 
inouïe, qui touchait à la fureur : dans cette lutte, il 
y avait peu de place pour les opinions moyennes, et 
ce fut un des malheurs du parti républicain. 

L'Assemblée constituante venait de se dissoudre 
dans l'indifférence publique. Cette Assemblée, qui 
iivait commis tant de fautes inexcusables, avait au 
moins le mérite de compter une majorité de républi- 
<:ains dévoués. La plupart de ceux qui en avaient fait 
partie ne retrouvèrent en rentrant dans leurs foyers 
<[ue le découragement dans le présent et l'incertitude 
<lans l'avenir. Placés entre deux sortes d'adversaires 
également implacables, les hommes des partis monar- 
chiques et les républicains avancés qui ne pardon- 
naient point les erreurs coupables dont souffrait la 
Képublique, le plus grand nombre des anciens Cons- 
tituants ne sut pas regagner la confiance des élec- 
teurs. Aussi bien, ne purent-ils pas rentrer dans la 
nouvelle Assemblée, pour y défendre la Constitution 
qu'ils venaient de donner à la France. La République, 
en perdant leur concours, perdit la moitié de ses 
forces. 



( 



ASSElIBLÉË NATIONALE LÉGISLATIVE 239 



III 

IVéccssité de TUnion républicaine en face de l'union des partis 
monarchiques. — Tactique des conservateurs. — Circulaire de 
31. Léon Faucher, ministre de l'intérieur. 

Cependant l'exemple de la conciliation et de Tuniou 
avait été donné au parti républicain par ses ennemis 
acharnés. Les partis hostiles avaient formé entre eux 
l'Union libérale^ coalition immorale et monstrueuse, 
organisée par le comité de la rue de Poitiers, où Ton 
trouvait mêlées et confondues les personnalités les 
plus diverses. 

A la vérité, les républicains plus avancés avaient 
cherché, depuis quelque temps, à mettre fin à leurs 
propres discordes. Un cri nouveau, qui résumait 
assez bien l'ensemble des aspirations démocratiques, 
avait été adopté, surtout par la population des grandes 
villes : c'était le cri de vive la République démocra- 
tique et sociale ! A Paris, le comité central, qui avait 
pris la direction des élections, s'intitulait Comité dé- 
mocratique socialiste ; et dans la liste qu'il dressa des 
candidatures à présenter aux électeurs, ce comité 
«'était appliqué à donner satisfaction aux diverses 
fractions de l'opinion républicaine avancée. Les répu- 
blicains modérés seuls avaient été tenus à l'écart de 
cette liste : erreur funeste, qui aurait dû être évitée à 
tout prix, dans des circonstances aussi graves ! A 
l'union monarchique de la rue de Poitiers, il fallait 
opposer l'union de tous les républicains. Cette tactique 
nécessaire fut employée plus tard avec le plus grand 
succès, sous la pression des événements, mais trop tard. 



2iO LA SECONDE RÉPUBUQUJS 

Pourtant il était aisé de comprendre que les parti» 
hostiles à la République, tout en se couvrant de son 
nom, ne cherchaient que les moyens d'en finir avee 
elle. 

Le ministre de Tintérieur, chargé de veiller aux 
élections de la nouvelle assemblée, était alors M. LéoE 
Faucher, < un de ces types qui ne se rencontreot 
qu'une lois en quarante siècles, » coinme a dit P.-J. 
Proudhon. M. Faucher, homme nouveau dans la vie 
publique, étranger par ses antécédents à tous les 
vieux partis, aurait dû, ce semble, ne point marchan^^ 
der son dévouement à la République qui lui avait 
donné le pouvoir et, avec le pouvoir, les moyens de 
défendre et de propager les doctrines de la secte éco- 
nomiste à laquelle il était attaché. Ennemi acharné 
des socialistes, ses haines ne connaissaient ni règles 
ni limites ; sous le nom d'ordre, il n'entendait autre 
chose que l'extermination de l'opinion républicaine, 
et le mot de la fin de presque tous les discours était, 
comme le delenda Carthago du vieux Caton : il faut en 
finir ! Serviteur docile de la réaction, il avait adopté 
ses vues, ses plans, son langage. C'était au nom de la 
République et pour la sauver qu'il faisait la guerre 
aux républicains. 

La circulaire qu'il adressa , aux préfets comme 
ministre de l'intérieur porte la trace de cet hypo- 
crite dévouement à des institutions qu'il détestait et 
dont il préparait la chute. < Le but principal, écri- 
vait-il, vers lequel vous devez tendre, le premier 
conseil à donner, c'est le rapprochement, de toutes» 
les nuances du parti modéré en une liste commune*. 
Surtout pas d'exclusions, excepté pour les noms 
compromis ou compromettants... Remarquez qu'il 
ne s'agit que de conseils. En temps de révolution, 
quiconque n'est pas contre nous est pour nous. J'ai 



ASSEMBLÉE NATIOKALE LÉGISI^ITIVK 2i\ 

foi dans rétablissement de la République : j*Hi Un 'larm 
la paissance du nom qui a rallié les esprits au 10 ri»* 
cembre; et cela étant, je traite de haut, saiH Ut^ tour 
ner en préoccupations politiques, les rf:^rets qu^; U-*. 
régimes déchus peuvent avoir laissés au (onrl du tunu r. 
Pour ma part, j'accepte tous les homm^'S qui Vuni-. 
sent à nous loyalement, sans arrif^re-pf^rin/r^*, ^ur )(- 
terrain commun de la République. > 



IV 



Prograrame électoral des ancien ^i partie. 

Ce langage fallacieux n'était que la trarluctioii 
oflicielle des conversations du roinit/; de. la tue. tU- 
Poitiers. Les habiles de ce coruit/% qui renfei iiiail 
tous les débris des vieux partis monarchique'-., tU'- 
hommes vieillis dans les assenil>ir*es et roriiiius â 
toutes les intrigues parlementaires, ne se lassaient 
pas de répéter que, parmi eux, il ne se trouvait aiieun 
politique sensé et honmHe, qui vouliU changer la 
forme du gouvernement et renverser la République. 
Ce qu'ils voulaient, disaient-ils, c'était simplement 
sauver la société. Ils repoussaient les anciennes 
préoccupations de partis, parce qu'elles ne pouvaient 
avoir d'autre effet que de distraire la France ilf 
l'œuvre qu'elle devait accomplir sur elle-mi^me. A 
leurs yeux, il ne pouvait pas être ((uestion do royauté 
ni d'empire, de légitimistes ou de bonapartistes, ou 
d'orléanistes; il s'agissait de faire sortir des entrailles 
de la société française des institutions h l'aide des- 
4]uelles elle pût se défendre, 

u 



2» LA SECONDE RÉPUBLIQUE. 

En vue de ce but, le grand parti de Tordre, ména- 
geant autant que faire se pouvait les diverses opinions 
dont il était composé, déclarait qu'il était nécessaire, 
par des institutions décentralisatrices réclamées de- 
puis longtemps par l'opinion légitimiste, d'établir 
entre la société et le pouvoir une série de retranche- 
ments et de fortifications derrière lesquels la société 
pût se retrancher, au cas où le premier des pouvoirs 
de rÉtat tomberait par surprise, comme au 24 fé- 
vrier 1848, entre les mains des ennemis de l'ordre. 

Afin de rendre la santé et la vie au corps social, le 
comité de la rue de Poitiers réclamait la liberté de 
l'enseignement à tous les degrés : c'était la concession 
faite aux catholiques, qui, sous Louis-Philippe ^ 
avaient combattu si longtemps pour cette conquête, 
et qui affirmaient, au milieu de toutes nos crises 
sociales, que la France avait surtout besoin d'idées 
saines, puisées dans une instruction conforme aux 
enseignements moraux de l'Église. 

Enfin, comme, après tout, les questions sociales 
tenaient la plus grande place dans les préoccu- 
pations du moment, les modérés, faisant la part du 
feu, reconnaissaient la nécessité de conduire les affaires 
économiques de la France suivant un système large- 
ment conçu et fermement arrêté, et ils allaient jusqu'à 
demander que l'agglomération des capitaux dans les 
associations fût encouragée résolument par l'État. On 
marchait vers la constitution de ces grandes com- 
pagnies financières que l'on a vues plus tard former 
entre elles comme une vaste féodalité industrielle,, 
et qui ont peut-être retardé et compromis le sé- 
rieux et- complet développement de la richesse na- 
tionale : la bourgeoisie opulente aspirait à faire 
des affaires, suivant le langage qui a été depuis- 
lors à la mode ; les hommes de la rue de Poitiers 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE tiZ 

étaient dignes de lui servir d'organe dans cette cir- 
constance* 

Telles étaient les vues générales da parti de Tordre 
à la veille des élections de 1849. La coalition des 
divers partis était affirmée dans ce programme, ou 
le maintien de la République ne figurait que par 
tromperie, et où Ton cherchait les moyens de para- 
lyser les institutions démocratiques avant de les 
détruire. 



V 



Programme électoral du comité démocratique socialiâte de Parî-i. 

Le comité démocratique socialiste avait, de son côté, 
posé pour programme électoral les six propositions 
suivantes, auxquelles les candidats choisis et recom- 
mandés par lui avaient dû adhéror sans restriction 
ni réserves : 

i'' La République est au-dessus d'à droit des majo- 
rités ; 

i? Si la Constitution est violée les représentants 
du peuple doivent donner au peuple l'exemple de la 
résistance ; 

3" Les peuples sont solidaires entre eux comme 
les hommes ; l'emploi des forces de la France contre 
la liberté des peuples est un crime, une violation de 
la Constitution ; la France doit ses secours aux natio- 
nalités qui combattent la tyrannie, elle peut aujour- 
d'hui les accorder immédiatement; 

4"" Le droit au travail est le premier de tous les 
droits, il est le droit de vivre ; la plus dure de toutes 
les tyrannies est celle du capital ; la représentation 



244 LÀ SECONDE RÉPUBLIQUE 

nationale peut et doit poursuivre l'abolition de cette 
tyrannie ; 

0° Dans une nation libre, Téducation doit être pour 
tous gratuite, commune, égalitaire et obligatoire ; 

6° Le rappel du milliard cjes émigrés est une 
mesure juste, utile, possible. 

Ce programme était, comme on en peut juger, 
tout de circonstance ; la guerre sourde faite à la Ré- 
publique Favait dicté. 

Par la première proposition , on cherchait à 
protéger les institutions nouvelles contre les sur- 
prises du suffrage universel et les attentats d'une 
majorité hostile. Le parti républicain ne songeait 
qu'au présent : défendre à tout prix une Constitution 
qui avait à peine six mois d'existence et qui plusieurs! 
fois avait été déjà mise en péril. Mieux que cela, si 
l'on rapproche la troisième proposition de ce pro- 
gramme de la deuxième, il devient évident qu'on 
prévoyait une occasion prochaine où la Constitution 
serait violée de nouveau et à bref délai ; c'est pour- 
quoi l'on faisait de la résistance une loi expresse 
aux candidats : preuve manifeste que l'on se jugeait 
à l'état de guerre et que, bien loin d'éviter les con- 
flits, on cherchait plutôt à les faire naitre, afin d'en 
profiter et de ressaisir le pouvoir, en l'arrachant aux 
ennemis de la République. 

Afin de marquer la réconciliation des républicains 
avancés avec les socialistes, le droit au travail avait' 
été inscrit parmi les conditions du programme ; 
c'était une manière vague d'affirmer le caractère 
social de la République, mais on peut trouver aujour- 
d'hui que ce n'était pas assez de cette déclaration 
toute platonique pour sceller à jamais le pacte 
d'alliance entre ces deux fractions du parti républi- 
cain qui ne se voyaient pas sans défiance. 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 245 

Le paragraphe relatif à rinstruction répondait aux 
préoccupations suscitées par les catholiques, et le 
rappel du milliard était mis là comme une avance 
faite aux populations rurales, afin de les rattacher à 
la cause révolutionnaire. 

Ce programme du comité démocratique-socialiste, 
si précis qu'il ait paru alors et si complet qu'on Tait 
jugé, atteste cependant de la manière la plus claire 
que le parti républicain, tout entier à l'œuvre de 
combat qu'il poursuivait, n'était ni dans le droit 
chemin, ni dans le vrai sens des événements. Après 
la fatale élection du 10 décembre qui avait si com- 
plètement trompé les espérances des républicains de 
toutes nuances, on ne s'étonne pas que, dans leur 
programme électoral, ils aient évité de parler du 
suffrage universel et de le prendre pour principe de 
leur politique. L'établissement du suffrage universel 
avait cependant consommé en France la plus profonde 
comme la plus radicale des révolutions ; sans doute, 
cette révolution n'avait pas encore produit toutes ses 
conséquences, mais le parti républicain ne paraît 
même pas s'être douté alors de sa lointaine portée : 
quoi d'étonnant dès lors que les élections à l'Assem- 
Wée législative aient tourné au détriment de la démo- 
cratie républicaine ? 



VI 



Le comité de la rue de Poitiers. — Sa composition. — Sa propa- 
gande. 



Pendant que le parti républicain, se concentrant sur 
lui-même, ramassait toutes ses forces pour tenter une 
lutte suprême, les réacteurs comprenaient l'avantage 



2i6 LA SECONDE RÉPUBUQUE 

et la nécessité de s'adresser à l'opinion publique et 
au suffrage universel, qui en est rexpression. Ils 
n'oubliaient point que les trois grands agents de la 
vie publique sont, dans un pays libre, l'opinion, la 
représentation nationale et le pouvoir. Obtenir de 
l'opinion qu'elle nommât des représentants de leur 
choix ; par ces représentants, dominer dans l'assem- 
blée"; et par rassemblée, s'emparer du pouvoir : telles 
étaient leurs visées. Bien loin de redouter la pression 
du dehors, ils se réservaient de l'organiser, au moyen 
du suffrage universel, de la presse populaire, de 
Témancipation provinciale et communale et au profit 
des intérêts conservateurs. 

Le comité de la rue de Poitiers, le plus grand centre 
d'action qui ait existé en France depuis les anciennes 
sociétés populaires de notre première révolution, n'é- 
tait pas une machine de guerre accidentelle ; son 
œuvre électorale n'était que le point de départ d'une 
action permanente. Dans cette réunion, composée de 
cinquante-deux membres, on voyait M. Mole siéger à 
côté de M. de Persigny ; M. d'Haussonville à côté de 
M. de Morny ; M. le duc de Broglie à côté du prince 
Lucien Murât ; M. Duvergier de Hauranne à côté de 
M. le marquis de Barthélémy ; MM. Berryer et de 
Montalembert y étaient les orateurs les plus écoutés^ 
et l'influence prédominante était celle de M. Thiers,. 
qui apportait à cette œuvre toutes les ressources d'un 
esprit inépuisable, excité et soutenu par des passions 
et des rancunes indignes d'une telle intelligence. 

Résolus à s'adresser au suffrage universel, le* 
hommes des vieux partis monarchiques ne pouvaient 
songer à le corrompre ; ils s'arrêtèrent à l'idée perverse 
de l'effrayer et de le démoraliser par la peur. Sous pré- 
texte de combattre au nom de l'ordre les doctrines in- 
sensées qu'ils prêtaient gratuitement à leurs adver- 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 247 

saires, ils résolurent d'inonder la France de petits 
livres et de publications à bon marché, libelles, pam- 
phlets, placards où les plus odieuses calomnies étaient 
proférées contre les républicains. En une seule séance 
du comité, cinquante mille francs furent versés à la 
caisse de cette propagande perfide, et pendant le mois 
d'avril, près de six cent mille exemplaires de ces abo- 
minables petits livres furent lancés dans la circulation. 
De toutes les œuvres de la réaction de 1849, celle-ci est 
à coup sûr la plus condamnable, et celle qui engage le 
plus, devant l'histoire, l'honneur politique des hommes 
de la rue de Poitiers. Si, depuis, nous avons vu notre 
pays, livré à la peur, se courber sous le joug de la 
dictature, on peut dire que cet abaissement de la cons- 
cience et de la dignité nationales remonte au jour où 
le parti de l'ordre a cherché, par des pratiques dé- 
loyales, à troubler la conscience populaire pour la 
mieux dominer. La propagande électorale de la rue 
de Poitiers est un crime que ses auteurs n'auront 
expié ni par la chute de leurs espérances politiques 
ni par la perte de leur influence au sein d'une société 
rajeunie par la démocratie. L'histoire indignée n'a pas 
assez de malédictions pour des entreprises aussi cou- 
pables, qui marquent un temps d'arrêt dans l'histoire 
de la civilisation. Si jamais il y a eu excitations à la 
haine et au mépris des citoyens d'une môme patrie, 
s'il y a eu prédications impies et révoltantes, encou- 
ragements à la guerre civile, c'est à cette époque fu- 
neste, et ce trait seul de l'année 1849 en fait une 
année néfaste dans le dix-neuvième siècle. 



248 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 



VII 



Tableau des élections. — Dénombrement des partis dans l'As- 
semblée. 



C'est sous rinfluence des publications détestables 
de la rue de Poitiers que se firent les élections des 
départements. Le parti de Tordre déploya d'ailleurs 
une activité prodigieuse. Partout des comités se for- 
mèrent, et partout des élections préparatoires eurent 
lieu. Un ordre parfait, une discipline admirable prési- 
dèrent aux opérations électorales dans presque tous 
les départements. Le suffrage universel montrait ainsi, 
dès ses premières manifestations, qu!il est la suprê- 
me garantie de l'ordre. Les prétendus amis de Tordre, 
ennemis du suffrage universel, songeaient moins que 
jamais à l'accepter. Au moment même où le suf- 
frage universel donnait à leurs candidats presque 
partout la victoire, ils pensaient à le mutiler, 
sous prétexte de Torganiser, en instituant le suf- 
frage à deux degrés. Tout en se plaignant d'a- 
voir trop souvent dépensé à plaisir en fantaisies 
individuelles les forces qu'ils avaient amassées, 
les modérés avaient de justes raisons de se féli- 
citer des choix faits par les populations. Les princi- 
pales personnalités du temps de la Restauration et 
de Louis-Philippe reparurent sur la scène politique. 
Seuls, MM. Guizot et Duchâtel ne virent pas se rou- 
vrir devant eux la carrière. M. Guizot cependant avait 
cru devoir faire acte d'adhésion complète à la poli- 
tique bonapartiste, dans sa circulaire aux électeurs 
du Calvados. 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 240 

Le parti républicain obéit à ses traditions de disci- 
pline. 

M. Ledru-Rollin, dont le talent oratoire avait sans 
cesse grandi dans les derniers mois de TAssemblée 
constituante, et qui. était alors considéré comme le 
chef de la démocratie socialiste, sortit le second sur 
la liste des vingt-sept représentants nommés à Paris; 
quatre autres départements le choisirent en même 
temps pour leur élu ; en somme, il rentrait dans TAs- 
semblée, porté par deux millions de suffrages; c'était 
presque seize cent mille voix de plus que M. Ledru- 
Rollin n'en avait obtenu six mois auparavant aux 
élections pour la présidence de la République; ou 
pouvait croire, d'après ces résultats, que le parti ré- 
publicain avait triplé ses forces depuis cette époque, 
et ainsi s'explique, à un certain point de vue, l'atti- 
tude plus belliqueuse que politique prise par M. Le- 
dru-Rollin dans l'Assemblée législative dès les pre- 
miers jours. Sa popularité d'ailleurs était extrême. 
Une tournée électorale, qu'il venait de faire dans les 
départements de l'ouest et du centre, avait été pour 
lui comme un long triomphe; à Moulins, où il avait 
failli être victime d'un guet-apens, sa présence avait 
excité des transports qui tenaient du délire. 

Les autres représentants élus par les républicains 
appartenaient pour la plupart à cette nuance d'opi- 
nion qui avait adopté le nom et les traditions de l'an- 
cienne Montagne ; la fraction plus modérée du parti 
avait été sacrifiée, et les socialistes avaient fait quel- 
cjues recrues importantes. Un certain nombre de 
jeunes gens encore inconnus prenaient place pour la 
première fois sur les bancs de nos assemblées, pro- 
mettant d'y apporter tout ensemble de la résolution, 
de la vigueur, avec l'expression des sentiments des 
générations nouvelles. 



2d0 LA SECO:«DE RÉPUBLIQUE 

En résumé, les deux tiers de l'Assemblée législative 
apparien aient aux anciens partis monarchiques; le 
troisième tiers voulait la République. La conscience 
d'une telle supériorité numérique enhardit dès le pre- 
mier jour les hommes du parti de l'ordre. Ils procla- 
mèrent que le jour des transactions bâtardes entre 
eux et leurs adversaires était passé sans retour; ils 
regardèrent comme un devoir, tout en se promettant 
A eux-mêmes de respecter les personnes de la minorité, 
de déclarer spontanément la guerre aux opinions et de 
courir sus au socialisme, qu'ils affectaient de considé- 
rer comme une gangrène de la civilisation dont elle 
doit se délivrer ou périr, et ils se jurèrent, serment 
qu'ils ne surent pas tenir, de discuter avec ceux de 
leurs adversaires qui consentiraient à raisonner, et 
eu même temps d'imposer silence à ceux qui ne sau- 
raient que les menacer. 



VIII 

Politique à suivre par le parti républicain. 

. Le 28 mai, à midi, eut lieu l'ouverture de l'Assem- 
blée législative, sous la présidence de M. de Kératry, 
doyen d'âge et ancien pair de France sous la monar- 
chie de Juillet. Elle succédait sans interruption à 
l'Assemblée constituante dissoute de l'avant- veille ; 
elle était composée de sept cent cinquante représen- 
tants. L'animosité entre les divers partis se déclara 
(lès les premières séances. Le maréchal Bugeaud, un 
(les hommes les plus écoutés de la droite, avait dit 
cependant ce mot remarquable : « Les majorités sont 
tenues à d'autant plus de modération qu'elles sont 



ASSEaiBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 251 

plus nombreuses. » Ce sage conseil ne fut jamais 
suivi. Aux élections qui eurent lieu pour nommer le 
président définitif, les hommes des diverses nuances 
se comptèrent. Il y avait six cents votants. M. Dupiii 
atnéy ancien ami du roi Louis-Philippe, obtint trois 
cent trente-six voix, M. Ledru-Rollin cent quatre- 
vingt deux, M. le général Lamoricière soixante-seize. 
Ce dernier chiffre révélait l'existence, dans TAsseni- 
blée, d'une sorte de tiers-parti républicain, qui ne 
pouvait manquer plus tard de voter avec la Mon- 
tagne, et de lui fournir un appoint qui n'était pas à 
dédaigner, dans les grandes circonstasnces. Au reste, 
ce chiffre de soixante-seize n'était point (iéfinitif. On 
pouvait espérer que des trois cent trente-six de la 
droite se détacheraient plus tard les hommes hon- 
nêtes, qui répugnaient à la violence, et que leur pro- 
bité politique autant que leur modération destinait 
à devenir conservateurs républicains, en haine des 
aventures et des coups d'Etat. Les cent quatre-vini^t- 
deux voix données à M. Ledru-Uollin mesuraient i«»s 
forces de la Montagne. C'était plus qu'il n'en fîiihiit, 
avec du sang-froid, de la patience et de la hjrnnîté 
l>olitique pour tenir tète à cette droite qui, à toutes 
les raisons, paraissait résolue à opposer le poids du 
nombre. La patience, la résistance passive à toutes les 
provocations, la propagande incessante par la tri- 
bune, la presse et le bon exemple : telle était, à ce 
(|u'il semble aujourd'hui, la conduite qui s'imposait 
aux représentants de l'opinion républicaine. 

Ce qu'il fallait assurer avant tout, c'était le salut do 
la République, que la réaction allait prendre dans s(»s 
mains hypocrites et tourner contre les républicains 
eux-mêmes. L'ordre parfait (|ui avait présidé aux élec- 
tions avait rassuré l'opinion publique; la bourgeoisie' 
ne croyait plus que h; repos fiU impossible sous le; 



252 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

régime nouveau, et le peuple sentait croître sa con- 
fiance dans les institutions démocratiques ; il semble 
donc qu'il n'y eût qu'à attendre. 

Malheureusement les questions étaient pour la plu- 
part engagées. On ne sut pas dégager le vrai caractère 
des élections législatives, ni régler la conduite à tenir 
sur la volonté très clairement exprimée par le suffrage 
universel. 



IX 



•Question romaine. — M. Ledru-Rollin dépose une demande de 
mise en accusation du président Louis Bonaparte et de ses 
ministres. — Le 13 juin 1849. 



La plus brûlante de toutes les questions qui passion- 
naient alors l'opinion démocratique était la question 
romaine. Une armée française, au mépris de la constitu- 
tion, faisait le siège de Rome, et le 10 juin, la nouvelle 
se répandit que des luttes à main armée s'étaient enga- 
gées entre nos soldats et la population romaine. L'As- 
semblée était en proie à une agitation extrême, pâle 
relletde l'agitation du peuple de Paris. La Constitution 
était ouvertement violée, et le comité démocratique 
socialiste jugea le moment venu de rappeler aux re- 
présentants élus le 13 mai l'engagement qu'ils avaient 
solennellement pris. La Montagne, obéissant à la tra- 
dition révolutionnaire, se mit également en communi- 
cation directe avec le peuple, et répondit qu'elle sau- 
rait faire sou devoir. 

Le 11 juin, M. Ledru-Rollin monte à la tribune, non 
point pour interpeller le gouvernement, ainsi que le 
porte l'ordre du jour, mais pour déposer un acte 
d'accusation contre le président et contre ses ministres. 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 253 

Son premier discours est calme et grave, son argumen- 
tation précise et saisissante. 11 touche d'une main 
sûre et exercée les vraies difficultés de la situation, il 
adjure l'Assemblée de ne pas chercher à venger Téchec 
que nos armes ont pu subir sous les murs de la villa 
Pamphili, à Rome. 

€ 11 ne faut pas égarer l'opinion publique, dit-il; 
il ne faut pas faire croire que nous voulons aller 
contre l'honneur de notre drapeau; nous sommes 
plus que personne intéressés à la sauvegarde de notre 
honneur, mais lors même que nous aurions subi un 
échec, ce serait aggraver notre position que de cher- 
cher à le réparer par le sang. Il ne faut pas que 
nous espérions le réparer en rentrant à Rome de vive 
force, car ce ne serait pas une victoire, ce serait une 
honte; il ne peut y avoir de victoire contre le droit. Il 
y a quelque chose de supérieur au point d'honneur, 
c'est la question de droit, c'est la question de justice 
et d'honneur ! » 

A ce manifique langage, toute l'Assemblée tressaille, 
et M. Odilon Barrot, président du conseil des ministres, 
essaye debalbutier une réponse. Son discours gourmé, 
boursouflé, inattendu dans la bouche d'un homme si 
sévère autrefois envers la politique de la royauté de 
Juillet, indigne la gauche républicaine. M. Ledru-Rol- 
lin, dont l'émotion ne se contient plus, réplique au mi- 
nistre. A mesure qu'il parle, sa parole devient plus 
ferme et plus accablante. Il termine ainsi : « Vous 
avez manqué à votre devoir, vous avez manqué à 
votre mission, la Constitution a été violée : nous la 
défendrons par tous les moyens, môme par les armes. » 
A ces mots, la droite se lève toute frémissante de 
colère, et demande à grands cris le rappel à l'ordre 
de l'orateur. Le président Dupin prononce ce rappel à 
Tordre. M. Ledru-Rollin, qui a gardé sur l'un des de- 

E. SPILLER. — SEC. RÉP. Vo 



2o4 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

grés de la Montagne une attitude superbe de dignité 
et de calme, reprend alors d'une voix tonnante: « La 
Constitution est confiée au patriotisme de tous les 
Français; j'ai dit et je le répète; la Constitution violée 
sera défendue par nous, même les armes à la main. • 
Le tumulte redouble. La droite proteste et la gauche 
couvre d'applaudissements son orateur. Au milieu du 
trouble, on entend la voix claire et grêle de M. Thiers 
(|ui s'écrie que l'on ne peut délibérer avec quelque 
dignité dans un assemblée quand le cri : aux armes î 
y a été poussé. 

Sur la proposition de mise en accusation du prési- 
dent de la République et de ses ministres, M. de Ségur 
d'Afçuesseau propose l'ordre du jour pur et simple, 
qui est adopté à la majorité de 361 voix contre 20:2. 

Le lendemain de cette séance, le 42 juin, M. Ledru- 
Hollin se retrouvait pour la dernière fois à son banc 
de l'Assemblée législative, défendant pied à pied 
son opinion de la veille, et luttant contre M. Thiers. 
La vraie question qui était au fond de la question 
romaine venait d'être découverte : c'était, aux yeux 
des hommes de la rue de Poitiers et de leurs fidèles, 
la lutte de la démagogie contre l'ordre. Il fallait eu 
finir, suivant le mot d'alors, avec la République ro- 
maine, sortie des fiancs de la démagogie italienne, 
pour en finir ensuite avec la République française. C'est 
dans cette séance que M. Thiers, ayant cru pouvoir 
criera M. Ledru-Rollin : « Paroles d'insurgé! » le puis- 
sant tribun lui lança cette réplique terrible : « Paroles 
de cosaque! » Echange d'invectives, rapide comme 
l'éclair, et qui jette une lueur sinistre sur les luttes de 
cette triste époque ! 

Le 13 juin, l'ordre du jour de l'Assemblée n'annon- 
çait qu'une réunion dans les bureaux. Les représen- 
tants convoqués à domicile accoururent à leur poste. 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 255 

Une grande partie des représentants de la Montagne 
manquaient, ils étaient à la manifestation. M. Dupin 
préside; M. Odilon Barrot rend compte de Tétat de 
Paris; on apporte une dépêche du ministre de Tin- 
térieur ; lecture en est donnée ; le président du con- 
seil propose à l'Assemblée de se déclarer en perma- 
nence, et de nommer une commission qui présentera 
d'urgence un rapport §ur la mise en état de siège de 
Paris; à cinq heures, le rapporteur de cette commis- 
sion, M. Gustave de Beaumont, a terminé sou travail, 
et pour la seconde fois, depuis le 24 février 1848, 
Paris est livré à la dictature militaire, malgré les 
protestations les plus vives de MM. Pierre Leroux et 
Bancel. 



X 



Situation du parti républicain, après le 13 juin. — Klcclions de 
Paris. — Projets de la majorité contre le suffrage universel. 



La défaite du parti républicain consommée, TAs- 
semblée parut plus calme. Le parti royaliste s'em- 
pressa de profiter de sa victoire. Les demandes en 
autorisation de poursuites contre les représentants se 
succ^édèrent : trente-trois des membres de TAssemblée 
furent sacrifiés à la haine de la droite. Le ministre de 
l'intérieur, M. Dufaure, se faisant l'exécuteur des 
vengeances d'une réaction qui devait bientôt le dé- 
jiasser, présentait et faisait adopter une loi qui 
suspendait le droit de réunion pour une année; il pré- 
parait de plus un projet de loi sur la presse. La ma- 
jorité se montrait ferme et résolue, c'est-à-dire im- 
placable ; elle allait, fait inouï et sans précédents, 



256 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

jusqu'à insérer dans le règlement une peine discipli- 
naire nouvelle, Texclusion temporaire des séances. L'ac- 
cord était parfait entre les deux pouvoirs législatif et 
exécutif. 

Cependant, tout le monde continuait à parler de 
son dévouement à la République. La conspiration^ 
ourdie depuis si longtemps, allait pouvoir se pour- 
suivre, sans grands obstacles, maintenant que, par 
son imprudence, le parti républicain s'était décapité 
lui-même et privé de son organe le plus éloquent. Le 
moment d'ailleurs paraissait, favoriser les intrigues 
monarchiques. Des élections eurent lieu à Paris dans 
les premiers jours de juillet 1849, afin de pourvoir 
aux vacances laissées par les représentants honorés 
d'un double mandat. Après les événements du 
13 juin, les comités électoraux démocratiques n'a- 
vaient pu se reconstituer, et le parti républicain 
avancé ne parvint pas à s'entendre sur le choix des 
candidats. Chaque fraction avait présenté sa liste, et 
cette division favorisa le succès de Vunion électorale. 
Les républicains, quoique divisés, n'en réunirent pas 
moins à Paris un chiffre de 103,000 voix attribuées 
à M. Goudchaux qui arrivait le premier en tête de 
leur liste. Le dernier des candidats modérés, M. Boin- 
villiers, avait obteuu seulement 110,000 voix, et cette 
légère dillérence ne manquait pas de causer quelque 
inquiétude au parti de l'ordre. 

On saisit cette occasion pour attaquer le scrutin de 
liste. Avec le scrutin de liste, disait-on, la première 
vertu de l'électeur, c'est la discipline, c'est-à-dire la 
vertu des républicains, et son plus grand défaut, c'est 
l'indépendance, c'est-à-dire le défaut des modérés. En 
même temps que l'on attaquait ainsi le suffrage uni- 
versel en détail, on ne laissait passer aucune occasion 
de décrier les institutions républicaines dans leurs 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 257 

applications les plus légitimes. , Dans l'Assemblée 
l^islative, plusieurs membres s'élevaient contre le 
3ystème de l'indemnité accordée aux représentants du 
peuple, qui plaçait le député salarié dans une dépen- 
<lance visible de ses électeurs. Les délicats de la droite 
n'auraient voulu qu'une représentation des opinions ; 
idée, disaient-ils, fine et élevée ; la représentation des 
intérêts au contraire n'était qu'une idée grossière, 
presque matérielle, qui plaçait le représentant sous 
la main de la foule. Ces insinuations perfides n'étaient 
pas lancées en vain. On se proposait de décrier par 
■ce moyen les représentants républicains qui avaient 
défendu le principe de l'indemnité parlementaire ; 
on voulait exciter contre eux les instincts et la jalou- 
sie stupide de quelques insulteurs stipendiés; on 
«spérait ainsi, non sans raison, perdre la représenta- 
tion nationale dans la faveur publique. 



XI 

La réaction hostile à toute politique d'apaisement. 

Cependant, malgré les soubresauts incessants de la 
vie politique, le commerce et l'industrie ne laissaient 
pas de reprendre; mais la réaction ne voulait pas 
travailler à l'apaisement, encore moins le reconnaître. 

Un projet de loi ayant été présenté à l'Assemblée 
nationale sur l'assistance publique, les prétendus mo- 
dérés avaient profité de cette circonstance pour entrer 
en campagne contre le socialisme qu'ils accusaient de 
tous les maux de la société. Dans la discussion, MM. Du- 
faure, Gustave de Beaumont, Denis Benoist et deMelun 
soutinrent ce qu'on appelait les saines doctrines 



258 LA SECONDE RI^:PUBLIQUE 

contre les théories subversives : admirable prétexte à 
déclamations odieuses et mensongères contre la Répu- 
blique ! Le commerce et Tindustrie sont incertains et 
timides. Qui s*en étonnerait? Personne n'est tenté de 
faire des entreprises à longue échéance sous un gou- 
vernement à courte échéance. Voilà le mot de la situa- 
tion : un gouvernement à courte échéance, comme une 
république, ne peut pas pourvoir suffisamment à 
Tordre et à la sécurité nationale. Les modérés allaient 
bientôt lever le masque et parler de la révision de la 
constitution de 1848. Mais, pour le moment, ils se con- 
tentaient de dénigrer les institutions nouvelles afin 
que le pays les prît en haine. Le gouvernement du 
Président ne négligeait rien d'ailleurs pour discréditer 
le parti républicain. C'est ainsi qu'il désavouait 
le gouvernement provisoire, en réintégrant dans leurs 
fonctions des magistrats qui avaient dû en être éloi- 
gnés à la suite de la révolution de Février. 



XII 



Discussion du projet de loi sur la presse. — M. de Montalem- 
bert. — Loi sur l'étal de siège. — M. Dufaure. 



La présentation du projet de loi sur la presse (juil'- 
let 1849) amena les deux grandes opinions qui se par- 
tageaient l'assemblée à se mesurer en face. Cette loi 
nouvelle élevait le chiffre du cautionnement des jour- 
naux, instituait les commissions de colportage sous 
l'autorité des préfets, et livrait à l'arbitraire adminis- 
tratif l'autorisation de vendre les journaux sur la 
voie publique, c'est-à-dire qu'elle chargeait la presse 
d'entraves si dures et liées d'un manière si savante 



ASSEMBLÉK NATIONALE LÉCxISLATlVE 2Ô9 

qu'à part rautorisation préalable et le système des 
avertissements que nous avons vus depuis, la dic- 
tature la plus absolue n'a jamais su rien imaginer de 
mieux pour contenir la presse. De plus, la nouvelle 
loi, empruntant quelques-unes de leurs dispositions 
aux lois de septembre, notamment celle qui punit les 
offenses envers la personne du roi, les rendait appli- 
cables au président de la République. Toutefois, ce 
n'était ici qu'un détail. Ce que Ton voulait, avant tout, 
c'était atteindre la presse dans sa liberté. Les réaction- 
naires pensaient'et disaient tout haut qu'avec le suf- 
frage universel, cette institution maudite, l'exercice 
de la liberté de la presse est plus difficile. Quand les 
droits politiques appartiennent à tout le monde, 
disaient-ils encore, quand le souverain est suscep- 
tible d'ignorance et d'égarement, il faut que la presse 
soit très scrupuleuse, et comme il n'est pas de la nature 
de l'a presse d'avoir beaucoup de scrupules, il faut 
que la loi les lui impose. 

Parmi les orateurs qui prirent la parole dans cette 
discussion, on remarqua M. le comte de Montalembert 
qui y déploya cette acrimonie et cette disposition à 
l'invective, qui étaient comme la marque de son talent. 
11 y fit entendre un mea culpa solennel à l'endroit de 
l'opposition qu'il avait faite à la dynastie de Juillet : 

« Moi aussi, s'écria-t-il, j'ai fait de l'opposition toute 
ma vie; ma voix, je dois le dire, a été trop souvent 
grossir cette clameur téméraire et insensée qui s'éle- 
vait de tous les points de l'Europe à la fois, et qui a 
fini par cette explosion où l'on a essayé de renverser 
tous les trônes, tous les pouvoirs, tous les gouverne- 
ments, non parce qu'ils étaient oppresseurs, non parce 
qu'ils avaient commis des fautes, mais parce que 
c'étaient des pouvoirs, parce c'étaient des gouverne- 
ments, parce que c'était l'autorité, pas pour d'autres 



2C0 LA SECONDE RÉPUBUQUE 

raisons. Je me pardonne à moi-même, et j'espère que 
Dieu me pardonnera parce que j'étais de bonne foi. 
Mais je vous assure que je ne me pardonnerais pas, si 
je me croyais assez important pour avoir contribué 
en quoi que ce soit à la catastrophe que j'ai signalée 
tout à riieure. » 

Un tel langage, si violent et qui était bien digne de 
rame furieuse et passionnée, à qui devait échapper plus 
tard cette parole cruelle : La France est affamée de 
silence ! effraya jusqu'aux ministres de la réaction eux- 
mêmes. M. Odilon Barrot crut devoir se dégager d'une 
alliance aussi compromettante. 

Combien plus habile et plus perfide se montra 
M. Thiers, attiré dans la discussion par les analogies 
signalées par la presse entre la loi nouvelle et les lois 
de septembre! M. Thiers mérita que son discours fût 
appelé Toraison funèbre de la République. Avec un 
art consommé, il déroula la longue série des contra- 
dictions où étaient tombées les diverses fractions du 
parti républicain que l'agitation des temps avait 
amenées au pouvoir depuis le 24 février. Il montra que 
la République elle-même avait eu ses lois de sep- 
tembre; enfin, par un dernier trait qui devait mettre 
le comble à la confusion de ses adversaires, il fit voir 
({ue la loi nouvelle n'était que la suite et le corollaire 
des lois édictées par les républicains. 

« L'année dernière, dit-il, en pleine Assemblée 
constituante, vous avez laissé passer des lois de sep- 
tembre, de la main de qui ? De M. Marie, votre ami. 
Avec l'approbation de qui ? De M. Jules Favre ? Cou- 
vertes par qui ? Par le général Cavaignac. Que nous 
dit-ôu ? Que c'est pour détruire la République que 
nous faisons cela. Eh bien ! je demande si M. Marie, 
si M. le général Cavaignac, si M. Jules Favre voulaient 
détruire la République ? » 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 261 

Et M. Dufaure, ministre de rintérieur, entrant dans 
cette argumentation captieuse, afiectait à son tour de 
prendre la défense de la République contre les pas- 
sions. 

< Si nous vous remettions un instant le soin de la 
République, vous la perdriez comme vous l'avez déjà 
perdue, comme vous perdez toutes les causes que vous 
touchez! Pour que la République vécût, il a fallu 
qu'elle passât de vos mains dans les nôtres. C'est 
avec nous et par nous seulement qu'elle est pos- 
sible. > 

Puis, engageant sa propre personnalité avec une 
assurance peu faite pour donner le change à l'opi- 
nion, M. Dufaure, ancien ministre de Louis-Philippe, 
ancien ministre du général Gavaignac, alors minis- 
tre du Président, c'est-à-dire homme servant tous 
les gouvernements qui lui confiaient des portefeuilles, 
ajoutait : « Je suis sincèrement républicain, mais je 
ne le suis qu'à la condition de ne pas l'être comme 
vous et avec vous. » 

Dans l'Assemblée, c'étaient des tonnerres d'applau- 
dissements partant des bancs de la droite ; au dehors, 
tous les réactionnaires s'en allaient répétant : « Voyez ! 
la République n'est qu'une contrefaçon de la monar- 
chie. Elle ne vit que par les soins des serviteurs de la 
monarchie ; elle ne vit ni par ses principes ni par ses 
amis naturels ; elle ne vit que d'emprunts. » Malgré 
les efforts de MM. Grévy, Jules Favre, Bac, Crémieux, 
la loi passa à la majorité de quatre cents voix contre 
cent quarante-six. 

Cette loi contenait en germe tous les instruments 
de répression dont on a depuis tant abusé; tout s'y 
trouve, depuis le délit insaisissable de fausses nou- 
velles jusqu'à l'interdiction des souscriptions publi- 
ques pour payer les amendes des journaux. 

15. 



262 LA SECONDE REPUBUQUE 

Pour compléter cette loi répressive, le ministère 
présenta quelques jours après une loi sur l'état de 
siège. Fidèle au système qu'il avait adopté, le mi- 
nistère déclara que cette loi organique était faite con 
formément aux principes qui en avaient été posés 
dans la Constitution. Elle attribuait aux tribunaux 
militaires le droit de connaître des crimes et des dé- 
lits contre la sûreté de la République, la Constitution, 
Tordre et la paix publique, quelle que fût la qualité 
des auteurs principaux et des complices. M. Grévy,que 
Ton trouvait toujours prêt chaque fois que son parti 
voulait s'efforcer de barrer le chemin à la réaction, 
s'écria : « C'est la dictature militaire I > A quoi M. Du- 
faure répondit, foulant aux pieds toutes les doctrines 
qu'il se vantait de professer et de défendre : « C'est 
la dictature parlementaire, l'application de l'antique 
maxime : Salus populi supremu lex esto / » La loi fut 
votée par quatre cent dix-neuf voix contre cent cin- 
quante-trois. On s'étonne, après tant et de pareilles 
exagérations du parti qui se disait honnête et modéré, 
que la France ait été démoralisée î Lorsqu'on voit les 
hommes réputés les plus sages et les plus politiques 
de tout un pays perdre ainsi la tête et renier leurs 
idées les plus chères, qui pourrait s'étonner que ce 
pays lui-même ne connaisse plus ni ses intérêts ni son 
devoir ? 



XIII 

Prorogation de l'Assemblée. — Les conseils généraux. — I^ 
lettre du président Louis Bonaparte au colonel Edgar Ney. 

Après ces hauts faits, l'Assemblée songea à prendre 
des vacances. Elle décréta sa propre prorogation du 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 2G3 

43 août au 45 octobre. Une commission fut nommée 
pour siéger en permanence pendant la prorogation : 
nul représentant du peuple appartenant à la gauche 
républicaine n'y fut admis; M. Grévy arriva premier 
sur la liste de ses amis politiques avec 152 voix. M. le 
ministre de Tintérieur Dufaure, dans la discussion 
qui eut lieu sur la prorogation, voulut bien répondre 
de la tranquillité publique, pendant Tabsence de 
l'Assemblée. De son côté, le président de la Républi- 
que, dans une de ces excursions à travers la France 
auxquelles il commençait à se livrer, venait de pro- 
noncer un acte de contrition solennelle, dans la ville 
de Ham, et de protester une fois de plus de son inten- 
tion de respecter les institutions du pays. 

Cependant la conspiration contre la République 
n'en travaillait pas moins dans l'ombre. 

La session des conseils généraux s'ouvrit. 

Ces assemblées, refuge de toutes les réactions depuis 
leur établissement sous le Consulat, aflectèreut de 
prendre en mains à leur tour la cause de Tordre 
menacé. Elles renouvelèrent le vœu de pouvoir se 
réunir spontanément le jour où, par malheur, l'As- 
semblée nationale serait menacée. En môme temps, 
à l'instigation des préfets dépendant immédiatement 
du pouvoir exécutif, elles adressaient des félicita- 
tions au président de la République, tout de môme 
que s'il eût été chef d'une dynastie nouvellement 
intronisée. Allant plus loin que tous les autres, le 
conseil général de )a G. ronde exprima le vœu que 
l'Assemblée nationale donnât plus de stabilité au pou- 
voir exécutif, en votant la révision immédiate de la 
Constitution. 

Vers la fin d'août, les notabilités de parti légitimiste 
accomplissaient avec fracas un pèlerinage politique à 



WîcsgbBbifeiL >:u Le comte de Cbasdionl êlail yena passer 

Lft* ^aïKdiî 'iii soffrasse njÛTersel ne cessaient de 
cherrîier Itfs moyeas de Fêlader- aTani d'en finir avec 
lîii. U--^ dri:uUïre du ministre de llntérieur, sur les 
ëlei!îiijns miiiii*:ipdles dans les TÎUes de plus de vingt 
mille âmes, examinait la »:iaestion da seintin de liste 
qui ce d<>Qiie. «iisait ee document, aucune garantie à la 
diversité des iatenMs et des professions, et qui est un 
m*>ie d'eletrtion tGut politique et rêToluti<mnaire. Ces 
s<"rutin> «Passants et tranchants sont mille fois plus 
daoirereux ave»* le suffrage universel qu'avec le suf- 
fra:re uninominal, répétait le parti de Tordre. D'ail- 
leurs, il faut établir le suffrage à deux degrés ; la 
réforme du suffrage universel : voilà le but auquel doit 
tendre TAssemblée législative. Si ce but n'est pas 
atteint. TAssemblêe n*aura été quune halte dans le 
mal. Ainsi se découvraient peu à peu les projets de la 
réaction. 

Pendant ce temps-là, le second ministère de la Prési- 
dence, le ministère du i juin, bien plus encore que celui 
du ^0 décembre, se montrait ilottant et divisé. Bien que 
formé d'hommes d'un talent distingué, il ne faisait 
qu'obéir aux passions et aux intérêts des partis dont 
il était lui-même issu. Le président de la République 
résolut de s'en séparer par un coup d'État, et de ten- 
ter à son tour un essai de politique personnelle. Louis 
Bonaparte y préluda, en adressant à son aide de camp 
le colonel Edgar Ney en mission à Rome, une lettre 
louchant le caractère de notre occupation du territoire 
romain. Cette lettre, qui parut pendant la prorogation 
de l'Assemblée, eut un grand retentissement. Visible- 
ment le président commençait à sortir de son rôle 
constitutionnel, et le temps était venu de veiller. 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 265 



XIV 



Reprise des travaux de T Assemblée. — Les crédits supplémen- 
taires pour l'expédition de Rome. — M. de Montalembert et 
M. Victor Hugo. 



C'est dans ces circonstances que TAssemblée légis- 
lative reprit ses travaux. 

La question romaine, déjà débattue plusieurs fois 
dans le sein de l'Assemblée, y fut agitée de nouveau à 
ipropos d'une demande de crédits supplémentaires 
pour couvrir les frais de l'expédition. 

M. Thiers était rapporteur de la commission. 

Suivant son habitude, M. Thiers avait profité de ce 
rapport comme d'une occasion de s'expliquer sur 
l'ensemble de la politique. La question romaine était 
l'une de celles qui avaient le privilège de réunir toutes 
les fractions de la majorité. A la faveur de cet heu- 
reux accord, il était possible d'indiquer à la majorité 
ses propres tendances. M. Thiers ne craignit pas de 
parler dans son rapport de la nécessité de réviser 
la Constitution, c'est-à-dire de Tabolir et de rétablir 
le système monarchique, sous une forme plus ou moins 
déguisée. 

Dans la discussion du projet de loi, M. le général 
Cavaignac obtint la parole pour combattre ce point 
spécial du rapport. M. Cavaignac, orateur grave et 
convaincu, luttait à ce moment contre une réaction 
dont il avait été le premier instrument, comme il en 
était alors la victime; sa parole avait perdu toute 
autorité; la Montagne le tenait en défiance, et la 
droite, tout en affectant de lui témoigner du respect, 



266 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

ne cachait pas assez le peu d'estime que lui inspirait 
Tesprit hésitant du malheureux vainqueur de juin. 

La lettre du président à M. Edgar Ney fournit 
matière à de nombreux développements. C'était incon- 
testablement Pacte d'un pouvoirpersonneldéjà résolu, 
prêt à tout, et qui, quelques semaines après, allait se 
manifester avec plus d'éclat. Mais telle était la mau- 
vaise foi de la réaction qu'à ceux des républicains qui 
signalaient les velléités ambitieuses du Président, la 
majorité ne répondait qu'en attaquant de plus belle 
la constitution de 1848. Ce n'est pas nous gui avons 
voulu la République, ni par conséquent le Président, 
criaient les fanatiques de la droite. Patere legem quam 
ipse fecisti! Est-ce notre faute si la constitution répu- 
blicaine a détruit les conditions du véritable gouver- 
nement représentatif ? Ce n'est pas sous la monarchie 
constitutionnelle que le pouvoir exécutif se permet- 
trait de tels écarts. 

L'incident le plus curieux de cette discussion fut le 
duel oratoire de MM. Victor Hugo et de Montalem- 
bert. M. Victor Hugo, ancien pair de France, élu repré- 
sentant de la Seine à la Constituante et à la Législative, 
n'avait pu entrer dans les assemblées de la Répu- 
blique sans le concours actif du comité de la rue 
de Poitiers dont il était encore membre aux élec- 
tions de 1849. n avait constamment voté avec la 
droite, à part une ou deux occasions où la politique 
ne comptait pour rien. 

On avait cependant remarqué l'extrême vigueur 
avec laquelle il avait protesté contre le sac et le 
pillage des imprimeries des journaux, exécutés le 
43 juin sous le couvert du ministre de Fintérieur. 
En juillet, il avait prononcé un discours fort animé 
dans la discussion de la loi sur l'assistance publique. 

Sur la proposition relative aux crédits supplémen- 



ASSEUBlitiE :S«&.T!lflN«LJd ivUlIHaAr^^': î»»r 

taires pour r«xpéditiiiii ijtt lîiimt. VL. v ivur 'ii:;»» 

accomplit xmC'CTTaliltiiuii fliiciMuWf; pu ui i *îv iiu-**- 

ment reprocdiée par «i^ uuîu^hh- lULit*. jm's pi: i 

marqué daiis «a wj* imt' -h."* ^rii:u«*u*. mouvimN*. 

Un oratemr de ia itoirth. M.. Tiuior. ii* m Ia»\^ii'im- 

ayant émis pomr M în'«IllJt^!»^ à: «.s .'^*t:i* uirs»* ,;hi * 

été si souvent rtçirii*«f îÔ^^iliî* ■«:cs. i ';;jv;^ir .Jll..^ 

Rome et la pagiWRiite i»oajlî iii oct>pivyr.i* i^tiv-it^ ,j.^ 

la catholicité. M- VitttiMr ïïiauro- "j^^uî-iiic U tli.^s.in . ,i 

chère à Tltalie », «dliit-iiil- «dk- La aatitHulU»^ *u .1.^ i* 

sécularisation des Etui? d-e- rb'j::li>*-' S^^i •■Ii»»p!.'.nr»^ 

toute pleine d^iraitiçies srAnfit-^sr^s et <tnii»Mu»«^ %\a\\ 

leurs par une diction enilAmm»^*^ «^t H.n:MU»\ ju»» 

duisit un effet considérable. 1^^ puit^ho «)o r:)«i<iMnMi«' 

couvrit d'applaudissements lillu^tro poôii^ oi liij m 

un triomphe. A peine était-il dosoiMuln ili' \i\ liilMiut'. 

que M. de Montalembert eut In pniolo |iiinr Ini tppli 

quer. Son premier mol fui uno injnn» |inur M. Virfni 

Hugo et pour ceux qui vonaitMil (l<> rM|)|il;ni()ir. " l,r> 

discours qui vient d'ôlro |»n)iH)ni'r. dit il m iMimnifri 

çant, a déjà reçu le cliAliinont (|iril niprilo: jf v^riv 

parler des applaudissomciits qui roiit nrcifoilli rlii ('fi\i* 

gauche de cette assembler. » A|iW»s un pnrf'll hnif, nri 

trouble inexpriin^iblo sr dpclnm cImiisî rA«^«?prr?hiï'r' : 

M. de Montalembert est iiivitï' » n>Mn»r ff^tfo ^vfI^p< 

sion blessante; il hi retins imi flknnf : • f,h tihmur^, 

qui vient d'être pronoïic/', h r*'CM ih «crfl crf nr/' (f^ 

récompense auqii(;l il put, pr^f*'M'lr^; j^ vMrv finrl^r 

des applaudissenierilH (|Mi l'/rMt ^»^^f^^H|} /l^ /n r/if/. . 

C'est sur de tcJH Uu'uU'uU tfu*- m- p^i'/rrf 1^- rrr^rirr 

politiques d'uiM? ;mît<'»r*bl^" Ir-t ^fftltffttf' /fr- \f /f* 

MontalemlH^rt, m'm»/'<' &uU*t-^ioui- ^Htf'^u- ^^ /f" 

reproches <Jinî<'l>t ^ )'^/Im^-'^- />/- W ^r-*^',^ ^Tr/., iV,f 

applaudie à UfUi i^titn^p*- Ta^^/^va/^aa >^ i-f /./ .y,. , 

lembert ii<j pa/gt j4t$tién \fi^4f ^^^f^^^-^^^'^ 4.' r ^ , , / ' : 



268 LÀ SECONDE RÉPUBLIQUE 

que dans sa véhémence, plus poliment hautaine» plùà 
souverainement injurieuse. Certes, si l'on devait juger 
les assemblées sur ces grands tournois oratoires, nulle 
autre Chambre française plus que l'Assemblée législa- 
tive de 1849 ne mériterait le respect et l'admiration 
de rhistoire; mais ce n'était pas d'éloquence qu'il 
s'agissait alors, c'était d'intelligence et surtout de pro- 
bité politique : or, ces deux mérites supérieurs ont 
trop souvent fait défaut à cette assemblée que ses pas- 
sions rendaient aveugle et injuste. Le projet de loi 
sur les crédits supplémentaires pour l'expédition de 
Rome fut voté à la majorité de 469 voix contre 480. 



XV 



Message du 31 octobre 1849. — Crise ministérielle. 

Vers le même temps, les partisans de la monarchie 
constitutionnelle et de la maison d'Orléans obtenaient 
de la majorité un vote à peu près pareil, en faveur du 
maintien du douaire de M""® la duchesse d'Orléans. 

Ce vote parut-il une occasion favorable au président 
de la République pour lancer le premier manifeste de 
sa politique personnelle ? On peut le croire. Le prési- 
dent de r Assemblée reçut, le 31 octobre, un Message où 
le président de la République accusait formellement les 
anciens partis d'avoir relevé leur drapeau. M. Louis 
Bonaparte déclarait en outre que la pensée qui avait 
éclaté le 10 décembre ne s'était pas fait sentir jus- 
qu'alors assez directement dans les aflaires, que tout 
un système, avait triomphé ce jour-là, car le nom 
<le Napoléon était, à lui seul, tout un système, et 
que cependant ce système n'avait point reçu son 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 269 

application. Le Président désirait donc rentrer dans 
la ligne de conduite qui lui ouvrait Télection du 
iO décembre. Il voulait que le ministère se composât 
d'hommes capables d'un grand dévouement, compre- 
nant la nécessité d'une marche ferme et sûre, d'hommes 
qui ne compromissent pas le gouvernement par leurs 
hésitations, et qui ne perdissent jamais de vue leur 
responsabilité ni celle du Président. 

Tel fut le sens du Message du 31 octobre. 

Le ministère dont le Président fit choix se déclara 
prêt à le mettre en pratique. Les nouveaux ministres 
pris dans le parti conservateur n'étaient liés bien 
directement ni à Tune ni à l'autre des deux nuances 
d'opinions légitimiste et orléaniste, qui divisaient 
les amis de Tordre. On remarquait parmi eux divers 
personnages connus pour leurs relations personnelles 
avec le Président, M. Ferdinand Barrot, M. Achille 
Fou.ld et le général d'Hautpoul, enfin, un homme nou- 
veau M. Rouher, élevé à la dignité de garde des 
sceaux, et dont personne alors n'eût osé prédire l'éton- 
nante fortune. 

Cependant le temps n'était pas encore venu où l'ac- 
cord entre la majorité et le président devait se rompre. 
Le général d'Hautpoul le déclara expressément à la 
tribune. « Le nouveau cabinet, dit-il, n'est pas formé 
contre la majorité de l'Assemblée; au contraire, il se 
propose de développer avec énergie ses principes 
avoués. > 

Malgré cette déclaration, la droite était légèrement 
ébranlée. Le Président affectait de plus en plus de 
jouer le rôle de souverain. A la cérémonie solen- 
nelle de la prestation de serment des magistrats 
à la cour de cassation, on put observer que le fau- 
teuil du président de l'Assemblée nationale était 
placé sur un degré inférieur à celui où se trouvait le 



270 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

fauteuil du président de la République. A la séance de 
TAssemblée qui suivit, il y eut des protestations, et 
Ton décida qu'à l'avenir TAssemblée n'assisterait plus 
à aucune cérémonie publique. Ce n'était là qu'une 
pure chicane. La constitution du ministère du 
31 octobre n'en était pas moins un premier acte de 
la politique personnelle. On le disait à la Montagne; 
on commençait à le dire dans le parti de l'ordre. Mais 
telle était la violence des ressentiments de la majorité 
contre la (Constitution républicaine qu'elle préférait 
accuser le pacte fondamental d'être la cause de cette 
politique menaçante, plutôt que de reconnaître ce 
qu'il y avait de grave et de dangereux dans la tentative 
du Président. 



XVI 



Premières manifestations du pouvoir personnel. 

Au reste, il faut bien reconnaître que l'on ne pou- 
vait guère s'entendre sur le genre de résistance 
au gouvernement personnel. Le parti modéré accu- 
sait la Montagne de n'entendre cette résistance que 
sous la forme d'une mise en accusation ou d'une 
insurrection. Ce système violent effrayait la majo- 
rité, qui répétait sans cesse avec plus ou moins de 
bonne foi que le lendemain de la déchéance du 
Président, la France appartiendrait à la démagogie 
la plus effrénée. Dans son effroi, cette majorité 
insensée aimait à se payer des plus détestables 
sophismes : parler contre la tyrannie, disait-elle, ce 
serait favoriser la révolution, le socialisme, le pillage 
et l'assassinat. Le parti de l'ordre ne se lassait pas 



ASSEMBLKE NATIONALE LÉGISLATIVE 271 

d'ailleurs de répandre la peur dans le pays. Plus d'af- 
faires, plus de transactions, écrivaient tous les matins 
les journaux de la réaction : le suffrage universel, tel 
que la constitution Ta organisé, c'est le chômage uni- 
versel. 

. En décembre 1849, rassemblée eut à examiner la 
question de savoir si l'impôt des boissons serait 
définitivement maintenu, ou aboli suivant des pro- 
messes miaintes fois répétées. M. de Montalembert 
fit de. cette affaire non pas une question fiscale, mais 
une question politique. Cent millions de francs vont 
manquer au Trésor, si l'impôt est aboli, et c'est la 
banqueroute. Dieu merci! on voit bien que c'est là ce 
qui tente la Montagne, disaient les royalistes. Calom- 
nie odieuse, s'il en fut jamais. La France n'était pas 
en péril financier, et quant à la banqueroute, le parti 
républicain avait donné trop de preuves de son honneur 
et de sa délicatesse pour justifier de telles imputations. 
Si l'impôt sur les boissons est maintenu, disait encore 
la majorité, on peut espérer que les finances françaises 
se rétabliront; si, au contraire, l'impôt est aboli, c'en 
est fait pour longtemps du commerce et de l'industrie. 
La gauche républicaine résista autant qu'il fut en son 
pouvoir. € La monarchie s'est réfugiée dans la fisca- 
lité, disait M. Jules Favre ; elle y est comme dans une 
forteresse dont l'impôt sur les boissons est comme la 
citadelle, et nous ne cesserons de l'attaquer. > Parole 
très profonde qui aurait dû éclairer toute la tactique 
à suivre par les républicains. Incontestablement, si 
tous leurs discours, si tous leurs actes avaient eu pour 
objet de traiter et de défendre les intérêts populaires, 
la République n'aurait eu que des avantages à re- 
cueillir de ce genre nouveau de luttes parlementaires. 
Le maintien de l'impôt sur les boissons fut décidé à 
la majorité de 418 voix contre 241. 



272 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Le gouvernement du Président, de son côté, s'asso- 
ciait à toutes les mesures inspirées par le parti de 
Tordre, qui avaient pour objet de semer la défiance 
entre les citoyens, afin de rendre le régime républi- 
cain intolérable et odieux à la nation. Le général 
d'Hautpoul, ministre de la guerre, adressait des ins- 
tructions aux colonels de la gendarmerie pour les in- 
viter à lui envoyer des rapports confidentiels sur 
l'état des esprits. Cette mesure devait avoir pour ré- 
sultat de soumettre à la surveillance de la police tous 
les fonctionnaires, et particulièrement tous les petits 
employés et agents du gouvernement, tels que les ins- 
tituteurs, les agents voyers et les percepteurs, que 
l'on soupçonnait d'attachement secret à la Répu- 
blique. 

Le nouveau ministère présenta ensuite un projet 
de loi pour augmenter la solde des sous-ofiiciers, 
en raison des années de service. Les républicains, au 
lieu de combattre cette théorie et de poser les bases 
d'une réforme générale de notre système militaire, 
s'associèrent dans une certaine mesure à cette propo- 
sition, espérant par là gagner l'afïection de l'armée, 
qui commençait à être le point de mire de toutes les 
intrigues et de toutes les caresses. Nul ne comptait 
sur elle plus hautement que le président de la Répu- 
blique, ni avec plus de raison. Les autres partis, aveu- 
glés par leurs coupables espérances, flattaient l'armée, 
croyant s'en servir plus tard ; ils feignaient de ne la 
croire d'aucun parti ni d'aucune coterie ; ils vantaient 
les services signalés qu'elle rendait chaque jour à 
l'ordre social, et se réjouissaient non sans cynisme de 
ce que le malheur des temps avait placé la France 
sous le joug de l'obéissance forcée qu'imposent les 
armes. C'est ainsi que peu à peu s'oblitéraient dans 
l'âme de la France toutes les idées et tous les senti* 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 273 

ments qui font les nations libres, et que Ton prépa- 
rait notre pays à la servitude qu'il a si longtemps su- 
bie sans protestation. 



XVII 



La loi Falloux. — Rapport de M. Beugnot. — Intervention déci- 
sive de M. Thiers. 



Toutefois, nulle question ne passionnait plus vive- 
ment ni plus à fond le parti de Tordre que la ques- 
tion de l'enseignement public. La Constitution avait 
promis la liberté de l'enseignement à tous les 
degrés. C'est pour remplir cette promesse que la loi 
sur l'enseignement fut présentée. Cette loi avait été 
préparée par M. le comte de Falloux, ministre de Tins- 
truction publique, appelé aux affaires par le président 
au lendemain de l'élection du 10 décembre, en témoi- 
gnage de la reconnaissance que le clergé avait mé- 
ritée pour la part qu'il avait prise à cette élection. 
M, de Falloux avait conçu son plan de réforme de 
l'enseignement public, sous la double influence de 
ses antécédents monarchiques et religieux. Légitimiste 
et catholique, politique aux desseins suivis, capable 
des résolutions les plus décisives dans les moments 
de crise, orateur remarquable et homme d'action en 
môme temps, M. le comte de Falloux était Tun des 
membres les plus influents de l'Assemblée. Dès que 
son projet parut, il n'y eut qu'un cri dans le parti répu- 
blicain, pour enaccuser l'audace et la partialité. M. de 
Falloux essaya d'abord de profiter de la stupeur qui 
suivit le 13 juin, pour enlever par surprise le vote de 
l'Assemblée; mais il fut obligé de renvoyer son pro- 



«fC le dit »i niLss^ f¥îa£. x ^ ^êscsssion a>ii était 
isis- -faorf -yy^niif ierrHU rJL3»eBiilê« InslatiTe. Le 

T^fiiL le itrfeaur^ rif pr jii*c ô^ jucâmefix. qui a gardé le 
liiin le '?L Le fâilutLi- -îràiit la alsîstre de nnstnic- 
~iia iiuiiiri»^ li. 3jjaT>sHi •stàîaet. M. Esquiroa de 
?*ijr-.e-i- i-^ il! ic ir-iL«:àtMtt«ic Àfôap|w dWureiçne, peu 
r-.ojLL Lsr'L uiirf. nais rii i^ait ttitprvave, dans la 
w.s:i.-rs.«.a :e 1" iiiieaiieïii»«ic Gr>?Ty qall s'était lait 
-niCLie»!-' i*t siiiTeair- -i'ia^ xruide solidité d'esprit 
izçii'-r^ r-i? L29i ifATilft t^tciï/^ et sobce. M. de Parieu, 
11 ^f<.::^. r:îL"^:?i: aienp*tilea5emeQt à s*approprier 

^.t-jjl: i-f ?,:ii:eiLir le po>jet de loi devant rAssem- 
: rr:- -1 i»^cii:i'ii. z•:•^I^ le pi>aTt>ir exécutif et par un 
;. -. ^-: ir^ 1» : 5w*r^'LiI. riutorisatioo de révoquer ceax 
■:r•^ :::>::::-::!*urs i^a: îa conduite aurait été jugée dan- 
-T-rr^ i-^-r r: r»e^:Iimi rurzeoce L'Assemblée parut prise 
*:r r*:r.:ç uirs tieTant une pareille mesure : la loi fut 
v.:-rr. ciiis après deux scrutins, avec une voix de 
î!iiT'>rît-r et p-iur six mois seulement, non sans avoir 
trtr- ameadêe Jms quelques-unes de ses dispositions 
priQcip-ïles. Ainsi corrigée, cette loi draconienne 
(ioQoait aux préfets le droit de révoquer l'instituteur 
«le ses fonctions, et Tinstituteur révoqué ne pouvait 
<»uvrir une école privée dans la commune et dans les 
communes limitrophes de celle où il exerçait les fonc- 
tions qui lui avaient été retirées, c Vous avez le ver- 
tige! » avait crié M. Noël Parfait, représentant répu- 
blicain, après le vote, dans la séance du il janvier : 
c'était le seul mot dont on pût se servir pour caracté- 
riser justement la fureur réactionnaire des modérés. 

La discussion sur le projet do M. de Falloux s'ouvrit 
le 15 jauvier. La commission était composée des nota- 
l)ilité8 de la droite, MM. Salmon, Coquerel, Baze. de 
Melun, de rKspinay, S:iuvairo-narlhéIe;My, Dufouge- 



^.^ . ^ -: 



ASSEMBLÉE 3Uk11û»3(llLJE iLi)C^lf^UTnT 






raiSy de Montalembert, Roohier^ Tïukrçv. Fref^iHf&u. Jui- 
vier, Parisîs,éTèqucde Lmiçinefr: 31. îinilbf l«Dy Sain:- 
Hilaire représentait seul dans oette <x>iiiiDiâfioii ] aii- 
cien esprit universitaire: M. Benzol, cathctlique 
ardent, avait été éln rapporteur. 

Le rapport de M. Ben;gwi»it reî'tjera ^.omme Je moLu 
ment des passions de cette «épîxjue : c>ï=t là q ii\ n 
peut juger des vues comme de« arrière-j»eiiScvrs des 
hommes qui gouvernaient alors la France. C'est uLe 
vraie déclaration de guerre à la République, dux 
idées nouvelles, à la science et à ses droits impres- 
criptibles, en même temps qu'une plate et benoite 
apologie de l'ignorance et de la crédulité humaine. 

Voici d'abord comment s'exprime le rap|.Kuteur sur 
la portée générale du projet de loi : 

€ Lorsque la société tout entière, avec sa reliirion. 
ses mœurs, ses plus précieux intérêts, ses saintes et 
éternelles lois, est devenue tout à coup 1 objet d'at- 
taques aussi audacieuses que multipliées: ({uanil les 
notions élémentaires de la vérité, de la justice et du 
droit, sans lesquelles aucune associatitm humaine ne 
saurait exister un seul jour, ont besoin d'élre expli- 
quées et défendues: quand un désordre moral, dont 
nul ne pressentait la profondeur, se révèle au milieu 
de nous, alors tous les hommes sages, tous les amis 
sincères de la patrie ont compris (lu'il ne s*aj;issait 
plus de savoir par qui et dans quelle mesure précis*» 
le bien se ferait, mais qu'il fallait recueillir toutes U»s 
forces morales du pays, s'unir intimement les uns 
aux autres, pour combattre et terrasser Tennemi com- 
mun, qui, victorieux, ne ferait {^rAce à personne. » 

On le voit, ce n'était pas une loi (renseignement (|uo 
la commission voulait faire, c'était simplement une 
arme nouvelle contre la licpubliciue (pfelle sepropo- 



276 lA SECONDE RÉPUBLIQUE 

sait de forger et de remettre entre les mains de ses 
ennemis. 

Qui croirait que le rapport d'une loi sur l'ensei- 
gnement pouvait contenir des déclarations comme 
celles-ci, dans un pays où le suffrage universel était 
la base des institutions politiques ? 

« Ce n'est pas de la lenteur des progrès de l'ins- 
truction primaire que l'on se plaint aujourd'hui... 
On se demande avec une anxiété croissante s'il n'eût 
pas mieux valu n'ouvrir des écoles qu'avec la cer- 
titude de n'avoir pas à les fermer plus tard. > 

Le but évident des auteurs de la loi était de ruiner 
l'enseignement laïque, pour donner aux congréga- 
tions religieuses l'éducation et l'instruction des gé- 
nérations nouvelles. Le projet de loi favorisait les 
membres de ces congrégations par tous les moyens 
possibles, et enlevait à la profession d'instituteur 
laïque tous les avantages que lui avaient conférés les 
législations antérieures. 

« Le brevet de capacité, disait M. le comte Beu- 
gnot, inutile pour constater l'aptitude des membres 
des congrégations religieuses, n'est pas à leur égard 
sans inconvénients. A la suite d'examens publics, et 
quand ils sont munis d'un titre délivré par l'auto- 
rité civile, les religieux contractent des habitudes 
d'indépendance contraires à leurs vœux, et qui eu 
ont conduit plusieurs à quitter leurs congrégations 
pour embrasser la profession d'instituteurs laïques. 
L'État ne doit pas relâcher les liens qui font la 
force de ces instituts, dont l'un entre autres existe 
en France depuis cent soixante-dix ans, et rend à l'en- 
seignement populaire des services sur lesquels il est 
superflu de s'étendre. » 

En revanche, la loi nouvelle élevait de dix à 
quinze ans le temps de service scolaire imposé aux 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 277 

instituteurs pour se racheter du service militaire; 
elle les soumettait à l'autorité des préfets; elle fai- 
sait tout, en un mot, pour détourner les jeunes gens 
de cette carrière noble et ingrate à la fois, et le 
rapport ajoutait cyniquement : 

< Si la profession d'instituteur devait être dédai- 
gnée, il n'y aurait pas lieu de vous en alarmer; 
l'appel de la patrie serait entendu par les instituts 
religieux, dont l'unique mission est de former pour 
l'enfance des instituteurs qui reportent sur elle leurs 
pensées, leurs affections, leur vie entière. Les vides 
faits dans le corps des instituteurs primaires par 
le calcul de l'égoïsme seraient comblés par le dé- 
vouement. > 

Mais où s'étale avec le plus d'impudeur la pensée 
secrète du projet de loi, l'espérance criminelle de 
' nuire à l'instruction du peuple et d'en tarir les 
sources, c'est dans les passages du rapport qui regar- 
dent les écoles normales primaires fondées dans 
presque tous les départements, en exécution de la 
loi de 1833, qui demeure encore le plus beau titre 
de M. (îuizot. Le nom môme de M. Guizot ne défen- 
dit pas son œuvre contre les passions cléricales des 
législateurs de 1880. C'est là qu'on voit de quelle 
haine profonde les auteurs de la loi poursuivent la 
science et l'émancipation de l'esprit humain. Ces 
passages du rapport de M. Beugnot sont trop instruc- 
tifs pour ne pas être cités. 

€ L'erreur capitale de la loi de 1833 fut d'imposer à 
l'instituteur primaire un sort misérable, et en même 
temps d'exiger de lui les connaissances variées, 
brillantes, assurément très inutiles à la fonction 
qu'il doit remplir... On a fondé à grands frais, non 
pas, comme la raison l'indiquait, loin du tumulte des 
villes, mais dans les chefs-lieux de soixante-dix-huit 



278 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

départeriients, des écoles normales primaires. Des 
établissements de ce genre existent, dit-on, en Alle- 
magne où ils ont réussi ; on en conclut qu'ils réussi- 
raient en France. Le programme de l'enseignement 
primaire ayant été amplifié, les études ont pris dans 
ces écoles des accroissements exagérés et sans but. 
Croirait-on qu'on y enseigne les logarithmes, l'al- 
gèbre, la trigonométrie, la cosmographie dans ses 
théories astronomiques, et qu'on y donne, non pas 
des notions élémentaires et usuelles, mais des cours 
complets de géométrie, de physique, de chimie et de 
mécanique?... Quant à l'instruction morale et reli- 
gieuse et à la pédagogie, qui devraient être la base 
des études, leur enseignement y languit, moins par la 
faute des directeurs et des maître que par celle des 
élèves, qui puisent dans leurs travaux scientifiques et 
littéraires un esprit bien différent de celui que nous 
souhaitons de voir se répandre dans les campagnes. 
On ne se sent pas la force de blâmer les instituteurs 
et leurs écarts ; on réserve sa sévérité pour le légis- 
lateur qui, cédant à un amour irréfléchi de l'innova- 
tion et à l'autorité d'exemples inapplicables à notre 
pays, n'a pas vu qu'en transformant les instituteurs 
primaires en des demi-savants, il en faisait des 
hommes malheureux et des mécontents? > 

Qu'ajouter après de telles énormités ? La loi Fal- 
loux, modifiée depuis avec plus de fracas que d'uti- 
lité réelle, n'a pas encore cessé de peser sur notre 
pays. On a vu des ministres se vanter de réagir 
contre les tristes excès de ce système d'abêtissement 
général; les a-t-on vus revenir à la loi de 1833? Les 
écoles normales primaires, qui avaient élevé d'une 
manière si notable le niveau de l'instruction en France 
sous la royauté de Juillet, n'ont pas été restaurées. 
Sous ce rapport, la funeste législation de 4880 porte^ 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 279 

encore ses fruits. Le suffrage universel a atteint sa 
majorité, et il est ignorant comme les jeunes gens qui 
tirent de Turne delà conscription un numéro que 
trop souvent ils ne peuvent même lire. Qui pourrait 
s'étonner des ressentiments que garde au fond du 
cœur les amis de Tinstruction populaire des odieuses 
machinations tramées contre elle par l'Assemblée 
législative ? 

Dans la discussion, le projet de loi fut attaqué avec 
une véhémence extrême par M. Victor Hugo. Son 
discours, qui causa le plus violent tumulte, fut un 
réquisitoire de la plus somptueuse éloquence contre 
le parti clérical ; chacune de ses paroles provoquait 
des acclamations et des murmures ; à deux reprises, 
la séaiice fut interrompue, pendant qu'il parlait. Il 
dénonça la politique du projet de loi et de ses auteurs. 
€ Votre loi est une loi qui a un masque, s'écria-t-il. 
C'est une pensée d'asservissement qui prend les 
allures de la liberté. Du reste, c'est votre habitude. 
Toutes les fois que vous forgez une chaîne, vous 
dites : Voici une liberté. Toutes les fois que vous faites 
une proscription, vous dites : Voilà une amnistie. 
Votre loi, c'est une diminution de la grandeur intel- 
lectuelle de la France. > 

MM. Crémieux, Barthélémy Saint-Hilaire combat- 
tirent la loi, au nom des droits de l'État sur l'ensei- 
gnement et de l'Université. 

Comme il y avait pacte d'alliance entre les hommes 
de la rue de Poitiers pour faire triompher le projet, 
M. de Montalembert qui défendit la loi, aux lieu et 
place de M. de Falloux, retenu loin de l'Assemblée 
par des raisons de santé, invoqua cette alliance en 
termes d'une éloquence saisissante, et en appelant 
M. Thiers à la tribune. 

M. Thiers, membre de la commission, représentait 



270 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

fauteuil du président de la République. A la séance de 
l'Assemblée qui suivit, il y eut des protestations, et 
Ton décida qu'à l'avenir l'Assemblée n'assisterait plus 
à aucune cérémonie publique. Ce n'était là qu'une 
pure chicane. La constitution du ministère du 
31 octobre n'en était pas moins un premier acte de 
la politique personnelle. On le disait à la Montagne; 
on commençait à le dire dans le parti de l'ordre. Mais 
telle était la violence des ressentiments de la majorité 
contre la Constitution républicaine qu'elle préférait 
accuser le pacte fondamental d'être la cause de cette 
politique menaçante, plutôt que de reconnaître ce 
qu'il y avait de grave et de dangereux dans la tentative 
du Président. 



XVI 



Premières manifestations du pouvoir personnel. 

Au reste, il faut bien reconnaître que Ton ne pou- 
vait guère s'entendre sur le genre de résistance 
au gouvernement personnel. Le parti modéré accu- 
sait la Montagne de n'entendre cette résistance que 
sous la forme d'une mise en accusation ou d'une 
insurrection. Ce système violent effrayait la majo- 
rité, qui répétait sans cesse avec plus ou moins de 
bonne foi que le lendemain de la déchéance du 
Président, la France appartiendrait à la démagogie 
la plus effrénée. Dans son effroi, cette majorité 
insensée aimait à se payer des plus détestables 
sophismes : parler contre la tyrannie, disait-elle, ce 
serait favoriser la révolution, le socialisme, le pillage 
et l'assassinat. Le parti de l'ordre ne se lassait pas 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 27 1 

d*ailleurs de répandre la peur dans le pays. Plus d'af- 
faires, plus de transactions, écrivaient tous les matins 
les journaux de la réaction : le suffrage universel, tel 
que la constitution Ta organisé, c'est le chômage uni- 
versel. 

En décembre 1849, rassemblée eut à examiner la 
question de savoir si Timpôt des boissons serait 
définitivement maintenu, ou aboli suivant des pro- 
messes maintes fois répétées. M. de Montalembeit 
fit de cette affaire non pas une question fiscale, mais 
une question politique. Cent millions de francs vont 
manquer au Trésor, si l'impôt est aboli, et c'est la 
banqueroute. Dieu merci! on voit bien que c'est là ce 
qui tente la Montagne, disaient les royalistes. Calom- 
nie odieuse, s'il en fut jamais. La France n'était pas 
en péril financier, et quant à la banqueroute, le parti 
républicain avait donné trop de preuves de son honneur 
et de sa délicatesse pour justifier de telles imputations. 
Si l'impôt sur les boissons est maintenu, disait encore 
la majorité, on peut espérer que les finances françaises 
se rétabliront; si, au contraire, l'impôt est aboli, c'en 
est fait pour longtemps du commerce et de l'industrie. 
La gauche républicaine résista autant qu'il fut en son 
pouvoir. € La monarchie s'est réfugiée dans la fisca- 
lité, disait M. Jules Favre ; elle y est comme dans une 
forteresse dont l'impôt sur les boissons est comme la 
citadelle, et nous ne cesserons de l'attaquer. > Parole 
très profonde qui aurait dû éclairer toute la tactique 
à suivre par les républicains. Incontestablement, si 
tous leurs discours, si tous leurs actes avaient eu pour 
objet de traiter et de défendre les intérêts populaires, 
la République n'aurait eu que des avantages à re- 
cueillir de ce genre nouveau de luttes parlementaires. 
I^ maintien de l'impôt sur les boissons fut décidé à 
la majorité de 418 voix contre 241. 



272 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Le gouvernement du Président, de son côté, s'asso- 
ciait à toutes les mesures inspirées par le parti de 
Tordre, qui avaient pour objet de semer la défiance 
entre les citoyens, afm de rendre le régime républi- 
cain intolérable et odieux à la nation. Le général 
d'Hautpoul, ministre de la guerre, adressait des ins- 
tructions aux colonels de la gendarmerie pour les in- 
viter à lui envoyer des rapports confidentiels sur 
l'état des esprits. Cette mesure devait avoir pour ré- 
sultat de soumettre à la surveillance de la police tous 
les fonctionnaires, et particulièrement tous les petits 
employés et agents du gouvernement, tels que les ins- 
tituteurs, les agents voyers et les percepteurs, que 
Ton soupçonnait d'attachement secret à la Répu- 
blique. 

Le nouveau ministère présenta ensuite un projet 
de loi pour augmenter la solde des sous-ofiiciers, 
en raison des années de service. Les républicains, au 
lieu de combattre cette théorie et de poser les bases 
d'une réforme générale de notre système militaire, 
s'associèrent dans une certaine mesure à cette propo- 
sition, espérant par là gagner l'afïection de l'armée, 
qui commençait à être le point de mire de toutes les 
intrigues et de toutes les caresses. Nul ne comptait 
sur elle plus hautement que le président de la Répu- 
blique, ni avec plus de raison. Les autres partis, aveu- 
glés par leurs coupables espérances, flattaient l'armée, 
croyant s'en servir plus tard; ils feignaient de ne la 
croire d'aucun parti ni d'aucune coterie ; ils vantaient 
les services signalés qu'elle rendait chaque jour à 
l'ordre social, et se réjouissaient non sans cynisme de 
ce que le malheur des temps avait placé la France 
sous le joug de l'obéissance forcée qu'imposent les 
armes. C'est ainsi que peu à peu s'oblitéraient dans 
l'âme de la France toutes les idées et tous les senti* 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 273 

ments qui font les nations libres, et que Ton prépa- 
raît notre pays à la servitude qu'il a si longtemps su- 
bie sans protestation. 



XVII 



La loi Falloux. — Rapport de M. Beiipnot. — Intervention déci- 
sive de M. Thiers. 



Toutefois, nulle question ne passionnait plus vive- 
ment ni plus à fond le parti de Tordre ([ue In (iihîs- 
tion de renseignement public. La Constitution civait 
promis la liberté de renseignement à tous h»s 
degrés. C'est pour remplir cette promesse (jiie \î\ loi 
sur l'enseignement fut présentée. Cette loi îivîiit été 
préparée par M. le comte de Falloux, min istrcî (hî Tins 
truction publique, appelé aux affaires par le présidiMit 
au lendemain de l'élection du 10 décembre, (în témoi- 
gnage de la reconnaissance que le clergé avait mé- 
ritée pour la part qu'il avait prise à cette élcfctioii. 
M, de Falloux avait conçu son plan de réfomn». de 
l'enseignement public, sous la double inlluence d(^ 
ses antécédents monarchiques et religieux. Légitimistr. 
et catholique, politique aux desseins suivis, capabhî 
des résolutions les plus décisives dans les moments 
de crise, orateur remarquable et homme d'action m 
môme temps, M. le comte de FaHoux était l'un drs 
membres les plus influents de l'Assemblée. Dés <ju<î 
son projet parut, il n'yeutqu'uu cri dans le parti répu- 
blicain, pour enaccuser l'audace et la partialité. M. de. 
Falloux essaya d'abord de profiter de la stupeur qui 
suivit le 13 juin, pour enlever par surprise le vote dtî 
l'Assemblée; mais il fut obligé de renvoyer son pro- 



274 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

jet de loi au conseil d'État, et la discussion n'en étail 
pas encore venue devant l'Assemblée législative. Le 
soin de défendre ce projet de loi fameux, qui a gardé le 
nom de M. de Falloux, échut au ministre de l'instruc- 
tion publique du nouveau cabinet, M. Esquirou de 
Parie u, avocat fraîchement débarqué d'Auvergne, peu 
connu jusqu'alors, mais qui avait fait preuve, dans la 
discussion de l'amendement Grévy qu'il s'était fait 
honneur de soutenir, d'une grande solidité d'esprit 
appuyée sur une parole ferme et sobre. M. de Parieu, 
du reste, réussit merveilleusement à s'approprier 
l'esprit qui animait son prédécesseur. 

Avant de soutenir le projet de loi devant l'Assem- 
blée, il demanda, pour le pouvoir exécutif et par un 
projet de loi spécial, l'autorisation de révoquer ceux 
des instituteurs dont la conduite aurait été jugée dan- 
gereuse et réclama l'urgence. L'Assemblée parut prise 
(le scrupules devant une pareille mesure : la loi fut 
votée, mais après deux scrutins, avec une voix de 
majorité et pour six mois seulement, non sans avoir 
été amendée dans quelques-unes de ses dispositions 
principales. Ainsi corrigée, cette loi draconienne 
donnait aux préfets le droit de révoquer l'instituteur 
(le ses fonctions, et l'instituteur révoqué ne pouvait 
ouvrir une école privée dans la commune et dans les 
(*ommunes limitrophes de celle où il exerçait les fonc- 
tions qui lui avaient été retirées. < Vous avez le ver- 
tige! » avait crié M. Noël Parfait, représentant répu- 
blicain, après le vote, dans la séance du 41 janvier : 
c'était le seul mot dont on pût se servir pour caracté- 
riser justement la fureur réactionnaire des modérés. 

La discussion sur le projet de M. de Falloux s'ouvrit 
le 15 janvier. Là commission était composée des nota- 
bilités de la droite, MM. Salmon, Coquerel, Baze, de 
Melun, de l'Espinay, Sauvaire-Barthélemy, Dufouge- 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISUTIVE 275 

rais, de Montalembert, Rouher, Thiers, Fresneau, Jan- 
vier, Parisis, évêque de Langres ; M. Barthélémy Saint- 
Hilaire représentait seul dans cette commission Tan- 
cien esprit universitaire; M. Beugnot, catholique 
ardent, avait été élu rapporteur. 

Le rapport de M. Beugnot restera comme le moiiu 
ment des passions de cette époque; c'est là qu'on 
peut juger des vues comme des arrière-pensées des 
hommes qui gouvernaient alors la France. C'est une 
vraie déclaration de guerre à la République, aux 
idées nouvelles, à la science et à ses droits impres- 
criptibles, en môme temps qu'une plate et benoîte 
apologie de l'ignorance et de la crédulité humaine. 

Voici d'abord comment s'exprime le rapporteur sur 
la portée générale du projet de loi : 

< Lorsque la société tout entière, avec sa religion, 
ses mœurs, ses plus précieux intérêts, ses saintes et 
éternelles lois, est devenue tout à coup l'objet d'at- 
taques aussi audacieuses que multipliées ; quand les 
notions élémentaires de la vérité, de la justice et du 
droit, sans lesquelles aucune association humaine ne 
saurait exister un seul jour, ont besoin d'être expli- 
quées et défendues; quand un désordre moral, dont 
nul ne pressentait la profondeur, se révèle au milieu 
de nous, alors tous les hommes sages, tous les amis 
sincères de la patrie ont compris qu'il ne s'agissait 
plus de savoir par qui et dans quelle mesure précise 
le bien se ferait, mais qu'il fallait recueillir toutes les 
forces morales du pays, s'unir intimement les uns 
aux autres, pour combattre et terrasser l'ennemi com- 
mun, qui, victorieux, ne ferait grâce à personne. » 

On le voit, ce n'était pas une loi d'enseignement que 
la commission voulait faire, c'était simplement une 
arme nouvelle contre la Républi(|ue qu'elle se propo- 



276 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

sait de forger et de remettre entre les mains de ses 
ennemis. 

Qui croirait que le rapport d'une loi sur rensei- 
gnement pouvait contenir des déclarations comme 
celles-ci, dans un pays où le suffrage universel était 
la base des institutions politiques ? 

€ Ce n'est pas de la lenteur des progrès de l'ins- 
truction primaire que l'on se plaint aujourd'hui... 
On se demande avec une anxiété croissante s'il n'eût 
pas mieux valu n'ouvrir des écoles qu'avec la cer- 
titude de n'avoir pas à les fermer plus tard. > 

Le but évident des auteurs de la loi était de ruiner 
l'enseignement laïque, pour donner aux congréga- 
tions religieuses l'éducation et l'instruction des gé- 
nérations nouvelles. Le projet de loi favorisait les 
membres de ces congrégations par tous les moyens 
possibles, et enlevait à la profession d'instituteur 
laïque tous les avantages que lui avaient conférés les 
législations antérieures. 

« Le brevet de capacité, disait M. le comte Beu- 
gnot, inutile pour constater l'aptitude des membres 
des congrégations religieuses, n'est pas à leur égard 
sans inconvénients. A la suite d'examens publics, et 
quand ils sont munis d'un titre délivré par l'auto- 
rité civile, les religieux contractent des habitudes 
d'indépendance contraires à leurs vœux, et qui en 
ont conduit plusieurs à quitter leurs congrégations 
pour embrasser la profession d'instituteurs laïques. 
L'État ne doit pas relâcher les liens qui font la 
force de ces instituts, dont l'un entre autres existe 
en France depuis cent soixante-dix ans, et rend à l'en- 
seignement populaire des services sur lesquels il est 
superflu de s'étendre. > 

En revanche, la loi nouvelle élevait de dix à 
quinze ans le temps de service scolaire imposé aux 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 277 

iastitatears pour se racheter du service militaire: 
elle les soumettait à l'autorité des préfets; elle fai- 
sait tout, en un mot, pour détourner les jeunes gens 
de cette carrière noble et ingrate à la fois, et le 
rapport ajoutait cyniquement : 

« Si la profession d'instituteur devait être dédai- 
gnée, il n'y aurait pas lieu de vous en alarmer; 
l'appel de la patrie serait entendu par les instituts 
religieux, dont l'unique mission est de former pour 
l'enfance des instituteurs qui reportent sur elle leurs 
pensées, leurs affections, leur vie entière. Les vides 
faits dans le corps des instituteurs primaires par 
le calcul de l'égoisme seraient comblés par le dé- 
vouement. > 

Mais où s'étale avec le plus d'impudeur la pensée 
secrète du projet de loi, l'espérance criminelle de 
' nuire à l'instruction du peuple et d'en tarir les 
sources, c'est dans les passages du rapport qui regar- 
dent les écoles normales primaires fondées dans 
presque tous les départements, en exécution de la 
loi de 1833, qui demeure encore le plus beau titre 
de M. (iuizot. Le nom même de M. Guizot ne défen- 
dit pas son œuvre contre les passions cléricales des 
législateurs de 1850. C'est là qu'on voit de quelle 
haine profonde les auteurs de la loi poursuivent la 
science et Témancipation de l'esprit humain. Ces 
passages du rapport de M. Beugnot sont trop instruc- 
tifs pour ne pas être cités. 

« L'erreur capitale de la loi de 1833 fut d'imposer à 
l'instituteur primaire un sort misérable, et en môme 
temps d'exiger de lui les connaissances variées, 
brillantes, assurément très inutiles à la fonction 
qu'il doit remplir... On a fondé à grands frais, non 
pas, comme la raison l'indiquait, loin du tumulte des 
villes, mais dans les chefs-lieux de soixante-dix-huit 

16 



278 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

départeihents, des écoles normales primaires. Des 
établissements de ce genre existent, dit-on, en Alle- 
magne où ils ont réussi; on en conclut qu'ils réussi- 
raient en France. Le programme de renseignement 
primaire ayant été amplifié, les études ont pris dans 
ces écoles des accroissements exagérés et sans but. 
Croirait-on qu'on y enseigne les logarithmes, Tal- 
gèbre, la trigonométrie, la cosmographie dans ses 
théories astronomiques, et qu'on y donne, non pas 
des notions élémentaires et usuelles, mais des cours 
complets de géométrie, de physique, de chimie et de 
mécanique?... Quant à l'instruction morale et reli- 
gieuse et à la pédagogie, qui devraient être la base 
des études, leur enseignement y languit, moins par la 
faute des directeurs et des maître que par celle des 
élèves, qui puisent dans leurs travaux scientifiques et 
littéraires un esprit bien différent de celui que nous 
souhaitons de voir se répandre dans les campagnes. 
On ne se sent pas la force de blâmer les instituteurs 
et leurs écarts ; on réserve sa sévérité pour le légis- 
lateur qui, cédant à un amour irréfléchi de l'innova- 
tion et à l'autorité d'exemples inapplicables à notre 
pays, n'a pas vu qu'en transformant les instituteurs 
primaires en des demi-savants, il en faisait des 
hommes malheureux et des mécontents ? > 

Qu'ajouter après de telles énormités? La loi Fal- 
loux, modifiée depuis avec plus de fracas que d'uti- 
lité réelle, n'a pas encore cessé de peser sur notre 
pays. On a vu des ministres se vanter de réagir 
contre les tristes excès de ce système d'abêtissement 
général; les a-t-on vus revenir à la loi de 1833? Les 
écoles normales primaires, qui avaient élevé d'une 
manière si notable le niveau de l'instruction en France 
sous la royauté de Juillet, n'ont pas été restaurées. 
Sous ce rapport, la funeste législation de 1850 porte 



ASSEMBLÉE NATIONALE LEGISLATIVE 279 

encore ses fruits. Le suffrage universel a atteint sa 
majorité, et il est ignorant comme les jeunes gens qui 
tirent de l'urne delà conscription un numéro que 
trop souvent ils ne peuvent même lire. Qui pourrait 
s'étonner des ressentiments que garde au fond du 
cœur les amis de l'instruction populaire des odieuses 
machinations tramées contre elle par l'Assemblée 
i^slative ? 

Dans la discussion, le projet de loi fut attaqué avec 
une véhémence extrême par M. Victor Hugo. Son 
discours, qui causa le plus violent tumulte, fut un 
réquisitoire de la plus somptueuse éloquence contre 
le parti clérical ; chacune de ses paroles provoquait 
des acclamations et des murmures ; à deux reprises, 
la séaiice fut interrompue, pendant qu'il parlait. Il 
dénonça la politique du projet de loi et de ses auteurs. 
€ Votre loi est une loi qui a un masque, s'écria-t-il. 
C'est une pensée d'asservissement qui prend les 
allures de la liberté. Du reste, c'est votre habitude. 
Toutes les fois que vous forgez une chaîne, vous 
dites : Voici une liberté. Toutes les fois que vous faites 
une proscription, vous dites : Voilà une amnistie. 
Votre loi, c'est une diminution de la grandeur intel- 
lectuelle de la France. » 

MM. Crémieux, Barthélémy Saint-Hilaire combat- 
tirent la loi, au nom des droits de l'État sur l'ensei- 
gnement et de l'Université. 

Comme il y avait pacte d'alliance entre les hommes 
de la rue de Poitiers pour faire triompher le projet* 
M. de Montalembert qui défendit la loi, aux lieu et 
place de M. de Falloux, retenu loin de l'Assemblée 
par des raisons de santé, invoqua cette alliance en 
termes d'une éloquence saisissante, et en appelant 
M. Thiers à la tribune. 

M. Thiers, membre de la commission, représentait 



280 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

l'esprit de transaction et d'union entre les diverses 
nuances de la majorité. De raéme que M. de Mon- 
talembert était attaqué par ses amis ultra-catholiques 
de VUnivers, M. Thiers, qui, en 1844, avait si vigou- 
reusement lutté contre les jésuites, était traité d'apos- 
tat par les philosophes. Dans toute cette affaire de la 
loi de l'enseignement, M. Thiers ne voyait qu'une pure 
question politique. L'union de la majorité conserva- 
trice vaut bien une messe, pensait ce sceptique. Dans 
un de ces discours à effet, qui produisent tant d'im- 
pression sur les Assemblées françaises, il déclara 
qu'en présence des périls immenses qui menaçaient 
la société moderne, il regardait comme nécessaire de 
faire cesser l'ancienne guerre entre la religion et la 
philosophie. La loi était une transaction. M. Thiers 
déploya pour faire réussir ce compromis toute là 
vivacité, toute la hardiesse de son esprit, portant à la 
tribune les coups les plus décisifs, recherchant les 
occasions de mêler la politique à sa discussion, atta- 
quant la République, en soutenant qu'elle ne vivait 
que parce qu'elle n'était pas républicaine, et qu'elle 
mourrait le jour où elle le deviendrait. C'est de ce 
jour que data l'étroite alliance de l'ancien ministre 
du gouvernement de Juillet avec les hommes de 
l'Église et de la légitimité, alliance qui a survécu à 
tous les désastres subis en commun, qui s'est confir- 
mée dans l'enceinte des Académies, et qui a valu au 
pouvoir temporel des papes le plus habile comme le 
plus écouté de ses défenseurs. Au scrutin, sur la 
première délibération du projet de loi relatif à l'en- 
seignement, le nombre des votants fut de 642 voix, 
et la majorité de 455 voix en faveur de la seconde lec- 
ture. L'ensemble de la loi fut voté le 18 mars 1880. 
Cet épisode est un des plus importants de toute 
l'histoire de l'Assemblée législative. 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 281 



XVIII 



Projet de loi relatif à la transportation des insurgés de Juin 1848 
en Algérie. — M. Jules Favre et M. Léon Faucher. — Projet 
de loi sur la déportation. — M. Victor Hugo et M. Rouher. 



Le cabinet dans lequel M. Dufaure était ministre de 
l'intérieur, obéissant à de nombreuses et légitimes 
réclamations de Topinion publique, avait présenté, 
le 2 octobre 1849, un projet de loi relatif à la trans- 
portation des insurgés de Juin en Algérie. Ce fut la 
dernière espérance d'amnistie que Ton enleva aux 
malheureuses victimes de l'arbitraire des vainqueurs 
de juin, amnistie tant de fois et toujours vainement 
implorée des pouvoirs publics^ La majorité déploya 
un acharnement incroyable dans la discussion du 
projet de loi. M. Jules Favre, qui avait à se reprocher 
d'avoir figuré dans la commission du projet de loi re- 
latif aux transportations sans jugement, eut du moins 
l'honneur de combattre cette loi nouvelle, qui frappait 
sans aucune preuve juridique des citoyens, dont un 
très grand nombre avaient été saisis et arrêtés en 
pleine paix et après les événements. M. Favre osa, 
malgré les clameurs de la droite, examiner de près 
l'insurrection de Juin et en rechercher les vraies 
causes comme les vrais auteurs ; allant plus loin, il 
s'accusa d'avoir commis une erreur coupable, au 
mois de juin 1848, et supplia l'Assemblée d'accorder 
les moyens de la réparer. M- Léon Faucher, toujours 
impitoyable, lui cria, au nom de la majorité : « Il 
est trop tardi c'est vous, ce sont vos amis qui ont 
décrété la transportation. Ce que vous dites aujour- 
d'hui, il fallait le dire, le 27 juini » Paroles abomi- 

16. 



282 LA SEC0:NDE RÉPUBLIQUE 

nables, qui montrent jusqu'où peut aller la fureur des 
passions réactionnaires ; paroles malheureusement 
trop justifiées, qui retombaient comme un arrêt 
sinistre sur les républicains coupables, dans un mo- 
ment de terreur, d'avoir foulé aux pieds les préceptes 
les plus élémentaires de la justice et du droit I 

Le projet de loi fut voté. 

Vainement la gauche demanda que du moins on 
accordât des juges aux prisonniers de Belle-lsle. 
€ Ce serait impossible; » dit M. Baroche, ministre 
de l'intérieur, « contre beaucoup d'entre eux, il 
n'existe pas de preuves matérielles. » C'était tout 
dire, en un mot. Il ne s'agissait ici que de ven- 
geances. Les sauvages ! s'écria un membre de la 
gauche. Jamais qualification ne fut mieux méritée. 

Toutefois le ministère du 31 octobre devait renché- 
rir encore sur le cabinet Dufaure. La révolution de Fé- 
vrier avait aboli la peine de mort en matière politique. 
M. Rouher, garde des sceaux, présenta un projet de 
loi, où il proposait de substituer à la peine de mort, 
dans les cas où elle est appliquée par la loi à des crimes 
politiques, la peine de la déportation, < mais en ajou- 
tant à cette peine une aggravation que justifie la gra- 
vité de ces crimes ». Cette aggravation consistait dans 
la détention du condamné dans l'enceinte d'une cita- 
delle située au lieu de la déportation. 

La commission nommée par l'assemblée adopta la 
pensée du projet de loi : l'emprisonnement dans l'exil. 
Elle l'aggrava même, en ce sens qu'elle autorisait l'ap- 
plication rétroactive de la loi aux condamnés antérieu- 
rement à sa promulgation. 

La gauche républicaine s'éleva éloquemment contre 
cette épouvantable législation qui inaugurait la guillo- 
tine sèche, ainsi que le dit un des transportés. M. Jules 
Favre demanda que la peine du bannissement fût 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 28.? 

substituée à celle de la déportation. Cet amendement 
fut repoussé. La majorité regardait le bannissement 
(touchante sympathie!) comme une mauvaise peine 
pour le condamné, car cette peine ne détruit pas le 
fanatisme qui Ta poussé au mal ; elle Texcite , au 
contraire, par la vue du pays qu'il a voulu révolution- 
ner ; et, par ses communications incessantes avec ses 
complices, elle le met trop à la portée de la récidive. 
Nous avons vu depuis un dictateur militaire se con- 
tenter de la peine du bannissement appliquée à plu- 
sieurs milliers de Français; ce n'était pas assez de 
l'exil pour les modérés de 1850 ! 

M. Victor Hugo, dans la séance du 5 avril, pro- 
nonça contre la loi le plus magnifique de ses dis- 
cours. De ce jour, la popularité de M. Hugo fut 
extrême dans le parti républicain. Entre le poète et 
la République, ce fut une adoption réciproque ; la 
défense de Tune élevait le talent de l'autre ; et le 
génie littéraire de l'homme parut ajouter à la grandeur 
de ridée. 

M. Rouher défendit sa loi avec une audace inouïe ; 
il ne marchanda point sur l'horreur des châtiments 
qu'elle prodiguait aux condamnés; il voulait, disait- 
il, dans ce style risqué qui n'a fait que croître et 
embellir comme sa renommée politique, établir une 
peine intimidatrice, M. Pierre Leroux demanda que 
les femmes des condamnés eussent au moins le 
triste droit de les accompagner dans leur exil. 
M. Rouher ne craignit pas de s'opposer à ce que 
Ton admit cet adoucissement, en faveur duquel M. de 
Lamartine fit entendre les derniers accents d'une voix 
qui avait autrefois charmé la France et dominé le 
bruit des révolutions. 

Le projet de loi fut voté, mais, contrairement aux 
vœux de la commission, la loi fut déclarée non ap- 



1284 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

plîcable aux citoyens condamnés avant sa promul- 
:gation. 



XIX 

Dissensions de la majorité. — M. le comte Mole. 

Toutes ces violences, commises froidement, produi- 
saient au dehors la plus triste impression. Cependant 
la démocratie ne se décourageait pas ; elle avait résolu 
•d'attendre les événements et de demander ses succès 
au suffrage universel. Les diverses fractions de la ma- 
jorité n'étaient unies entre elles que lorsqu'il s'agis- 
sait de frapper leurs adversaires ; dès que les fluctua- 
tions politiques amenaient quelque incident de nature 
à les diviser, l'accord se rompait aussitôt. Le comité 
de la rue de Poitiers s'était désorganisé. Les partis 
qui le composaient jugeaient-ils le moment venu d'al- 
ler chacun à son but? C'est possible, car, dans l'As- 
semblée, ils se dessinaient et prenaient attitude. Le 
grand orateur de la légitimité, M. Berryer, avait fait 
une magnifique profession de foi monarchique et salué 
de loin le comte de Chambord comme son roi et celui 
de la France. Les partisans du prince-président, moins 
nombreux, et moins audacieux, se tenaient à l'écart. 
Seuls, les partisans de la monarchie constitutionnelle, 
fondée sur le cens, comprenaient la nécessité de con- 
server à tout prix l'union des fractions de la majorité. 
M. Thiers et M. Mole s'employaient avec ardeur à cette 
tâche ingrate. M. Mole, ancien ministre sous Louis- 
Philippe, s'était signalé par ses services à la cause de 
l'ordre. Il mettait tous ses efforts à tenir groupées, 
sous sa conciliante et puissante influence, toutes les 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 285 

forces du parti conservateur ; le grand but à atteindre, 
à ses yeux, c'était une réforme électorale qui délivrât 
la France du suffrage universel; et rien n avait encore 
été fait dans ce sens. Homme de compromis et d'ac- 
commodements, il avait le sens et le goût du possible; 
à tout prix, il tenait à ce que la majorité ne se rompît 
point, avant d'avoir rendu aux classes bourgeoises la 
direction de la société française. Dans la discussion 
d'un projet de loi sur l'organisation municipale, une 
scission grave s'était produite dans la droite. Le parti 
légitimiste, comptant sur l'influence de ses membres 
dans les villages des provinces, voulait que les maires 
fussent nommés directement par le suffrage universel, 
et il ne semblait pas disposé à rien-céder sur ce ])oint. 
M. Mole insista vivement pour ramener les légiti- 
mistes à voter le retour à la loi de 1831, (|ui faisait 
élire le conseil municipal par la commune, et n'user- 
vait au souverain le droit de choisir le maire dans le 
conseil municipal; avec M. Berryer, il prépara nne 
transaction dans ce sens. 



XX 



Elections républicaines h Paris. 

Mais ce qui opéra le rapprochement des divesrses 
fractions de la majorité, bien plus que tontes les dé- 
marches individuelles et que tontes les intrigues de 
couloirs, ce furent les foudroyants succès remportés 
parle parti républicain dans les élections qui eurent 
lieu pour le remplacement des représentants compro- 
mis dans l'affaire du 13 juin, et condamnés par la 
haute cour de Versailles. A Paris, il y avait trois re- 



286 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

présentants à nommer. Le comité démocratique-socia- 
liste se reconstitua sous le nom de conclave, et obéis- 
sant à la plus heureuse comme à la plus politique des 
inspirations, arrêta ses choix sur trois hommes, appar- 
tenant à trois nuances du parti démocratique, et ayant 
tous les trois, outre un caractère politique très net, 
une signification de circonstance vraiment éclatante. 
C'étaient M. Hippolyte Carnot, ministrede l'instruction 
publique sous le gouvernement provisoire, républicain 
de la nuance modérée, dont le nom signifiait protesta- 
tion contre la loi Falloux; M. Vidal, ancien secrétaire 
^e la commission du Luxembourg, candidat des aspi- 
rations socialistes, et M. Paul de Flotte, officier de ma- 
rine, transporté de juin, dont la présence seule dans 
l'Assemblée, devait être comme une accusation cons- 
tante contre les proscripteurs anciens et nouveaux de 
la réaction. La population démocratique de Paris ac- 
clama cette liste ; les élections eurent lieu le 10 mars» 
M. Carnot obtint 132,797 suffrages, M. Vidal 128,439 
et M. de Flotte 126,982. Le plus favorisé des candidats 
du parti de Tordre, M. Fernand Foy, n'en obtint que 
125,908. On voit que la lutte avait été très vive, et que 
les adversaires se suivaient de près. Les républicains 
étaient dans la joie, et les réactionnaires conster- 
nés. 

Les élections du 10 mars étaient un échec pour le 
gouvernement et pour le parti modéré. M. Ferdinand 
Barrot, ministre de l'intérieur, se retira, et fut rem- 
placé par M. Baroche. La majorité effrayée se laissa 
aller au paroxysme de la répression. C'était surtout 
au suffrage universel que la réaction désirait depuis 
longtemps s'attaquer. A ses yeux, le suffrage univer- 
sel n'était pas l'œuvre de l'Assemblée constituante, 
mais du gouvernement provisoire ; c'était une mesure 
révolutionnaire. On se disait résolu à faire du suffrage 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 287 

universel un instrument de paix et de stabilité, en 
modifiant son organisation. 

Les journaux du parti de Tordre déployèrent dans 
cette campagne la plus vive ardeur. 

€ Nous avons toujours dit, s'écriaieut-ils, que c'était 
par le suffrage universel que nous péririons, qu'il 
nous avait sauvés la première fois, le 1 décembre 1 808, 
par des causes qui n'étaient pas toutes bonnes, quoi- 
qu'elles aient toutes contribué au bien ; que la seconde 
fois, c'est-à-dire aux élections de 1849, il ne nous 
avait pas tués, et que c'était là tout le service qu'il 
nous avait rendus, mais qu'à la troisième fois, il nous 
tuerait infailliblement, et que toutes les élections 
partielles que nous aurions jusqu'aux élections géné- 
rales de 1852, seraient des signes certains du danger 
qui nous menace. » 

La majorité de l'Assemblée partageait ces appréUen- 
sions, inspirées surtout par les élections du 10 mars à 
Paris et dans les départements, qui avaient renforcé 
la Montagne, et qui venaient d'être confirmées par 
l'élection de Paris du 28 avril, d'où M. Eugène Sue, 
candidat du parti démocratique-socialiste, était sorti 
vainqueur avec 8,000 voix de majorité. 



XXI 



Iji loi du 31 mai 1850 sur le sulTraRe universel. — Discours de 
MM. Paul de Flotte, Victor Hugo, Monlalembert et Thiers. — 
1^ vile multitude. 



Le 3 mai 1850, le Moniteur mmersel publiait la 
réponse suivante aux électeurs de Paris : « Le mi- 
nistre de l'intérieur, M. Baroche, vient de nommer 



288 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

une commission chargée de préparer un projet de 
loi sur les réformes qu'il serait nécessaire d'appor- 
ter à la loi électorale. Cette commission est composée 
de MM. Benoist d'Azy, Berryer, Beugnot, de Broglie, 
Buffet, de Chasseloup-Laubat, Daru, Léon Faucher, 
Jules de Lasteyrie, Mole, de Moutalembert, de Monte- 
bello, Piscatory, de Sèze, le général de Saint-Priest, 
Thiers, de Vatimesnil, représentants du peuple. La 
commission doit se réunir demain au ministère de 
l'intérieur, pour commencer immédiatement ses tra- 
vaux. > 

L'accord était parfait entre le gouvernement du pré- 
sident de la République et les chefs de la majorité, car 
si l'initiative partit de l'Assemblée, le Président et ses 
ministres ne firent jamais d'opposition aux projets 
de mutilation du suffrage universel. Dans les heures 
de crise qui suivirent la foudroyante élection de 
MM. Hippolyte Carnot, Vidal et de Flotte, les chefs de 
la majorité parlementaire, MM. Berryer, de Monta- 
lembert, Thiers, Mole, de Broglie avaient eu plusieurs 
entrevues à l'Elysée avec le président de la Répu- 
blique : c'est de ces entretiens qu'est sortie la loi du 
ÎM mai. 

La commission législative, élue par l'Assemblée, 
ne dilïéra pas sensiblement de celle qui avait été 
clioisie par le ministre de l'intérieur. MM. Baze, 
Hocher, Boinvilliers, Combarel de Leyval, de Laussat, 
(le Lespinasse, Léon de Maleville, de Montigny, rem- 
placèrent MM. Benoist d'Azy, Beugnot, Buffet,, de 
(]hasseloup-Laubat, Daru, Mole, de Moutalembert, 
de Montebello, de Sèze et Thiers ; M. le duc de Bro- 
glie fut élu président de la commission, et M. Léon 
Faucher, rapporteur. Ce choix était signiGcatif. 
M. Faucher était tombé du ministère pour avoir 
trompé le suffrage universel; c'était lui qu'on char- 



\ 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 289 

geait maintenant de le détruire. L'irritation de la 
population parisienne était à son comble. 

Suivant le rapport de M. Léon Faucher, Técono- 
mie tout entière du projet de loi résidait dans 
deux dispositions principales, celle qui déterminait 
les conditions du domicile électoral, et celle qui 
étendait le domaine des incapacités électorales déjà 
prévues par la loi. Il entrait dans les intentions 
des auteurs du projet de loi de favoriser dans les 
élections les provinces et les populations rurales 
contre Paris et les agglomérations urbaines. Ce prin- 
cipe, déjà fort blâmable en lui-même, puisqu'il por- 
tait atteinte au principe de T'égalité des citoyens 
devant la loi électorale, ne fut pas même respecté dans 
l'application pratique. Si l'on n'eût voulu qu'exclure 
les < vagabonds » et la population flottante des grandes 
villes, il suffisait d'imposer des conditions de domicile 
de plusieurs années; mais on alla plus loin, on adopta 
comme moyende constater le domicile, l'inscription 
au rôle de la contribution personnelle ou à celui de la 
prestation en nature. Ainsi se trouvaient frappés d'ex- 
clusion toute une classe de gens honnêtes et labo- 
rieux, tels que les habitants pauvres des grandes villes 
où l'octroi tient lieu d'une taxe personnelle, et ceux 
mêmes qui ne payent pas le loyer déjà très élevé, rela- 
tivement du moins, qui seul détermine l'inscription au 
rôle de la taxe personnelle. La discussion de la loi 
roula beaucoup moins sur les principes organiques du 
droit électoral que sur les raisons politiques et de cir- 
constance qui militaient en faveur du projet de loi. M. V. 
Hugo ouvrit le feu. Il glorifia, dans un langage admi- 
rable, le suffrage universel et la révolution de Février 
qui en a doté la France; il Ht ressortir tous les avan- 
tages qui résultaient pour l'ordre et la sécurité de cet 
agrandissement magnifique de l'idée de souveraineté; 

E. sruLLEn. — SEC. ntp. il 



290 LA SËGOiNDE RÉPUBLIQUE 

il eut même des accents inspirés, pour montrer à 
r Assemblée la vision des destinées pacifiques et 
prospères que le suffrage universel promet aux sociétés 
futures. Ce discours à effet, tout dans la manière pro- 
pre de M. Victor Hugo, déchaîna les violentes colères de 
la droite; jamais les séances de l'Assemblée ne furent 
si orageuses que pendant cette discussion. Cependant 
un homme, dont le nom seul était comme un épou- 
vantail, un « insurgé de juin », un transporté, l'élu du 
10 mars, M. Paul de Flotte, avait, dans la discussion 
qui eut lieu sur l'urgence, fait tous ses efforts pour 
calmer les passions, en imposant silence à ses justes 
ressentiments, et en parlant le langage de la raison et 
de la sagesse politique. M. de Flotte, âme tendre et 
généreuse, mais quelque peu mystique, esprit neuf 
mais éveillé, et tourné vers l'avenir, avait eu l'heu- 
reuse inspiration de s'élever au-dessus des passions 
(lu jour, et de parler de son parti sans illusion 
comme sans bravade, en disant la vérité à ses propres 
amis. Il avait osé dire, en parlant des idées socia- 
listes si indignement 'exploitées et travesties par la 
réaction : c Croyez-vous que cette nation se jetterait 
de gaité de cœur dans des doctrines que vous croiriez, 
vous, absurdes, impraticables, impossibles? Il ne 
saurait en être ainsi. Ce sont là des frayeurs que l'on 
exploite pour vous entraîner où vous n'iriez pas de 
vous-mêmes. Eh ! messieurs, continua-t-il, au milieu 
de mouvements divers et prolongés, on dit que nous 
cherchons le pouvoir, que nous le poursuivons par 
tous les moyens : qu'en ferions-nous, bon Dieu! qu'en 
ferions-nous? » 

Puis, jetant un coup d'œil sur la situation vraie 
de la démocratie en France, il la voyait composée 
d'hommes paisibles, laborieux, suffisamment con- 
tents de l'époque actuelle, ne demandant qu'à voir 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 291 

s'améliorer lentement la situation présente, ne parta- 
tageant pas la douleur de ceux qui regrettaient le passé, 
mais encore incapables, dans leur masse, de s'associer 
aux espérances trop ardentes, qui entraînaient quel- 
ques invidualités vers l'avenir. 

Ce discours de M. de Flotte, que l'Assemblée 
écouta toute surprise, produisit au dehors un effet 
considérable. La démocratie salua dans c l'insurgé 
de juin », comme on disait alors, une intelligence 
pénétrante et sagace unie à un courage et à un 
dévouement dont personne ne doutait. C'est la seule 
occasion que M. de Flotte ait eue de parler avec quel- 
ques développements devant son pays. Depuis lors, 
il a donné sa vie à la cause républicaine, en combat- 
tant dans les rangs de l'armée de Garibaldi, quand les 
Bourbons furent chassés du royaume de Naples. Cette 
fin glorieuse, digne du passé de M. de Flotte, a privé 
le parti républicain d'un homme qui eût été pour 
lui d'un excellent conseil; mais le suffrage universel, 
c'est-à-dire la démocratie nouvelle, ne doit pas 
oublier que M. de Flotte a été peut-être le premier 
en date de ses orateurs. 

M. de Montalembert, qui parla deux jours après 
M. Victor Hugo attaqué une première fois pendant 
son absence par M. Jules de Lasteyrie, renouvela le 
duel oratoire qu'il avait eu sur la loi de l'enseignement 
avec l'illustre poète. 11 se laissa aller à toute sa verve 
injurieuse, et se répandit en déclamations passionnées 
contre le suffrage universel, le socialisme et la Répu- 
blique; il adjura ses amis de la majorité de tenir tête 
à l'ennemi. Le plus intelligent des journaux socialistes 
et révolutionnaires, la Voix du peuple, dirigée par P.-J. 
Proudhon, comprenant toute la portée du suffrage uni- 
versel, avait dit : « De la réforme électorale est sortie la 
République ; de même du suffrage universel doit tôt. 



292 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

OU tard naître la réforme sociale. » M. de Montalem- 
bert s'écria : » Vous le voyez, voilà raffirmation de 
nos adversaires, le suffrage universel doit aboutir au 
socialisme ! Eh bien, s'il en est ainsi, je [n'hésite pas 
à dire que le suffrage universel doit être modifié... > 

Et il ajoutait, mettant à nu le fond de sa pensée : 

€ De même qu'on a entrepris l'expédition de Rome 
contre une république qu'on cherchait à rendre soli- 
daire de la République française, il faut entreprendre 
une guerre sérieuse contre le socialisme qu'on cherche 
à rendre solidaire de la République et de ses institu- 
tions, il faut entreprendre, contre le socialisme qui 
nous dévore, une campagne comme l'expédition de 
Rome, il faut faire la guerre de Rome à l'intérieur... 
Autrement nous périrons ; le socialisme vainqueur, 
ce sera la mort, non pas la mort sans phrases, comme 
sous la première Terreur, mais la mort avec phrases, 
la mort avec ce hideux concert, ce hideux accompa- 
gnement de déclamations, de sophismes et d'anti- 
thèses que vous avez entendus... Mais si vous ne voulez 
ni vous rendre ni mourir, eh bien ! alors, permettez- 
moi de vous le dire, à vous majorité, il faut changer 
la tactique, il ne faut plus rester sur la défensive, il 
faut prendre énergiquement l'offensive I » 

On le voit, c'était une vraie déclaration de guerre 
signifiée du haut de la tribune. Suivant l'énergique 
et juste expression de M. Jules Favre, qui répondit à 
M. de Montalembert, la loi nouvelle était présentée 
comme à la pointe d'une épée : il était indigne d'une 
Assemblée française de l'accepter. 

La réplique de M. Victor Hugo, attaqué person- 
nellement, amena la plus violente tempête. Ce qu'il 
y eut peut-être de plus remarquable dans cette 
scène terrible, ce fut l'incroyable partialité du pré- 
sident Dupia. M. Dupin, depuis l'ouverture de l'As- 



ASSEMBLÉE !«ATJONÂLE LÉGISLATIVE 293 

semblée législative, avait été constamment porté au 
fauteuil de la présidence par la majorité, dont il 
servait les haines et les colères avec une brutalité 
dans l'injustice qui révoltait toutes les consciences 
honnêtes. Il réservait toutes ses complaisances pour 
la droite et toutes ses sévérités pour la gauche, sans 
y apporter la moindre vergogne. Sous des apparences 
de rudesse, il savait d'ailleurs à merveille conduire 
les discussions dans l'unique intérêt de ses amis. Il 
cherchait à désarmer ses adversaires par des quoli- 
bets et des bons mots qui étaient autant d'outrages, 
et qu'une Assemblée qui aurait eu le resfiect d'elle- 
même- n'aurait jamais dû tolérer. On i>eut croire 
que c'est de la séance où M. Victor Hugo fut mis en 
cause que date cette haine que le poète exhala plus 
tard en vers immortels, et qui demeurent devant 
l'histoire comme l'arrêt de condamnation de la prési- 
dence de M. Dupin. 

Toutefois, c'est à M. Thiers que devait revenir Ur 
triste honneur de prononcer la parole la plus doulou- 
reuse qui ait affligé la France dans ces temps trou- 
blés. Pour M. Thiers, la loi, dont il était un des (prin- 
cipaux inspirateurs, n'était pas seulement une rnesun* 
^e salut public; c'était un défi à jeter aux (insérions 
démagogiques. Dans son ardeur, il ne craignit pas d** 
marquer ce caractère devant l'Assemblée, lie là, c<' 
moidetile multitude, par lequel il eut Timprudencff 
de chercher à flétrir tous ceux qui se trouvaient frap- 
pés par la loi : mot terrible qui a du retentir souvent 
dans la conscience de l'homme qui l'a prononcé! 
Ce mot a depuis longtemps cessé d'être une menacer : 
il demeurera comme un châtiment. LVsprit n'-.te 
confondu de tant de passions aveujrh-^ chez (U". 
politiques qui prétendaient rô^'i^icv aux pas*-ion*î du 
dehors. Le discoursdeM. de .MontaW'inlHTt avait paru 



294 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

le chef-d'œuvre de Tinsulte oratoire; mais tout blâ- 
mable qu'il tût, ce discours ne s'adressait qu'à un 
homme : l'invective restée historique de M. Thiers s'a- 
dressait à trois millions de citoyens français, qu'elle 
défiait en les outrageant, et qu'elle provoquait, quand il 
aurait fallu les apaiser. « Violez par l'insurrection la 
loi que nous faisons, ajoutait M. Thiers, et vous verrez 
alors ce que nous ferons. » Que voulaient-ils donc, ces 
réacteurs en délire? Faire descendre le peuple dans 
la rue et en linir avec la République, suivant leur 
mot tant de fois répété. Ainsi les pouvoirs publics 
donnaient l'exemple du désordre et du trouble : dans 
toute l'histoire de la France, il n'y a certainement pas 
de plus truste page. 

Eu vain les orateurs de la gauche, M. de Lamartine, 
M. Cavaignac, M. Emmanuel Arago prirent-ils la 
parole ; en vain M. Grévy, dont la raison sévère sem- 
blait acquérir plus d'autorité à mesure que des dan- 
gers plus imminents menaçaient la République, fit-il 
appel à la modération et à l'équité des partis ; en vain 
même, M. de Lamoricière, qu'on ne pouvait soupçon- 
ner de pactiser avec le désordre, prit-il la défense du 
suffrage universel : 

« Souvenez-vous, disait le général avec une élo- 
quence toute nerveuse et militaire, souvenez-vous de 
cette parole profonde de l'homme qui jouit parmi 
vous du plus grand crédit : la République est le gou- 
vernement qui nous divise le moins. Songez que c'est 
le seul qui ne vous divise pas complètement. Songez 
au lendemain. Le suffrage universel est la principale 
condition de force pour le pouvoir. Nous qui le défen- 
dons, c'est nous qui sommes les conservateurs, parce 
que nous ne voulons pas de cette politique, qui a déjà 
perdu les dynasties antérieures et qui vous perdront 
encore. Sur le drapeau du suffrage universel sont 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 295 

écrits les mots : In hoc signo vinces! N'abaissez pas ce 
drapeau ! » 

Paroles prophétiques, s'il y en eut jamais î 

Rien n'y fit. 

Les passions de la majorité excitée par ses chefs, 
par M. Léon Faucher, par M. Berryer qui, dans cette 
circonstance, n'hésita point à se séparer de ses amis 
légitimistes, firent passer la loi. Elle fut votée le 31 
mai 1850, à la majorité de quatre cent trente-deux 
voix contre deux cent quarante et une. 

Des observateurs perspicaces auraient pu remarquer 
la réserve excessive sur laquelle s'était tenu, pendant 
la discussion, M. Baroche, ministre du président de la 
République. Le président Louis Bonaparte venait de 
remporter une grande victoire. L'Assemblée législa- 
tive, en votant cette loi plus impolitique que toutes les 
lois de répression imaginables, s'était aliéné à jamais 
la confiance du peuple de Paris; le Président pouvait 
donc envisager sans trop de craintes les éventualités 
d'une crise où il appellerait le peuple à se prononcer 
entre l'Assemblée et celui qui promettrait de restaurer 
le suffrage univerrsel. 



XXII 

Prorogation de la loi sur les clubs. — Incident relatif à la dota- 
tion du président de la République. 

La loi du 31 mai marque une époque décisive dans 
l'histoire de l'Assemblée législative. A partir de sa 
promulgation, les républicains, qui d'ailleurs sur 
toutes les grandes questions ne se séparaient point, 
s'unirent plus étroitement encore; la majorité, au 



296 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

contraire, se divisa. La haine de la République était 
le seul lien qui rattachât ensemble les diverses frac- 
tions du parti de Tordre : les monarchistes, ayant 
mutilé le suffrage universel, se crurent délivrés de la 
République ; il n'en restait plus que l'ombre ; au pre- 
mier jour, on se promettait bien de dissiper ce vai a 
fantôme. 

Le ministère fit voter la prorogation pour une 
année de la loi sur les clubs de 1849, en l'étendant 
« aux réunions électorales qui seraient de nature à 
compromettre la sécurité publique ». C'était le digne 
complément de la loi du 31 mai ; la liberté électorale 
était atteinte dans celle de ses manifestations qui avait 
toujours paru jusqu'alors la plus légitime et la plus 
inviolable. 

Un incident, qui survint peu de temps après, ac- 
cusa les dissensions de la majorité. Le ministre 
des finances, M. Achille Fould, avait présenté, le 
4 juin d850, un projet de loi ayant pour but d'aug- 
menter le traitement du président de la République, 
et de porter ses frais de représentation à la somme de 
250,000 francs par mois. Ce projet de loi trouva l'As- 
semblée récalcitrante. Se retranchant derrière la lettre 
et l'esprit de la constitution, elle se refusa à fonder 
une liste civile pour le Président. C'était, on peut le 
dire aujourd'hui, une pure chicane faite par les partis 
monarchiques. En quoi un président de la République, 
quasi-roi, pouvait-il leur déplaire? Cela faisait au 
moins une République plus conforme à leurs goûts, à 
leurs mœurs et à leurs désirs. La commission pro- 
posait d'accorder, à la place des 250,000 francs 
demandés par M. Fould pour frais de représentation, 
seulement 160,000 francs pour dépenses faites : c'était, 
suivant le mot populaire, payer les dettes du Prési- 
dent. La majorité se montrait fort indécise. Il fallut 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 297 

que le général Changarnier, Tun des coryphées de la 
réaction, intervint pour rétablir le bon accord entre 
les diverses fractions du parti de Tordre ; le projet de 
loi ne passa qu'à une majorité de quarante-six voix. 
Mais le gouvernement du Président ressentit cette 
offense mortelle. M. Changarnier avait eu plus d'in- 
fluence sur la majorité que M. Baroche lui-même. 



XXIII 



La loi sur la presse. — Amendement de MM. de Tinguy et de 
Laboulée sur la signature dans les journaux. 



L'accord ne se rétablissait entre la majorité que 
lorsqu'il s'agissait de prendre quelque mesure réac- 
tionnaire. La presse n'était pas en faveur auprès des 
membres du parti conservateur. On l'avait bien vu 
après juin 1848, après juin 1849; on le vit encore 
dans la période qui suivit le 31 mai. M. Rouher pré- 
senta un projet de loi pour rétablir l'impôt du timbre 
sur les journaux : on voulait atteindre par là les 
journaux socialistes, qui ne se lassaient pas de ré- 
pandre les < plus détestables doctrines », et ajouter 
au budget des recettes un revenu qui ne pouvait être 
évalué à moins de 6 millions ; de plus, on se propo- 
sait de moraliser la presse, comme on venait de mora- 
liser le suffrage universel. Le gouvernement du Pré- 
sident joua dans la discussion de cette loi un rôle 
analogue à celui qu'il avait joué dans celle du 31 mai. 
Il chercha par tous les moyens à enflammer les pas- 
sions de l'Assemblée, à l'exciter contre la presse, à la 
pousser dans les voies extrêmes, afln de la perdre tout 
à fait dans Topinion ; puis il accepta sans observa- 

17. 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 299 

deux journaux qui osèrent le combattre, le Journal 
des Débats et le National, c'est-à-dire les deux seules 
feuilles qui eussent les vraies traditions du journa- 
lisme, et qui tinssent à honneur de les garder. Pendant 
tout le second empire, la presse française subit le joug 
de la loi des signatures qui n'existe dans aucun autre 
pays ; on peut dire après cette expérience si la presse 
française fat à cette époque plus morale, plus honorée 
qu'elle ne Tétait avant. En aucun temps, les journaux 
de spéculation, les feuilles à scandales, n'ont été 
plus nombreux que dans cette période; la dignité 
des écrivains ne fut pas plus à l'abri sous la loi des 
signatures que le respect dû au public, et les tristes 
sophismes de MM. de Tinguy et de Laboulie ont 
égaré si profondément les intelligences que leur 
amendement trouve encore des approbateurs. La loi 
qui devait porter de si rudes coups à « la mauvaise 
presse », et qui n'a réussi qu'à tuer le journalisme 
sérieux et utile, fut votée le 16 juillet à la majorité 
de 386 voix contre 256. 

La majorité de l'Assemblée ne se contenta pas de 
cette loi, pour témoigner de sa mauvaise humeur contre 
les journaux; elle voulut les poursuivre elle-même, 
sans passer par l'intermédiaire des parquets; un jour 
le Pouwiry organe bonapartiste, et quelque temps 
après, le Moniteur du soir, autre feuille élyséenne, 
furent cités à la barre de l'Assemblée et condamnés. 
M. Baze, homme bouillant, l'un des questeurs de l'As- 
semblée, était l'inspirateur de ces poursuites, qui n'eu- 
rent d'autre résultat que d'accuser les dissentiments 
entre la majorité et le Président. 



300 LÀ SECONDE RÉPUBLIQUE 



XXIV 

Prorogation de TAssemblée. — Situation générale du pays. — 
Pèlerinages monarchiques à \N'iesbaden et à Claremont. — 
Voyages du président Louis-Napoléon Bonaparte. 

L'Assemblée cependant songeait à se donner des 
vacances. Elle occupa les derniers jours de Tannée 
parlementaire à discuter, avec beaucoup de soin, 
trois lois d'administration d'une certaine importance : 
loi sur les caisses de retraite, loi sur les sociétés de 
patronage, loi sur l'avancement des fonctionnaires 
publics. Vers le même temps, elle Votait, sur la pro- 
position du général de Grammont, une loi pénale, 
destinée à protéger les animaux domestiques contre 
les traitements barbares dont ils sont trop souvent 
l'objet. 

Une remarque générale à faire sur les lois de pure 
administration, élaborées et votées par l'Assemblée 
législative, c'est qu'au milieu de tous les orages par- 
lementaires et de toutes les passions déchaînées, cette 
Assemblée ne perdit jamais de vue les intérêts d'en- 
semble du pays. Après tout, la Législative de 1849 con- 
tenait les hommes les plus considérables de la nation, 
et d'une grande compétence en toutes matières. On y 
savait faire les lois ; on y savait également discuter les 
budgets annuels de l'État, et gouverner avec prudence 
et économie les ressources du Trésor. Les séances 
étaient fort agitées, mais les commissions, laborieuses 
et appliquées, ne laissaient pas de travailler avec ar- 
deur. Ces justes éloges, mérités par les assemblées de 
la République, ne peuvent pas être adressés à d'autres 
corps politiques, qui ont délibéré depuis lors au sein 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE * 301 

d'une tranquilité plus parfaite, et qui, toutes compo- 
sées qu'elles fussent d'hommes que l'on choisissait 
comme plus rompus aux affaires, n'ont souvent fait 
preuve que d'une lamentable incapacité. 

Dans un rapport que M. de Montalembert présenta, 
il dut constater que le commerce et l'industrie avaient 
repris, que la confiance était revenue, et il s'appuya 
précisément sur la bonne situation de la France, 
pour légitimer le congé qu'il proposait à l'assemblée 
de s'accorder à elle-même. L'Assemblée s'ajourna du 
11 août au H novembre. Le décret de prorogation 
ne passa point sans discussion. M. Baze, toujours 
inquiet, dénonça les projets du président de la 
République : on commençait à parler de coups d'État, 
et déjà il était possible de prévoir que les frac- 
tions extrêmes de l'Assemblée seraient amenées à 
faire cause commune entre elles, pour tenir tête à 
l'ennemi commun. La composition du comité perma- 
nent qui devait, avec le bureau, remplacer l'Assem- 
blée pendant les vacances, fit voir en quelle défiance 
on tenait le président de la République ; au scrutin 
secret, les noms suivants sortirent de l'urne : MM. Odi- 
lon Barrot, Jules de Lasteyrie, Monet, le général de 
Saint-Priest, le général Changarnier, d'Olivet, Ber- 
ryer, Nettement, Mole, le général Lauriston, le géné- 
ral Lamoricière, Beugnot, de Mornay, de Montebello, 
le colonel de Lespinasse. Creton, le général Rulhière, 
Vésin, Léo de Laborde, Casimir Périer, de Crouseilhes, 
Druet- Desvaux, Combarel de Leyval, Garnon et 
Chambolle. Cette fois encore, M. Grévy, porté par la 
gauche, ne put arriver. 

Pendant les vacances, les légitimistes recommen- 
cèrent leurs pèlerinages à Wiesbaden, où se retrouva 
le comte de Chambord ; les orléanistes se rendirent 
en visite de condoléances à Claremont, où venait de 



302 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

mourir le roi Louis-Philippe (26 août 1850) ; le prési- 
dent de la République reprit le cours de ses pérégri- 
nations à travers la France, réchauffant par sa pré- 
sence le culte de la légende napoléonienne, parlant 
à mots couverts de ses embarras pour accomplir tout 
le bien que Ton attendait de son gouvernement, décla- 
rant enfin à Strasbourg que la Constitution avait été 
fiiite contre lui. 

Ces voyages du Président, auxquels la majorité 
monarchique semblait ne pas prendre garde, n'étaient 
ni plus ni moins que des actes de pouvoir personnel. Ce 
n'était pas à l'étranger, comme les autres prétendants, 
que le prince Louis-Napoléon Bonaparte se livrait à 
ces manifestations inconstitutionnelles au premier 
chef; c'était en France, à Paris môme, où sa rentrée 
fut Toccasion de violences commises par ses partisans 
et qui restèrent impunies; à Satory, près de Versailles, 
où il passait des revues de l'armée, qui étaient suivies 
de libations et de largesses aux soldats. Toutes ces 
démonstrations, les unes ridicules et burlesques, les 
autres sérieuses et coupables, avaient pour objet d'ha- 
bituer la France à l'idée de la prorogation des pouvoirs 
du Président. Cette question avait été discutée dans les 
conseils généraux, sous le couvert des vœux pour la 
révision de la Constitution. Comme les partis monar- 
chiques ne demandaient pas mieux, de leur côté, que 
(le procéder k cette révision dont ils attendaient la 
chute de la République, ils fermaient les yeux sur 
toute cette agitation, ne se plaignant que des inci- 
dents qui pouvaient porter atteinte au prestige d 
l'Assemblée. Le Président d'ailleurs se montrait plein 
de condescendance ; plus les dissentiments s'aggra- 
vaient, plus il s'appliquait à les dissimuler ; et l'on 
put croire, à la lecture du message que le 11 novembre 
IL adressa au président de l'Assemblée, à la reprise 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 303 

de ses travaux, que l'accord était parfait entre les 
pouvoirs publics. 



XXV 



Conflits entré l'Assemblée et la Présidence. — Le général Chan- 
gafnier. — Crise ministérielle. — Discours de M. Thiers : 
« L'Empire eit fait, » 



Mais les esprits étaient de part et d'autre irrités ; le 
souvenir des coups qu'ils s'étaient portés survivait au 
raccommodement; et, au premier incident, la querelle 
devait renaître. L'Assemblée était tout inquiète et 
mal disposée. Après avoir discuté et adopté trois lois 
économiques, elle saisit la première occasion d'a- 
dresser à la Présidence une leçon indirecte dans le 
débat d'un projet de loi portant demande d'un crédit 
de 10 millions pour la levée de 40,000 hommes, en pré- 
sence des complications des affaires d'Allemaj^ne. Le 
président avait dit dans son Message (^ue lui seul dis- 
posait de l'armée ; par l'organe de M. de Rémusat, la 
commission du crédit tint à déclarer que l'Assemblée 
nationale avait seule le pouvoir d'engager le sang et 
les trésors de la France. C'était un avertissement au 
pouvoir exécutif, qui songeait à gagner la confiance de 
l'armée, et à « faire des généraux > pour remplacer 
à la tête de l'armée ceux qui, membres de l'Assem- 
blée législative, ne pourraient se prêter aux projets du 
Président. 

Les occasions de conflit ne manquaient point. 
M. Mauguin, représentant du peuple, avait été arrêté 
et emprisonné pour dettes, au mépris de l'inviolabilité 
qui le couvrait, sous prétexte que cette inviolabilité 
ue s'étendait pas aux dettes civiles. L'Assemblée le 



mt^ 



304 LA SEC03(DE RÉPUBLIQUE 

réclama par Torgane de M. Baze. qoestenr, et malgré 
M. le garde des sceaux Rouher. qui soutenait la déci- 
sion du tribunal de commerce, elle ordonna sa mise 
en liberté immédiate. 

Mais bientôt allait survenir une crise plus grave 
encore. 

Depuis longtemps, la haute situation du général 
Chaogarnier, investi du double commandement de 
Tannée de Paris et des gardes nationales de la Seine, 
gênait le président de la République. M. Changamier, 
bon soldat, célèbre par son intrépidité sur les champs 
de bataille de TAIrique, était-U capable de jouer uu 
rôle politique ? On ignorait ses opinions ; on ne con- 
naissait de lui que son dévouement sans bornes à toute 
les passions de la majorité conservatrice. Tour à tour, 
orléanistes et légitimistes lui décernaient le surnom 
de Monck, comptant sur lui pour opérer la restauration 
de leurs rêves. Le général se laissait flatter par ces 
avances. Ayant reçu Thommage du livre consacré par 
M. Guizot à Mouck, il avait demandé à l'historien 
pourquoi il ne lui adressait pas en même temps sou 
autre livre consacré à Washington, afin d'avoir au 
moins le choix entre les deux rôles : ce propos attes- 
tait une ambition toute préparée, et qui excitait les 
défiances du président de la République. Il fallait à 
tout prix se débarrasser du général. 

Une feuille bonapartiste, la Patrie, dans l'intention 
évidente de rendre le général Changarnier suspect à la 
majorité elle-même, publia une instruction aux offi- 
ciers de la garnison de Paris, et tendant à faire croire 
que le commandant supérieur de l'armée de Paris ne 
reconnaissait pas au pouvoir législatif le droit de re- 
quérir les troupes nécessaires à sa défense. Le cousin 
du président de la République, M. Napoléon Bona- 
parte, prit texte de cette publication pour inter- 



ASSEIIBLÉE HAUONALE LÉGISLATIVE ':Hr^ 

peller le goaYeraement ; le géoéral Schramin, mi- 
nistre de la guerre, se déroba aux explications ; W 
général Changamier se disculpa imruédiatem<^ijt <U* 
cette publication fausse, et se fit doooer pHrï\h^*^sn- 
blée un ordre du jour de confiance. 

Une crise ministérielle se déclara (9 janvier 1 851 /, à J;j 
suite de laquelle le général Schramm, ayant iionm'i ^a 
démission avec MM. de La Hitte, Hornain-Def^fosM'f» f*A 
Bineau, ils furent remplacés par M. Ke^çnauJt de Saint 
Jean-d'Angély à la guerre, M. Ducos à la unnitut, «*t 
M. Magne aux travaux publics; MM. HartH-Ua, FouM, 
Rouher et Parieu conservèrent leurs portefeuillen. L«* 
premier acte du ministère ainsi reconstituf* fut la «I^k- 
titution du général Changamier, et son remplacemc^nt 
par le général Baraguay-d'Hilliers à la tète de Vanutti* 
de Paris, et par le général Perrot à la tète des fçard<'s 
nationales de la Seine. La majoriU^se montra profon 
démentémue. M.deRémusat se précipite à la tribune, 
interpelle le gouvernement avec une extrême vivarJtr, 
et demande que, séance tenante, une commission soit 
nommée pour aviser aux mesures que la silualion 
commande. Quelles étaient ces mesures? 11 y avait, au 
point de vue de la majorité de TAsseniblée qui élail 
le premier pouvoir de l'Etat, à réintégrer le général 
Changamier dans son double commandement, et à 
faire retomber sur le président de la République, la 
responsabilité de Tacte essentiellement provocateur de 
sa destitution :1e Président étantconsti tu tionnellenient 
responsable, on pouvait le mettre en accusation; mais 
les partis réactionnaires de l'Assemblée furent dans 
cette circonstance le jouet de leurs fictions monarchi- 
ques; ils n'osèrent pas décréter d'accusation le Prési- 
dent, qu'involontairement, dans leur for intérieur, ils 
considéraient comme un roi constitutionnel; ils perdi- 
rent leur temps à interpeller les ministres, dociles ins- 



30G LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

truments d'une volonté étrangère et dont personne 
alors ne soupçonnait la persistante fermeté. Un débat 
solennels'ouvritsurlerapportdeM.Lanjuinais, organe 
de la commission nommée pour examiner la proposi- 
tion de M. de Rémusat. M. Dufaure attaque vivement 
M. Baroche, révèle les prétentions monarchiques du 
président, parle de ses tournées en province, des reve- 
nus de Satory. Un moment décontenancé, M. Baroche 
riposte et prend Toilensive; il accuse à son tour la ma- 
jorité de conspirer contre la République, et demande 
compte des pèlerinages politiques accomplis à Wiesba- 
den et à Claremout. M. Berryer, bien loin de repous- 
ser ces accusations et de nier les espérances du parti 
léjçitimiste, en fait ouvertement l'aveu : « Il est allé 
à Wiesbaden, dit-il, pour voir un exilé qui n'a jamais 
démérité de la patrie, qui est exilé parce qu'il 
|)orte en lui un principe, qui, pendant une longue 
suite de siècles, a réglé en France la transmission de 
la souveraineté publique, qui est exilé parce qu'il ne 
()eut pas poser le pied sur le sol de France, que les 
rois ses aïeux ont conquise, agrandie, constituée, 
sans être le premier des Français, le Roi ! » 

Puis, revenant à la politique suivie par le Prési- 
dent, il lui reproche de tendre à dissoudre la ma- 
jorité, à sacrifier le Parlement au pouvoir exécutif, 
et il adjure, en termes d'une éloquence prophéti- 
que, la majorité de ne point se diviser : c Si 
la majorité se brisait, s'écrie-t-il, je déplore l'avenir 
qui serait réservé à mon pays; je ne sais pas quels 
seraient vos successeurs; je ne sais pas si vous aurez 
des successeurs; ces murs resteront debout peut-être, 
mais ils ne seront hantés que par des législateurs 
muets. » M. Thiers alla plus loin encore que M. Ber- 
ryer, et poussa plus avant que lui la clairvoyance et 
la pénétration. Dans un de ces résumés dont il avait 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 307 

le secret, il refit rhîstorique des relations de la Prési- 
dence avec la majorité et ses chefs ; il rappela dans 
quelles circonstances la candidature de Louis-Napo- 
léon avait été soutenue par les personnalités les plus 
marquantes de la droite contre celle du général Gavai- 
gnac ; il parla de ses relations personnelles avec le 
Président, et dit comment il s'était chargé de révéler 
la France à un chef de gouvernement qui ne la con- 
naissait point; il raconta également comment, après 
en avoir prévenu le Président, il était allé à Glare- 
mont, ne voulant pas laisser mourir sans le voir un 
roi, dont il avait combattu la politique tout en respec- 
tant sa personne, et comment il s'était assis entre une 
auguste veuve et un enfant qu'il ne connaissait que 
sous le nom de comte de Paris, attendu que la Franco 
ne lui en avait pas donné d'autres. Pendant ce temps- 
là, que faisait le Président? Il passait des revues où il 
se faisait acclamer par les troupes comme autrefois 
les Césars par les légions romaines ; il destituait le 
général Changarnier;. il divisait les deux pouvoirs; 
il empiétait sur les droits de TAssemblée. 11 n'y a 
plus que deux pouvoirs dans l'Etat, s'écrie M. ïhiers. 
Si TAssemblée cède aujourd'hui, il n'y en aura plus 
qu*un, et quand il n'y en aura plus qu'un, la forme 
du gouvernement sera changée. Le mot, la forme 
viendront... Quand ils viendront, cela m'importe peu ; 
le mot viendra, quand on voudra : l'Empire est fait, » 
Cette parole était un trait de lumière. L'impression 
causée par ce discours fut profonde et générale. 11 
semblait qu'à partir de ce moment, tout le monde dilt 
avoir les yeux ouverts sur les i)érils d'une situation 
qui venait d'être exposée avec tant de sagacité. 
Malheureusement, à quoi devait servir la clairvoyance 
tardive de M. Thiers? à rien. La majorité ne sut pas 
ou ne voulut pas se tenir prête à tous les événements. 



308 LA SECONDE RÉPUBUQUE 

Pour M. Thiers seul, son mot fut un avertissemeul. 
De ce jour, il rompit en visière à un pouvoir qui me- 
naçait une liberté à la quelle il a toujours été inviola- 
blement attaché, la liberté des Assemblées du pays; il 
montra qu'il avait le sentiment des dangers qu'allaient 
prochainement courir les institutions parlementaires, 
et il s*en fit le gardien jaloux. Par son mot : l'Empire 
fst fait! M. Thiers a mérité du moins l'honneur d'être 
arrêté nuitamment, dans sa maison, comme les défen- 
seurs de la République, et de partager avec eux la 
prison et Texil : cette parole hardie est la première 
qui rachète les erreurs et les fautes commises par 
Si. Thiers depuis le â4 février, et que, malgré tant 
d'utiles et glorieux services rendus par lui depuis lors 
à la cause des libertés publiques, cet éminent esprit 
ne réussit point à faire oublier. 

Les républicains dans l'Assemblée s'associaient 
bien aux craintes exprimées par les principaux 
orateurs de la droite; mais ils ne pouvaient s'asso- 
cier aux regrets que le parti de l'ordre eût désiré 
exprimer en faveur du général Changarnier. Un 
ordre du jour, proposé par le représentant Sainte- 
Beuve, de la gauche modérée, où le nom du générai 
n'était pas prononcé, fut adopté à la majorité de 
quatre cent quinze voix contre deux cent quatre- 
vingt-six". 

Le ministère du 6 janvier était battu. Le pré- 
sident forma un cabinet intérimaire, où entrèrent 
MM. Vaïsse, de Royer, Randon, Brenier, Vaillant 
(contre-amiral), Schneider, Giraud et deGerminy, en 
remplacement de MM. Baroche, Rouher, Ducos, Re- 
gnault de Saint-Jean d'Angély, Drouyn de Lhuys, de 
Parieu et Fould. M. Magne seul conserva son porte- 
feuille. 

Dans le message, par lequel il annonçait au pré- 



ASSKMULÉË NATIONALE LÉGISLATIVE :w» 

ftident de l'Assemblée nationale la constitution de 
ce nouveau ministère, M. Louis-Bonaparte déclarait 
que la nouvelle administration, composée dliommes 
spéciaux, se conduirait suivant le programme politique 
de l'ancienne, et exprimait le vœu que la majorité 
réelle se reconstituât, sans que les deux pouvoirs eus- 
sent rien à sacrifierde la dignité qui faisait leur force. 
Ainsi le Président rejetait sur TAssemblée la respon- 
sabilité de la constitution d'un cabinet en dehors de 
de toutes les règles parlementaires. 



XXVI 



(jabinet d'afTaires, — Discours de M. de Montalombort pour la 
défense du Président. — Anniversaire du 2i Février à l'ari<4. 



L'Assemblée ne tarda pas à saisir Toocasiou df^ 
se venger de ce procédé. En 1850, un crérlit rlf; 
1,800,000 francs avait été accordé comme supplA 
ment au traitement du premier magistnit de l;i 
République. M. Piscatory, au nom de la commission 
de cette demande, proposa le rejet de cette dem;iridf 
en termes d'une rudesse peu déguisf'fe : son r;ip-- 
port fut appelé le message de la coalition. M. (\f* 
Montalembert, organe de la fraction de la droite (fui 
était fidèle à la politique du Président, dans la sAanre 
du 10 février, crut devoir prendre la défense de Lonis- 
Napoléon. 

< Je ne suis, dit-il, ni Tami, ni le conseiller, ni 
l'avocat du président de la Hépubliqne; je suis son 
témoin. > 

Puis, il retraça le tableau des services rendus par 
M. LfOuis Bonaparte à la cause de Tordre et de l» 



310 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

religion, et ii accusa le projet de loi d'être une des 
ingratitudes les plus aveugles et les moins justi- 
fiées. S*élevant avec véhémence contre les coali- 
tions, et se séparant des légitimistes dont on le 
croyait Tallié, il dit qu'à ses yeux, le Président, 
quelles que pussent être ses fautes, représentait 
la seule autorité possible et, par conséquent, la 
seule légitime, car il n'y a de légitime que ce 
qui est possible. Enfin, dépassant toute mesure, il 
attaqua les institutions parlementaires elles-mêmes 
la tribune surtout qui, « par son intervention taquine, 
bavarde, quotidienne, omnipotente et insupportable, 
inquiète, alarme et mécontente le pays ». Hélas! le 
malheureux orateur, il a payé, par vingt ans de re- 
mords qui n'ont fini qu'avec sa vie, l'imprudence de 
telles paroles ! 11 les a retrouvées depuis, ces paroles, 
et sur quelles lèvres ! C'est assez pour sa punition. La 
demande du gouvernement fut repoussée par 396 voix 
contre 294 (séance du 10 février). 

Le président de la République s'inclina devant 
le vote parlementaire. Une note parut au Moni- 
teur, où il était dit que le Président savait que le 
peuple lui rendait justice, et que cela lui suffisait. 
Cette expression révolutionnaire le « peuple » ^a- 
rée dans la feuille officielle, alarma la majorité. 
La situation se prolongeait sans se détendre; les mi- 
nistres provisoires gardaient leurs portefeuilles ; l'As- 
semblée allait en s'émiettant; les chefs de parti s'effa- 
çaient les uns les autres en devenant plus nombreux; 
les réactionnaires commençaient à être jaloux de 
l'union qui régnait entre les républicains, votant sur 
toutes les questions comme un seul homme; la majo- 
rité ne se reconstituait point. C'est dans ces circonsr 
tances que Paris célébra pour la dernière fois l'anni- 
versaire du 24 février. L'unanimité, l'élan, la cordialité, 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 311 

qui présidèrent à cette fête et aux diverses manifesta- 
tions publiques auxquelles elle donna lieu, trom- 
pèrent, hélas ! les républicains eux-mêmes. Ce jour- 
là, on put croire que la République était à jamais 
fondée en France; personne ne pouvait penser qu'un 
pouvoir quelconque serait assez insensé pour attaquer 
des institutions si généralement acclamées. Cette con- 
fiance n'était qu'une illusion. 



XXVIl 



Réaction à outrance. — Ministère du 10 avril. — Allitude équi- 
voque du président de la Rcpubli(iue. 



Les républicains qui avaient un instant paru s'as- 
socier aux légitimistes dans un désir commun de 
reconstituer le suffrage universel, on le faisant fonc- 
tionner à la commune et dans ses conditions pn»- 
mières, et d'arracher les communes ù la surveillance 
du gouvernement central, se divisèrent de nouveau 
«ur une question tout accidentelle, à l'occasion de la 
proposition faite par M. Creton, représentant orléa- 
niste, qui demandait l'abrogation des lois d'exil por- 
tées contre les représentants des deux branches de la 
maison de Bourbon. 

Une première fois déjà, M. Berryer s'était levé, 
au nom du principe légitimiste, pour s'opposer à 
Tadoption de cette proposition. 11 reprit sa tlièsc^ 
et la développa en termes tels (|u'un républicain, 
M. Marc Dufraine, dut repousser avec une hau- 
teur égale les insolences des prétentions monar- 
chiques. « Vous soutenez, dit-il, en terminant un des 
discours les plus sévères (j[ue l'Assemblée eût encore 



312 LA SIXONDE RÉPUBLIQUE 

entendus, que, légitime ou consentie, la royauté ne 
meurt jamais. Vous avez raison. Nous répondons, 
nous, que la peine des royautés consenties ou légi- 
times, ne doit pas mourir non plus. Avons-nous tort? 
Notre logique révolutionnaire est fille de vos paralo- 
gismes royalistes. A l'éternité du droit monarchique, 
nous répondons, nous, par l'éternité du droit répu- 
blicain. > 

Cette affirmation nette et vigoureuse brouilla 
tout dans TAssemblée. « Après ces paroles détes- 
tables, » comme dit M. Berryer, la droite, qui se vit 
forcée d'ajourner à six mois la proposition, se rejeta 
en pleine réaction. Elle avait détruit le droit de réu- 
nion, bâillonné la presse, mutilé le suffrage univer- 
sel ; elle songea à porter la main sur la garde natio- 
nale, pour en finir avec ce qu'on appelait le droit au 
fusil. Le Président, la voyant si bien disposée, lui fit 
quelques concessions. Il appela dans ses conseils 
(|uelques-uns des membres de la majorité, M. Léon 
Faucher, M. Buffet, M. Dombidau de Crouseilhes, 
M. deChasseloup-Laubat; en même temps, il y faisait 
rentrer ceux de ses serviteurs personnels qui avaient 
été frappés par les votes antérieurs de l'Assemblée, 
MM. Rouher, Baroche, Fould et Magne. Ce cabinet 
porta le nom de cabinet du 10 avril et parut être 
un ministère de conciliation. M. Léon Faucher, mi- 
nistre de l'intérieur, en présentant ses collègues à 
l'Assemblée, n'eut garde d'oublier de se placer avec 
eux sous la protection de la majorité, pour le plus 
grand intérêt de l'ordre et de la paix publique ; mais 
le nouveau cabinet fut accueilli sans enthousiasme. 
Les préoccupations dans l'Assemblée, comme au 
dehors, commençaient à être ailleurs. 

M. Léon Faucher avait promis à la majorité de 
maintenir la loi du 31 mai, son œuvre de prédilec* 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 313 

tion. C'était déjà un gage d'union, mais le rapproche- 
ment des diverses fractions du parti conservateur 
demeurait stérile, s'il n'amenait pas la révision de la 
loi fondamentale, delà Constitution de 1848. Un comité 
général s'était formé à Paris, et avait pris le nom de 
Réunion des Pyramides, le nom de la rue où il se réu- 
nissait; il était placé sous la direction de person- 
nages notables des divers arrondissements, auxquels 
s'étaient joints les principaux membres de la droite ; 
il avait pour but d'organiser et de diriger un vaste 
pétitionnement dans toutes les communes pour de- 
mander la révision ; en. outre, ce comité s'était pro- 
noncé pour le maintien de la loi du 31 mai. Le 
ministère ne s'opposa point au pétitionnement orga- 
nisé par le comité de la rue des Pyramides ; les ad- 
miqistrations publiques avaient op'dre d'y laisser 
vaquer leurs employés ; et tous les jours les pétitions 
afHuaient sur le bureau de l'Assemblée. 

Toutefois, sur la question du maintien de la loi 
du 31 mai, le gouvernement du Président était 
infiniment moins explicite. Le Président voulait 
que, sur ce sujet, on montrât une grande réserve. 
Avec une grande discrétion, il avait personnellement, 
<lans tous ses discours publics, évité soigneusement 
d'émettre un avis quelconque sur les mérites ou les 
<iémérites du droit de suffrage, et il tenait, en quel- 
que sorte, un pied dans le camp de la loi du 31 mai et 
un autre pied dans celui du suffrage universel, tel 
qu'il était organisé par la Constitution 4e 1848. 

Il est remarquable que cette attitude équivoque et 
ambiguë n'ait pas frappé davantage tous les esprits. 
Une analyse plus complète et plus exacte du ca- 
ractère du Président, de ses actes antérieurs et 
de ses discours, aussi bien que le plus rapide coup 
d'œil jeté sur les dispositions de la population 

1^ 



:^I4 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

des provinces à son égard, partout où il se pré- 
sentait, aurait révélé que Louis-Napoléon, imbu, 
comme il Tétait, de la croyance à son étoile et de 
la foi dans l'idée impériale, ne pouvait songer qu'à 
ajouter au prestige de la race napoléonienne la magie 
d'une acclamation populaire, au sens le plus absolu 
du mot, et qu'à réunir sur sa tète tout ce qu'il y a 
d'omnipotence dans cette formule : le peuple et Napo- 
léon. 

Personne n'y prit garde. 

Les républicains étaient tout à leur principe 
qui leur semblait indestructible ; les orléanistes se 
persuadaient, suivant leur vieille formule, que la 
France était centre gauche, et quant aux légitimistes, 
ils ne se tenaient pas de joie de se sentir plus nom- 
breux, plus agissants et plus vainqueurs qu'ils ne 
l'avaient été, depuis leur défaite de 1830. 



XXVIII 

Campagne pour la révision de la Constitution. — Attitude des 
partis. — Discours du président de la République à Dijon. — 
Discours du g^énéral Changarnier : « Mandataires dupays^ déli- 
bérez en paix. » 

Cette division des partis éclatait surtout sur la 
question de la révision de la Constitution. 

Les républicains de toutes nuances ne voulaient 
pas en entendre parler, avant que la loi du 31 mai 
eût été rapportée : restaurer le suffrage universel, 
tel était l'unique but de leur politique. Ils atten- 
daient le scrutin général de 1882, consacrant tous 
leurs efforts à éclairer les électeurs, et se livrant à 
une propr.gande active et couronnée de succès 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 315 

parmi les populations rurales. < Le socialisme 
gagne les paysans, » disait-on déjà dans les jour- 
naux de la réaction. Peut-être commit-on la faute à 
cette époque, dans le parti républicain, de trop parler 
de cette date de 1852, qui devait amener la double 
élection d'une nouvelle Assemblée et d'un nouveau 
Président. Le pays n'était pas encore assez remis des 
dissensions antérieures, pour ne pas redouter les éven- 
tualités inséparables d'une telle agitation électorale. 
Il n'était donc pas très sage d'exciter la France déjà 
trop énervée, et mieux eût valu sans aucun doute la 
rassurer sur les conséquences possibles d'une inter- 
mittence fatale, dans la transmission des pouvoirs pu- 
blics. Mais, à cette époque tumultueuse où les passions 
étaient si vives, il était difficile à un parti si cruelle- 
ment éprouvé de se tenir dans la juste mesure. Tout 
semblait marcher à souhait pour lui ; il escomptait sa 
victoire à l'avance, comme si, en politique, les chances 
de revers n'étaient pas constamment égales aux chances 
de succès, alors que Ton ne sait pas joindre la pru- 
dence à la fermeté. 

De leur côté, les légitimistes ne se montraient 
pas trop partisans de la révision constitution- 
nelle; ils craignaient, non sans raison, que cette révi- 
sion ne fût ni générale ni profonde ; ils redoutaient 
de la voir simplement aboutir à une prorogation des 
pouvoirs du Président qui, par là, se trouverait 
encouragé dans ses prétentions monarchiques. Les or- 
Jéanistes, toujours engoués de leurs théories politi- 
ques, acceptaient la révision plus volontiers, espé- 
rant la faire porter sur divers points où ils n'avaient 
pas obtenu satisfaction, tels, par exemple, que la cons- 
titution de deux Chambres, à l 'aide desquelles ils comp- 
taient rendre leur influence prépondérante dans l'État. 
^ Seul, le président de la République pouvait envisa- 



316 LA SECONDE KÉPUBLIQUE 

ger avec une satisfaction sans mélange le mouvement 
révisionniste ; les pétitionnaires les plus nombreux 
demandaient la prorogation pure et simple de ses pou- 
voirs; c'était pour lui comme un encouragement public 
à persévérer dans ses ambitions secrètes et à pour- 
suivre l'exécution de ses desseins. 

Le pétitionnement organisé partout donna des ré- 
sultats notables, mais non aussi grands, aussi décisifs 
(|u'on a voulu les présenter. On avait obtenu onze cent 
mille signa,tures, dont l'authenticité était souvent 
douteuse; quatre cent mille au moins demandaient la 
prorogation des pouvoirs du Président; c'était en 
tout un chiffre égal au tiers des électeurs rayés par la 
loi du 31 mai, au dixième des électeurs inscrits avant 
la promulgation de cette loi funeste. Toutefois ce vaste 
pétitionnement, qui ne laissa pas d'effrayer les hommes 
de l'ancienne politique des deux cent mille censitaires^ 
produisit sur les chefs du parti de l'ordre une telle 
impression qu'ils finirent pas se rallier à l'idée de la 
révision, dans l'espoir de se reconstituer tout à fait et 
de se tenir prêts à entrer en lutte au premier jour, et 
suivant les circonstances qui pourraient se présenter. 

Le 23 mai 1851, M. le duc de Broglie, président delà 
réunion des Pyramides, déposa sur le bureau de l'As- 
semblée une proposition ainsi conçue :\« Les repré- 
sentants soussignés, dans le but de remettre à la natio^ 
l'entier exercice de sa souveraineté, ont l'honneur 
de proposer à l'Assemblée nationale d'émettre le vœu 
que la Constitution soit révisée. » Deux cent trente- 
cinq membres signèrent cette proposition. Le 7 juin, 
une commission spéciale dite commission de révision, 
fut chargée d'examiner les diverses propositions et 
pétitions relatives à ce grand objet ; elle était com- 
posée de MM. de Montalembert, Moulin, Dufaure, de 
Corcelles, de Broglie, de Melun, Jules Favre, de Mor^ 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 317 

nay, Charras, Cavaignac, Charamaule, Baze, ,de Toc- 
queville, Odiloa'Barot et Berryer; elle choisit pour 
président M. le duc de Broglie, et pour rapporteur 
M. de Tocqueville. 

Pendant que TAssemblée était occupée à ces prépa- 
ratifs, le président de la République, accompagné de 
plusieurs personnages parmi lesquels se trouvaient 
M. Dupin, président de l'Assemblée nationale, et 
M. Léon Faucher, ministre de l'intérieur, s'était rendu 
à Dijon pour inaugurer une des sections du chemin de 
de fer de Paris à Lyon. Il avait trouvé dans la capitale 
de la Bourgogne un accueil fort empressé, de la part 
des populations rurales accourues pour le voir et 
l'acclamer. Louis-Napoléon prit texte de ces démons- 
trations enthousiastes, pour lever un coin du voile 
qui enveloppait ses projets, et pour accuser publique- 
ment ses dissentiments avec l'Assemblée nationale. 

« Si mon gouvernement, dit-il, n'a pu réaliser toutes 
les améliorations qu'il avait en vue, il faut s'en 
prendre aux manœuvres des factions... Depuis trois 
ans, on a pu remarquer que j'ai toujours été secondé 
par l'Assemblée, quand il s'est agi de combattre le dé- 
sordre par les mesures de compression. Mais lorsque 
j'ai voulu faire le bien, améliorer le sort des popula- 
tions, elle m'a refusé ce concours. Si la France recon- 
naît qu'on n'a pas eu le droit de disposer d'elle sans 
elle, la France n'a qu'à le dire : mon courage et mon 
énergie ne lui manqueront pas. » 

Ces deux dernières phrases étaient si menaçantes 
que M. Léon Faucher, présent au banquet où elles 
furent prononcées, jugea qu'elles ne pouvaient paraître 
au Moniteur v/nitersel et prit sur lui de les faire dis- 
paraître. Mais elles furent connues de l'Assemblée 
et du public. La Bourse baissa, et tout le monde 
crut à un coup d'État prochain. Le 3 juin, dans 



318 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

rAsseini)lée, le général Ghangarnier saisit Toccasion 
d'une discussion sur la Légion d'honneur, pour 
rassurer les représentants effrayés, et pour ré- 
pondre des sentiments de l'armée. « L'armée, dit-il 
dans un langage emphatique, que les événements 
devaient trop tôt démentir, l'armée profondément pé- 
nétrée du sentiment de ses devoirs, du sentiment de 
sa propre dignité, ne désire pas plus que vous de voir 
les hontes et les misères des gouvernements des 
Césars, alternativement proclamés ou changés par 
des prétoriens en débauche. Personne n'obligera les 
soldats à marcher contre le droit. On n'entraînerait 
contre l'Assemblée ni un bataillon, ni une com- 
pagnie, ni une escouade, et l'on trouverait devant 
soi les chefs que nos soldats sont accoutumés à suivre 
sur le chemin du devoir et de l'honneur. Manda- 
taires de la France, délibérez en paix. » M. Léon Fau- 
cher, plus habile quoique moins pompeux, désavoua 
le discours de Dijon, en disant que le gouvernement 
ne reconnaissait de texte officiel de ce discours que 
celui qui avait été inséré au Moniteur y et l'Assemblée 
passa à l'ordre du jour, à l'unanimité. C'était un 
échec éclatant pour la politique personnelle. 



XXIX 



Discussion du projet de révision. — La République et la mo- 
narchie : MM. Michel (de Bourges) et Berryer. 



Diverses propositions avaient été déposées pour la 
révision de la Constitution par d'autres représentants 
que M. de Broglie ; elles furent examinées et rejetées. 
On s'arrêta à celle de M. de Broglie qui exprimait le 



ASSEMBLÉE 3AT105ALE LfAÎSLMirL It» 

vœu d'une révision totale; idéalement, il fut e\plî*fM4r 
que la révision s'accomplirait en conformité ;* ve<fr Vht- 
ticle 111 de la Constitution. Un membre de la com- 
mission aurait voulu ajouter < pour l'ai met ioration et 
la consolidation de la République: m^^i^ MM. Berr^er 
et fle Montalembert firent rejeter cette nMilihu, ^ftî^ 
prétexte qu'elle eût limité le fifiuvoir de b 0>ri*li 
tuante. Ainsi, il était bien entendu que, ^pn^ \h Hépu- 
biique môme, une grande fj»a**e d'arm^*^ ;fn?!it •éta- 
blir, d'où la République fiouv^iit v>rtir vaincue tri 
mourante. 

Le rapport de M. de Tocqueville, loni^, difîu«, où 
c^*t éminent écrivain semble avoir comme â \t\Hi^ïr 
retracé le tableau des diverses objections que soule- 
vait le régime républicain, roulait tout entier sur cette 
proposition à double face : la révision est â la fois 
dangereuse et nécessaire. M. de TrKrque ville, le pre- 
mier homme de son parti qui eiU révélé â rKiirop** 
politique l'ascendant croissant du principe de l'éga- 
lité, ne put faire un effort sur lui-même et prendre 
son parti de l'établissement en France de cette démo- 
cratie qu'il était allé étudier et admirer en Amérique. 
Son rapport concluait à la non-révision de la Cons- 
titution, mais il n'acceptait la République que comme 
une transaction entre les divers partis qui se parta- 
geaient la France. Si l'un de ces partis lui eût paru 
assez fort pour changer le principe du gouvernement, 
peut-être eût-il conseillé à l'Assemblée de lui faciliter 
cette tâche. Pour lui, la République était un pis-aller 
auquel il fallait se tenir, en vue des éventualités 
menaçantes de 1882. 

La lutte s'engagea le 14 juillet. 

Ces grands débats eurent un caractère solennel. 

Le président Dupin les ouvrit par une allocution 
recommandant le calme et la modération aux orateurs 



322 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Le lendemain, une discussion très vive s'engagea 
sur les manœuvres employées par le gouvernement 
pour provoquer le mouvement révisionniste, et 
l'Assemblée, par un ordre du jour voté à la majorité 
de 333 voix contre 320, « censura l'administration 
qui, contrairement à ses devoirs, avait usé de son 
influence pour exciter les citoyens au pétitionnement. 
Peu après, l'Assemblée se prolongea le 9 août, et s'a- 
journa au 3 novembre. 



XXX 



Reprise des travaux de rÂssemblée. — Changement de minis- 
tère. — Le général de Saint-Arnaud. — Proposition des ques- 
teurs. 



A partir de ce moment, on voit les événements se 
précipiter. Les partis étaient plus divisés que jamais. 
Les orléanistes, adversaires de la révision, songeaient 
à faire du prince de Joinville un candidat à la prési- 
dence de la République, en remplacement du prince 
Louis-Napoléon Bonaparte; les légitimistes, à qui le 
respect de leur principe et de leur roi empêchait de 
rêver une combinaison pareille, étaient assez disposés 
à se rallier à la candidature du général Changarnier; 
les républicains, enfin, persistant à se vanter outre 
mesure des succès que leur promettait l'année 1852, 
parlaient de porter à la présidence soit un homme de 
nuance accommodante comme M. Carnot, soit un 
ouvrier ; dans ce dernier cas, on devait choisir 
M. Nadaud, maçon de son métier et déjà représentant 
de la Creuse sur les bancs de l'Assemblée législative. 

Le gouvernement du Président semblait seul se tenir 
à récart de toutes ces compétitions. Mais les partisans 



ASSEMBLÉE NATIONALE LEGISLATIVE 321 

vice de la légitimité, qui illustrait plus sa cause qu'il 
ne lui était utile. M. Michel ne plaça point, comme 
avait fait M. Cavaignac, la République en dehors et 
au-dessus des controverses; il la fit si grande, si inat- 
taquable, qu'elle défiait toutes discussions. M. Berryer 
opposa le principe, monarchique au principe révolu- 
tionnaire, et soutint que la République était impos- 
sible en France, parce qu'elle contrariait ses traditions 
et ses besoins, et la faisait déchoir du rang qui lui 
appartient en Europe. Les deux séances où l'on enten- 
dit ces deux grands orateurs marquent entre toutes 
celles qui ont fait la gloire de la tribune française. La 
République a depuis disparu, mais la légitimité n'a 
[)as triomphé, et l'on peut dire que le discours de 
M. Berryer, qui était son apologie, fut en môme temps 
son oraison funèbre; jamais, suivant toute apparence, 
ou n'aura plus l'occasion de plaider, comme on le fit 
alors, le procès de la République et de la royauté» 
dans un champ clos oratoire d'où les combattants de- 
vaient sortir, sans s'être convaincus ni les uns ni les 
autres. 

Après cette rude et noble joute, on entendit encore 
M. Dufaure, l'un des auteurs de la Constitution, qui 
développa froidement et comme sans conviction la 
thèse du rapport de M. de Tocqueville, et M. Victor 
Hugo qui fit entendre à la tribune quelques-unes dos 
éloquentes invectives que, six mois plus tard, il allait 
proférer de la terre d'exil, pour le plus grand soulage- 
ment de la France abattue et delà conscience humaine 
outragée. 

Après cinq jours de discussion, le 21 juillet I80I, 
446 voix se prononcèrent pour la révision, et 278 con- 
tre; c'était 90 voix de plus qu'il n'en fallait pour 
constituer le quart suffisant pour le rejet de la 
proposition. 



322 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

Le lendemain, une discussion très vive s'engagea 
sur les manœuvres employées par le gouvernement 
pour provoquer le mouvement révisionniste, et 
l'Assemblée, par un ordre du jour voté à la majorité 
de 333 voix contre 320, « censura l'administration 
qui, contrairement à ses devoirs, avait usé de son 
influence pour exciter les citoyens au pétitionnement. 
Peu après, l'Assemblée se prolongea le 9 août, et s'a- 
journa au 3 novembre. 



XXX 

Reprise des travaux de TÂsserablée. — Changement de minis- 
tère. — Le général de Saint-Arnaud. — Proposition des ques- 
teurs. 



A partir de ce moment, on voit les événements se 
précipiter. Les partis étaient plus divisés que jamais. 
Les orléanistes, adversaires de la révision, songeaient 
à faire du prince de Joinville un candidat à la prési- 
dence de la République, en remplacement du prince 
Louis-Napoléon Bonaparte; les légitimistes, à qui le 
respect de leur principe et de leur roi empêchait de 
rêver une combinaison pareille, étaient assez disposés 
à se rallier à la candidature du général Changarnier; 
les républicains, enfin, persistant à se vanter outre 
mesure des succès que leur promettait l'année 1852, 
parlaient de porter à la présidence soit un homme de 
nuance accommodante comme M. Carnot, soit un 
ouvrier ; dans ce dernier cas, on devait choisir 
M. Nadaud, maçon de son métier et déjà représentant 
de la Creuse sur les bancs de l'Assemblée législative. 

Le gouvernement du Président semblait seul se tenir 
à l'écart de toutes ces compétitions. Mais les partisans 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 323 

de Louis-Napoléon s'agitaient avec une ardeur extraor- 
dinaire. Dans les conseils généraux et d'arrondisse- 
ment, la majorité s'était prononcée pour la révision de 
la Constitution dans le sens de la prorogation du pou- 
voir présidentiel. Dans la presse, les journaux qui rece- 
vaient les inspirations de Louis-Napoléon, découvrant 
enfin sa pensée secrète, entreprenaient une vive cam- 
pagne pour obtenir le rappel de la loi du 31 mai. 
• Le ministère était alors composé d'hommes qui 
avaient pris la part la plus active à l'élaboration de cette 
loi reconnue souverainement impopulaire, MM. Baro- 
che, Léon Faucher et Buffet. 11 y avait complet dissenti- 
ment entre le Président et ses ministres; le cabinet 
tout entier se retira pendant les vacances (14 octobre) 
et céda la place à des ministres nouveaux, d'un carac- 
tère tel qu'il n'y eut bientôt plus de doute dans le public 
sur la prochaine exécution des projets dont la pensée 
était attribuée au Président. 

Le général de Saint-Arnaud était nommé ministre 
de la guerre. 

C'était un homme que l'on devait savoir capable do 
tout. Après qu'on l'avait vu débuter dans la carrière mi- 
nistérielle par une circulaire aux commandants et chef j; 
de corps où il recommandait aux soldats l'obéissance 
passive dans la plus rigoureuse acception du terme. 

Au moment où l'Assemblée reprit ses travaux 
(4 novembre), il n'était bruit que de coups d'État, on 
pouvait s'attendre à tout de sa part. 

Dans le Message constitutionnel que le président de 
la République adressa au président de l'Assemblée 
nationale, Louis-Napoléon annonçait l'intention de 
restituer dans toute sa plénitude le principe du suf- 
frage universel, afin d'enlever à la guerre civile son 
drapeau, à l'opposition son dernier argument. L'As- 
semblée accueillit le message du 4 novembre avec une 



324 LA SECONDE REPUBLIQUE 

défaveur marquée. Le jour était arrivé, où lePrésideut 
se créait aux dépens de la majorité une popularité 
véritable dans le pays ; le piège se découvrait, et l'As- 
semblée n'était pas préparée à l'éviter. Le ministère 
ayant demandé l'urgence pour le projet de loi qui 
rétablissait le suffrage universel, la majorité se donna 
le plaisir de la refuser et d'humilier ainsi les nouveaux 
ministres. La gauche républicaine, plus confiante que 
la prudence ne le conseillait, avait applaudi au Mes- 
sage, et croyait à la sincérité des intentions du Prési- 
dent : cette foi naïve et imprudente ne contribua pas 
médiocrement à perpétuer les malentendus qui 
régnaient dans l'Assemblée et qui empêchèrent une 
résistance sérieuse et effective aux complots tramés 
contre la représentation nationale. La droite, en effet, 
avait les yeux ouverts du côté du Président; elle rece- 
vait des confidences sur les projets qui se préparaient 
dans l'ombre. 

Le 6 novembre, les questeurs de l'Assemblée, d'ac- 
cord avec les chefs du parti conservateur, avaient 
présenté une proposition qui, fondée sur l'article 32 de 
la Constitution, eût rétabli en faveur de l'Assemblée 
le privilège, contesté par le nouveau ministre de la 
guerre, de fixer l'importance des forces nécessaires à 
sa sûreté, d'en disposer, et de désigner le chef qui les 
•eût commandées. L'urgence pour leur proposition 
vivait été demandée et obtenue par les questeurs. Le 
15 novembre, M. Vitet, rapporteur de la commission, 
proposa à l'Assemblée d'adopter la proposition modi- 
fiée sur deux points : la commission n'avait pas admis 
la disposition qui conférait au président de l'Assem- 
blée le droit de désigner le commandement des 
troupes appelées à défendre l'Assemblée, ni celle qui 
l'autorisait à déléguer son droit de réquisition aux 
questeurs ; le droit de réquisition directe était réservé 



t 



ASSEKBLÉE 511105 ALE LÉGISLATIVE 325 

à l'Assemblée entière. Ces deux xuodilif^Uouv avai*?ijt 
pour objet évident de calmer Je»? appr^^b^n^'iouk df* la 
gauche républicaioe, qui ne redoutait pa>ï luolu^ Jei» 
coups d'État de la majorité quf^ ceux du Pj^rideut. 
Mais à la veille d'un péril que pJ u-^ieurr représeulaDli^ 
républicains, avec une candeur qui honore pJu-: leur 
caractère que leur intelligence, per«^if^laieJJt à uier. trop 
de causes de dissentiments et de divi-^jous ti-avaii- 
laient l'Assemblée pour que ce^ r^jnc^^r^iou^s tardives, 
faites in extremis, dissipassent des craijjtes légitimes 
et des méfiances invétérées. 

La proposition des questeurs, ujéuie m(A\\\(tH parla 
commission, ne parut qu'un moj^jj <ïarm-er l/i loi 4a 
31 mai, comme le dit si inaladroitenjeut M. Michel 
(de Bourges) tandis qu'au fond, c'était bien de Ja pro- 
tection et de l'existence même d^^s iiistitutiojis parle- 
mentaires, de la prééminence nécessaire de l'Assem- 
blée sur le pouvoir exécutif qu'il s'ajrissait. Un trop 
petit nombre de représentants à la Moutaîrne le com- 
prirent, et ce fut un malheur pour la UépubJique. Ce- 
pendant les meilleurs esprits de la gauche, MM. Grévy, 
Marc Dufraisse recommandaient la prise en consi- 
dération de la proposition ; le lieutenant-colonel 
Charras s'en faisait le défenseur. Mais, dans ces con- 
jonctures redoutables, l'éloquence de M. Michel (de 
Bourges) perdit tout. 11 nia que la République fût en 
péril. 

€ Le péril, s*écria-t-il, avec une assurance qui ferait 
sourire aujourd'hui, si tant de désastres n'étaient 
survenus à la suite, le péril, c'est que la monarchie 
est menacée, c'est que la Républiciue commence à 
être inaugurée, voilà le péril. Vous avez peur de Na- 
poléon Bonaparte, et vous voulez vous sauver par 
l'armée. L'armée est à nous. Non, il n'y a point de 
danger. Et je]me permets d'ajouter que, s'il y avait un 

E. Sri'LLER. — SEC. RÉP. 19 



326 LÀ SECONDE RÉPUBLIQUE 

danger, il y a aussi une sentinelle invisible qui nous 
garde ; cette sentinelle, c'est le peuple. » 

Cette métaphore nous a valu l'Empire. Pauvre vieux . 
Michel! il est mort en exil; paix à sa mémoire! 

Sur ces mots, M. Vitet, rapporteur, ne se contint 
plus; il accusa M. Michel (de Bourges) et ses amis 
d'alliance intime avec le Président; la Montagne 
devint plus furieuse. En vain M. Thiers essaye-t-il de 
réparer la faute de M. Vitet; il n'y peut parvenir. En 
vain M. de Rémusat se tient-il debout à la tribune, cher- 
chant à faire entendre la voix de la sagesse au milieu 
des cris et des trépignements ; il regagne son banc, 
avec le sentiment non pas d'une bataille perdue, avec 
la conviction que c'est un ordre politique tout entier 
qui s'écroule ; une partie de la Montagne vote avec le 
pouvoir exécutif ; la prise en considération de la pro- 
position des questeurs est repoussée par 408 voix 
contre 300(17 novembre). Le coup d'État était fait! 
Depuis ce jour, les chefs de la majorité l'atten- 
dirent, ne se lassant pas de répéter que la compli- 
cité de la Montagne avec le Président l'avait seule 
rendu possible. Ces vives accusations n'étaient pas 
pour ramener le calme dans les esprits ; cependant la 
conscience de la faute commise avait déjà gagné 
quelques représentants. Dans la séance du 27 no- 
vembre, un des jeunes membres de la Montagne, 
M. Bancel, dans une improvisation éloquente, chercha 
à dégager son parti de cette prétendue complicité, en 
protestant avec énergie contre toute tentative du Pré- 
sident. Ce furent les derniers accents dont retentit la 
tribune républicaine. 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 327 



XXXI 



Coup d*Elat du Deux-Décembre. — L'Assemblée législative à la 

mairie du X*" arrondissement. 



Le 2 décembre au matin, l'Assemblée était dissoute. 
Plusieurs des chefs de la majorité avaient été arrêtés, 
en même temps que les généraux qui auraient pu faire 
appel à des troupes qui leur étaient connues et dont 
ils étaient respectés et aimés. Le palais de l'Assem- 
blée n'était pas investi : cette mesure avait été jugée 
inutile. Une trentaine de représentants pénétra dans 
la salle des séances, et envoya quérir M. Dupin, pré- 
sident, à qui les sbires de Bonaparte ne firent pas 
l'honneur de l'arrêter, tandis que les questeurs avaient 
été arrachés nuitamment de leurs lits, malgré la plus 
courageuse résistance. Un ofïïcier entra dans la salle, 
dispersa tout le monde présent, et chacun se retira, 
après avoir mis son nom au bas d'une protestation à 
laquelle M. Dupin joignit sa signature, tout en répé- 
tant que cette formalité ne servirait à rien. Plusieurs 
réunions de représentants de toutes nuances eurent 
lieu dans divers domiciles privés. 

Si l'on veut retrouver l'Assemblée législative, il faut 
aller à la mairie du X*" arrondissement, où se réuni- 
rent deux cent vingt de ses membres sous la prési- 
dence de M. Benoist-d'Azy, vice-président, assisté de 
MM. Chapot, Moulin et Grimault, trois des secrétaires. 
Là, on se mit à délibérer à la hâte, pour rédiger un acte 
de déchéance contre le Président, requérir la force 
publique, ordonner énergiquement l'élargissement 
cies représentants arrêtés, convoquer la haute cour 
de justice, organiser toute la force armée qui tiendrait 



328 LA SECONDE RÉPUBLIQUE 

la main à rexécution de tous ces décrets. Toutes ces 
mesures rapides furent prises sous Tiaspiration de 
M. Berryer qui, dans cette heure suprême, sut penser 
et pourvoir à tout. Malheureusement, même à la mairie 
du X° arrondissement, dans son quartier le plus aris- 
tocratique de Paris, l'Assemblée se trouvait au milieu 
d'une foule impopulaire. L'entrée de chacun des repré- 
sentants dans la salle des délibérations était saluée par 
des sifflets, des cris et des huées, fort impolitiques 
assurément dans des circonstances pareilles, mais qui 
ne laissaient pas de doute sur les sentiments qu'avait 
inspirés l'Assemblée législative. Deux commissaires 
de police arrivèrent bientôt et sommèrent la réunion 
de se dissoudre; on voulut parlementer avec eux: 
mais un instant après, des soldats accoururent sons la 
conduite d'un officier porteur d'un ordre du général 
Magnan qui prescrivait l'occupation de la mairie et 
l'arrestation des représentants qui tenteraient de résis- 
ter. L'Assemblée déclara qu'elle n'obéirait qu'à la 
force : les soldats pénétrèrent dans la salle et la firent 
évacuer. Les représentants, entre deux files de soldats, 
furent conduits à la caserne du quai d'Orsay, pour 
être dirigés de là sur les forts de Vincennes, du Mont- 
Valérien et la maison de Mazas. Les derniers cris q» 
ces élus du peuple entendirent à leurs oreilles foreflt 
les cris de : Vive la République! A bas les traîtres! 



XXXII 

Jugement sur rAssemblèe lègislatiTe. 

Ainsi finit l'Assemblée législative de 1849, odieif 
toutes les Assemblées de notre histoire, qu 
d'être jugée le plus sévèrement. 



A 



ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 329 

Sa carrière peut se résumer eu deux mots. Elle avait 
pour mission de consolider la République et de pré- 
parer à la France les destinées pacifiques que ce régime 
comporte : elle conspira contre la République avec une 
extrême passion, et finit par la laisser détruire avec 
une incroyable lâcheté. Encore si elle n'avait fait 
qu'écouter ses rancunes, en travaillant à renverser un 
gouvernement qu'elle détestait, peut-être serait-il pos- 
sible de plaider en sa faveur les circonstances atté- 
nuantes. Mais elle a fait plus : elle a démoralisé la 
France. Après l'avoir détournée du culte des nobles 
idées et l'avoir énervée par la peur, elle l'a livrée au 
despotisme militaire. C'est assez pour que sa mémoire 
soit maudite par les générations futures, comme elle 
l'a été par les Français qui ont souffert de ses erreurs, 
de ses fautes et de ses attentats contre le suffrage uni- 
versel. 



FIN DE l'histoire PARLEMENTAIRE 
DE LA SECONDE RÉPUBLIQUE 



PETITE HISTOIRE 



DU 



SECOND EMPIRE 



PRKPACE 



En 1870, après le grand réveil de Topinion publique en 
France, réveil dont le parti républicain avait eu l'initiative 
grâce aux cinq députés qui avaient siégé au Corps législatif de 
4857 à i863, et dont il fut impossible de douter au lende- 
main des élections générales de 1809, l'Empereur Napoléon JH 
se décida, non sans de longues hésitations, à se prêter à la 
transformation de la monarchie militaire et administrative 
du second Empire en une monarchie constitutionnelle et par- 
lementaire. 

Pour employer le langage du temps, après avoir signé L^s 
décrets impériaux du 24 novembre 1860 et du 19 janvier 1867, 
après avoir provoqué à plusieurs reprises diverses modifi- 
cation dans la constitution dictatoriale du 14 janvier 1852, 
Napoléon III « couronnait Tédifice ». 

On allait inaugurer le nouveau régime que Ton a désigné 
sous le nom d'empire libéral. 

En confiant à M. Emile Ollivier la mission de former, pour 
la première fois, dans TEmpire, un cabinet parlementaire, 
composé de ministres solidairement responsables devant le 
Sénat et le Corps législatif, l'Empereur Napoléon III était allé 
jusqu'au bout des concessions qu'il se résignait à faire aux exi- 
gences de l'opinion, et il pensait d'ailleurs que ces concessions 
suffiraient pour rallier à l'Empire la plupart des monarchistes 
constitutionnels. En effet, c'était bien le régime parlemen- 



332 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

taire qui était rétabli, et les hommes politiques du régime 
de Juillet se précipitaient en si grand nombre pour assiéger 
les avenues du pouvoir, que M. Thiers put dire un jour au 
Corps législatif, en janvier ^870 : « Ce sont mes idées qui 
sont assises sur ces bancs, » et il désignait du geste le banc 
des ministres replacé depuis quelques jours en face de la 
tribune. 

L'Empereur ne l'entendait pas ainsi. Ce n'était pas pour 
ramener les orléanistes aux affaires qu'il avait voulu consti- 
tuer l'Empire libéral ; c'était pour assurer à son jeune fils la 
transmission paisible de sa couronne et fonder la dynastie 
napoléonienne. 

De leur côté, les républicains, conformément à leurs doc- 
trines, ne cessaient de réclamer pour la nation française le 
libre et complet gouvernement d'elle-même. M. Emile Olli- 
vier parlait avec emphase de la liberté politique, comme de 
l'unique vœu. de l'unique besoin du pays. Fidèles à leur 
principe, les républicains demandaient que la France rentrât 
en possession de sa propre souveraineté, dont elle était dé- 
pouillée depuis le 2 décembre 1851 : du même coup, ils 
niaient le droit monarchique et barraient le passage à la 
dynastie. 

C'était là ce que Gambetta exprimait avec une singulière 
vigueur, quand il disait à M. Emile Ollivier, dans la séance 
du 10 janvier 1870, au Corps législatif. 

c II n'est pas exact qu'entre nous et le gouvernement il 
n'y ait qu'une question de mesure ; il y a une question de 
principe. Donc, si vous voulez fonder la liberté avec l'Empire 
et que vous vouliez la fonder avec notre concours, il vous 
faut y renoncer et vous attendre à ne le rencontrer jamais... 
On a invoqué tout à l'heure le suffrage universel ; on a dit 
qu'il est à la fois la base de l'ordre, de la paix sociale et de 
la liberté. C'est ma conviction absolue. Mais je sais et je dis 
— et je le démontrerai quand on voudra — que le suffrage 
universel n'est pas compatible avec le système que vous pré- 
conisez. A qui en revient la faute ? aux hommes politiques 
qui n'ont jamais su fixer leur choix. Les uns, ceux qui vou- 
laient la monarchie, l'ont fondée avec un entourage d'insti- 
tutions qui la corrompent, la faussent et la dénaturent. Les 
autres, ceux qui veulent la République et la démocratie, ont 
eu le tort de vouloir les accompagner d'institutions monar- 
chiques, qui bientôt les enlacent et les font disparaître. 

c Ce que nous voulons, c'est qu'on fasse un choix ; c*est 



PRÉFACE ;j:j;» 

qu'à la place de la monarchie, on or^MnJHf; um; K<'i-jf tl'itm 
titutions conformes au suffrage univcisd, â la muivritutuir 
nationale ; c'est qu'on nous donne, i»ans révoluUoii, pnciii 
queraent, cette forme de gouvernem'^iil donl vou^ K.-ivr/ Idiim 
le nom : la République. 

« Et je dis qu'au nom du suffrage univf'rx'l, qui tun eu 
Yoyé ici, comme mandataire du pays. j<: le^^f roiisiilniifuj 
nel, en démontrant qu*il y a inconipatibilit/- /ji/r-oluc ttiin- in 
fonne actuelle, entre le système que vouh lUli-wU-/ i-i Ir:- 
principes, les droits, les aspirations du hufl'r.j^Mt univri m 1 j.i 
ce n''est pas à dire pour cela qije,iiijJleifj<rijt >;i(ihf.iii «lu pn- 
sent, je chercherais à y porter refri'rde p;jr un .ippil ;i Ju 
force. Non! cette situation n'a d'aiil'MJis tU-ti d lUo^/i'iuc, 
parce que je crois qu*à la lurniere de ^ell<? iiiïmur, Miur-. ïr 
jour qui en découle, il se fera peu à peu, <|;|li^) J.j nMir-rirmi- 
de la France, un progrès de certitude et d'évi«l«'ii«:i- il «pj j1 
arrivera un moment, qui n'est peut-être p''j>loin. ou l.i iii.ij<i 
rite qui vous remplacera sans seeou>>e. >;iijh riumir, r..iMî^ 
employer Té pée, sans faire appei au icnvriMiui ni di \u 
discipline, par la force des eho^^eir, p;jf une <:on' Iu.moh \n\ji 
que, sera amenée inévilahleinent ;• un .juin- oiiln* <!<• i Ijti :- 
car vous n'êtes qu'un pont entre ia Jtépulili'pj< de fJ^^i^i il l.i 
République h venir, et nous passerons li: pouf, ou, pout ji.ir 
1er plus exactement, ce pont, nous le jia>M>n>. ^ 

Un tel discours, comme on Je pen>e i/ii-n, j/io'luiMi li.ju:^ 
toute la France une émoi ion eonsjdéi;jbJ<;. .N;j]iol< on III .-«n 
tit le flot de Topinion monter. oonjnje un'rjn.iréi «pu poiiv>iil. 
tout emporter. Le 21 mar?i, p:ji ut ;ju Jo///7/'i/0///W#7 un»- 1* iij*- 
impériale, par laquelle Napoléon inviiojt Jr pM.-jiii'nt du < nu 
seiî à lui soumettre un projet de h<'n;jtuh f-ojj>.ultr d<v-iin'' :i 
arrêter le désir immodéré de rljangeinenl • qui f/iinii i iji 
paré de certains esprits et qui inquiétait J'o];Jnion. <-n ru uni 
rinstabilité », Cet acte d'' l'initi'itJve i ni jima If l'i/i il \u ui-^n 
tion même du régime par|('fnf'nt''fii'^ q<j'' Ion pi/hudijif 
inaugurer, puisqu'il ^uj^prim'iji Ui r<'*'p(Hi>''ilHlilé roil<'< iivi; 
et solidaire du cabinet eontifjiijt d*' s eir.j"r d'v«int lljnp*- 
reur. Ce n'était ni plus jii njoin^ qu'un flour oll<'iiMf du 
pouvoir personnel. On le vit 1res »:J;jin-inent d-in^i l/ii ii< i^ M 
du projet de sénat u'^-eon'*ult<', li'qijcj fui jM-ép^Hv, non p.ir 
11. Emile Ollivier et ^«-s roll'-;.'u*'S dij /ninj^îh'n- du 'i j.'iuvkt 
mais par Taneien viee-ejnjM'reur Kugiijc Kouliei, devenu 
président du Se no t. 

Cet article 13 était ain*-.i con'.u : « I/i,inip< n.ur est rerjion- 



334 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

sable devant le peuple français, auquel il a toujours droit de 
faire appel. » Ainsi l'Empereur, à la différence de ce qui 
est établi et reconnu dans tous les pays de monarchie cons- 
titutionnelle où le roi est irresponsable , revendiquait sa 
responsabilité personnelle devant la nation, et proclamait son 
droit d'entrer en colloque avec elle, par la voie toute cé- 
sarienne de plébiscite. 

Ce n'était pas tout. 

Aux termes de la lettre impériale du 21 mars, le nouveau 
sénatus-consulte devait fixer invariablement les dispositions 
fondamentales découlant du plébiscite de 4852, partager le 
pouvoir législatif entre les deux Chambres, et restituer à la 
nation le pouvoir constituant, qu*elle avait délégué. OrTarti- 
cle 44 du projet de sénatus-consulte disait en propres termes : 
c La constitution ne peut être modifiée que par le peuple, 
sur la proposition de TEmpereur. > Donc, on ne restituait 
pas à la nation le pouvoir constituant, puisque TEmpereur 
se réservait le droit exclusif de proposer la mise en exercice 
de ce droit. C'était la violation audacieuse de la maxime de 
droit : Donner et retirer ne vaut. L'Empereur n'accordait 
rien, et les promesses libérales n'étaient qu'un leurre. Ainsi, 
tous les voiles étaient déchirés, le masque libéral de l'Em- 
pire tombait, pour laisser reparaître la dictature, le pouvoir 
personnel de l'homme du Deux-Décembre. 

Parmi les ministres du 2 janvier, qui avaient accepté d'en- 
trer aux affaires sur la foi des promesses de M. Emile OllL- 
vier, plusieurs crurent devoir se retirer afin de demeurer 
fidèles à leur attachement aux institutions parlementaires, 
notamment M. Buffet, qui déposa son portefeuille de mi- 
nistre des finances, tout confus de s'être fourvoyé dans une 
pareille aventure. 

Les députés républicains déposèrent une proposition de loi, 
pour demander que la nation française fût remise en pos- 
session de son pouvoir constituant, dans sa vérité et sa pléni- 
tude. A raison de sa haute autorité dans les matières de droit 
constitutionnel, c'est M. Grévy qui fut chargé de développer 
cette proposition à la tribune. 11 s'acquitta de cette tâche 
avec une sereine gravité, qui sembla confirmer la solidité de 
son discours. M. Emile Ollivier lui répondit, et termina, en 
plaçant la France dans cette alternative : c En dehors du 
gouvernement constitutionnel de TEmpereur, dit-il, la nation 
n*a que le choix entre la réaction et la révolution. Elle optera 
pour ce que nous lui proposons, la liberté. » 



PREFACE 335 

C'est à celte occasion que, sans se soucier de répondre à 
cette prétentieuse jactance, Gambetta prononça, au Corps 
législatif, dans la séance du 5 avril, sur le suffrage universel 
et son identité avec l'institution républicaine, un discours 
qui fut un événement en France et en Europe, et que beau- 
coup de bons esprits considèrent encore aujourd'hui comme 
Tun des plus puissants qui soient sortis de sa bouche élo« 
quente. Quoi qu'il en soit, il fit ce qu'il avait annoncé : il 
démontra Tincompatibilité du suffrage universel avec la 
monarchie. 
_ La plus vive agitation régnait dans les esprits. 

Le Sénat vota les 45 articles du sénatus-consulte, le 
20 avril. 

Le plébiscite fut indiqué au 8 mai. 

La formule en était ainsi conçue : « Le peuple approuve 
les réformes opérées dans la Constitution depuis 4860 par 
l'Empereur avec le concours des grands Corps de l'État, et 
ratifie le sénatus-consulte du 20 avril i870. > 

Pour imprimer plus de solennité à ce que l'on appelait alors 
la consultation du pays, Napoléon III crut devoir s'adresser 
en personne à la France, dans un manifeste où il disait : 
c Donnez-moi une nouvelle preuve de confiance, en appor- 
tant au scrutin un vote affirmatif ; vous conjurerez les me- 
naces de la Révolution ; vous assoirez sur une base solide 
la liberté, et vous rendrez plus facile, dans l'avenir, la trans- 
mission de la couronne à mon fils. » 

La question dynastique était ainsi nettement posée, et Ton 
put voir alors que le prétendu « Empire libéral » n'était 
qu'un mensonge. 

Deux comités généraux, assistés de nombreux comités 
locaux, se fondèrent à Paris. Tous rivalisèrent d'ardeur pour 
exciter les électeurs, l'un à voter oui, l'autre h voter non. 

Le comité républicain, établi rue de la Sourdière, à Paris, 
se composait des députés de Paris et des départements ins- 
crits à la réunion extra-parlementaire qui portait ce nom, 
et des rédacteurs en chef des journaux républicains de la ca* 
pitale. Une propagande très active fut organisée. C'est par 
milliers que partaient tous les soirs des exemplaires des 
feuilles imprimées à Paris, où l'on discutait le plébiscite au 
point de vue du droit républicain et de ses conséquences 
inévitables. Un nouveau blanc-seing, donné au pouvoir per- 
sonnel, c'était la France remise sous le joug. Et alors, o ù 
irait- on ? 



336 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

C'est à la demande du comité de la rue de la Sourdière 
qu'a été composé le petit écrit réimprimé ci-après. 

Il portait le titre de petite HisTOiRE du second empire, utile 
à lire avant le vote du plébiscite ; il fut tiré à 320 mille exem- 
plaires, du même format que le grand discours prononcé 
par Gambetta, dans la séance du Corps législatif du 5 avril ; 
il fut discuté et distribué, en même temps que ce discours, 
par les mêmes agents et grâce au fonds de cent mille francs 
que M. Henri Cernuschi avait mis généreusement à la dis- 
position du comité. 

Nul ne s'étonnera de me voir rappeler ces détails avec 
quelque complaisance. Ils comptent parmi les plus chers et 
les plus mélancoliques souvenirs de ma vie. Tout noire parti 
sait quels liens anciens d'étroite affection m'unissaient à 
Gambetta^ mais le nombre diminue tous les jours de ceux 
qui savent que Gambetta et moi, nous avons été associes 
depuis 1861, par notre confiance la plus entière l'un dans 
l'autre et dans les mêmes idées, attachés tous les deux au 
service de la même cause, celle de la République fondée sur 
le suffrage universel, et que jamais, dans aucune occasion, 
avant comme après 1870, nous ne nous sommes séparés. Ce 
petit écrit a donc eu l'approbation de Gambetta, et c'est lui 
qui Ta fait répandre. Son grand et indulgent esprit y trouvait 
— m'est- il permis de le dire? — des qualités d'impartia- 
lité, de sang- froid politique et de sagacité dans les jugements, 
qui ont été pour moi de précieux encouragements dans toute 
ma carrière. Je dis ces choses avec fierté et reconnaissance. 

La Petite Histoire du second Empire est réimprimée dans ce 
volume, pour la première fois, depuis vingt ans. La menue 
plaquette de 1870 est aujourd'hui introuvable. La présente 
réimpression, a été faite sur mon manuscrit de Tépoque, 
et telle que la brochure a paru en première édition, sauf 
quelques corrections de forme tout à fait insignifiantes. 

Les mots : utile à lire avant le vote du plébiscite^ omis au- 
jourd'hui, avaient été ajoutés en avril 1870 au titre principal, 
afin de faire de ce court opuscule un instrument de propa* 
gande, affranchi de tous droits, et jouissant de la liberté re- 
lative qui était à ce moment accordée aux écrits de cir- 
constance. 

C'est pourquoi également elle était précédée de l'adresse 
suivante aux électeurs : 



PRÉFACE 337 



« Citoyens électeurs I 

« En proposant à la nation le plébiscite du 8 mai pro- 
chain, le gouvernement impérial nous appelle à renou- 
veler les pleins pouvoirs que Louis-Napoléon Bona 
parte s'est décernés à lui-même après le coup d'Etat 
du Deux Décembre, et qu'il exerce avec l'autorité la 
moins contestée depuis dix-huit ans. 

€ C'est à nous qu'il appartient de juger s'il convient 
à notre dignité comme à nos intérêts de répondre à 
l'invitation qui nous est adressée. 

« Déjà les députés de l'opposition démocratique 
réunis aux délégués de la presse radicale de Paris et 
des départements, c'est-à-dire ceux qui nous repré- 
sentent et défendent nos droits, réunis à ceux qui 
nous éclairent et nous conseillent dans tous les actes 
de notre vie publique, nous ont fait connaître leur 
opinion. Ils nous ont représenté, dans leur manifeste, 
que, sous prétexte de nous faire ratifier une Constitu- 
tion à l'établissement de laquelle nos mandataires 
n'ont pris aucune part, c'est en réalité l'abdication de 
notre souveraineté que l'on nous demande, et ils nous 
ont conseillé de répondre non à la question qui nous 
est posée. 

«Si nous voulons que cette réponse négative soit 
digne d'une grande nation comme la nôtre, il faut 
qu'elle soit faite en pleine connaissance de cause, par 
des hommes éclairés, et sûrs de leurs intentions 
comme de leur expérience. 

< L'Empire, après dix-huit ans d'existence, ne peut 
plus être pour nous l'inconnu. Nous sommes en me- 
sure aujourd'hui de nous prononcer en toute sûreté 
de conscience, sinon en toute liberté, sur l'homme 



538 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

placé à sa tête, sur la valeur de son système de gou- 
vernement, sur les résultats d'un règne déjà long et 
qui abonde en enseignements de tous genres. 

L'histoire est la maîtresse de la vie, disaient les 
anciens; elle doit être la véritable institutrice des 
peuples. 

Relisons donc ensemble l'histoire du second empire, 
et, après l'avoir relue, demandons-nous quel parti 
nous avons à prendre en présence des prétentions 
persistantes du pouvoir personnel. 



PETITE HISTOIRE 



DU SECOND EMPIRE 



I 



LMIOMMK 



Napoléon III (Charles-Louis-Nîipoléoii Boîuiparte) 
aujourd'hui Empereur des Français, né à Paris le 
20 avril 1808, est le troisième des enfants qu'Horlense 
de Beauharnais donna à son mari Louis Bonaparte, roi 
de Hollande. 

. Louis-Napoléon a gardé de son enfance et de sa 
première éducation faite sous les yeux de sa mère 
une empreinte inefïaçable. C'est par sa mère en effet 
qu'il reçut la tradition bonapartiste, et c'est d'elle 
qu'il apprit, dès sa plus tendre jeunesse, à se con- 
sidérer comme l'héritier et le continuateur de Napo- 
léon P^ 

Hortense de Beauharnais, femme ardente et pas- 
sionnée, artificieuse, d'une ambition sans mesure, et 
qui, depuis son entrée dans la vie, avait traversé tant 
d'épreuves et connu des fortunes si contraires, voulut 
former son fils à son image et le faire profiter des 



340 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

enseignements de sa carrière si traversée. Le voyant 
pâle, chétif , d'une intelligence médiocre et lente, elle 
s'appliqua à faîre tourner ses défauts mêmes à son 
avantage, lui inculquant une seule idée, l'idée mo- 
narchique, et l'habituant à la patience, à l'opiniâtreté, 
aux réflexions solitaires, au silence systématique. 
Comme elle avait passé elle-même par toutes sortes 
d'état, elle savait le prix de l'occasion et l'avantage 
qu'il y a pour les gens d'aventures à compter sur le 
hasard. Enfin, ayant vécu dans la société corrompue 
du Premier Empire, elle avait appris de bonne heure 
et à l'école du meilleur maître qui lut jamais en ce 
genre de leçons, à mépriser les hommes, à faire bon 
marché des scrupules de la conscience, à marcher 
droit à son but à travers tous les obstacles sous l'em- 
pire d'une idée fixe et sans rien respecter autour de 
soi. 

Ce système d'éducation était admirablement appro- 
prié à la nature et au tempérament de Louis-Napo- 
léon. Esprit indécis, imagination molle, il ne semblait 
avoir de goût que pour les rêveries humanitaires et 
les utopies les plus chimériques ; au fond, il était 
prince, et, comme tel, il se croyait appelé à manier un 
jour les hommes et à les faire servir à son ambition. 
Il n'étudiait les chimères d'autrui que pour les adapter 
aux siennes. Tout était prémédité chez lui, jusqu'aux 
imprudences, et, dans chacun de ses actes, même les 
plus futiles, on retrouve la trace persistante de son 
unique pensée, devenir Empereur et régner sur la 
France au nom de la tradition impériale. 

Toutefois Louis-Napoléon n'avait pas laissé de re- 
marquer que la tradition impériale ne pouvait suffire 
à elle seule pour ramener la France à la monarchie 
despotique de Napoléon P^ Depuis la chute de l'Em- 
pire, la France avait connu et goûté les avantages et 



L'HOMME 341 

les douceurs de la liberté politique, et il était difficile 
de croire qu'elle se décidât à y renoncer, pour Tunique 
plaisir de replacer sur le trône la dynastie napoléo- 
nienne dans la personne d'un neveu de l'Empereur, 
d'ailleurs inconnu du pays. Malheureusement, sous là ' 
Restauration, en haine d'une dynastie revenue à la suite 
de l'étranger, libéraux et bonapartistes avaient fait al- 
liance contre la royauté, alliance détestable et qui est 
la causede tous nos malheurs. Lelibéralisme politique 
ayant triomphé après la Révolution de Juillet, les 
bonapartistes, qui étaient peu nombreux, se sentirent 
vaincus. De là, chez Louis-Napoléon, cette répu^^nance 
insurmontable qu'il a toujours éprouvée à l'endroit 
des institutions parlementaires sur lesquelles s'ap- 
puyaient la bourgeoisie et la monarchie d'Orléans; 
mais, comme après tout la cause bonapartiste ne pou- 
vait songer à se faire des partisans, sans donner satis- 
faction aux aspirations démocratiques et libérales du 
pays, de là, chez Louis-Napoléon, cette attention cons- 
tante à rattacher l'institution impériale à la souverai- 
neté populaire, ce souci tant de fois manifesté de 
demander l'investiture de la volonté nationale, ce 
mélange hybride de démocratie et de césarisme, qui 
étoufle toutes les libertés en ayant l'air de les servir, 
ce système de gouvernement bâtard et corrupteur, 
qui n'a d'autre frein que la volonté personnelle du 
prince, sous le couvert de l'assentiment du peuple. 
Dans tous les écrits comme dans tous les actes de 
la vie de Louis-Napoléon, on peut découvrir des ves- 
tiges de toutes ces idées confuses et contradictoires. 
S'il prend part avec son frère aîné à des conspirations 
et à des entreprises contre les gouvernements rétro- 
grades des princes italiens, en 1831, c'est pour se 
montrera la France comme un soldat des nationalités 
opprimées; si, dans l'ombre des machinations tramées 



342 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

contre le gouvernement de Juillet, et jusque dans 
l'épouvantable affaire Fieschi, on aperçoit la trace de 
quelques menées bonapartistes, c'est pour que la démo- 
cratie s'habitue à compter sur le neveu de l'Empereur, 
comme sur l'un des adversaires du régime des privi- 
légiés de Juillet. Paraît-il quelque ouvrage socialiste, 
vite le prince Louis le dévore, s'en assimile ce qu'il 
peut, et s'efforce de prouver, lui aussi, par quelques 
pages écrites à la hâte, qu'il a souci des idées nouvelles 
et qu'il veut travailler au bien-être du peuple. Enfin» 
comment se présente-t-il à la France, quand il s'en 
vient, en 1836, à Strasbourg, et, en 1840, à Boulogne, 
tenter ces deux échauffourées ridicules, qui méritaient 
un plus sévère châtiment et qui n'ont servi, hélas ! à 
l'instruction de personne? Il se présente comme un 
libérateur, comme le fondateur d'une monarchie 
nouvelle, sous laquelle le peuple jouira de tous ses 
droits et marchera progressivement à la conquête de 
toutes les prospérités. 

Un tel système d'idées et de conduite ne pouvait, 
aux yeux des hommes intelligents et perspicaces, que 
révéler dans le prince Louis-Napoléon un ambitieux, 
d'autant plus redoutable que son esprit, tout entier à 
une idée fixe, devait s'être naturellement perverti à 
faire coexister ensemble des principes antagoniques 
et que, pour amener le triomphe de sa personnalité et 
de sa chimère, tous les moyens lui semblaient bons. 
Mais le ridicule dont il s'était couvert dans les deux 
aventures qu'il venait de courir en compagnie de cons- 
pirateurs subalternes, et la sympathie si peu justifiée 
que lui témoignèrent certains libéraux trop compatis- 
sants, empêchèrent la France de prendre garde à lui 
et d'apprendre à le connaître. Il en arriva à se com- 
plaire dans cette obscurité où le dédain le reléguait, 
et à tirer parti pour l'exécution de ses projets de Tigao- 



rance oùron était de sa valeur vérilable. (/rHl, iiitiHi 
qu'il put se perfectionner dans cette poliljqun Lor 
tueuse, qui ne vit que de surprise» et lU*, roupH iln 
théâtre, et qui, pour arriver à son )>ut, suit toujours 
les voies détournées. Résolu depuis son t*utiit\(\f ii p;i 
raltre sur la scène comme prétendant au tr^un^ iinpi* 
rial, bien longtemps avant de pouvoir user <!(*, Ions Iim 
secrets de sa politique personnelle, < il avait apprJH, 
suivant la remarque judicieuse d'un liisLoriftn iinp^liiis, 
à rédiger une Constitution ([ui paraîtrait il/'créh^r un» 
chose et qui en ordonnerait un<e autre; il élajl vim^^ô 
dans l'art de tendre des pié^^es au sulTnip;;!^ univiT.si'l, 
et il savait comment on étranfj;;t<t utn? nation dan.i 
l'ombre de la nuit avec un instrunx^nt noninié \iU^W\ti 
cite >. 

Jamais, à aucune époque de sa vin, il ni* suivit rh 
plan de conduite avec autant (le \)HiW\u'iu*A iïi*hiyMO\i\ 
que pendant les trois années qu'il ex(*n;a la pK'nii^iM 
magistrature de la liépulilique, tUt IHiO à 1Hf)l. l<a 
République était à peine proctaniéf* qu^Mléjà iji'liiit h 
Paris, offrant ses services au f<ouv(M'n4*nientpnivisoirn: 

les Bonaparte n'ont jamais eu d'autn^ anihilion iippa 
rente que celle de servir la France! Hcpoussi's foici> 
de s'éloigner et de retourner h l^indrcs, il laisse li 
Paris des agents actifs et d^'^voués, Kcs temps <'*liiient 
difficiles, l'interdit qui pesait sur lui pouvait cimlinuer 
de subsister : c'était le moment, coninn^ dit le vul- 
gaire, de pêcher en eau trouble. Les proc7*s verlnnu 
delà commission d'en(|uéte reintive aux fatales jour- 
nées de Juin, laissent entrevoir que, dans celle niAlée 
terrible d'où le parti républicain est sorti épuisé, les 
éléments bonapartistes entraient pour une pari qu'il 
ne sera sans doute jamais possible (le lix(U'exact(Mnenl. 
Enfln Louis-Napolécm p(îut rentrer en France. Il est 
bientôt élu représentant du pftuple. C'ifst ii peine s'il 



3i4 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

paraît à TAssemblée ; il n'y parle qu'une lois, et c'est 
pour protester de son dévouement aux institutions 
nouvelles, à la République, qui lui a rouvert les portes 
de la patrie. Elu président, il prête à la Constitution 
républicaine un serment solennel, et ajoute à la solen- 
nité du serment légal une déclaration personnelle que 
nul ne lui demandait: < Je regarderai, dit-il, comme 
ennemis de la patrie tous ceux qui tenteraient par 
des voies illégales de changer la forme du gouverne- 
ment que vous avez établi. » Et voilà la République 
confiée à sa garde. 

Que fait-il ? Il s'entoure de ministres et de conseil- 
lers, tous connus pour leur hostilité déclarée à la 
République. Bien loin de prendre la tête du mouve- 
ment, il se fait le serviteur de la réaction. Lui, l'an- 
cien conspirateur qui avait voulu détruire le pouvoir 
temporel du pape, il ordonne et fait exécuter la pre- 
mière expédition de Rome, celle qui a renversé la 
République romaine et ramené Pie IX sur son trône. 
Lui, l'élu du suffrage universel, il laisse son ministère 
mutiler le suffrage universel par la loi du 31 mai. 
Sous sa magistrature, la République est livrée à 
toutes les fureurs de ses ennemis ; l'instruction pri- 
maire est attribuée au clergé, le droit de réunion 
supprimé, la presse bâillonnée, les transportations 
sans jugement maintenues et aggravées, la France 
en proie à la division, aux discordes intestines. Et, 
pendant ce temps-là, il gardait le silence, laissant 
tout dire et tout faire autour de lui, affectant de se 
placer au-dessus des querelles des partis, mais les 
maintenant aux prises les uns avec les autres, pour- 
suivant au fond de sa pensée le rêve de son existence, 
guettant l'occasion favorable, et décidé à jouer sa 
réputation d'homme d'État, son honneur privé, même 
sa vie dans une partie suprême. 



LE SYSTÈME 345 

Cette partie, il Ta jouée : c^est le coup d'État 
du 2 Décembre . 

Avec qui Ta-t-il jouée? Avec des partenaires qui s'ap- 
pellent Morny, Saint-Arnaud, Magnan, sur le compte 
desquels il n'y a plus rien à dire, et d'autres encore. 
Contre qui l'a-t-il jouée? Contre l'élite de la France, 
contre les meilleurs citoyens arrêtés, emprisonnés, 
proscrits, transportés, mitraillés et assassinés en plein 
boulevard. S'étant emparé de tout dans l'État, du trésor 
public comme de l'administration et de l'armée, il a 
demandé à la France affolée de terreur, incapable de 
se retrouver et de se reconnaître au milieu de tant de 
proscriptions et de deuils, les pouvoirs nécessaires 
pour décréter la Constitution qu'il portait depuis si 
longtemps dans sa tête et organiser le système de 
gouvernement qu'il rêvait depuis sa jeunesse. A 
cette première demande, à ce premier plébiscite, 
7,439,216 Français ont répondu oui ; 646,737 ont 
répondu non. 

Voyons ce qu'a fait Louis-Napoléon Bonaparte des 
pouvoirs qu'il s'est fait attribuer. 



II 

LE SYSTÈME 

Le 14 janvier 4852, la nouvelle Constitution est pro- 
mulguée. Cette Constitution remettait tous les pou- 
voirs entre les mains de Louis-Napoléon, confirmé 
pour dix ans dans ses fonctions de président de la 
République. Devenu chef de l'État, voici l'énuméra- 
tion des pouvoirs qu'il s'était fait donner : 

« Le chef de l'État commande les forces de terre et 
de mer ; il fait les traités de paix, d'alliance et de 



346 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

commerce, et les règlements nécessaires pour Texécu- 
tion des lois, dont il a seul Tinitiative, la sanction et 
la promulgation. La justice se rend en son nom ; il a 
seul le droit de faire grâce et de décréter des amnis- 
ties ; les fonctionnaires lui prêtent serment ; il peut 
ouvrir par simple décret des crédits extraordinaires 
en dehors des crédits votés par le pouvoir législatif. » 

Le pouvoir législatif est déchu du droit d'initiative 
et du droit d'interpellation ; aucun amendement ne 
peut être soumis à la discussion, s'il n'est préalable- 
ment adopté par le conseil d'État. Le Sénat, sur la pro- 
position du président de la République, pourvoit par 
des mesures d'urgence à tout ce qui est nécessaire à 
la marche du gouvernement, en cas de dissolution du 
Corps législatif et jusqu'à sa convocation. Enfin, dans 
tout l'État, il n'y a qu'un seul fonctionnaire respon- 
sable, c'est le chef de l'État lui-même. Mais cette res- 
ponsabilité n'est pas organisée, et pour qu'elle soit 
mise en jeu, il faut que le président soumette lui- 
même au peuple les actes sur lesquels il appelle son 
jugement. 

Cet effroyable système de gouvernement a pesé sur 
la France pendant dix-huit ans, sauf quelques modi- 
fications qui vont être rapportées tout à l'heure ; c'est 
là ce qu'on appelle le pouvoir personnel; en d'autres 
termes, c'est la dictature la plus terrible qui puisse 
s'imaginer auxix*' siècle, et la forme la plus savante et 
la plus raffinée de l'absolutisme et de la tyrannie. 

< Voici un souverain, a écrit quelque part un des 
plus vigoureux publicistes de ce temps*, qui est li- 
bre d'adopter et de suivre dans toutes les questions 
extérieures telle ligue de conduite, telle marche 
qui lui plaisent. Il ne demande de conseils à per- 

*Af. A. Ranc. Encyclopédie générale, V* Absolutisme. 



LE SYSTÈME 347 

sonne ; il n'en accepte pas ; s'il s'inspire de l'opi- 
nion publique, c'est bénévolement et sans y être obligé. 
Il maintient la paix, s'il le juge à propos ; il déclare la 
guerre, si cela lui semble à lui, à lui seul, juste et né- 
cessaire. Au moment où il prend ses résolutions, il 
n'en doit compte qu'à sa conscience. Le pays peut se 
réveiller un jour en guerre avec un puissant voisin ou 
engagé dans une expédition très lointaine : les mi- 
nistres, à l'exception de ceux dont le concours direct 
et matériel est indispensable, n'auront pas été préve- 
nus. La question enfin sera engagée et irrémédiable 
ment engagée par une volonté prépondérante et soli- 
taire. Absolutisme dans l'exécutif. 

« Les lois sont élaborées par un corps spécial, le 
conseil d'État, dont les membres sont à la nomination 
du souverain. Les députés élus par la nation ne peu- 
vent que les amender, et encore la faculté qui leur est 
donnée à ce sujet est-elle entourée de toutes sortes de 
restrictions. Les députés se trouvent ainsi placés le 
plus souvent entre une adhésion complète et un rejet 
pur et simple. Absolutisme dans le législatif. 

« Toute discussion, toute critique de la Constitution 
est interdite, soit aux députés élus par la nation, soit 
àla presse, soit en un mot à tout pouvoir public autre 
que le Sénat. Ce corps lui-môme ne peut que propo- 
ser des modifications à la Constitution, et ces modifi- 
cations doivent être proposées par l'exécutif. Si la 
modification proposée porte atteinte aux bases fonda- 
mentales de la Constitution, elle est soumise à la rati- 
fication du peuple ; mais l'exécutif a seul l'initiative 
de cet appel au suffrage universel, comme il a seul 
l'initiative des lois. Absolutisme dans l'ordre consti- 
tutionnel. 

< Si maintenant Ton examine quelques points par- 
ticuliers, mais] non pas accessoires, de l'organisme 



348 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

politique et social, si Ton note par exemple ce fait 
grave que, dans FÉtat où Texécutif a ainsi absorbé 
toutes les souverainetés, la connaissance des délits de 
presse a été enlevée au Jury ; si Ton voit que la publi- 
cation des procès de presse est interdite, si les jour- 
nalistes peuvent être à la fois frappés de peines cor- 
porelles et d'amendes considérables, si les tribunaux, 
après un certain nombre de condamnations, peuvent 
prononcer la suspension et môme la suppression du 
journal incriminé ; si la loi admet Texistence d'une 
foule de délits vagues, indéterminés, élastiques ; si 
enfin le pouvoir s'est réservé d'autoriser ou d'interdire 
arbitrairement la vente des journaux sur la voie pu- 
blique, n'aura-t-onpasle droit, en déchirantles voiles et 
dédaignant les fictions illusoires, de prononcer encore 
cet arrêt: absolutisme dans le régime de la presse ? » 

Ce sont là les points principaux du système ; mais 
il y a encore d'autres raffinements, dont il faut citer 
des exemples. Le peuple, s'il veut manifester son opi- 
nion sur les affaires de l'État, est obligé d'attendre le 
renouvellement du Corps législatif, qui a lieu tous les 
six ans. Encore le pouvoir exécutif se réserve-t-il de 
désigner des candidats au suffrage universel et de les 
faire soutenir par ses préfets, par ses maires qu'il 
nomme, par ses conseils municipaux qu'il peut dis- 
soudre et remplacer par des commissions, par ses 
juges de paix, par ses commissaires de police, par ses 
procureurs généraux, ingénieurs, recteurs, inspec- 
teurs, contrôleurs, vérificateurs, percepteurs, conduc- 
teurs, gendarmes, gardes champêtres. Enfin, par l'ad- 
mirable invention de la candidature officielle, le 
pouvoir personnel annule la nation elle-même, et reste 
seul maître dans l'État. 

Toutefois ce n'est pas encore assez. Le pouvoir per- 
sonnel se déclare responsable ; mais tous ses employés. 



LE RÈGNE 3i9 

tous ses agents, tous ses serviteurs du petit au grand 
sont couverts par une immunité légale qui les fait ir- 
responsables. Nul ne peut traduire un fonctionnaire 
public devant les tri|)unaux sans avoir obtenu Tauto- 
risation du conseil d'État, c'est-à-dire d'un corps 
nommé par le souverain et qui représente directement 
son autorité. Ainsi, au-dessous du despotisme du 
maître, il y a le despotisme des serviteurs ; les fonc- 
ttonnaires, agents de l'empereur, participent à sa 
puissance et à son impeccabilité. 

Tels sont les pouvoirs que s'est attribués Louis- 
Napoléon. Voilà dix-huit ans qu'il les exerce. Exami- 
nons l'usage qu'il eu a fait. 



III 

LE RÈGNE 

Après le coup d'État du Deux Décembre, Louis-Na- 
poléon garda son titre de président de la République 
pendant une année encore. Mais ce n'était pas pour 
être le premier magistrat d'une république qu'il avait 
été élevé ni qu'il s'était instruit lui-môme à l'école 
du despotisme impérial; c'était pour être empereur 
des Français, comme son oncle l'avait été. La Répu- 
blique, d'ailleurs, n'existait plus que de nom ; ce nom 
seul était odieux à un prince ; il fallait qu'il disparût. 

Après un voyage dans les départements du midi de 
la France, accompli dans l'automne de 1852, où ses 
flatteurs lui avaient prodigué les plus basses adula- 
tions, cédant, disait-il, au vœu du peuple à la manière 
des anciens Césars romains, Louis-Napoléon se décida, 
sur la proposition du Sénat nommé par lui, à sou- 
mettre à la ratification du peuple le rétablissement de 



350 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

la dignité impériale dans sa personne et dans celle de 
ses héritiers. 

Ce fut là le second plébiscite proposé à la na- 
tion. Le recensement général des suffrages donna 
7,824,129 bulletins portant le mot oui, 253,149 portant 
le mot non, 63,126 bulletins nuls. 

Louis-Napoléon fut proclamé empereur sous le 
nom de Napoléon III. 

Il n'y eut rien de changé en France, sinon que le 
nouvel Empereur était appelé à toucher une liste 
civile de vingt-cinq millions par an destinée à soutenir 
réclat du pouvoir. Le Sénat ayant bien voulu expri- 
mer le vœu que « dans un avenir non éloigné une 
épouse vint s'asseoir sur le trône et qu'elle donnât à 
l'empereur des rejetons dignes de ce grand nom et 
de ce grand pays », deux mois après son élévation 
à l'Empire, Napoléon III annonçait son mariage 
avec M"° de Montijo, comtesse de Teba, aussi dis- 
tinguée, disait le Moniteur, par la supériorité de son 
esprit que par les charmes d'une beauté accomplie. 
Dans le public, ce mariage singulier causa une sur- 
prise d'autant plus vive que, pendant toute l'année 
1852, des bruits d'alliance du prince Louis-Napoléon 
avec des princesses de maison souveraine avaient 
couru. Mais l'Empereur déclara que son mariage était 
pour lui, avant tout, une affaire de cœur, et tout fut dit. 

Le rétablissement de l'Empire n'avait pas laissé d'in- 
quiéter les souverains d'Europe. Avant le coup d'État, 
le prince-président s'était fait une réputation trop 
justifiée d'homme d'aventure : on pouvait tout redouter 
d'un chef d'État armé de pouvoirs si exorbitants, et la 
guerre, ce passe-temps des rois, était à tous moments 
attendue. Napoléon III avait dit cependant pour ras- 
surer les puissances : < L'Empire, c'est la paix I > Mais 
tout le monde sentait qu'à la première occasion favo- 



LE RÈGNE 351 

rable le nouvel Empereur ferait la guerre. Il avait 
pour l'entreprendre des raisons d'autant meilleures à 
ses yeux qu'elles étaient plus personnelles. Le parti 
républicain avait été vaincu, écrasé le Deux Décembre, 
mais non pas anéanti. A la vérité, le silence et la 
compression régnaient partout ; cependant il restait 
toujours dans les villes un fond de résistance et 
d'opposition qu'il fallait à tout prix désarmer, en dé- 
tournant l'opinion publique des affaires intérieures, 
en l'attirant au dehors par des événements d'éclat. 
L'armée, d'ailleurs, entraînée et trompée au Deux Dé- 
cembre, se sentait mal à l'aise au milieu d'une nation 
dont elle s'était séparée si cruellement ; elle attendait 
des satisfactions et cherchait à reconquérir son hon- 
neur. Enfin, l'Empire nouveau sentait le besoin de se 
montrer à l'Europe comme un pouvoir fort et natio- 
nal, capable de porter haut le drapeau de la France, 
quels que fussent d'ailleurs les sacrifices à accomplir. 
Les pi*étentions inadmissibles de la Russie sur les 
lieux saints et son arrogance avec la Turquie décidè- 
rent la guerre d'Orient, que Napoléon III n'entreprit 
qu'avec le concours de l'Angleterre. 

Cette guerre a été populaire, si on la compare à 
d'autres dans lesquelles le second Empire a depuis 
lors entraîné la France. Cependant, qui ne se rappelle 
qu'à cette époque la France, comme désintéressée 
d'elle-même, semblait se résigner à se laisser conduire 
partout où voudrait la mener son gouvernement? 
Seuls, les boursiers, les agioteurs s'intéressaient à cette 
guerre dont l'intérêt était si lointain. Les amis de la 
liberté craignaient de voir les dernières traces des 
idées libérales s'effacer du cœur du peuple. Le peuple 
lui-même ne se sentit ému qu'au récit des exploits de 
nos soldats sur la terre de Crimée, de leurs fatigues 
glorieuses et de leur inaltérable gaîté au milieu des 



352 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

plus dures souffrances. C'était d'ailleurs sur cette 
émotion que comptait la politique impériale. La 
guerre de Crimée, qui a tant illustré nos armes, n'a 
été, après tout, qu'une longue suite de hauts faits inu- 
tiles, depuis la victoire de l'Aima jusqu'à la prise de 
Sébastopol. Il s'agissait de ruiner l'influence russe 
en Orient : cette influence y est aujourd'hui plus pré- 
pondérante que jamais. Sébastopol a été réduit en 
cendres, mais la diplomatie du cabinet de Saint-Pé^ 
tersbourg a su réparer ce désastre. Napoléon III,. 
d'ailleurs, n'en voulait pas mortellement à la Russie ; 
dans les négociations qui ont préparé la paix, il l'a 
ménagée avec tant de précautions que finalement l'al- 
liance anglaise, pour laquelle il semblait que la 
guerre eût été faite, s'en est trouvée compromise. 
Mais qu'importait au second Empire? Il avait, soif 
d'un baptême de gloire, il l'avait obtenu. Que pou- 
vaient lui faire les cent mille hommes tués dans la 
guerre ou morts de maladie dans ces pays lointains ? 
Que lui faisaient surtout les quinze cents millions 
dépensés en pure perte pour la prise d'une forteresse ? 
Au surplus, ces quinze cents millions jetés dans le 
gouffre de la guerre avaient été pour le second Empire 
un nouvel instrument de règne. Les emprunts faits par 
l'État avaient été réalisés au moyen de souscriptions- 
nationales. On avait vu alors un spectacle nouveau et 
qui devait singulièrement corrompre les mœurs et 
l'esprit public. En proie à toutes les ardeurs d'une 
spéculation effrénée, la bourgeoisie française, d'ordi- 
naire si économe et si prévoyante, devint presque 
subitement dépensière et prodigue. Dans les hautes 
classes, le luxe s'étalait sans règle ni mesure, tandis 
que, par l'effet des mauvaises récoltes, la misère 
régnait en bas. Il s'établissait de la sorte peu à peu 
deux nations ennemies dans la nation, et cet antago- 



LE RÈGNE 353 

nîsme des classes ne profitait qu'au pouvoir absolu. 
A la suite des emprunts nationaux, le goût de la 
spéculation s'éveilla même dans les classes moyennes- 
Vers 1858 et 1856, on peut dire que toute la France 
était à la Bourse. Le gouvernement exploitait comme 
un succès personnel l'empressement du public à sous- 
crire des emprunts avec primes, qui soufflaient par- 
tout l'amour du gain acquis sans travail, et qui pous- 
saient les gens même de condition peu] aisée vers des 
habitudes de dépense et de paresse. Cet âge d'or de 
la coulisse correspond à l'époque de la conclusion du 
traité de Paris et de la naissance du prince impérial 
(mars 1856). C'est là véritablement l'apogée du second 
Empire. 

Pendant ce temps-là, ni tribune, ni presse, ni esprit 
public. L'unique souci, c'étaient les intérêts matériels 
qui permettaient d'assouvir un besoin de jouissances 
grossières, tel que la France n'en avait jamais connu 
dans le cours de sa longue histoire. Tout était tourné 
au paraître, et l'administration publique s'appliquait 
à entraîner les villes dans cette voie des dépenses de 
luxe qui s'était emparée de tous les particuliers. Les 
grands travaux improductifs étaient entrepris sur 
tous les points du territoire, surtout à Paris, où ils 
devenaient, entre les mains d'un préfet actif et sans 
scrupules, le plus puissant moyen de gouvernement. 
Ces grands travaux déterminaient des crises terribles 
dans le commerce et l'industrie ordinaires ; la cherté 
des loyers devenait fabuleuse, et les denrées de pre- 
mière nécessité, souvent d'un prix inaccessible. Tout 
était poussé à outrance, et il semblait que notre 
nation eût pris pour devise dans sa vie la devise des 
grands viveurs qui étaient à sa tête : < Courte et 
bonne. » Cette démoralisation du pays est un des 
faits qui retombent le plus lourdement à la charge 



354 PETITE IIISTOIUE DU SECOISD EMPIRE 

du système inauguré après le Deux Décembre : toutes 
les conséquences de ces fatales théories ne se sont pas 
encore déroulées, et Theure des catastrophes les 
moins faciles à détourner n'a pas encore sonné. 

Napoléon III n'en était pas moins considéré comme 
l'arbitre de l'Europe. Les grands services rendus par 
lui à la contre-révolution l'avaient fait l'ami de tous 
les souverains, et Paris commença de voir ce défilé 
de princes et de rois qui a tant satisfait l'orgueil de 
l'Empereur. Cette fortune triomphante n'était pas de 
nature à désarmer les ennemis de la dictature instal- 
lée parmi nous après le coup d'État. L'opinion ne 
pouvant se faire jour, le mécontentement public 
n'avait point d'issue. Cependant aux élections de 4857 
lors du renouvellement du Corps législatif, Paris et 
quelques grandes villes avaient montré, par le choix 
de quelques députés radicaux, dont plusieurs refu- 
sèrent le serment, qu'il n'y a pas de prescription 
contre le droit et la justice. Au commencement 
de 1838, la tentative d'Orsini contre les jours de 
l'Empereur établit que les sentiments hostiles à 
Napoléon III n'étaient pas exclusivement propres aux 
vaincus de Décembre. Ce fut pour le pouvoir impé- 
rial une occasion de reprendre les vieux errements 
de 1852. Des centaines de citoyens furent arrachés à 
leurs familles, et transportés ou exilés; une nouvelle 
loi des suspects, dite loi de sûreté générale, étendit 
la main de l'administration sur toute personne qui 
serait tentée de faire acte d'opposition à un régime 
qui, sans se relâcher de sa rigueur primitive, com- 
mençait à perdre de son prestige. 

Mais le despotisme est une machine soumise aux 
lois de toutes les autres ; il n'en faut pas tendre les 
ressorts outre mesure, si l'on ne veut pas qu'ils se 
irisent. Au commencement de 1859, une nouvelle 



LE RÈGNE 3î.r> 

guerre était décidée dans l*esprit de l'Empereur, qui 
comprenait la nécessité de ne pas trop laisser la 
France à elle-même : c'était la guerre d'Italie. Entre-, 
prise par la seule volonté du souverain, il fallait la, 
colorer de prétextes qui la rendissent populaire.. 
Pour la première fois les mots d'indépendance et de 
liberté sortirent de la bouche du souverain : ils pro-, 
duisirent un effet magique. Toute la France les 
répéta, espérant qu'après que la liberté serait rendue 
à l'Italie par nos armes, elle nous serait enfin resti- 
tuée par celui qui nous l'avait ravie. La courte cam- 
pagne de Lombardie est une page de plus à ajouter à 
notre histoire militaire, qui. Dieu merci ! n'en avait 
pas besoin. L'intelligence des soldats, leur intrépidité 
naturelle contribuèrent plus à nous donner la vic- 
. toire que le génie des chefs, et si l'Empereur revint 
si tôt d'une guerre à laquelle il avait assigné pour 
but l'affranchissement de l'Italie des Alpes à l'Adria- 
tique, on peut dire que l'expérience personnelle qu'il 
venait de faire du métier de général, y contribua 
pour le moins autant que le désir d'éviter l'alliance 
nécessaire de la Révolution, au cas où il se fût décidé 
à pousser jusqu'au bout son programme. La guerre 
d'Italie se trouva donc subitement arrêtée ; la moitié 
de la tâche entreprise restait à remplir ; la péninsule 
n'était pas délivrée, et l'on venait de susciter chez 
nous comme au delà des monts une série de difficul- 
tés qui restent encore à résoudre. La campagne ne 
nous en avait pas moins coûté près de soixante mille 
hommes et sept cent cinquante millions : rien ne 
coûte cher comme la politique personnelle. 

De retour en France, l'Empereur, à qui sa gloire 
récemment acquise pouvait laisser croire qu'il était 
au-dessus des partis, accorda une amnistie générale 
(18 août 1859). Il avait exilé nos concitoyens sans 



356 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

droits ; il les rappela par un pur caprice. Les exilés 
rentrèrent dans une patrie réduite au silence, destituée 
de toute participation à la conduite de ses affaires, tenue 
en tutelle comme un enfant mineur, et sans espoir 
de voir cesser quelque jour cette tutelle humiliante. 

Peu à peu cependant, l'esprit public, si longtemps 
étouffé et imprimé, reprenait des forces. Les tergiver- 
sations de la politique impériale en Italie avaient 
affaibli le prestige du gouvernement à l'extérieur ; à 
l'intérieur, les vieux partis, qu'il venait de tromper 
par sa conduite ambiguë à l'égard du pape, se déta- 
chaient de lui, et la jeunesse, symptôme significatif, 
ne s'en rapprochait pas ; depuis dix ans, on ne pou- 
vait citer personne de notable dans l'opposition qui 
se fût rallié au système ; l'Empire se sentait isolé au 
milieu de la nation ; il devenait indispensable de lui 
rendre des forces. L'Empereur, sur les conseils de 
quelques amis, dit-on, mais en réalité de son propre 
mouvement, signa le décret du 24 novembre 1860, 
qui avait pour objet d'associer plus intimement les 
grands corps de l'État à sa politique et de laisser venir 
jusqu'à lui l'expression des vœux de l'opinion publique 
par voie d'adresse, en réponse au discours annuel du 
trône. 

Ce fut là pour la première fois que l'Empereur 
chercha le moyen d'abuser la nation, en prenant le 
masque libéral. La parole publique était rendue aux 
députés : cette concession parut énorme. L'Empereur 
restait toujours le maître de la France, maître de ses 
destinées et dispensateur de son sang et de ses trésors. 
Cette période de l'histoire de l'Empire est en effet 
celle des expéditions lointaines, expédition en Syrie, 
expédition en Chine et en Cochinchine. Ce ne sont point 
les prétextes qui manquent pour ces ruineuses cam- 
pagnes, et, quand Jes prétextes manquent, on les crée, 



LE RÉGNE ^7 

sauf à violer toutes les règles de la justice et du bon 
droit, comme, par exemple, pour Texpédition du 
Mexique. 

On ne sait pas encore la vérité (la saura-t-on jamais ?) 
sur les causes de cette criminelle folie. On a parlé 
d*outrages à nos nationaux qu'il s'agissait de venger ; 
on croyait à une alliance et à une action commune 
avec l'Angleterre et l'Espagne pour obtenir réparation. 
L'Angleterre et l'Espagne sont revenues du Mexique 
sans coup férir; après avoir obtenu du Mexique tout 
ce qu'elles demandaient. Nous, au contraire, par un 
caprice de la volonté personnelle du souverain, nous 
y sommes restés. Partis là-bas, à deux mille lieues de 
la mère-patrie, pour réclamer le paiement de créances 
véreuses, nous y sQmmes demeurés, pour y établir un 
Empire au profit d'un prince étranger sur les ruines 
d'une République. En vain la nation, par l'organe des 
cinq députés de l'opposition d'alors, et plus tard, 
après 1863, par d'autres encore, par l'organe des jour- 
naux môme les plus modérés, s'est-elle opposée à 
cette malencontreuse entreprise : rien n'y a fait ; rien 
n'a prévalu contre la volonté du maître, que la France 
s'est imposée à elle-même en un jour de terreur. Pour 
ce maître, l'expédition du Mexique était la plus grande 
pensée de son règne : la France devait donner le sang 
de ses enfants, le fruit de ses épargnes, afin d'aider à 
la réalisation de cette pensée d'un seul homme. Tels 
sont les effets du despotisme ! 

Est-il besoin de rappeler par quels désastres s'est 
terminée cette malheureuse affaire? Nos soldats ren- 
dus odieux à une population qui combattait pour sa 
liberté et ses foyers; le prince infortuné que nous 
avions amené là et fait empereur, saisi, jugé et fusillé, 
ni plus ni moins qu'un aventurier, et enfin, pour 
comble d'humiliation, notre diplomatie abaissée e 



358 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

notre armée obligée de quitter le territoire mexicain 
sur Tordre formel, sur l'injonction blessante du secré- 
taire d'Etat de la République des États-Unis ! Faut-il 
parler après cela des 50,000 soldats que nous avons 
perdus dans cette guerre inutile et odieuse, des 6 ou 
700 millions au bas mot que nous a coûtés cette fatale 
rêverie d'un cerveau solitaire ? 

Il semblait qu'après une si monstrueuse erreur, qui 
suffirait à jamais, dans un pays libre, à écarter des 
affaires l'homme d'Etat qui s'en serait rendu coupable, 
le pouvoir personnel mettrait un terme à ses fantai- 
sies, ou tout au moins que, se défiant de lui-même, il 
prendrait désormais conseil des représentants de la 
nation avant de rien entreprendre. < Il n'y a plus une 
seule faute à commettre, » s'était écrié M. Thiers, 
justement alarmé de tant d'infatuation dans le souve- 
rain. Mais c'est le propre des pouvoirs absolus de ne 
se jamais contenir eux-mêmes. L'occasion est tou- 
jours là qui les tente, et quand ils se sont trompés, 
toute occasion leur parait bonne de réparer leurs 
erreurs et de prendre une revanche. 

Au moment même où la France était humiliée au 
Mexique, des intrigues secrètes agitaient l'Europe. 
La Pologne se soulevait, toujours héroïque; on pou- 
vait tenter quelque effort en sa faveur, et l'Angle- 
terre semblait disposée à s'associer à cet effort. Mais 
point ; on mécontente l'Angleterre, car on était déjà 
engagé ailleurs. Un homme d'Etat audacieux, de cette 
école nouvelle du succès à tout prix, M. de Bismarck, 
s'attaquait à l'un de nos plus anciens et plus fidèles 
alliés, le Danemarck. N'y avait-il rien à faire dans 
l'intérêt du Danemarck, quand ce n'eût été qu'élever 
la voix en compagnie de l'Angleterre? Par malheur, 
l'Angleterre se défiait de nous, et le Danemarck fut 
abandonné à ses vainqueurs, l'Autriche et la Prusse,' 



LES PRÉTENDUES RÉFORMES 351^ 

qui ne tardèrent pas à en venir aux mains pour se 
partager ses dépouilles. C'était là Foccasion désirée* 
La guerre éclate entre les deux grandes puissances 
allemandes. Que va faire la France ? Se croisera-t-elle 
les bras en présence de ce grand duel dont Tissue est 
douteuse? N'y a-t-il aucune précaution à prendre? 
Qui sait comment tout cela finira? L'opinion s'émeut, 
le pays s'inquiète : le pouvoir personnel ne répond 
rien, refuse de répondre. Et pourquoi? Cette question 
est une injure. N'est-il pas la ÎProvidence de la France ? 
N'a-t-il pas tout prévu, peut-être môme tout arrangé 
secrètement? La Prusse et l'Autriche se rencontrent 
à Sadowa. On croyait que l'Autriche serait victorieuse. 
On se trompait, c'est la Prusse qui l'emporte; la 
campagne est finie, campagne décisive de sept jours 
qui partage l'Allemagne en deux, détruit l'équilibre 
de l'Europe, agrandit outre mesure la Prusse et met 
à nos portes une nation militaire de vingt-cinq mil- 
lions d'habitants, sans que nous ayons à dire le plus 
petit mot. Où donc est le prestige de la France ? où 
est son influence morale? Tout cela est détrait, le 
monde est troublé , la paix instable ; les nations 
s'épaisent en armements militaires. 

Voilà les résultats de la politique personnelle : la 
mesure n'est-elle pas comble ? 



IV 

LES PRÉTENDUES RÉFORMES 

Le gouvernement impérial, si fortement constitué, 
devait avoir à cœur de faire œuvre de réformateur. 
Succédant à un régime de libre discussion, il se van- 
tait dans l'origine de faire oublier par ses bienfaits la 



•360 PETITE IIISTOmE DU SECOND EMPIRE 

liberté, qu'il accusait d'être impuissante à réaliser 
aucune amélioration. Mais les réformes accomplies > 
par un pouvoir absolu ne peuvent, quel que soit > 
Tobjet auxquel elles s'appliquent, être en contradic- ". 
tion avec le principe môme du gouvernement; le des- 
potisme fait sentir son action partout, et c'est en vain ' 
que l'on chercherait dans tous les actes du régime 
impérial une mesure quelconque qui ne soit pas mar- 
quée de l'empreinte de son origine. En 1852, M. de 
Persigny parle de décentralisation.. Qu'est-ce que cette 
décentralisation qu'il prétend accomplir ? Ce n'est ni 
plus ni moins que l'attribution aux préfets, agents du ^ 
pouvoir central, de certains pouvoirs jusque-là réser- 
vés aux ministres. Où est la décentralisation promise? , 
En quoi les conseils élus par les citoyens voient-ils 
leur compétence étendue et leur autorité augmen- 
tée? N'est-ce pas là pourtant le but de la décentrai!- . 
sation véritable? Plus tard, le territoire se couvre, à . 
l'instigation des préfets, de sociétés de secours mu- 
tuels. Mais quelle est l'indépendance de ces sociétés? 
L'Empereur nomme et révoque leurs présidents ; 
l'autorité les tient à sa merci. L'Empereur a-t-il cru 
par là faire quelque chose en faveur du droit d'associa- 
tion, si étrangement foulé aux pieds depuis le premier 
Napoléon, et pourtant si nécessaire dans une démo- . 
cratie? Nulle erreur ne serait plus grande : l'article - 
291 du Code pénal qui interdit toute association subsiste . 
toujours, et dès que l'on en propose l'abrogation, lea.': 
conservateurs de l'Empire poussent les hauts cris. 
Après la disette de 1854, on imagine de créer des. 
caisses de boulangerie : à merveille ; mais à Paris, où 
les travaux publics de luxe absorbent toutes les res- 
sources disponibles , cette institution ne tarde pas à 
disparaître. On veut réformer la loi sur le recrute- 
ment de l'armée en 1855, afin de supprimer le scan- • 



LES PUÉTENDUES RÉFORMES 361 

(laie des remplacements militaires. Qu'imagiue-t-on ? 
Rien de mieux qu^un système d'exonération dont 
l'Etat fixe le taux chaque année, — ce qui facilite un 
véritable agiotage sur le sang des citoyens — et qu'un 
autre système de réengagements avec primes, qui con- 
serve dans les régiments de vieux soldats résolus à 
se faire de la vie de caserne une carrière, et tout pré- 
parés au rôle de prétoriens. Et ainsi de toutes les 
questions où le gouvernement impérial met la main. 
Mais nulle part l'influence du pouvoir personnel ne 
s'est fait sentir avec plus de fâcheux résultats que dans 
les affaires industrielles et commerciales du pays. La 
chimère des gouvernements de silence et de compres- 
sion consiste précisément à vouloir obstinément 
détourner les peuples de la liberté politique. Pour at- 
teindre ce but, tous les moyens semblent bons. Tantôt, 
on fera tout à coup et à l'improviste quelque expédi- 
tion aventureuse; tantôt, on parlera de mesures 
propres à donner une vive impulsion à l'agriculture, à 
l'industrie et au commerce. Napoléon III, dans sa car- 
rière de publiciste, avait touché à bien des questions : 
nul cependant ne pouvait dire au juste quelles étaient 
ses idées économiques, ni s'il était partisan du libre 
échange ou du système protecteur. Une parole sévère 
tombée de ses lèvres, depuis qu'il était monté sur le 
trône, donnait à penser qu'il était plutôt en garde 
coutreles théories de la secte économiste que partisan 
des [nouvaux systèmes. La liberté devait l'effrayer en 
économie comme en politique. Un beau matiu,le5 jan- 
vier 1860, il se réveille libre-échangiste à tous crins. 
Il écrit à son ministre d'Etat une lettre où il annonce 
que, suivant ce qu'il a résolu, tout le système indus- 
triel et commercial de la France va être changé. Eh 
(luoi! sans enquête préalable, sans consulter le Corps 
législatif? Oui : ainsi Ta décidé l'homme à qui la 

E. SPULLER. — SEC. RÉI». 21 



362 PETITE HISTOIKE DU SECOND EMPIUE 

France a donné le droit de conclure à lui seul des trai- 
tés de commerce. Que parle-t-on d'ailleurs de consul- 
tations préparatoires, d'enquêtes et de délibérations ! 
La lettre impériale est du 5 janvier, et le traité de com- 
merce avec l'Angleterre est conclu le 20 secrètement 
par MM. Rouher et Michel Chevalier avec l'Anglais 
Richard Cobden, et si secrètement que, pour n'en rien 
laisser transpirer, ce sont Mesdames Chevalier et 
Rouher qui font elles-mêmes les copies du traité. 

Ainsi voilà qui est fait. 

La France, pays d'industrie de luxe et de culture 
de céréales, habituée depuis Colbert et Louis XIV 
à un système protecteur, qui ne devait tomber que 
peu à peu et au fur et à mesure du perfectionnement 
de l'outillage national, de l'achèvement des voies 
de communication et de l'abaissement progressif 
des impôts et de la conscription militaire, la France 
se trouve libre-échangiste, sans le savoir, sans le 
vouloir. 

On sait aujourd'hui les déplorables conséquences 
d'un pareil coup de tête : plusieurs de nos grandes in- 
dustries ont déjà disparu ; d'autres ont été obligées de se 
transformer; presque toutes languissent dans un état 
de crise voisin de la ruine. Mais bah! qu'est-ce que 
tout cela? Le gouvernement personnel est un grand 
gouvernement, qui ne s'attarde pas dans la routine 
des vieilles théories économiques; c'est un gouver- 
nement progressiste et qui marche à la tête des idées 
son siècle. Aimez-vous les libertés économiques ? 
On vous en donnera autant et de toutes les sortes que 
vous voudrez. Liberté de la boucherie, liberté de la 
boulangerie, liberté des théâtres, etc. Il y a aussi 
la liberté de l'imprimerie, de la librairie et du colpor- 
tage. Ahl pardon, n'allez pas si vite. Cette liberté-là, 
toute industrielle et commerciale qu'elle soit, n'est 



LES PRÉTENDUES RÉFORMES 363 

pas une liberté comme les autres : elle touche par 
trop de côtés aux libertés politiques, et justement 
TEmpire n'accorde autant de libertés économiques 
que pour refuser la liberté politique. 

Pourtant, il a bien fallu y venir à cette liberté poli- 
tique, tant de fois décriée, si souvent conspuée par 
le régime impérial. On nous dit que TEmpereur, dès 
le commencement de son règne, a promis le couron- 
nement de rédifice, et Ton ajoute môme que tout ce 
que nous voyons aujourd'hui n'est que la réalisation 
de cette promesse. Mais c'est surtout dans les réformes 
politiques, si parcimonieusement mesurées, octroyées 
d'une main si avare par le pouvoir personnel qu'on 
retrouve tout entier cet art misérable, auquel l'Empe- 
reur Napoléon III s'est exercé depuis sa jeunesse, de 
retenir ce qu'il paraît donner et de rédiger des lois et 
des décrets qui semblent ordonner une chose, et qui, 
en fait, en ordonnent une autre. Le décret du 24 no- 
vembre paraît : la parole est rendue aux représen- 
tants de la nation, mais leur action législative reste 
toujours entravée. Du reste, la presse continuant d'être 
enchaînée, la tribune sans écho au dehors reste impuis- 
sante. Que peuvent obtenir les Cinq? Rien. A quoi se 
Jiorne leur action ? A rédiger des amendements au 
projet d'adresse, amendements mémorables à la vérité, 
et qui peu à peu réveillent l'opinion, ramènent les 
(fuestions de principes et rappellent la nation à ses 
devoirs et au souci de ses affaires. Cela seul suffit à 
troubhîr la (fuiétude de l'Empire. Assez de cette im- 
portune discussion de l'adresse, assez de ces intermi- 
nables discours ; le régime impérial ne peut soufirir 
la contradiction ; Tadresse sera supprimée. 

Après le grand désastre de Sadowa, au moment où 
la France se sent inquiète, nouvelles concessions. 
L'Empereur écrit la lettre du 19 janvier 1867 : la 



V^ PETTTE HI:^v>nE l€ 50005» EHrOE 



presse sera soustraite ao pKMnroîr dis^rêdomiaire de 
radministratîoD: le droit de në-imi<>ii ^era inauguré : 
l'action dn f'>>rps lêdsiatii sera plos libre. Mais on a 
vo plus haut quel est l'état vrai de la p^es^e en France 
à l'heure qu'il est : c'est toujours le despotisme qui 
rè^e. sous les apparences d'une liberté plus grande. 
Quant au droit de réunion, c'est peut-être de toutes 
les concessions consenties par le pouvoir impérial la 
plus perfide de toutes. On se réunira pour parler de 
littérature et de théâtre, voire de théories sociales; on 
ne se réunira point, si l'on veut traiter d'intérêts sé- 
rieux et positifs comme ceux qui sont engagés dans 
les questions politiques : avec cela, n'oubliez pas que 
la présence d'un commissaire de police est obliga- 
toire, et que d'ailleurs les préfets ont le droit d'inter- 
dire toutes les réunions, de quelque ordre que ce 
soit, qui leur semblent dangereuses. L'action de la 
Chambre est étendue ; on lui donne le droit d'inter- 
pellation ; les ministres se présentent devant elle et 
soutiennent eux-mêmes les actes de leur administra- 
tion. Mais les interpellations sont livrées à l'arbitraire 
et au caprice de la majorité, et de plus, on a soin que 
le principal ministre soit le porte parole du pouvoir 
personnel et paraisse devant les représentants du pays 
comme un vice-empereur: que peuventfaire des dépu- 
tés issus de la candidature officielle contre un pareil 
personnage? Le pouvoir personnel continue de durer. 

Enfin 1869 arrive. 

Le pays parle haut : trois millions cinq cent mille 
électeurs réclament le gouvernement du pays par le 
pays ; la volonté de la nation est claire, il faut céder. 
On nous fait alors le beau séuatus-consulte de juil- 
let 1862, qui prépare le couronnement de l'édifice, 
en rétablissant la responsabilité ministérielle, ^en 
rendant au Corps législatif le droit d'initiative, le 



LES PRÉTENDUES RÉFORMES 365 

droit de pétition, le droit de régler son organisation 
intérieure, en associant plus intimement le Sénat à 
Faction législative. Les anciens serviteurs du pouvoir 
personnel se retirent, cédant la place à des députés 
qui veulent, du moins à ce qu'ils disent, inaugurer 
vraiment le régime parlementaire. On croit qu'il y a 
positivement quelque chose de fait : le gouvernement 
parle même d'abandonner les candidatures officielles. 
Allégresse dans tous les vieux partis I L'édifice est cou- 
ronné : montons au Capitole, et rendons grâces aux 
Dieux ! 

On comptait sans Napoléon III, qui ne peut consen- 
tir au rôle de souverain constitutionnel, à moins de 
déchoir à ses propre yeux. A la première question qui 
se pose, la vérité du système se découvre. Vous vous 
croyiez en plein système représentatif : vous êtes en 
plein régime personnel. L'Empereur consent à tout 
ce qu'on lui demande. S'agit-il d'enlever au Sénat 
le pouvoir constituant? L'Empereur ne fait nulle 
objection. S'agit-il de faire de la haute Assemblée 
une seconde Chambre, à la manière de la Chambre 
des pairs? L'Empereur le trouve très bon. Tout paraît 
marcher à souhait. Attention! au détour d'un arti- 
cle, vous allez rencontrer le vieil homme. Article 
13 de la nouvelle Constitution: L'Empereur est respon- 
sable devant le peuple français auquel il a toujours le 
droit de faire appel. Qu'est-ce à dire? Cette arme 
terrible du plébiscite sera donc" toujours suspen- 
due sur nos institutions parlementaires? — Oui. — 
Mais c'est la négation même du régime représentatif ! 
— Je ne dis pas non. Mais que voulez vous ? la mo- 
narchie impériale n'est pas une royauté bourgeoise à 
la mode du temps de Louis-Philippe : la monarchie 
impériale, c'est César pouvant, au jour qu'il lui plaît, 
écarter Chambres et ministres et entrer en tête-à-tête 

21. 



fM fETfTF. HISTOIRE DC SEO>3rD EMPIRE 

iivif^; Ift peuple, ï;t noU^z bien que les occasions 
%%it rnanqtj'front pa«, sans parler des caprices, des fan- 
t'iif^i'^H ift d^?f( Ciups de tète : la ConstitatioD noovelle 
est (r:ofn|H>H/^Mleqijararite'Sept articles, dontaacunn'est 
r^ffoririahhf ni rriodifiable sans rassentimentdu peuple. 
Ah I vouH crni^mtz le plébiscite : on vous en donnera, 
et pliJH que voijh ireii voudrez. Du reste, nul mystère 
en loiilreci : qui donc pouvait croire que Napoléon III 
m dépoiiilleniit airiKi de celle de ses prérogatives qui 
réHurne touten le» autres ?Personnede ceux qui le con- 
naJKKf'iierit bien, parmi ses adversaires comme parmi 
wîH amÎH. Voici ce qu*a dit M. le duc de Persigny au 
Sénat, M. de Persigny, entendez bien, le plus ancien 
ami de rKinpereur et le plus lidèle, un homme de Stras- 
bourg do Boulogne, le premier confidentdu 2 Décem- 
bre, un homme (|ui connaît Louis-Napoléon.comme s'il 
Tavait fait : 

« •rap|)laudiK, dit-il, h la Constitution nouvelle. Le 
souverain a gardé tous ses pouvoirs; il a couservé tous 
bîs instruments de l'autorité réelle, tous les moyens 
(le l'empire autoritaire, en créant Tempire libéral. » 

Je crois (|ue Ton peut s'en rapporter à M. de Per- 
signy. 



V 

CONCLUSION 

11 est temps de conclure. 

On vient de repasser toute l'histoire du second Em- 
pire. 

On a vu ce qu^est au fond Thomme à qui la France 
a laissé prendre la direction de ses intérêts, de ses 



CONCLUSION 367 

affaires et de sa destinée : c'est un prince élevé dès sa 
plus tendre enfance pour régner sur nous au nom 
d'une tradition monarchique, obsédé pendant toute 
sa vie d'une idée fixe, décidé pour atteindre son but 
à se servir de tous les moyens, à ne reculer devant 
aucune extrémité. 

On a vu à l'épreuve le système de gouvernement que 
cet homme, dans toute la force et dans toute la matu- 
rité de son esprit, a imaginé pour maintenir entre 
ses mains les pouvoirs effrayants qu'il jugeait indis- 
pensables à l'accomplissement de sa mission poli- 
tique. 

On a suivi pas à pas les différentes étapes de ce 
règne de dix-huit ans, qui n'a été qu'une longue suite 
de fantaisies personnelles aboutissant en fin décompte 
à des fautes irréparables et à des désastres inouïs. 

On a étudié enfin de près et réduit à leur juste 
valeur toutes les prétendues réformes au moyen, des- 
quelles le gouvernement impérial, éludant sans cesse 
les vœux de la nation, s'est efforcé de détourner la 
France de la revendication des droits qui lui appar- 
tiennent, et s'est appliqué à conserver intactes, sous les 
apparences de concessions trompeuses, toutes les pré- 
rogatives du pouvoir absolu. 

Aujourd'hui, que veut-on de nous? 

On nous demande de ratifier tout ce qui s'est fait 
depuis dix-huit iins et de nous associer par nos votes 
à l'œuvre du couronnement de l'édifice, 

Pouvons-nous faire ce que l'on nous demande? 

Au point de vue des principes, nous ne le pouvons 
pas. 

Comme le dit le manifeste de la gauche et de la 
presse démocratique, * ce que l'on nous demande, c'est 
l'aliénation de notre souveraineté, c'est l'inféodation 
du droit populaire aux mains d'un homme et d'une 



368 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

famille, c'est la confiscation du droit imprescriptible 
des générations futures ». 

Nous n'avons pas le droit de consentir à rien de pa- 
reil. Notre souveraineté est inaliénable. Nous ne pou- 
vons nous en dessaisir au profit de personne, et ce que 
nous n'avons pas le droit de faire pour nous-mêmes, à 
plus forte raison n'avons-nous pas le droit de le faire, 
au nom de ceux qui viendront après nous et à l'égard 
desquels nous sommes responsables du dépôt sacré des 
principes de la Révolution. 

Voilà pour les principes. 

Mais au point de vue de l'utilité, au point de vue de la 
bonne gestion de nos intérêts, est-il expédient, est-il 
avantageux de passer un nouveau bail avec l'Empire ? 
C'est ce qui reste à examiner. 

Voyons donc ce que nous a coûté l'Empire depuis 
qu'il existe. 

L'Empire s'est établi par un coup d'État sur les 
ruines de la République et par la proscription en 
masse du parti républicain. Il faudrait compter 
d'abord les victimes de cette catastrophe, approxima- 
tivement, hélas ! car qui saura jamais au juste les 
deuils et les désastres accumulés par la coupable am- 
bition d'un seul homme? 

Il faudrait dire Je nombre de ceux qui sont tombés 
les armes à la main pour la défense des lois, de ceux 
qui ont été transportés à Cayenne et à Lambessa, de 
ceux qui ont été chassés de France et obligés d'aller 
vivre en exil du pain de l'étranger, de ceux que, par 
un caprice, on se contentait d'interner dans une ville, 
loin de leurs familles et de leurs affaires, de ceux que 
l'on a gardés en prison, de ceux qui ont été inquiétés 
dans leur fortune et dans leurs intérêts, non pas seule- 
ment dans l'année qui a suivi le coup d'État, mais 
longtemps après, par haine, par esprit de vengeance 



CONCLUSION 369 

politique. Plus de cent mille familles françaises ont été 
atteintes par le coup d'État, et Ton s'étonne que la 
France ne Tait point pardonné ! 

Il faudrait rappeler encore les persécutions de tous 
genres, les suspicions detous les instants, les perquisi- 
tions judiciaires, les visites domiciliaires qui, pendant 
les dix premières années de l'Empire, fondaient àl'im- 
proviste et à toute heure sur les suspects de l'oppo- 
sition. En 1858, après l'affaire d'Orsini, un nouveau 
vent de proscription souffle sur la France : c'est une 
sorte de coup d'État au petit pied. Qui dira le 
nombre de ces nouvelles victimes de l'arbitraire? 

C'est par ces moyens de compression violente que 
l'Empire s'est fait. Ce n'est pourtant là que la plus 
faible partie de ce qu'il nous a coûté. 

On nous dit que le régime fondé après Décembre 
nous a valu dix-huit années de calme et de prospérité 
qui n'ont pas été sans gloire. 

Le calme! que veut-on dire par là? Le calme, c'était 
le silence dans la servitude. Tout le monde était 
chassé de la vie publique. C'est toujours la vieille 
maxime du césarisme romain? Ubi solihidinem faciunt 
pacem appellant : \k où ils ont fait régner le silence, 
ils disent qu'ils ont apporté la paix. 

La prospérité ! Ah ! pour le coup, c'est trop fort. La 
République avait un budget de quinze cents millions 
en 1850 ! Aujourd'hui les budgets de l'Empire attei- 
gnent deux milliards trois cents millions, et se sol- 
dent en déficit. Sous laRépublique, en 1850, le chapitre 
des dotations s'élevait à dix millions ; aujourd'hui, ce 
chapitre s'élève à quarante-huit millions. 

Les gros budgets comme les emprunts périodiques 
sont une des bases du système actuel ; toute la politique 
financière de l'Empire consiste à escompter l'avenir 
au profit du présent. 



370 PETITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 

En quinze ans, TEmpire a dépensé trois milliards et 
demi en sus de ses recettes ordinaires. 

Encore si TÉtat seul avait des dettes ! Mais tout 
passe dans cet engrenage, Paris, les grandes villes de 
province, les départements, les communes, les grandes 
compagnies. Les emprunts de Paris s'élèvent à plus 
de deux milliards à Theure qu'il est ; ceux des villes 
au-dessus de cent mille habitants, à plus de cinq cÈnts 
millions ; ceux des départements, à plus de deux cent 
cinquante millions, sans parler des obligations des 
diverses compagnies, qui montent à plus de neuf 
milliards. 

Un établissement de crédit, le Crédit mobilier, 
créé sous les auspices du gouvernement, a fini par 
entrer en liquidation, après avoir englouti une partie 
de l'épargne de la France, plus d'un milliard, dans 
les spéculations aventureuses et exagérées. Le goût de 
la spéculation transforme tous les capitaux en valeurs 
mobilières et les détourne des biens fonciers et de 
l'agriculture. Les travaux excessifs des villes renché- 
rissent la main-d'œuvre dans les campagnes. Le 
nombre des faillites va suivant une progression ef- 
frayante. De 1863 à 1864, les faillites s'élevaient à 
1418 ; de 1868 à 1869, elles se sont élevées à 2131. Les 
contribuables étant surchargés, les revenus privés 
diminuent. Enfin, pendant que l'Empereur touche 
par an une liste civile de plus de vingt-cinq millions, 
le Corps législatif refuse un crédit de deux cent cin- 
quante mille francs pour porter à cinq cents francs 
le chifire de la pension de retraite des instituteurs. 

Voilà la prospérité de l'Empire. 

Reste la gloire. Veut-on parler de la gloire acquise 
par nos soldats ? Hélas ! nous savons trop ce qu'elle 
nous coûte. Cent cinquante mille hommes en Crimée, 
soixante mille en Italie, cinquante mille au Mexique, 



CONCLUSION 371 

sans parler de ceux qui ont laissé leurs os eu Afrique, 
eu Syrie, en Chine, en Cochinchine, partout où il a plu 
à la fantaisie d'un seul homme de les conduire. Est-ce 
là tout ? De I80I à 1866, les budgets de la guerre et 
de la marine n*ont pas absorbé moins de dix milliards 
quatre-vingt-quatre millions ; en 1867, ils ont demandé 
tout près d'un milliard, et la réorganisation de l'armée 
n'est pas faite pour les rendre moins avides. Si nous 
avons eu de la gloire, nous l'avons payée bien cher. 
Mais qu'est-ce donc après tout que cette gloire si coû- 
teuse (un milliard par an, quand nous ne trouvons pas 
cinquante millions à donner à l'instrucfion publi- 
que!), cette gloire qui, en fin de compte, nous a 
obligés, il y a dix-huit mois, à reprendre de fond en 
comble nos institutions militaires, à les remanier et 
à les approprier au nouvel état de l'Europe, à la suite 
la funeste journée de Sadowa ? Ce n'est pas assez 
des contingents annuels de cent mille hommes ; 
il faut maintenant neuf années de service au lieu de 
sept. Plus de bons numéros. Et d'ailleurs eu quel 
temps la France a-t-elle été moins redoutée au dehors 
qu'aujourd'hui, moins influente dans les conseils de 
l'Europe, moins écoutée par les gouvernements étran- 
gers? Comment sommes-nous sortis du Mexique? 
Sur l'ordre d'un ministre américain. Quelle figure 
avons-nous faite après les subits agrandissements de 
la Prusse? Nous avons dû négocier fort humblement 
l'évacuation de la forteresse de Luxembourg, pour 
avoir l'air d'obtenir une satisfaction. 

Voilà la gloire de l'Empire. 

C'est donc assez, et l'expérience a prononcé. 

Nous ne pouvons pas accorder à l'Empire le blanc- 
seing qu'il nous demande : Non possumus. 

Ce ne ser^ pas en vain que nous aurojis recueilli la 
leçon si cruelle des événements. 



372 PETITE HISTOIRE bU SECOND EMPIRE 

Au nom de la souveraineté nationale, au nom de 
Tordre et de la paix sociale, afin de sauvegarder tout 
à la fois notre dignité comme citoyens et nos intérêts 
comme contribuables, nous repousserons le pacte 
nouveau qu'on nous propose par le plébiscite du 8 mai, 
et nous répondrons énergiquement non, comme il con- 
vient à des hommes probes et libres. 



FIN DE LA PKTITE IIISTOIRK DU SECOND EMPIRE 



372 PETITE HISTOIKE DU SECOND EMPIRE 

■ 

Au nom de la souveraineté nationale, au nom de 
Tordre et de la paix sociale, afin de sauvegarder tout 
à la fois notre dignité comme citoyens et nos intérêts 
comme contribuables, nous repousserons le pacte 
nouveau qu'on nous propose par le plébiscite du 8 mai, 
et nousrépiondrons énergiquement non, comme il con- 
vient à des hommes probes et libres. 



FIN DE LA PKTITE HISTOIRE DU SECOND EMPIRE 



TABLE DES5IÂTIERES 



HISTOIRE DE LA SECONDE RÉIH BUQl F. 



PREMIÈRE PARTIE 
ÉTABLISSEMENT DU SUFFRAGE UNIVERSEL 

i4 février — 4 mai 1S4S. 

I. — Caractères généraux de la Révolution do Février» - l.a 
monarchie parlementaire en Angleterre et en Frivnoe» — l/aris 
tocraiie anglaise et les classes dirigeantes en Franee. • La 
bourgeoisie française. — M. Guizoï et la n^fonno éleetornle. l 

II. — La République proclamée en France. — Fin du pouvoir per- 
sonnel. — Le suffrage universel H 

m. — Origines du suffrage universel. — Progrannne de la Soi'ifttf 
dea droits de Vhomme — Le parti légitimiste. — .M. de Liunurhue 
et la Politique rationnelle de 1831. — Le journal la ÏU' forint el 
le programme rédigé par Louis Blanc. — Les pamphlets il»» Ti 
mon 10 

IV. — Le gouvernement provisoire adopte le suffrage univerHel el 
Torganise. — Les anciens républicains de coniliat. - La Répu- 
blique mise au-dessus du suffrage universel \\ 

V. — Les Elections sont annoncées. — (iirculairos de Leili'u-llolliii 
aux commissairesde la Hépubli(iue. — La Répid)liipie fermée, 'j I 

VI. — Fixation des Elections au 23 avril 18i8. --Attitude du clergé, 
— Situation des partis. — Double courant parmi Ich HépidiliculuN. 
Les candidatures ouvrières du Luxembourg. M. M. Heiryer <•!. 
Ihiers, candidats à Marseille. — ProfesKion de foi électorale de 
M. Thiera 'M) 

Vil. — Tableau des Elections. — Emeutes de Limo^eN et de 
Rouen. — La France donne mandat h Hes repréMetituntN de comn- 
tituer la République. — Jugement de Léon Faucher Nur le gou- 
vernement provisoire et la Révolution do Février. ... 4it 



374 TABLE DES MATIÈRES 

DEUXIÈME PARTIE 
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUANTE 

4 mai 1848 — 25 mai t449 

L — Séance d'ouverlure. — Proclamation de la République. — 
Elle est acclamée dix-sept fois 49 

IL — Le président Buçhez. — Comptes rendus des membres du 
gouvernement provisoire. — Proposition Dornès, déclarant que 
le ^gouvernement provisoire a bien mérité de la patrie. — Cons- 
titution du Pouvoir exécutif. — Louis Blanc et le ministère du 
Progrès 60 

ÏIL — L'attentat du Quinze-Mai. — Manifestation en faveur de la 
Polojçne. — Invasion de l'Assemblée. — Blanqui et Barbes. — La 
dissolution de l'Assemblée. — Commencements de la République 
honnête et modérée 78 

IV. — L'Assemblée, au lendemain du 15 mai. — Caussidière, pré- 
fet do police, donne sa démission. — Fête de la Concorde. — La 
politique extérieure. — Application de la loi d'exil de 1832 aux 
princes d'Orléans. — Les Bonaparte sont admis. — Elections de 
Paris du 8 juin. — Louis Bonaparte élu représentant. — Lamar- 
tine et Ledru-RoUin proposent de lui appliquer la loi d'exil. — 
Opposition de Jules Favre 400 

V. — Paris à la veille des journées de juin. — Les ateliers natio- 
naux. — Juste impopularité de ces établissements. — Proclama- 
tion des ouvriers des ateliers nationaux. — L'Assemblée consti- 
tuante et les théories sociales 119 

VI. — Ulysse Trélat, ministre des travaux publics. — Son pian 
pour les ateliers nationaux, repoussé par la Commission executive, 
tenu en échec par les Comités des finances et des travailleurs. — 
Les comités permanents de iaConstituante. — Le comte de Falloux. 

— Discours de Pierre Leroux. — République de Goudchaux. 132 

VII. — 11 faut en finir. — Emeutes quotidiennes. — Marie, et le dé- 
légué Pujol. — Premières barricades. — La commission executive et 
le général Cavaignac. — Falloux et la dissolution des ateliers natio- 
naux. — Intrigues dans la majorité républicaine. — Proposition 
de VictorConsidérant. — Discours de Caussidière. — Proclamations 
deMarrast, et de Sénard. — Véritables caractères de l'insurrection 
de Juin. — Le suffrage universel et le socialisme. — L'état de siège. 
— Dictature Cavaignac. — Retraite de lacommission executive. 147 

VIII. — Assemblée constituante et l'insurrection. — Plan militaire 
de M. Thiers. — Cavaignac dépose ses pouvoirs extraordinaires. 

— Le nouveau ministère des projets de lois de réaction. — Hippo- 
lyte Carnot et l'instruction publique. — Les associations ouviières. 

— Le terme du 15 juillet. — Proposition de P.-J. Proudhon. — La 
propagande de la rue de Poitiers. — Les petits traités de l'Aca- 
démie des sciences morales et politiques 168 

JX, — La commission d'enquête» -^ Rapport de Quentin-^Bauchart. 



TABLE DES MATIÈRES 375 

Ledm-Rollin se défend, et échappe à la proscription. — Pros- 
cription de Louis Blanc et de Caiissidière. — Elections complé- 
mentaires de septembre. -— Louis Bonaparte à TAssemblée. 190 

X. — La Constitution. — Le premier comité. — Discussion de la Cons- 
titution — Le système des deux chambres. — La Présidence de la 
République. — Amendement de M. Jules Grévy. -— Discours de 
Lamartine : Aleajacta est I — Amendement Leblond. — Fête 
de la Constitution 197 

XL — Les partis à laveille de l'élection présidentielle. — Crise mi- 
nistérielle. — Dufaure, ministre de l'intérieur. — Attaques dirigées 
contre le général Cavaignac Le Corp expéditionnaire en Italie. — 
Election présidentielle du 10 décembre. — Louis Bonaparte prête 
serment à la République 214 

XII. — Premier cabinet de Louis Bonaparte. — Léon de Maleville, 
Falloux, Odilon Barrot. — Rapport de M. Grévy sur la propo- 
sition Râteau. — Discours de Montalembert. — Echec du mi- 
nistre. — Le vingt-neuf janvier. — L'expédition de Rome. — 
Discours de Montalembert, Ledru-Uollin et Jules Favre. — Fin 
de l'Assemblée constituante 225 



TROISIÈME PARTIE 
ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE 

25 mai 1840 — 2 décembre 1851 

I. — Situation générale de la France et de l'Europe, à la fin de 
l'Assemblée constituante de 1848 230 

IL — Les partis en présence. — Les modérés du parti républicain 

sont exclus 237 

III. — L'Union républicaine et l'union des i)artis monarchiques. 

— Tactique des conservateurs. — Circulaire de M. Léon Fau- 
cher 239 

IV. — Programme électoral des anciens partis 241 

V. — Programme électoral du comité démocratique socialiste de 
Paris 243 

VI. — Le comité de la rue de Poitiers 240 

VII. — Tableau des élections. — Les partis dans l'Assemblée 2i8 

VIII. — Politique à suivre par le parti républicain .... 250 

IX. — Question romaine. — M. Ledru-RoUiu demande la mise en 
accusation de Louis Bonaparte et de ses ministres. — Le 
13 juin 1849 252 

X. — Le parti républicain, après le 13 juin. — Elections de Paris. 

— Projets de la majorité contre W sulïraj;e universel. . 255 
XL — La réaction hostile à toute p«ili tique d'apaisement. . ii57 
XIL — Le projet de loi sur la presse. — M. de Montalembert. — 

Loi sur l'état de siège. — M. Dufaure 258 

Xlil. — Prorogation de l'Assemblée. — Les conseils généraux. — 
Lettre du président Louis Bonaparte à Edgar Ney . . . 262 



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